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Date : 20210922


Dossier : IMM-881-21

Référence : 2021 CF 980

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 22 septembre 2021

En présence de monsieur le juge Pentney

ENTRE :

BO WANG

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1] Bo Wang (la demanderesse) sollicite le contrôle judiciaire d’une décision par laquelle Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada (IRCC) a refusé, le 3 février 2021, de faire droit à la demande de résidence permanente au titre de la catégorie de l’expérience canadienne qu’elle a présentée au moyen du système Entrée express.

[2] La demanderesse affirme que l’agent d’IRCC (l’agent) a commis une erreur en adoptant une définition indûment étroite du terme « salaire » pour déterminer si son poste de chargée de cours invitée à l’Université de la Colombie-Britannique (UBC) constituait une expérience de travail canadienne admissible. Elle fait valoir que la décision est déraisonnable parce que l’agent n’a pas expliqué les raisons pour lesquelles il a adopté cette interprétation étroite. La demanderesse soutient que la bourse d’études qu’elle a reçue dans le cadre du Programme d’échanges universitaires Canada-Chine (Programme d’échange) aurait dû être considérée comme un salaire.

[3] Je ne suis pas de cet avis. Comme je l’explique dans les motifs qui suivent, j’estime que la décision de l’agent est raisonnable et que rien ne justifie de la modifier.

I. Contexte

[4] En septembre 2020, la demanderesse, une citoyenne de la Chine, a présenté une demande de résidence permanente au titre de la catégorie de l’expérience canadienne au moyen du système Entrée express. Dans sa demande, elle a indiqué que sa nomination comme chargée de cours invitée à la UBC, du 8 janvier 2019 au 31 décembre 2020, constituait son expérience professionnelle canadienne admissible.

[5] La demanderesse a soumis différents documents avec sa demande, dont une lettre de la UBC qui confirmait qu’elle était chargée de cours invitée à la School of Kinesiology de la UBC du 8 janvier 2019 au 31 décembre 2020. Elle a également fourni une lettre précédente de la UBC qui présentait l’offre réelle de poste et décrivait plus en détail la nature de ses responsabilités et les conditions de sa nomination (la lettre d’offre). Cependant, ces deux lettres indiquent également qu’elle n’a pas reçu de salaire ou d’avantages de la UBC. Elles décrivent plutôt la demanderesse comme une chercheuse financièrement autonome.

[6] De plus, la demanderesse a fourni une lettre du Bureau canadien de l’éducation internationale (l’institution qui administre le programme d’échange), qui indique qu’elle a reçu une bourse d’une valeur de 26 400 $ au cours de l’année universitaire 2018-2019, et qu’elle a effectué 12 mois de recherche à la UBC (la lettre du programme d’échange). Elle a également fourni un feuillet d’impôt sur le revenu T4A qui indique le montant de la bourse, ainsi que son avis de cotisation 2019 de l’Agence du revenu du Canada.

[7] Dans une lettre datée du 3 février 2021 (la lettre de décision), l’agent chargé de l’examen a refusé la demande au motif que la demanderesse ne cumulait pas suffisamment de points. Les notes consignées par l’agent dans le Système mondial de gestion des cas (SMGC) indiquent que, bien que la demanderesse ait déclaré avoir plus d’un an d’expérience professionnelle admissible en tant que chargée de cours invitée, la lettre d’emploi de la UBC précise qu’elle est une [traduction] « chercheuse financièrement autonome », ce qui soulève la question de savoir si cela constitue un « travail » au sens du programme.

