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Date : 20210922


Dossier : T‑52‑20

Référence : 2021 CF 982

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 22 septembre 2021

En présence de monsieur le juge Pentney

ENTRE :

ANTONINA SENNIKOVA

demanderesse

et

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Introduction

[1] Antonina Sennikova (la demanderesse) a eu un accident de voiture qui l’a empêchée de retourner au travail. Elle a donc reçu des prestations de maladie de l’assurance‑emploi (AE). De plus, sa compagnie d’assurance‑automobile, Aviva, Compagnie d’Assurance Générale (Aviva), lui a versé des indemnités de remplacement du revenu (les IRR d’Aviva).

[2] La Commission de l’assurance‑emploi du Canada (la CAEC) a décidé que les IRR d’Aviva étaient une rémunération et a conclu que la demanderesse avait donc reçu un montant trop élevé de prestations de maladie de l’AE. La demanderesse a demandé à la CAEC de réexaminer sa décision, mais elle a refusé. Elle a ensuite contesté le refus de la CAEC de réexaminer la décision devant la division générale du Tribunal de la sécurité sociale (division générale). Après l’échec de cette contestation, elle a interjeté appel auprès de la division d’appel du Tribunal de la sécurité sociale (division d’appel), qui a rejeté l’appel. La demanderesse demande maintenant le contrôle judiciaire de cette décision (la décision de la division d’appel).

[3] Le contrôle judiciaire en droit administratif canadien moderne est un domaine complexe et hautement spécialisé, et il peut porter à confusion. La demanderesse agissait pour son propre nom dans l’instance, bien que, pour les motifs expliqués ci‑après, son époux ait présenté à l’audience des observations pour le compte de la demanderesse. J’ai donc rédigé la présente décision de manière à expliquer le plus clairement et le plus simplement possible le droit et mes conclusions, en évitant le jargon ou les raccourcis que les avocats et les juges qui connaissent bien ce domaine utilisent parfois.

II. Le contexte factuel

[4] En février 2019, la demanderesse a eu un accident de voiture qui l’a empêchée de retourner au travail. Elle a demandé et reçu des prestations de maladie de l’AE en vertu de la Loi sur l’assurance‑emploi, LC 1996, c 23 [la Loi] et du Règlement sur l’assurance‑emploi, DORS/96‑332 [le Règlement]. La demanderesse a reçu une lettre de la CAEC datée du 18 mars 2019 l’informant qu’elle pourrait recevoir des prestations de maladie hebdomadaires de l’AE d’un montant de 553 $ par semaine après la fin de sa période d’attente.

[5] Parallèlement, la demanderesse a également reçu les IRR d’Aviva, sa compagnie d’assurance‑automobile.

[6] En juin 2019, la CAEC a réévalué le montant des prestations de maladie de l’AE auxquelles la demanderesse avait droit, parce que l’évaluation antérieure ne tenait pas compte du montant des IRR d’Aviva. La CAEC a décidé de catégoriser les IRR d’Aviva (qu’elle a appelées des [traduction] « indemnités pour un accident de véhicule automobile ») comme une « rémunération » et a établi que la demanderesse avait reçu un versement excédentaire de prestations de maladie de l’AE. Par conséquent, la CAEC a réduit le montant des prestations auxquelles la demanderesse avait droit.

[7] La demanderesse a demandé un réexamen de cette décision, mais la CAEC n’a pas changé sa décision selon laquelle les IRR d’Aviva constituaient une rémunération au titre de l’alinéa 35(2)d) du Règlement. La demanderesse a contesté la décision auprès de la division générale, en soutenant principalement que la CAEC avait fondé sa décision sur la mauvaise disposition de la loi.

[8] La division générale a confirmé la conclusion de la CAEC et rejeté l’appel de la demanderesse, parce qu’elle a conclu que les IRR d’Aviva constituaient une rémunération au titre de l’alinéa 35(2)d) du Règlement. Elle a tiré les principales constatations suivantes à l’appui de sa conclusion : (i) le régime d’assurance‑automobile de la demanderesse était prévu par une loi provinciale; (ii) les IRR d’Aviva étaient des indemnités pour la perte réelle ou présumée d’un emploi; et (iii) Aviva n’avait pas réduit les indemnités de remplacement du revenu versées à la demanderesse afin de tenir compte du montant des prestations de maladie de l’AE que cette dernière recevait. À la lumière de ce qui précède, la division générale a décidé que la conclusion de la CAEC selon laquelle les prestations de maladie de l’AE devraient être réduites était correcte. Elle a donc rejeté l’appel de la demanderesse.

[9] La demanderesse a ensuite interjeté appel à la division d’appel. Suivant la Loi, la division d’appel devait décider s’il fallait lui « accorder la permission d’en appeler » avant de pouvoir examiner en bonne et due forme son appel sur le fond.

[10] La division d’appel a refusé d’accorder à la demanderesse la permission d’en appeler, jugeant qu’elle n’avait aucune chance raisonnable d’obtenir gain de cause pour l’un ou l’autre des motifs d’appel pouvant être examinés (ce qui est le critère juridique énoncé dans la Loi).

[11] Dans l’affaire dont la Cour est saisie, la demanderesse demande le contrôle judiciaire de la décision de la division d’appel de ne pas lui accorder la permission d’interjeter appel.

III. Les questions préliminaires

[12] Trois questions préliminaires ont été soulevées à l’audience. Il est plus facile de les aborder dès le départ.

[13] D’abord, la demanderesse a nommé le Tribunal de la sécurité sociale comme défendeur dans la présente demande, mais le défendeur approprié est le procureur général du Canada, conformément au paragraphe 303(2) des Règles des Cours fédérales, DORS/98‑106 [les Règles]. Comme je l’ai expliqué à l’audience, cela n’a aucune incidence sur les droits de la demanderesse à la réparation qu’elle demande. Il s’agit d’un point technique. L’intitulé sera modifié avec effet immédiat de façon à tenir compte du changement.

