Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

                                                                                                                               Date: 20021106

                                                                                                                Dossier : IMM-5319-02

                                                                                           Référence neutre : 2002 CFPI 1145

Toronto (Ontario), le mercredi 6 novembre 2002

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE KELEN

ENTRE :

                                                MOHAMAD ABBAS KHALIFE

                                                                                                                                         demandeur

                                                                            et

                                       LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                                                    ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                           défendeur

                          MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]         Il s'agit d'une requête en date du 28 octobre 2002 présentée pour le compte du demandeur en vue de l'obtention d'une ordonnance interdisant à M. La Douceur, membre de la Section de l'immigration de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié, de poursuivre une audience relative à l'admissibilité du demandeur, cette audience devant maintenant reprendre le 8 novembre 2002, à 9 h, au Centre de détention d'Ottawa-Carleton.


[2]         Le demandeur est un citoyen libanais; il détient une carte verte des États-Unis. Il est arrivé au Canada au mois de septembre 2002; il a été appréhendé par les autorités de l'Immigration compte tenu de l'allégation selon laquelle il n'était pas admissible parce qu'il avait commis aux États-Unis des infractions (divers types de fraude) qui étaient punissables par acte d'accusation.

[3]         L'audience relative à la question de l'admissibilité a commencé; elle a été ajournée à trois reprises. Le troisième ajournement résultait d'une requête dans le cadre de laquelle l'avocat du demandeur avait soutenu que son client ne devrait pas être contraint à témoigner à cause d'accusations criminelles en instance aux États-Unis. M. La Douceur a décidé que s'il rejetait la requête, il contraindrait le demandeur à témoigner et procéderait à l'audience relative à la question de l'admissibilité.

[4]         Le demandeur sollicite une ordonnance suspendant l'instance. Il affirme qu'il existe une question sérieuse à trancher, qu'il subira un préjudice irréparable si l'audience est tenue et que la prépondérance des inconvénients milite en sa faveur.


ANALYSE

1.                    La partialité

a)          Position prise par le demandeur

[5]         Le demandeur affirme que la décision de M. La Douceur de rejeter la demande qu'il a faite pour être mis en liberté sous caution donne lieu à une « crainte raisonnable de partialité » parce que cette décision montre que, de l'avis de celui-ci, la preuve qu'il a présentée sous serment n'est pas crédible. Il est soutenu qu'il ne conviendrait pas d'obliger le demandeur à se soumettre à l'enquête lorsqu'il est au départ apparent que l'arbitre est partial.

b)          La demande est-elle prématurée pour le motif qu'il existe une autre réparation adéquate?

[6]         Le défendeur affirme que le demandeur ne peut pas maintenant invoquer cet argument puisqu'il ne l'a pas soulevé devant la Commission. La jurisprudence montre clairement que la personne touchée doit demander la récusation si elle soupçonne que le décideur est partial.


[7]         Le défendeur a donné une portée trop étendue à la jurisprudence. En effet, il n'est pas dit que le demandeur ne peut pas invoquer maintenant cet argument. En effet, la Cour est autorisée à entendre l'argument même s'il n'a pas été invoqué devant la Commission. Elle peut toutefois exercer son pouvoir discrétionnaire en vue de refuser d'accorder une réparation lorsque le demandeur peut se prévaloir d'une autre réparation adéquate. C'est ce qui est énoncé dans la décision Emerson c. Law Society of Upper Canada (1983), 5 D.L.R. (4th) 294, à la page 310 :

[TRADUCTION] À mon avis, la demande n'est donc pas prématurée; l'omission de l'avocat de soulever des objections à l'audience ou d'épuiser les recours dont il dispose avant la convocation n'empêche pas non plus le contrôle judiciaire. Ces questions touchent le pouvoir discrétionnaire de la Cour, si elle envisage de l'exercer.

Le critère à utiliser pour déterminer si la Cour doit exercer son pouvoir discrétionnaire est énoncé dans D. Brown & J. Evans, Judicial Review of Administrative Action in Canada (Toronto : Canvasback, 1998) au paragraphe 3:2110 :

[TRADUCTION] Par conséquent, dans chaque contexte, le tribunal qui procède à l'examen applique le même critère fondamental : eu égard aux circonstances dans leur ensemble, l'autre réparation est-elle adéquate pour remédier au grief du demandeur? Comme il en a été fait mention, le « caractère adéquat » dépend de considérations telles que le fait de veiller à ce que justice soit faite conformément au droit en ce qui concerne le demandeur individuel, l'utilisation économique des ressources judiciaires, l'intégrité du régime administratif ainsi que les coûts relatifs et les retards associés à la réparation prévue par la loi et au contrôle judiciaire respectivement.