[8] Le refus de l’agent est fondé sur la conclusion que l’expérience de travail canadienne de la demanderesse à la UBC ne répond pas à la définition de travail énoncée au paragraphe 73(2) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227 [le Règlement], ni aux exigences de l’alinéa 19(4)d) des Instructions ministérielles concernant le système Entrée express – 31 août 2020 au 19 octobre 2020 (Instructions ministérielles). L’agent a conclu :

[traduction]

Après avoir examiné tous les renseignements disponibles, je ne suis pas convaincu, suivant la prépondérance des probabilités, que vous avez été rémunérée sous forme de salaire ou de commission pendant votre emploi déclaré à l’Université de la Colombie‑Britannique. Je conclus donc que votre expérience à la UBC ne peut pas être considérée comme une expérience de travail canadienne admissible au sens de l’alinéa 19(4)d) des Instructions ministérielles (MI3) et du paragraphe 73(2) du Règlement…

[9] La demanderesse sollicite le contrôle judiciaire de cette décision.

II. Questions en litige et norme de contrôle

[10] En l’espèce, la question est de savoir si la décision de l’agent est raisonnable.

[11] La norme de contrôle applicable est celle de la décision raisonnable comme le prescrit l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 aux paras 16 à 23 [Vavilov]. Aucune des exceptions décrites dans cet arrêt ne s’applique en l’espèce. La norme de contrôle est donc celle de la décision raisonnable.

[12] En résumé, suivant le cadre d’analyse établi dans l’arrêt Vavilov, la cour de révision qui procède à un contrôle selon la norme de la décision raisonnable doit « examiner les motifs qu’a donnés le décideur administratif et […] déterminer si la décision est fondée sur un raisonnement intrinsèquement cohérent et est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles pertinentes. » (Société canadienne des postes c Syndicat des travailleurs et travailleuses des postes, 2019 CSC 67 au para 2 [Postes Canada]). Il incombe à la demanderesse de convaincre la Cour que « la lacune ou la déficience [invoquée] […] est suffisamment capitale ou importante pour rendre [la décision] déraisonnable » (Vavilov, au para 100, cité avec approbation dans Postes Canada, au para 33).

III. Analyse

[13] La demanderesse soutient que la décision est déraisonnable parce que l’agent n’explique pas pourquoi il a adopté une interprétation étroite de l’expression « salaire ou commission », qui excluait la bourse qu’elle a reçue dans le cadre du programme d’échange. En fait, la demanderesse affirme que l’agent n’a jamais expliqué la définition précise sur laquelle il s’est fondé pour rendre sa décision.

[14] Selon la demanderesse, l’arrêt Vavilov exigeait de l’agent qu’il tienne compte des directives et des programmes applicables, ainsi que de la jurisprudence de la Cour concernant la signification du terme « salaire ou commission ». La demanderesse cite plusieurs sources qui vont dans le sens d’une interprétation large de ce concept. Il s’agit notamment des sources suivantes : (i) le Résumé de l’étude d’impact de la réglementation (REIR) qui accompagnait la modification réglementaire introduisant la catégorie de l’expérience canadienne, (ii) l’interprétation large du terme adoptée par la Cour dans la décision Dinh c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CF 1371 aux paras 5-6 [Dinh], et (iii) les lignes directrices d’IRCC sur le Programme des travailleurs étrangers temporaires et le Programme de mobilité internationale : Définition du terme « travail » (Lignes directrices).

[15] Premièrement, la demanderesse affirme que le REIR en question ne renvoie à aucune définition précise de « salaire ou commission », mais indique clairement que le travail admissible doit être rémunéré. Il ne limite pas les types de paiements acceptables.

[16] Deuxièmement, la demanderesse fait valoir que la Cour a déclaré dans la décision Dinh que la définition de « travail » énoncée dans le Règlement (faisant référence à la définition de l’article 2) « englobe clairement la plupart des activités rémunérées » (Dinh, au para 6). La demanderesse affirme que la décision Dinh appuie également la proposition selon laquelle aucune distinction ne devrait être établie entre le travail à temps plein, pour lequel un salaire est versé sur une base régulière, et le travail à temps partiel, qui est rémunéré sous une autre forme.