[14] Ensuite, lorsque l’affaire a été instruite, la demanderesse a demandé que son époux soit autorisé à présenter des observations pour son compte. Elle a dit ne pas être en mesure de présenter ces observations. Elle a demandé que son époux parle en son nom, parce qu’il connaît bien la procédure et parce qu’il avait préparé tous les documents tout au long du processus. De plus, il est ressorti clairement de ma première discussion avec la demanderesse que sa capacité limitée de parler anglais pourrait lui poser un problème dans la présentation de sa cause. Je dois mentionner que l’époux de la demanderesse avait déjà demandé ce qu’on lui accorde la qualité d’intervenant dans l’instance afin qu’il puisse présenter la cause de la demanderesse, demande à laquelle le juge Andrew Little a refusé d’accéder. En concluant que l’époux ne satisfaisait pas au critère pour être un intervenant, le juge Little a expressément laissé ouverte la porte ouverte à ce qu’il soit autorisé à représenter son épouse à l’audience.

[15] Le défendeur ne s’est pas opposé à ce que l’époux présente la cause au nom de son épouse. J’ai décidé qu’il était dans l’intérêt de la justice de le permettre, malgré l’exigence générale des Règles selon laquelle les personnes doivent se représenter elles‑mêmes ou être représentées par un avocat. J’ai noté que, dans des cas exceptionnels antérieurs, la Cour avait permis à un époux de présenter des observations au nom d’un demandeur [par exemple, dans les affaires Kennedy c Canada, 2012 CF 1050 et Mattu c Canada (Ministre du Revenu national), (1991) 45 FTR 190, [1991] ACF no 539 (1re inst)]. Étant donné que l’affaire était prête à être instruite, la demanderesse avait demandé que son époux soit autorisé à présenter des observations en son nom. Elle a expliqué pourquoi elle était incapable de le faire. Le défendeur ne s’est pas opposé à la demande. J’ai exercé mon pouvoir discrétionnaire et consenti à la demande.

[16] Enfin, la demanderesse a déposé un affidavit afin de fournir des renseignements supplémentaires relativement à sa demande. Le défendeur s’y est opposé, invoquant que les contrôles judiciaires sont généralement effectués en fonction du dossier à la disposition du décideur dont la décision est contestée et qu’aucune des exceptions à cette règle ne s’applique en l’espèce.

[17] J’ai tranché à l’audience la question ci‑dessus, et mentionné que le défendeur avait raison de dire que les demandes de contrôle judiciaire sont généralement fondées sur les renseignements qui ont été présentés au décideur (Association des universités et collèges du Canada c Canadian Copyright Licensing Agency (Access Copyright), 2012 CAF 22 aux para 19 et 20) et qu’aucune des exceptions ne s’applique en l’espèce. À la lumière de cette règle, j’ai refusé d’accepter la plupart des nouveaux documents de la demanderesse pour deux raisons : (i) certains de ces documents traitaient de la capacité de la demanderesse à agir en son nom, et cette question était déjà réglée de sorte que cette preuve n’était pas nécessaire; (ii) certains des documents portaient sur des questions qui n’étaient pas contestées ou figuraient déjà dans le dossier.

IV. Les questions en litige et les critères à appliquer lors du contrôle judiciaire

[18] Le cœur de la plainte de la demanderesse au sujet de la décision de la division d’appel est le même problème que celui qu’elle avait soulevé au sujet de toutes les décisions antérieures, à savoir que le décideur [traduction] « a commis une erreur de droit en appliquant la mauvaise disposition de preuve ». En résumé, la demanderesse dit que les IRR d’Aviva n’étaient pas un revenu d’emploi et que, par conséquent, elles n’auraient pas dû être déduites de ses prestations de maladie de l’AE. Elle a soulevé de nombreux autres points à l’appui de cet argument, notamment la manière dont la partie précise du Règlement qui s’applique à son cas devrait être interprétée. Toutefois, le thème central de son argument est que la CAEC a commis une erreur en traitant les IRR d’Aviva comme un revenu et en concluant que son assurance privée était prévue par une loi provinciale. Elle soutient que ni la division générale ni la division d’appel n’ont corrigé ces erreurs.

[19] Comme il a été expliqué à l’audience, une demande de contrôle judiciaire est différente d’un appel. Lors du contrôle judiciaire, la cour de justice doit appliquer des critères précis, et il y a des limites aux types d’éléments de preuve et d’arguments juridiques qu’elle peut examiner. La Cour suprême du Canada a décrit le critère et l’approche à respecter dans un récent arrêt intitulé Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov]. D’après cet arrêt, la plupart des contrôles judiciaires doivent être effectués selon ce qui est appelé la « norme de contrôle de la décision raisonnable ». Cette norme de contrôle s’applique en l’espèce.

[20] La norme de la décision raisonnable est explicite : la question de base est celle de savoir si la demanderesse peut me convaincre que la décision de la division d’appel est « déraisonnable » au sens où le terme est défini en droit. Il est parfaitement clair que la demanderesse est fortement en désaccord avec la décision, mais cela ne rend pas celle‑ci déraisonnable en droit. Je vais expliquer cela plus en détail plus tard. Pour l’instant, je vais résumer ce que la Cour suprême du Canada dit au sujet de la façon dont je dois procéder au contrôle du caractère raisonnable de la décision. Mon intention est de guider le lecteur et de jeter les bases du reste de la décision.

[21] Il est utile de regrouper en deux catégories les types de questions que la Cour suprême m’ordonne de poser au sujet de la décision de la division d’appel. La première catégorie a trait aux « contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti » (Vavilov au para 85). La seconde a trait à la qualité de l’explication que le décideur a fournie pour justifier la décision. Je vais maintenant décrire chaque catégorie un peu plus en détail.