[8]         Lorsque la question de partialité se pose au milieu de l'audience, la partie qui allègue la partialité soulève habituellement l'objection auprès du tribunal et demande ensuite que le membre en cause se récuse, voir Brown & Evans, précité, au paragraphe 11:6000. Le tribunal est autorisé à trancher la question, voir Grigorenko c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1998), 152 F.T.R. 285. Si la requête est rejetée, la partie qui fait opposition peut demander le contrôle judiciaire immédiatement ou attendre que l'argument soit tranché au fond.

[9]         En l'espèce, le demandeur n'a pas soulevé la question de la partialité devant M. La Douceur. La Cour devrait exercer le pouvoir discrétionnaire qu'elle possède et refuser d'entendre l'affaire parce qu'il est prématuré de le faire. La question aurait d'abord dû être soulevée auprès de M. La Douceur. Si celui-ci s'était récusé, il n'aurait pas été nécessaire d'engager la présente procédure judiciaire. S'il avait refusé de se récuser, le demandeur aurait alors pu demander le contrôle judiciaire. Pour éviter un litige redondant, j'examinerai le bien-fondé de l'allégation de partialité.

c)          Les actions du membre de la Commission donnent-elles lieu à une crainte raisonnable de partialité?

[10]       L'allégation de partialité est fondée sur les commentaires que M. La Douceur a faits en déterminant si le demandeur devait être mis en liberté en attendant la tenue de l'audience relative à la question de l'admissibilité. Le défendeur dit que les commentaires ont été faits à l'égard de la question dont M. La Douceur était saisi et n'indiquent pas un parti pris au sujet de l'audience relative à la question de l'admissibilité.


[11]       Le défendeur a raison de dire qu'il n'y a pas partialité ou crainte de partialité de la part de l'arbitre simplement parce que celui-ci a siégé dans une affaire antérieure concernant le même demandeur, voir Pacificador c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2001 CFPI 426, Ahani c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1998), 159 F.T.R. 252, Arthur c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1993] 1 C.F. 94 (C.A.), Nord-Deutsche Versicherungs Gesellschaft c. The Queen, [1968] 1 Ex.C.R. 443, et Brown & Evans, précité, au paragraphe 11.330. Comme Monsieur le juge Deneault l'a dit dans la décision Ahani, précitée, au paragraphe 10 :

Dans la décision Nord-Deutsche Versicherungs Gesellschaft, supra, le président Jackett a conclu de la même façon qu'il ne peut y avoir de crainte de partialité de la part d'un juge simplement parce que, dans l'exercice de ses fonctions judiciaires, il a exprimé son avis au sujet des conclusions qu'il convenait de tirer au sujet de la preuve dont il disposait, après avoir pleinement tenu compte des arguments invoqués par les parties à ce sujet.

[12]       Dans l'arrêt Arthur, la Cour d'appel fédérale était saisie d'un cas semblable à celui qui nous occupe. L'arbitre avait tiré une conclusion de crédibilité défavorable en se prononçant contre une personne qui demandait à être mise en liberté et la demanderesse avait soutenu que l'arbitre s'était formé une opinion sur la question globale de la crédibilité, de sorte qu'il n'était pas habile à siéger dans la deuxième audience. La Cour a statué que le fait d'exprimer une opinion au sujet de la crédibilité ne suffisait pas pour démontrer la partialité. À la page 106, Monsieur le juge MacGuigan a dit ce qui suit :


À mon avis, cette thèse n'est pas appuyée par les faits. À mon sens, comme dans l'affaire Pursley [Pursley c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1989), 8 Imm. L.R. (2d) 211 (C.F. 1re inst.)], un arbitre absolument impartial ne pouvait que conclure, à première vue, que la requérante avait bel et bien tenté d'entrer aux États-Unis illégalement et qu'elle s'était servie de faux papiers pour entrer au Canada. En fait, la conseillère de la demanderesse a admis ces faits à la première audience et a plutôt fait valoir que les actes de cette dernière étaient excusables.