[17] Troisièmement, la demanderesse invoque les Lignes directrices, qui prévoient ce qui suit :

Salaire ou commission

Désigne le salaire ou les traitements payés par un employeur à un employé, une rémunération ou une commission reçue pour accomplir un contrat de service, ou toute autre situation où un étranger reçoit un paiement pour effectuer un service.

[18] La demanderesse soutient qu’elle a reçu la bourse d’études de 26 400 $ du Programme d’échange en guise de paiement pour avoir exercé les fonctions de chargée de cours invitée à la UBC, et que cela constitue un paiement pour avoir exécuté un service. Elle affirme donc que sa bourse correspond au concept de salaire établi dans le REIR, la décision Dinh et les Lignes directrices. La demanderesse fait valoir que le fait que l’agent n’ait examiné aucune de ces sources rend la décision déraisonnable à la lumière de l’arrêt Vavilov.

[19] Selon la demanderesse, plutôt que d’examiner ces sources, l’agent a adopté de façon déraisonnable une interprétation plus étroite et a essentiellement conclu que, parce qu’elle ne recevait pas un salaire ou des avantages directement de la UBC, elle ne recevait pas de salaire ou de commission. La demanderesse affirme qu’il s’agit d’une erreur suffisamment capitale pour rendre la décision déraisonnable.

[20] Je ne suis pas convaincu.

[21] Pour commencer, il convient de rappeler que la Cour est saisie d’un contrôle judiciaire d’une décision reposant sur l’interprétation donnée par l’agent des dispositions législatives pertinentes et des instructions ministérielles particulières qui s’appliquent à la présente situation.

[22] L’arrêt Vavilov décrit la démarche qu’il convient d’appliquer pour effectuer un contrôle judiciaire selon la norme du caractère raisonnable. Le juge siégeant en révision ne doit pas se livrer à une interprétation de novo de la disposition contestée, puis évaluer la décision de l’agent en fonction de cette interprétation (Vavilov, au para 116; Canada (Citoyenneté et Immigration) c Mason, 2021 CAF 156 au para 20 [Mason]). La démarche appropriée consiste plutôt à procéder à un examen préliminaire de la disposition en cause afin de comprendre l’éventail des options d’interprétation qui s’offrent à l’agent. Une fois cela fait, il faut examiner la décision de l’agent à la lumière du contexte administratif et du dossier, afin de déterminer si l’interprétation de la disposition par l’agent est raisonnable (Mason, aux paras 16-19).

[23] Le point de départ est donc le cadre législatif. La disposition pertinente est la définition de « travail » au paragraphe 73(2) du Règlement : « [m]algré la définition de travail à l’article 2, pour l’application de la présente section, travail s’entend de l’activité qui donne lieu au paiement d’un salaire ou d’une commission ».

[24] Les parties conviennent qu’il s’agit d’une définition plus étroite que celle énoncée à l’article 2 du Règlement, selon lequel le terme « travail » s’entend d’une « activité qui donne lieu au paiement d’un salaire ou d’une commission, ou qui est en concurrence directe avec les activités des citoyens canadiens ou des résidents permanents sur le marché du travail au Canada ». La définition du terme « travail » en ce qui touche la mise en œuvre du système d’immigration s’applique dans plusieurs contextes différents, et la définition plus large, applicable de façon plus générale, reflète cette réalité.

[25] Hormis cette distinction, le libellé du texte législatif ne donne pas de sens particulier au terme « salaire ».

[26] L’étape suivante consiste à examiner, de manière très préliminaire, le contexte et l’objectif de la disposition.

[27] L’objectif de la catégorie de l’expérience canadienne du système Entrée express est de faciliter l’octroi de la résidence permanente à un certain groupe de personnes, à savoir la « catégorie […] de personnes qui peuvent devenir résidents permanents du fait de leur capacité à réussir leur établissement économique au Canada et de leur expérience au Canada […] » (paragraphe 87.1(1) du Règlement). Les demandeurs de la catégorie de l’expérience canadienne démontrent leur capacité à réussir leur établissement économique au Canada, en partie, en fournissant la preuve qu’ils ont accumulé au Canada au moins une année d’expérience de travail à temps plein (alinéa 87.1(2)a) du Règlement).