[22] Pour décider si la décision est raisonnable, je dois d’abord me demander si la décision est fondée sur un examen des bons principes de droit qui s’appliquent aux faits clés de l’affaire. Si un décideur a manqué un fait absolument crucial – un fait essentiel pour établir si un critère juridique est respecté ou non – la décision est alors déraisonnable. De même, je dois me demander si la décision s’appuie sur une mauvaise application de la loi. Si c’est le cas, la décision est déraisonnable. Dans l’arrêt Vavilov, la Cour suprême mentionne (au para 85) les « contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti ». Il est utile de penser que le droit et les faits établissent les limites du [traduction] « cadre » à l’intérieur duquel la décision doit être rendue. Si la décision se trouve à l’intérieur du cadre, parce que le décideur a respecté la façon dont les contraintes factuelles et juridiques limitaient les conclusions qu’il pouvait raisonnablement tirer, elle peut être jugée raisonnable. Si la décision se trouve à l’extérieur du cadre, parce qu’elle est erronée sur un point juridique ou factuel clé, elle est déraisonnable.

[23] La seconde catégorie de questions porte sur la qualité de l’explication de la décision. Il ne suffit pas qu’un décideur applique les bons principes de droit aux faits clés. Le décideur doit aussi expliquer comment il est arrivé à sa conclusion. Il n’est pas toujours nécessaire que les motifs écrits soient longs ou compliqués. Ils doivent néanmoins expliquer à la personne touchée par la décision pourquoi et comment le résultat a été atteint, avec suffisamment de détails et d’une manière qui précise les étapes clés de l’analyse. Le lecteur doit être capable de « relier les points » du raisonnement qui justifie le résultat atteint [Vavilov au para 97, citant la décision Komolafe c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 431 au para 11). Autrement dit, une cour de révision doit être convaincue que la décision « se tient » (Vavilov au para 104).

[24] La demanderesse affirme que la décision est déraisonnable. Je vais exposer ses arguments plus en détail ci‑après.

[25] La demanderesse a aussi fait valoir que la division d’appel était partiale. Je ne me pencherai pas sur cet argument en détail, parce que rien dans le dossier ne l’étaye. Certains des arguments de la demanderesse avaient trait à l’équité de son audience devant la division générale, mais cette question ne peut être plaidée devant la Cour en l’espèce. La demanderesse a soulevé ces préoccupations à la division d’appel. Celle‑ci les a examinées et les a rejetées. De plus, bon nombre des allégations de partialité de la demanderesse concernent en réalité son désaccord avec l’issue de l’appel. Je traite de ces préoccupations ci‑après, dans mon analyse du caractère raisonnable de la décision. Le fait que la division d’appel n’a pas accepté les arguments de la demanderesse ne donne pas à penser qu’elle était partiale à son endroit. Compte tenu de ce qui précède, je n’en dirai pas plus sur l’allégation de partialité.

V. Analyse

[26] Dans cette partie de la décision, je passerai en revue les principales observations de la demanderesse. La demanderesse se plaint notamment que la décision de la division d’appel n’employait pas exactement les mêmes mots que ceux qu’elle avait utilisés dans son appel. Cette plainte répétait une préoccupation semblable qu’elle avait soulevée au sujet de la décision de la division générale : les mots qui y étaient employés n’étaient pas ceux qu’elle avait utilisés pour décrire certaines choses. Je le mentionne ici, parce que je ne répéterai pas non plus chaque argument ou chaque observation de la demanderesse. Je ne citerai pas toujours non plus ses paroles en termes exacts.

[27] Il a été nécessaire de regrouper les observations de la demanderesse afin d’analyser l’affaire et de rédiger la présente décision, parce qu’elles relevaient, paragraphe par paragraphe, les prétendues erreurs que la division d’appel aurait commises dans sa décision. De plus, certaines des expressions que la demanderesse a utilisées n’expriment pas d’une manière facile à comprendre sa position réelle. Cela est ressorti clairement de notre discussion sur certaines questions durant l’audience. Tout cela pour dire que j’ai examiné soigneusement les observations écrites et la transcription de l’audience et que, même si je n’utilise pas exactement les mêmes mots que ceux de la demanderesse, ce qui suit traduit les principaux points qu’elle a soulevés.

[28] À chaque étape de l’instance et dans les demandes antérieures de la demanderesse à la division générale et à la division d’appel, la demanderesse a fait valoir un argument clé général : les décideurs [traduction] « ont appliqué la mauvaise disposition de preuve ». Tous ses autres arguments découlent de ce thème principal. Elle affirme que la division d’appel n’a pas abordé cet argument ou a mal compris sa position. La demanderesse ajoute que la division d’appel a utilisé des termes incorrects pour décrire les IRR d’Aviva et pour interpréter les dispositions juridiques applicables. Elle affirme que la division d’appel a commis une erreur en se fondant sur une disposition du Règlement, mais en ne tenant pas compte d’autres dispositions tout aussi importantes. De plus, la demanderesse soutient que le décideur a commis une erreur en ne s’appuyant pas sur le Guide de la détermination de l’admissibilité (le Guide), qui est censé guider l’application de la loi. D’après elle, tout cela fait en sorte que la décision est déraisonnable.

[29] Afin de comprendre l’argument principal de la demanderesse, il est nécessaire de discuter du cadre juridique des prestations de maladie de l’AE et de décrire la disposition clé du Règlement qui a été appliquée à son cas, parce que l’interprétation et l’application de cette disposition sont au cœur de la plainte de la demanderesse.

[30] Comme il a été mentionné précédemment, la division d’appel a refusé d’accorder à la demanderesse la permission d’en appeler, parce qu’elle a conclu que cette dernière n’avait pas démontré qu’elle avait une chance raisonnable d’obtenir gain de cause. Tout comme la décision de la division générale et, avant, celle de la CAEC, cette décision reposait principalement sur la conclusion que les IRR d’Aviva que la demanderesse recevait étaient une « rémunération » ou un « revenu » qui devait être déduit de ses prestations de maladie de l’AE. La présente affaire concerne avant tout cette conclusion.