La Cour a ensuite examiné la décision et la transcription de l'audience et a conclu ce qui suit à la page 106 : « Je suis incapable de déceler le moindre parti pris de la part de l'arbitre sur la franchise générale de la requérante, parti pris qui équivaudrait à préjuger l'issue de la seconde audience. »

[13]       M. La Douceur ne devrait donc pas être rendu inhabile simplement parce qu'il a tiré des conclusions au sujet de la crédibilité lorsqu'il a tranché la question de la mise en liberté. La Cour doit plutôt examiner sa décision (figurant à la page 114 du dossier) et voir si elle peut déceler un parti pris de la part du membre au sujet de la crédibilité générale du demandeur, lequel équivaut à préjuger la demande.

[14]       La décision de M. La Douceur était fondée sur deux motifs. En premier lieu, M. La Douceur croyait que le demandeur risquait de s'enfuir parce qu'il s'était déjà enfui des États-Unis à la suite d'accusations portées au criminel. Il s'agit d'une situation dans laquelle « un arbitre absolument impartial ne pouvait que conclure, à première vue, » que le demandeur risquait de s'enfuir.


[15]       En second lieu, malgré les déclarations selon lesquelles la famille du demandeur avait retenu les services d'un avocat pour défendre celui-ci contre les accusations portées aux États-Unis, M. La Douceur ne [TRADUCTION] « cro[yait] pas, quant à [lui], que Mohamad [fût] prêt à faire face à la justice » (à la page 124). M. La Douceur a conclu que la famille du demandeur considérait la remise d'un cautionnement [TRADUCTION] « simplement comme la rançon des affaires » (à la page 124). Sa conclusion était partiellement fondée sur le fait que le demandeur, qui avait été étudiant pendant un certain nombre d'années, disposait d'une somme de sept ou huit mille dollars qu'il pouvait remettre comme cautionnement. Sur ce point, voici ce que M. La Douceur a dit : [TRADUCTION] : « J'ai également dit à M. Khalife qu'à mon avis, même s'il témoignait alors sous serment, il ne disait pas la vérité » (à la page 123).

[16]       Ces remarques ne démontrent pas que M. La Douceur a préjugé la crédibilité du demandeur. M. La Douceur exprimait ses conclusions eu égard à la preuve dont il disposait. Il est possible de faire une distinction entre la présente espèce et les affaires que le demandeur a citées. Les conclusions de M. La Douceur étaient limitées aux questions en cause à l'audience relative à la question de la mise en liberté et ne traitaient pas :

(i)          des questions à trancher dans la demande sous-jacente du demandeur (à savoir s'il avait commis les graves infractions criminelles en question), contrairement à l'affaire Budhu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1998), 146 F.T.R. 54;

(ii)         de la possibilité que la demande sous-jacente soit accueillie, contrairement à l'affaire Mohammed c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1994), 28 Imm. L.R. (2d) 75;

(iii)        de la crédibilité générale du demandeur, contrairement à l'affaire Pacificador, précitée.


2.                    Le fait de contraindre le demandeur à témoigner.

a)         Position prise par le demandeur

[17]       Le demandeur affirme qu'il n'aurait pas dû être contraint à témoigner. Ni la Charte des droits et libertés, partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, qui constitue l'annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada (R.-U.), 1982, ch. 11 [L.R.C. (1985), appendice II, no 44] ni la Loi sur la preuve du Canada, L.R.C. (1985), ch. C-5, n'empêchent l'utilisation de la preuve présentée à l'audience relative à la question de l'admissibilité dans le cadre des procédures criminelles engagées aux États-Unis. En outre, si le demandeur est contraint à témoigner et s'il refuse de le faire, il peut faire l'objet de poursuites en vertu des dispositions de la LIPR.

[18]       Le demandeur affirme également que la présente affaire met en cause les droits reconnus à l'article 7 de la Charte. Le fait d'être privé de la liberté se rapporte à l'incarcération aux États-Unis; même si elle a lieu à l'extérieur du pays, l'incarcération peut être prise en considération, voir Burns and Rafay c. États-Unis, [2001] 1 R.C.S. 283. Le fait d'être contraint à témoigner constitue une violation de la justice fondamentale.


b)          La demande est-elle prématurée pour le motif que le litige n'a pas encore pris naissance?