[28] L’obligation qui incombe à un demandeur de prouver qu’il a travaillé au moins un an à temps plein est l’une des principales caractéristiques de la catégorie. L’expérience professionnelle qui ne répond pas à cette exigence ne démontre pas la capacité d’un demandeur à réussir son établissement économique au Canada. Il en va de même pour une expérience de travail non rémunérée. C’est pourquoi la définition plus étroite du terme « travail » prévue au paragraphe 73(2) du Règlement (« activité qui donne lieu au paiement d’un salaire ou d’une commission ») s’applique à la catégorie de l’expérience canadienne.

[29] Je suis d’accord avec le défendeur que cet objectif milite également en faveur d’une définition plus étroite du concept de salaire. Le programme cherche à cibler les demandeurs qui ont reçu un salaire pour leur travail, et dont on s’attend par conséquent à ce qu’ils puissent continuer à subvenir à leurs besoins après avoir obtenu leur résidence permanente. L’application d’une définition plus large n’aiderait pas nécessairement à déterminer si l’expérience professionnelle d’une personne est susceptible de se traduire par une réussite future sur le marché du travail canadien.

[30] Pour ce qui est de l’orientation stratégique applicable, les Instructions ministérielles qui étaient en vigueur au moment de la décision de l’agent indiquent au paragraphe 19(4) que « [p]our l’application du présent article, l’expérience de travail au Canada est l’expérience de travail qui… d) donne lieu au paiement d’un salaire ou d’une commission ». Ni le Règlement ni les Instructions ministérielles ne fournissent une définition du terme « salaire ». Compte tenu du fait que les Instructions ministérielles s’appliquent spécifiquement aux demandes présentées au titre de la catégorie de l’expérience canadienne, alors que les Lignes directrices mentionnées par la demanderesse s’appliquent à un plus large éventail de circonstances, il n’était pas déraisonnable pour l’agent de s’appuyer sur les Instructions ministérielles.

[31] Ce sont les dispositions citées par l’agent dans sa décision. La demanderesse affirme que l’agent a adopté une interprétation indûment étroite, qui assimilait le salaire au traitement et aux avantages sociaux versés directement par un employeur. Selon elle, l’agent aurait plutôt dû se laisser guider par le REIR, la jurisprudence et les Lignes directrices, qui donnent tous une définition plus large du concept de salaire.

[32] L’argument de la demanderesse sur ce point pose plusieurs problèmes. Premièrement, même si l’agent avait adopté un point de vue plus large, le dossier n’étaye pas l’affirmation selon laquelle la demanderesse a reçu la bourse d’études parce qu’elle fournissait un service à la UBC. Les lettres présentées à l’agent confirment que deux choses se sont produites, à savoir qu’elle a travaillé comme chargée de cours invitée et qu’elle a reçu la bourse du Programme d’échange. Cependant, elles ne démontrent aucun lien entre les deux.

[33] L’offre de poste de la UBC était conditionnelle à ce que la demanderesse finance elle‑même sa recherche; la lettre d’offre ne fait aucune référence au financement du Programme d’échange. De plus, la lettre du Programme d’échange mentionne que la demanderesse a [traduction] « terminé douze mois de recherche à l’Université de la Colombie-Britannique », puis décrit le but et la nature du Programme d’échange :

[traduction]

Financé par le ministère des Affaires étrangères, du Commerce et du Développement du Canada (MAECD) en partenariat avec le China Scholarship Council, le Programme d’échanges universitaires Canada-Chine est un programme d’échange officiel entre le gouvernement du Canada et le gouvernement de la République populaire de Chine. Le Canada offre des bourses aux membres du personnel enseignant ou de recherche qui sont titulaires d’un emploi permanent à plein temps, aux diplômés de la maîtrise ou du doctorat, afin qu’à leur retour dans leur pays, ces personnes puissent apporter une contribution distinctive à la vie en Chine et à la compréhension réciproque entre le Canada et la Chine.