[31] Il n’est pas nécessaire d’énoncer toutes les dispositions particulières qui ont guidé le processus décisionnel de la CAEC, qui, à son tour, a mené aux décisions de la division générale et de la division d’appel. Une description plus générale du fonctionnement du régime d’AE suffira à jeter les bases du point principal, qui comporte un examen plus détaillé de l’interprétation par la division d’appel de l’alinéa 35(2)d) du Règlement.

[32] Il n’est nullement contesté que la demanderesse avait droit à des prestations de maladie de l’AE après son accident de la route. Elle occupait un emploi assurable et cotisait au régime d’assurance compte tenu du fait que des cotisations à l’AE étaient déduites de son chèque de paie. Elle remplissait donc les conditions minimales d’admissibilité à ces prestations. Le régime d’AE est structuré de façon à exiger que le revenu et les heures de travail assurables (souvent appelées [traduction] « heures ouvrant droit aux prestations ») soient comptés. Cela a été fait dans le calcul des prestations de la demanderesse. Rien de tout cela n’est controversé ou contesté en l’espèce.

[33] Une autre caractéristique du régime d’AE est qu’il est conçu pour éviter de verser des prestations excédentaires à des personnes pour les indemniser. L’une des manières de le faire est en établissant certaines choses qui doivent être déduites des prestations d’AE. Nous approchons ici du cœur du litige en l’espèce. Le libellé du paragraphe 35(2) du Règlement est reproduit dans une annexe à la présente décision. Ce sont de longues dispositions compliquées qui ne sont pas faciles à lire. En résumé, elles portent sur les autres types d’indemnités reçues par une personne qui comptent comme « rémunération » dans le calcul des prestations d’AE.

[34] L’alinéa 35(2)d) traite précisément des indemnités de remplacement du revenu dans le cadre d’un régime d’assurance‑automobile prévu par une loi provinciale. L’objet de la disposition est clair : les prestations d’AE sont censées indemniser la personne de la perte de rémunération; et, si elle reçoit simultanément une autre rémunération, celle‑ci devrait être déduite de ses prestations d’AE. Dans sa décision, la division d’appel a présenté le résumé utile suivant des principaux éléments de la disposition :

[25] La question essentielle est de savoir si les indemnités satisfont aux critères de l’article 35(2)(d). L’article 35(2)(d) énonce que les indemnités reçues dans le cadre d’un régime d’assurance‑automobile auront valeur de rémunération dans les circonstances suivantes :

les indemnités sont versées en vertu d’une loi provinciale;

elles représentent la perte du revenu d’un emploi par suite de blessures;

les prestations d’assurance‑emploi n’ont pas été déduites des indemnités d’assurance‑automobile.

[35] Le principal argument de la demanderesse est que la disposition susmentionnée n’aurait pas dû s’appliquer à son cas parce que les IRR d’Aviva qu’elle a reçues n’étaient pas prévues « par une loi provinciale ». Elle soutient que la mention dans l’alinéa 35(2)d) des indemnités prévues « par une loi provinciale » renvoie uniquement aux indemnités versées directement par une province – comme c’est le cas au Québec, en Colombie‑Britannique et au Manitoba – qui a mis en place un régime d’assurance‑automobile. La demanderesse était assurée en Ontario, mais la province ne gère pas son propre régime d’assurance‑automobile. Elle dit avoir contracté une assurance privée auprès d’Aviva, qu’elle l’a payée pour elle‑même et que son contrat avec Aviva portait sur une assurance‑automobile, et non sur une assurance‑emploi. Par conséquent, selon elle, l’alinéa 35(2)d) n’aurait pas dû s’appliquer à son cas.

[36] La demanderesse a présenté des arguments semblables à la division d’appel, mais celle‑ci les a rejetés. Elle dit que c’était une erreur et que la décision devrait donc être infirmée.

[37] D’après la division d’appel, la division générale a eu raison de conclure que les IRR d’Aviva étaient prévues par une loi provinciale. Elle a jugé que les indemnités doivent être traitées comme une rémunération si elles ont été versées au prestataire dans le cadre d’un régime d’assurance‑automobile régi par le gouvernement provincial qui prescrit le paiement d’une indemnité au titre de perte de salaire. La division d’appel a jugé qu’il n’était pas nécessaire que le gouvernement verse directement les indemnités et que la province gère le régime d’assurance. Tout ce qu’il fallait, c’était que les indemnités soient versées dans le cadre ou en vertu d’un régime sous réglementation provinciale (décision de la division d’appel au para 27).

[38] La division d’appel a jugé que la division générale avait eu raison de s’appuyer sur l’arrêt Canada (Procureur général) c Lalonde, (1996) 142 DLR (4th) 572, 1996 CanLII 3991 (CAF) [Lalonde] de la Cour d’appel fédérale (décision de la division d’appel au para 29). Cette affaire portait sur la question de savoir si certains montants que M. Lalonde avait reçus étaient des indemnités « en vertu d’un régime d’assurance‑automobile prévu par une loi provinciale pour la perte réelle ou présumée du revenu d’un emploi par suite de blessures corporelles […] », suivant la loi en vigueur au moment de la décision. La Cour d’appel a jugé que les indemnités étaient visées par la disposition. M. Lalonde vivait en Ontario, et, selon la législation sur l’assurance qui était alors en vigueur, tous les contrats d’assurance‑automobile devaient prévoir un certain nombre de prestations obligatoires, y compris un montant minimal comme indemnités hebdomadaires payables « au titre du revenu ».