[34] La demanderesse soutient que la conclusion de l’agent selon laquelle elle n’aurait pas reçu de « salaire » n’était pas explicitement fondée sur l’absence de lien ou sur l’objectif du Programme d’échange, et que cela ne peut donc pas être invoqué maintenant pour maintenir la décision. De plus, elle affirme que l’agent devrait être considéré comme connaissant bien le fonctionnement du Programme d’échange et les exigences qu’il impose aux établissements d’enseignement d’accueil quant à la transmission de rapports réguliers sur les activités du titulaire pendant la période où il reçoit la bourse. La demanderesse fait remarquer que le site Web du défendeur contient plusieurs références au Programme d’échange et qu’il faut donc présumer que l’agent connaissait son fonctionnement.

[35] Je suis d’accord avec la demanderesse sur le fait que la décision de l’agent, qui comprend la lettre de décision et les notes du SMGC, ne présente pas un exposé détaillé des raisons pour lesquelles la bourse du Programme d’échange ne répond pas à la définition de salaire pour les besoins de sa demande. Ce n’est toutefois pas une raison pour annuler la décision de l’agent. Selon le cadre d’analyse de l’arrêt Vavilov, les motifs doivent être évalués en fonction du dossier dont disposait le décideur et en tenant dûment compte du contexte administratif dans lequel ils ont été fournis (Vavilov, aux paras 91 à 98). Cela peut comprendre « la preuve dont disposait le décideur, les observations des parties, les politiques ou lignes directrices accessibles au public dont a tenu compte le décideur et les décisions antérieures de l’organisme administratif en question » (Vavilov, au para 94). Évidemment, cela peut aussi inclure tout précédent contraignant sur la question soumise au décideur (Vavilov, au para 112).

[36] À mon avis, les observations de la demanderesse m’invitent à procéder au type d’analyse déconseillé dans les arrêts Vavilov et Mason.

[37] La demanderesse a proposé une autre interprétation possible du terme « salaire » et me demande d’annuler la décision de l’agent parce qu’il n’a pas tenu compte de cette autre approche. Ce n’est pas ainsi qu’il faut procéder à un contrôle selon la norme de la décision raisonnable. La demanderesse n’a pas démontré que l’agent n’était pas conscient de l’importance du texte, du contexte et de l’objet lorsqu’il a interprété la disposition. Je ne suis pas convaincu que l’approche adoptée par l’agent pour interpréter la disposition concernée et l’appliquer aux faits de l’affaire était inadéquate au sens où l’entend la demanderesse.

[38] Je souligne, enfin, que l’interprétation du terme « salaire » proposée par la demanderesse n’est pas elle-même fondée sur le texte, le contexte ou l’objet de la disposition en question ni sur les faits particuliers de l’espèce.

[39] Pour en revenir à la décision de l’agent, il n’est pas contesté que l’agent était tenu d’appliquer les dispositions réglementaires qui traitent de la catégorie de l’expérience canadienne, notamment la définition de « travail » au paragraphe 73(2) du Règlement. Il n’est pas non plus contesté que cette définition est plus étroite que celle que l’on trouve ailleurs dans le Règlement. La question est de savoir si l’interprétation de l’agent était raisonnable, ce qui exige une évaluation des types de considérations que l’agent a appliquées, en fonction d’un examen des motifs à la lumière du dossier.

[40] L’extrait suivant de la lettre de décision décrit le mode d’analyse de l’agent :

[traduction]

J’ai examiné tous les renseignements disponibles et, après examen, je ne suis pas convaincu que votre expérience à l’Université de la Colombie-Britannique répond à la définition de travail du paragraphe 73(2) du Règlement ni à la définition d’expérience de travail canadienne admissible de l’alinéa 19(4)d) des Instructions ministérielles IM3.