[39] Dans l’arrêt Lalonde, la Cour d’appel a conclu que la question clé était celle de savoir si les indemnités hebdomadaires « au titre du revenu » pour la perte de salaire à la suite d’un accident de la route découlent d’un « régime d’assurance‑automobile prévu par une loi provinciale ». Elle a fait remarquer qu’il y a des différences entre les versions anglaise et française de la disposition, mais a jugé que cela n’avait pas d’importance, parce que l’intention sous‑jacente était la même. Le point principal de la Cour d’appel à ce sujet vaut la peine d’être cité ici :

Ce qui est certain, sous l’un et l’autre texte, c’est qu’on a voulu tenir compte, dans le calcul des prestations payables en vertu de la Loi sur l’assurance‑chômage, des indemnités compensatrices de salaire auxquelles un prestataire a droit en vertu d’une loi provinciale. L’alinéa 57(2)d) ne s’intéresse pas à la forme que prend l’intervention de l’état: dès que l’indemnité versée à un prestataire l’a été en vertu d’une assurance‑automobile régie par l’état provincial qui prescrit le paiement d’une indemnité au titre de perte de salaire, cette indemnité versée a valeur de rémunération pour les fins de l’alinéa 57(2)d) du Règlement sur l’assurance‑chômage, pourvu, bien sûr, que les autres exigences dudit alinéa aient été rencontrées.

[Non souligné dans l’original.]

[40] La division d’appel a relevé qu’aucune instance supérieure n’avait infirmé le jugement de la Cour d’appel fédérale et qu’aucune décision plus récente n’a eu d’incidence sur le jugement. Elle a conclu ceci : « L’arrêt Lalonde fait encore jurisprudence et la division générale est tenue de l’appliquer » (décision de la division d’appel au para 29).

[41] La demanderesse soutient que cette conclusion est erronée, parce que l’arrêt Lalonde portait sur des indemnités hebdomadaires de revenu conformément au Tableau des indemnités sans égard à la responsabilité, RRO 1990, Règlement 672. Cependant, son cas concerne des indemnités d’accident prévues par la loi conformément à l’Annexe sur les indemnités d’accident légales, Règlement de l’Ontario 34/10, ce qui est très différent. Elle soutient plutôt que les définitions utilisées dans le régime d’AE et établies par la Loi et le Règlement devraient s’appliquer à son cas.

[42] À l’appui de cet argument, la demanderesse souligne que la division d’appel n’a pas examiné une autre disposition pertinente du Règlement. Elle fait remarquer que la décision tient compte des premiers mots de l’alinéa 35(2)d) du Règlement, à savoir qu’il s’applique « malgré l’alinéa (7)b) », mais que la décision n’a pas tenu compte du paragraphe 35(3) du Règlement, qui prévoit que, lorsque le prestataire a, après la semaine où il a subi les blessures corporelles, accumulé une rémunération assurable suffisante, les indemnités d’assurance‑automobile visées à l’alinéa 35(2)d) du Règlement ne sont pas comptées comme une rémunération.

[43] Comme la demanderesse avait accumulé 2 000 heures assurables, elle avance que, suivant le paragraphe 35(3) du Règlement, les IRR d’Aviva n’auraient pas dû être comptées comme une rémunération.

[44] De plus, la demanderesse soutient que la division d’appel a commis une erreur en n’appliquant pas les définitions de « régime provincial » décrites aux articles 76.01, 76.03, 76.31 et 76.32 du Règlement. Elle affirme que, peu importe la définition privilégiée, l’interprétation appropriée aurait dû mener à la conclusion que les IRR d’Aviva n’auraient pas dû être déduites de ses prestations de maladie de l’AE.

[45] La demanderesse soulève un certain nombre d’autres préoccupations au sujet de la décision de la division d’appel. Certaines d’entre elles se rapportent à la formulation utilisée dans la décision (précisément, l’utilisation de synonymes). Elle affirme que la division d’appel a utilisé les mauvais termes, notant que les mots « indemnités d’assurance » ont été utilisés plutôt que « régime d’assurance », qui est l’expression utilisée dans le Règlement. Elle s’oppose également au fait qu’il a été mentionné que les IRR d’Aviva se rapportent à des indemnités « d’assurance salaire » et que la division d’appel parle de « régime d’assurance ». La demanderesse soutient que tout cela montre que la décision n’était pas fondée sur une application minutieuse des termes précis de la loi.

[46] La demanderesse prétend ensuite que la division d’appel a commis une erreur en ne s’appuyant pas sur le Guide, qui se veut un outil de référence pour tous les utilisateurs.

[47] Voilà les principaux points que la demanderesse a avancés pour étayer son argument selon lequel la division d’appel s’est appuyée sur la [traduction] « mauvaise disposition de preuve ».

[48] Les arguments de la demanderesse ne me convainquent pas.

[49] Pour commencer, il est important de se rappeler qu’il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire. La question que je dois trancher est celle de savoir si la décision de la division d’appel de refuser d’accorder à la demanderesse la permission d’interjeter appel est raisonnable. Cela nécessite notamment que j’examine si l’interprétation et l’application par la division d’appel du Règlement sont raisonnables. Je ne suis alors pas censé donner ma propre interprétation de la disposition et ensuite la comparer à l’approche de la division d’appel – ce n’est pas mon travail dans le cadre du contrôle judiciaire. Le législateur a adopté la loi qui a créé la division générale et la division d’appel du Tribunal de la sécurité sociale. Il a dit que leurs décideurs avaient le pouvoir d’interpréter la loi. Par conséquent, je ne dois pas prendre la place du décideur au moment d’examiner la décision de la division d’appel; je dois plutôt me demander si l’interprétation de la division d’appel était raisonnable et si cette dernière a expliqué sa décision de façon suffisamment détaillée et logique (cela est expliqué dans l’arrêt Vavilov aux para 115 à 124; voir aussi l’arrêt Hillier c Canada (Procureur général), 2019 CAF 44 [Hillier]), aux para 13 à 17, et Canada (Citoyenneté et Immigration) c Mason, 2021 CAF 156).