Je souligne que vous avez fourni une lettre d’emploi en date du 14 septembre 2020 de l’Université de la Colombie-Britannique qui indique qu’au cours de la période du 8 janvier 2019 au 31 décembre 2020, vous n’avez reçu aucun salaire ni avantage de l’Université de la Colombie-Britannique. Au lieu de cela, vous êtes une chercheuse financièrement autonome et avez reçu une subvention du Programme d’échanges universitaires Canada-Chine.

Les Instructions ministérielles en vigueur au moment de la demande indiquent que l’expérience professionnelle canadienne est une expérience professionnelle rémunérée par le versement d’un salaire ou d’une commission. Je reconnais que vous avez été autorisée à acquérir de l’expérience en vertu d’un permis de travail délivré au titre de l’exemption C22 de l’EIMT; toutefois, cela ne garantit pas que vous obtiendrez des points d’expérience professionnelle pour cet emploi.

[41] Les points saillants de cette analyse peuvent être résumés de la manière suivante :

  • (i) L’agent a examiné tous les renseignements : il n’est pas contesté que l’agent a examiné la demande et les documents à l’appui;

  • (ii) L’agent a mentionné à juste titre que les lettres de la UBC indiquent que la demanderesse [traduction] « ne recevait aucun salaire ni avantage de la UBC »;

  • (iii) L’agent a ensuite indiqué : [traduction] « Vous êtes plutôt une chercheuse financièrement autonome et avez reçu une bourse du [Programme d’échange] ». Cela est également exact;

  • (iv) L’agent a fait référence aux Instructions ministérielles, selon lesquelles l’expérience de travail canadienne est une expérience de travail qui donne lieu au versement d’un salaire ou d’une commission. Il s’agit d’une citation textuelle du document d’orientation;

  • (v) L’agent a ensuite mentionné le fait que la demanderesse avait été autorisée [traduction] « à acquérir de l’expérience en vertu d’un permis de travail », mais a estimé que cela [traduction] « ne garantissait pas que [la demanderesse] obtiendr[ait] des points d’expérience professionnelle pour cet emploi ». Aucune question n’a été soulevée concernant ces énoncés.

[42] À la lumière de cette analyse, l’agent a conclu : [traduction] « … [qu’il n’était] pas convaincu, suivant la prépondérance des probabilités, que [la demanderesse avait] été rémunérée sous forme de salaire ou de commission pendant [son] emploi déclaré à la [UBC] » et que, par conséquent, l’expérience de la demanderesse à la UBC ne pouvait pas être considérée comme une « expérience de travail canadienne admissible » au sens du paragraphe 73(2) du Règlement et des Instructions ministérielles.

[43] Le dossier étaye la décision de l’agent. Les notes du SMGC montrent que le dossier de la demanderesse a été signalé comme nécessitant un examen plus approfondi parce que, même si l’expérience professionnelle de la demanderesse semblait satisfaire aux critères du programme, il n’était pas clair si elle avait été rémunérée pour ce travail. Les notes relatives à cet examen reflètent le raisonnement exposé dans la lettre de décision. Elles montrent toutes deux que l’agent s’est concentré sur la bonne question (la bourse du Programme d’échange constituait‑elle un « salaire » en échange de son travail à la UBC, aux fins de la catégorie de l’expérience canadienne visée par le système Entrée express?) et qu’il a tenu compte des renseignements fournis par la demanderesse.

[44] Le résumé qui précède montre que le raisonnement et la décision de l’agent étaient fondés sur une interprétation du concept de salaire qui liait celui‑ci au traitement ou aux avantages payés en échange de services effectués pour un employeur. La demanderesse avait désigné la UBC comme son employeur et elle avait indiqué que sa nomination en tant que chargée de cours invitée constituait son expérience professionnelle pertinente. L’agent n’a donc pas commis d’erreur en examinant si les éléments de preuve montraient que la bourse du Programme d’échange avait été versée en échange des services fournis par la demanderesse à la UBC. Au lieu de cela, en se fondant sur le libellé de la lettre du Programme d’échange, l’agent a conclu que la bourse avait été accordée pour que la demanderesse puisse acquérir une expérience du Canada – une expérience qu’elle était censée rapporter en Chine comme un moyen de renforcer les relations entre les deux pays. Il s’agit d’une interprétation raisonnable fondée sur le dossier dont disposait l’agent, et elle n’appuie pas l’affirmation de la demanderesse selon laquelle la bourse d’études était liée d’une manière ou d’une autre aux services qu’elle avait effectués pour la UBC.

[45] L’interprétation donnée par l’agent au terme « salaire » figurant au paragraphe 73(2) du Règlement correspond au texte de la disposition et à son contexte. À cet égard, il convient de souligner que l’objectif global de la catégorie de l’expérience canadienne est d’offrir une voie d’« entrée express » au Canada aux demandeurs qui ont démontré leur capacité à réussir leur établissement économique ici. L’un des facteurs déterminants à cet égard consiste pour les demandeurs à démontrer qu’ils ont déjà réussi sur le marché du travail canadien. L’approche de l’agent est conforme au texte, au contexte et à l’objet de la disposition.

[46] Cette interprétation était également fondée sur une orientation stratégique pertinente qui s’appliquait directement à l’affaire (par opposition à une orientation plus générale qui s’appliquerait à d’autres types de situations). Je conclus également que l’agent n’a pas omis d’appliquer une décision contraignante qui aurait porté sur cette question précisément. La décision Dinh n’est pas une décision ayant une force persuasive quant à l’interprétation du terme « salaire » aux fins de la catégorie de l’expérience canadienne, et elle ne liait donc pas l’agent.

[47] Un examen de la lettre de décision à la lumière du dossier permet de confirmer que l’agent n’a pas omis par erreur d’examiner un document important fourni par la demanderesse. La demanderesse a toutefois présenté de nouveaux documents à l’appui de sa demande de contrôle judiciaire, qui ne figuraient pas dans le dossier soumis à l’agent. Cela soulève deux questions.

[48] Premièrement, un contrôle judiciaire est généralement effectué sur la base du dossier de preuve dont dispose le décideur, et il n’est donc pas évident de savoir pourquoi ces documents devraient être pris en considération (Association des universités et collèges du Canada c Canadian Copyright Licensing Agency (Access Copyright), 2012 CAF 22 aux paras 17-20). Comme ces documents n’ont pas été soumis avec la demande, on ne peut pas reprocher à l’agent de ne pas les avoir pris en considération. Deuxièmement, après avoir examiné les documents nouvellement soumis, je ne suis pas convaincu que leur examen suffirait à rendre la décision de l’agent déraisonnable. Cela est vrai même si l’agent est présumé connaître les modalités générales du Programme d’échange. Les nouveaux documents n’établissent pas de lien entre la nomination de la demanderesse comme chargée de cours invitée et la bourse d’études.

[49] Je conclus qu’aucune des lettres présentées par la demanderesse à l’appui de sa demande n’indique que la bourse d’études visait à la rémunérer pour ses « services » à la UBC. En fait, la lettre concernant le Programme d’échange semble plutôt suggérer le contraire, à savoir que la bourse devait permettre à la demanderesse d’acquérir une expérience du Canada, qu’elle rapporterait ensuite en Chine. En l’absence de preuve au dossier établissant que la bourse d’études visait à rémunérer la demanderesse pour ses services à la UBC, l’agent n’avait aucun fondement raisonnable pour tirer cette conclusion. Au contraire, la lettre montre que l’objectif de la bourse d’études (acquérir de l’expérience pour la rapporter en Chine) est directement opposé à l’objectif de la législation qui permet aux membres admissibles de la catégorie de l’expérience canadienne d’obtenir la résidence permanente au moyen du système Entrée express (démontrer la probabilité d’une intégration économique réussie sur la base d’une expérience professionnelle récente et rémunérée au Canada). Cela vient appuyer la conclusion de l’agent selon laquelle la bourse d’études ne constituait pas un « salaire » au sens des dispositions législatives applicables.