[50] La demanderesse me demande de conclure que l’interprétation de l’alinéa 35(2)d) par la division d’appel est déraisonnable. Cela m’oblige à suivre une voie d’analyse particulière (Vavilov au para 116, et Hillier aux para 13 à 17). Le point de départ consiste à examiner l’éventail des options d’interprétation qui s’offraient à la division d’appel, selon le libellé de la loi. Une fois cela fait, je dois me demander si le décideur a tenu compte, à la lumière de cet éventail d’options d’interprétation, du texte, du contexte et de l’objet de la disposition pour en arriver à sa conclusion (Vavilov aux para 117 et 118, et Hillier aux para 13 et 17). Je dois aussi examiner comment le décideur a traité les arguments des parties et comment il a expliqué son raisonnement. Dans l’arrêt Vavilov, il est question d’examiner les motifs « avec une attention respectueuse » et de « chercher à comprendre le fil de raisonnement » (au para 84).

[51] Voilà l’approche que j’ai appliquée en l’espèce. Pour commencer, l’accent est mis sur la formulation du passage clé de l’alinéa 35(2)d), à savoir « un régime d’assurance‑automobile prévu par une loi provinciale ». Après une lecture rapide de ces mots, je conviens avec la demanderesse qu’ils peuvent être interprétés de plusieurs façons différentes. Entre autres interprétations, il y a celle selon laquelle seule l’assurance prévue directement par une province est visée. Il y a une autre interprétation moins limitative, selon laquelle l’assurance‑automobile prévue par une loi provinciale est visée, peu importe qui fournit l’assurance. En termes généraux, ce sont les possibilités entre lesquelles la division d’appel aurait pu choisir.

[52] Il est clair que la division d’appel a choisi l’approche plus générale : elle n’a pas limité la disposition en question à l’assurance‑automobile prévue par un organisme ou un programme d’assurance provincial, mais a plutôt jugé que la disposition s’appliquait aux indemnités reçues au titre de la police d’assurance de la demanderesse, même si ces dernières n’étaient pas prévues directement par la province.

[53] Il ressort clairement d’un examen de la décision de la division d’appel que cette dernière a interprété la disposition applicable à la lumière du texte, du contexte et de l’objet de la disposition. La décision se concentre sur les arguments que la demanderesse a avancés, applique la disposition pertinente et l’interprète à la lumière de la décision faisant autorité que la Cour d’appel fédérale a rendue dans l’arrêt Lalonde. La division d’appel n’était pas convaincue que l’arrêt Lalonde ne s’appliquait pas au cas de la demanderesse. La conclusion que la division d’appel a tirée était raisonnable. L’une des caractéristiques d’une décision raisonnable est qu’elle applique le bon cadre juridique aux faits clés. En l’espèce, une partie du cadre juridique est l’alinéa 35(2)d) du Règlement tel qu’il a été interprété dans l’arrêt Lalonde.

[54] La demanderesse affirme que l’arrêt Lalonde traitait d’un régime de prestations d’assurance différent et que, par conséquent, il ne s’applique pas à son cas. La division d’appel n’était pas d’accord avec la demanderesse et elle a tiré une conclusion raisonnable en jugeant que cet arrêt s’appliquait. C’est raisonnable. Je ne suis pas d’accord avec la demanderesse pour dire que l’arrêt Lalonde se limite en quelque sorte au type de prestations particulières que M. Lalonde avait reçues dans cette affaire. Je suis plutôt d’avis que l’élément clé de cet arrêt est que l’alinéa 35(2)d) s’applique à l’assurance‑automobile prévue par une loi provinciale, sans égard à la question de savoir si les indemnités ont été versées directement par une province ou non. C’est exactement la question que la demanderesse a soulevée en l’espèce. J’estime que la division d’appel a agi raisonnablement en concluant que l’arrêt Lalonde s’applique toujours.

[55] Ainsi, l’« éventail des options d’interprétation » qui s’offraient à la division d’appel se limitait à un seul choix. Cela est conforme à l’approche énoncée dans l’arrêt Vavilov à l’égard de la norme de la décision raisonnable. Le point est abordé expressément dans cet arrêt :

[112] Tout précédent sur la question soumise au décideur administratif ou sur une question semblable aura pour effet de circonscrire l’éventail des issues raisonnables. La décision d’un organisme administratif peut être déraisonnable en raison de l’omission d’expliquer ou de justifier une dérogation à un précédent contraignant dans lequel a été interprétée la même disposition. Si, par exemple, une cour de justice a examiné une disposition législative dans un jugement pertinent, il serait déraisonnable que le décideur administratif interprète ou applique celle‑ci sans égard à ce précédent. […] Il peut y avoir des circonstances dans lesquelles il est tout simplement déraisonnable que le décideur administratif n’applique ou n’interprète pas une disposition législative en conformité avec un précédent contraignant. […]

[56] Je conclus que la division d’appel a agi de façon raisonnable en fondant son interprétation de l’alinéa 35(2)d) sur l’approche énoncée dans l’arrêt Lalonde, un précédent par lequel elle était liée.

[57] La demanderesse soutient en outre que la division d’appel aurait dû appliquer d’autres dispositions du Règlement. Encore une fois, je ne suis pas convaincu que cette façon de procéder, ou que son défaut d’expliquer en détail cette façon de procéder, était déraisonnable. La Loi et le Règlement comprennent tous deux de nombreuses parties qui traitent de sujets différents. Les définitions de « régime provincial » sur lesquelles la demanderesse s’appuie disent expressément qu’elles ne s’appliquent qu’à d’autres parties du Règlement. C’est pourquoi la division d’appel a agi raisonnablement en ne les appliquant pas dans la présente affaire. Elle a aussi agi de façon raisonnable en se concentrant sur la disposition particulière qui régit le cas de la demanderesse (en l’occurrence l’alinéa 35(2)d)), plutôt que d’examiner d’autres dispositions en détail.