[50] En fait, l’agent a conclu de façon raisonnable qu’aucun des documents qui lui ont été présentés n’établissait un lien suffisant entre la nomination de la demanderesse comme chargée de cours invitée à la UBC et la bourse du Programme d’échange pour que cette nomination soit considérée comme un « travail » au sens des dispositions applicables. Les documents que la demanderesse cherche à introduire dans le cadre du contrôle judiciaire n’établissent aucun lien non plus. C’est là le cœur du problème pour la demanderesse : elle n’a pas obtenu la nomination à la UBC parce qu’elle avait obtenu la bourse d’études, et elle n’a pas obtenu la bourse d’études parce qu’elle avait obtenu la nomination à la UBC. Il convient également de souligner ici que les périodes visées ne se chevauchent pas entièrement : la bourse du Programme d’échange était destinée à l’année universitaire 2018-2019 (c’est-à-dire de juillet 2018 à juin 2019), tandis que la nomination à la UBC couvrait la période du 8 janvier 2019 au 31 décembre 2020.

[51] Sur cette base, je conclus que l’interprétation par l’agent du terme « salaire » au paragraphe 73(2) du Règlement était raisonnable; l’interprétation de l’agent tenait compte du texte, du contexte et de l’objet de la disposition, ainsi que du document d’orientation stratégique qui s’applique ici. De plus, l’interprétation de l’agent reflète le dossier présenté par la demanderesse. Bien que les motifs de la décision n’exposent pas une analyse élaborée sur ce point, le raisonnement de l’agent est clair. En l’espèce, l’examen des motifs à la lumière du dossier permet de « relier les points sur la page [car] les lignes, et la direction qu’elles prennent, peuvent être facilement discernées » (Komolafe c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 431 au para 11, cité avec approbation dans l’arrêt Vavilov, au para 97).

IV. Conclusion

[52] Pour tous ces motifs, je conclus que la décision rendue par l’agent est raisonnable.

[53] Bien que la demanderesse ait proposé une autre interprétation possible du terme « salaire » au paragraphe 73(2) du Règlement, cela ne suffit pas en soi à établir que l’approche de l’agent était déraisonnable. Après avoir examiné la décision à la lumière du dossier, je conclus que l’agent a interprété les termes importants de la disposition en fonction de son texte, de son contexte et de son objet. L’approche adoptée dans la décision est raisonnable à la lumière de l’objet du programme. Elle concorde également avec le dossier que la demanderesse a présenté à l’agent.

[54] En conséquence, il n’est pas justifié de modifier la décision rendue par l’agent.

[55] La demande de contrôle judiciaire est rejetée. Il n’y a aucune question de portée générale à certifier.


JUGEMENT DANS LE DOSSIER IMM-881-21

LA COUR REND LE JUGEMENT SUIVANT :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  2. Il n’y a aucune question de portée générale à certifier.

« William F. Pentney »

Juge

Traduction certifiée conforme

Édith Malo


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-881-21

INTITULÉ :

BO WANG c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 23 AOÛT 2021

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE PENTNEY

DATE DES MOTIFS :

LE 22 SEPTEMBRE 2021

COMPARUTIONS :

Steven Meurrens

POUR LA DEMANDERESSE

Erica Louie (MJ)

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Larlee Rosenberg

Avocats

Vancouver (Colombie-Britannique)

POUR LA DEMANDERESSE

Procureur général du Canada

Vancouver (Colombie-Britannique)

POUR LE DÉFENDEUR

 

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