[58] Un autre problème avec l’argument de la demanderesse au sujet des autres dispositions législatives mentionnées précédemment est qu’elle n’a pas soulevé certaines d’entre elles à la division d’appel. Je ne peux pas reprocher à la division d’appel de ne pas avoir tenu compte d’un argument que la demanderesse ne lui a jamais soumis. Il incombait à la demanderesse de présenter ses meilleurs arguments. Si elle n’a pas présenté un argument donné, la décision ne peut pas ensuite être jugée déraisonnable parce que cet argument n’a pas été abordé.

[59] En ce qui concerne l’argument de la demanderesse au sujet du fait que la division d’appel n’a pas tenu compte de ses heures assurables suivant le paragraphe 35(3), je souscris à l’observation du défendeur selon laquelle le paragraphe ne s’applique pas au cas de la demanderesse, parce qu’il fait référence aux heures de travail assurables effectuées après l’accident et que la situation ne se présente pas en l’espèce. La disposition est explicite, et il n’était pas nécessaire que la division d’appel aborde le sujet en l’absence d’une quelconque preuve que la demanderesse a travaillé après l’accident.

[60] Je suis d’accord avec la demanderesse pour dire que la division d’appel aurait pu faire référence au Guide dans sa décision, mais je ne suis pas convaincu qu’elle a agi de façon déraisonnable en ne le faisant pas. Le Guide est un document d’orientation qui ne lie pas la Cour (Canada (Procureur général) c Greey, 2009 CAF 296 au para 28). Il ne peut pas avoir pour effet d’annuler le libellé de la Loi ou du Règlement tel qu’il est interprété par la jurisprudence faisant autorité.

[61] Je vais maintenant aborder les plaintes de la demanderesse au sujet des formulations particulières que la division d’appel a utilisées. Je ne suis pas convaincu que l’une ou l’autre de ces plaintes, prises isolément ou collectivement, se rapporte à une erreur suffisamment capitale pour rendre la décision déraisonnable (Vavilov au para 100). Lors du contrôle judiciaire, je suis tenu de lire la décision dans son ensemble, en tenant compte du le contexte administratif dans lequel elle a été rendue. Il est souvent dit qu’une cour qui examine le caractère raisonnable d’une décision ne doit pas mener une « chasse au trésor, phrase par phrase, à la recherche d’une erreur » (Vavilov au para 102, citant Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c Terre‑Neuve‑et‑Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62 au para 14).

[62] Une façon d’évaluer le caractère raisonnable de la décision de la division d’appel consiste à se demander si la décision montre que la division d’appel s’est vraiment [traduction] « attaquée » aux bonnes questions, c’est‑à‑dire les questions qu’elle devait examiner étant donné le cadre juridique et les faits de l’affaire. Je conclus que la décision de la division d’appel montre que c’est exactement ce qu’elle a fait. La division d’appel a pris en considération le cœur de l’argument de la demanderesse relativement aux raisons pour lesquelles ses IRR d’Aviva ne devraient pas être déduites de ses prestations de maladie de l’AE. Elle a examiné la disposition clé du Règlement et a considéré son objet selon l’interprétation dégagée dans le précédent faisant autorité (arrêt Lalonde). Elle a jugé que les IRR d’Aviva que la demanderesse a reçues étaient prévues par une loi provinciale et qu’elles étaient donc visées à l’alinéa 35(2)d). La division d’appel a également noté que les IRR d’Aviva de la demanderesse n’avaient pas déjà été réduites pour tenir compte de ses prestations de maladie de l’AE, de sorte qu’elle n’a pas été [traduction] « doublement pénalisée » ou a reçu trop peu d’indemnités.

[63] Un autre élément de la norme de la décision raisonnable consiste à se demander si la décision de la division d’appel « se tient » : la décision explique‑t‑elle son raisonnement; et montre‑t‑elle que la division d’appel a prêté attention aux arguments que les parties ont présentés et a suivi un raisonnement logique? Encore une fois, sur tous ces points, je suis d’avis que la décision de la division d’appel satisfait au critère. Elle expose les arguments de la demanderesse, puis examine le droit applicable et explique ses principales conclusions en cours de route. Le raisonnement est clair, et il n’y a aucune erreur logique ni incohérence interne.

[64] Par conséquent, pour tous ces motifs, je conclus que la décision de la division d’appel en l’espèce est raisonnable. En appliquant le cadre d’examen selon la norme de la décision raisonnable énoncé dans l’arrêt Vavilov, je ne suis pas d’avis que les arguments de la demanderesse sont suffisants pour rendre la décision déraisonnable.

VI. Conclusion

[65] La demanderesse croit fermement avoir été traitée injustement parce que ses IRR d’Aviva n’auraient pas dû être déduites de ses prestations de maladie de l’AE. Après avoir tenu compte de tous ses arguments au sujet de la décision de la division d’appel, je ne suis pas convaincu que ceux‑ci relèvent le genre d’erreurs ou de lacunes qui rendraient la décision déraisonnable. La division d’appel a appliqué les bons principes de droit, a tenu compte des faits clés et a expliqué son raisonnement de façon prudente, logique et cohérente. C’est ce qu’exige la norme de la décision raisonnable. Je conclus que rien ne justifie de modifier la décision.

[66] Par conséquent, la demande de contrôle judiciaire sera rejetée.

[67] À l’audience, le défendeur a dit qu’il ne demandait pas de dépens, et je crois qu’il s’agit de la bonne chose à faire. À la lumière de l’ensemble des circonstances et dans l’exercice du pouvoir discrétionnaire qui m’est conféré par l’article 400 des Règles, aucuns dépens ne seront adjugés. Chaque partie assumera ses propres frais.


JUGEMENT dans le dossier T‑52‑20

LA COUR STATUE que :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  2. Chaque partie assume ses propres frais.

  3. L’intitulé est modifié avec effet immédiat de façon à désigner le procureur général du Canada comme défendeur.

« William F. Pentney »

Juge

Traduction certifiée conforme

M. Deslippes


ANNEXE

Règlement sur l’assurance‑emploi (DORS/96‑332)

35 (2) Sous réserve des autres dispositions du présent article, la rémunération qu’il faut prendre en compte pour vérifier s’il y a eu l’arrêt de rémunération visé à l’article 14 et fixer le montant à déduire des prestations à payer en vertu de l’article 19, des paragraphes 21(3), 22(5), 152.03(3) ou 152.04(4), ou de l’article 152.18 de la Loi, ainsi que pour l’application des articles 45 et 46 de la Loi, est le revenu intégral du prestataire provenant de tout emploi, notamment :

35 (2) Subject to the other provisions of this section, the earnings to be taken into account for the purpose of determining whether an interruption of earnings under section 14 has occurred and the amount to be deducted from benefits payable under section 19, subsection 21(3), 22(5), 152.03(3) or 152.04(4) or section 152.18 of the Act, and to be taken into account for the purposes of sections 45 and 46 of the Act, are the entire income of a claimant arising out of any employment, including

a) les montants payables au prestataire, à titre de salaire, d’avantages ou autre rétribution, sur les montants réalisés provenant des biens de son employeur failli;

(a) amounts payable to a claimant in respect of wages, benefits or other remuneration from the proceeds realized from the property of a bankrupt employer;

b) les indemnités que le prestataire a reçues ou recevra pour un accident du travail ou une maladie professionnelle, autres qu’une somme forfaitaire ou une pension versées par suite du règlement définitif d’une réclamation;

(b) workers’ compensation payments received or to be received by a claimant, other than a lump sum or pension paid in full and final settlement of a claim made for workers’ compensation payments;

c) les indemnités que le prestataire a reçues ou a le droit de recevoir, sur demande, aux termes :

(c) payments a claimant has received or, on application, is entitled to receive under

(i) soit d’un régime collectif d’assurance‑salaire,

(i) a group wage‑loss indemnity plan,

(ii) soit d’un régime de congés payés de maladie, de maternité ou d’adoption,

(ii) a paid sick, maternity or adoption leave plan,

(iii) soit d’un régime de congés payés pour soins à donner à un ou plusieurs enfants visés aux paragraphes 23(1) ou 152.05(1) de la Loi,

(iii) a leave plan providing payment in respect of the care of a child or children referred to in subsection 23(1) or 152.05(1) of the Act,

(iv) soit d’un régime de congés payés pour soins ou soutien à donner à un membre de la famille visé aux paragraphes 23.1(2) ou 152.06(1) de la Loi,

(iv) a leave plan providing payment in respect of the care or support of a family member referred to in subsection 23.1(2) or 152.06(1) of the Act,

(v) soit d’un régime de congés payés pour soins ou soutien à donner à un enfant gravement malade,

(v) a leave plan providing payment in respect of the care or support of a critically ill child, or

(vi) soit d’un régime de congés payés pour soins ou soutien à donner à un adulte gravement malade;

(vi) a leave plan providing payment in respect of the care or support of a critically ill adult;

d) malgré l’alinéa (7)b) et sous réserve des paragraphes (3) et (3.1), les indemnités que le prestataire a reçues ou a le droit de recevoir, sur demande, dans le cadre d’un régime d’assurance‑automobile prévu par une loi provinciale pour la perte réelle ou présumée du revenu d’un emploi par suite de blessures corporelles, si les prestations payées ou payables en vertu de la Loi ne sont pas prises en compte dans l’établissement du montant que le prestataire a reçu ou a le droit de recevoir dans le cadre de ce régime;

(d) notwithstanding paragraph (7)(b) but subject to subsections (3) and (3.1), the payments a claimant has received or, on application, is entitled to receive from a motor vehicle accident insurance plan provided under a provincial law in respect of the actual or presumed loss of income from employment due to injury, if the benefits paid or payable under the Act are not taken into account in determining the amount that the claimant receives or is entitled to receive from the plan;

e) les sommes payées ou payables au prestataire, par versements périodiques ou sous forme de montant forfaitaire, au titre ou au lieu d’une pension;

(e) the moneys paid or payable to a claimant on a periodic basis or in a lump sum on account of or in lieu of a pension; and

f) dans les cas où les prestations payées ou payables en vertu de la Loi ne sont pas prises en compte dans l’établissement du montant que le prestataire a reçu ou a le droit de recevoir en vertu d’une loi provinciale pour la perte réelle ou présumée du revenu d’un emploi, les indemnités que le prestataire a reçues ou a le droit de recevoir, sur demande, en vertu de cette loi provinciale du fait qu’il a cessé de travailler parce que la continuation de son travail mettait en danger l’une des personnes suivantes :

(f) where the benefits paid or payable under the Act are not taken into account in determining the amount that a claimant receives or is entitled to receive pursuant to a provincial law in respect of an actual or presumed loss of income from employment, the indemnity payments the claimant has received or, on application, is entitled to receive pursuant to that provincial law by reason of the fact that the claimant has ceased to work for the reason that continuation of work entailed physical dangers for

(i) le prestataire,

(i) the claimant,

(ii) l’enfant à naître de la prestataire,

(ii) the claimant's unborn child, or

(iii) l’enfant qu’allaite la prestataire.

(iii) the child the claimant is breast‑feeding.

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T‑52‑20

INTITULÉ :

ANTONINA SENNIKOVA c PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

LIEU DE L’AUDIENCE :

TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

DATE DE L’AUDIENCE :

14 DÉCEMBRE 2020

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE PENTNEY

DATE DES MOTIFS :

22 SEPTEMBRE 2021

COMPARUTIONS :

Antonina Sennikova

Nikolai Sennikov

POUR La DEMANDEresse

Samantha Pillon

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

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