[19]       Le défendeur affirme que la demande est prématurée parce qu'on ne sait pas si le demandeur sera contraint à témoigner. Le caractère préventif d'une déclaration ne doit pas être simplement fondé sur ce à quoi s'attend le demandeur en ce qui concerne la décision du membre.

[20]       Comme il en a ci-dessus été fait mention, la Cour a le pouvoir discrétionnaire de déterminer si une demande visant l'obtention d'une réparation de la nature d'une ordonnance d'interdiction est prématurée. La doctrine du caractère prématuré est différente de la doctrine de l'autre recours adéquat, mais les deux sont reliées entre elles, voir Brown & Evans, précité, au paragraphe 3:4100. Il serait prématuré pour la Cour de trancher une question avant que le tribunal pertinent rende sa décision, voir Ledcor Industries Ltd. c. section locale 92 de l'UIJAN, [1999] A.C.F. no 1909 (C.A.) (QL). Quant à la déclaration, le défendeur a raison de dire que l'arrêt Canada c. Solosky, [1980] 1 R.C.S. 821, de la Cour suprême du Canada régit l'affaire. Les tribunaux judiciaires n'accordent pas de déclarations à l'égard d'un litige qui n'a pas encore pris naissance si l'octroi de la déclaration n'est aucunement utile.


[21]       Il n'est pas encore certain que le demandeur soit contraint à témoigner. La Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la LIPR) ou les Règles de la Section de l'immigration, DORS/2002-229 ne renferment aucune disposition contraignant expressément une personne à témoigner dans une audience portant sur la question de l'admissibilité. Les tribunaux judiciaires n'ont pas non plus établi qu'un étranger qui comparaît dans une audience portant sur la question de l'admissibilité peut être contraint à témoigner. Dans l'arrêt Seth c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1993] 3 C.F. 348 (C.A.), Monsieur le juge Décary, au nom de la Cour, a conclu que le demandeur pouvait être contraint à témoigner dans une audience tenue par la Section du statut, mais il a veillé à signaler ce qui suit, à la page 357, note 13 :

Je veux bien, aux fins de la discussion et sans tirer sur ce point une conclusion finale, reconnaître que le demandeur de statut de réfugié au sens de la Convention peut se comparer à un « témoin contraignable » . Bien qu'il ne soit pas tenu de témoigner personnellement à son audition (voir l'art. 29(1) de la Loi sur l'immigration), sa demande ne peut être accueillie que s'il s'acquitte de l'obligation que lui impose l'art. 46(2) [mod. par L.R.C. (1985) (4e suppl.), ch. 28, art. 14] de la Loi et produit une preuve documentaire, donnée sous serment à l'appui de sa revendication, relativement à ses antécédents (art. 45(2) [mod., idem] de la Loi; art. 18 des Règles de la section du statut de réfugié [DORS/89-103]). Bien qu'il n'ait pas à faire une revendication, il sera expulsé s'il n'en présente pas, et bien qu'il ne soit pas nécessairement détenu avant l'audience, il devra quitter le Canada s'il n'obtient pas gain de cause. Dans cette mesure, il semble être sous « le contrôle du pouvoir supérieur de l'État » et ne pouvoir « s'esquiver » , pour reprendre les paroles du juge McLachlin dans l'arrêt R. c. Hebert,[[1990] 2 R.C.S. 15], à la p. 179.

Étant donné les remarques du juge Décary, il n'est pas clair qu'un étranger, qui serait censément non admissible, puisse être assimilé à un « témoin contraignable » en vertu de la LIPR.


[22]       La question n'est pas réglée et M. La Douceur pouvait décider que le demandeur n'est pas contraignable ou que le fait de contraindre le demandeur à témoigner porte atteinte aux droits qui lui sont garantis par la Charte. Le demandeur demande essentiellement à la Cour d'examiner une décision qui n'a pas encore été rendue. Il serait prématuré pour la Cour de le faire.

[23]       La question sous-jacente (à savoir si le fait de contraindre le demandeur à témoigner porte atteinte aux droits qui lui sont reconnus par la Charte) est peut-être sérieuse, mais étant donné que le membre de la Commission n'a pas encore pris sa décision, la demande est prématurée et n'a aucune chance de succès. En outre, le demandeur peut tout simplement refuser de témoigner et subir les conséquences qui découlent de son choix, celles-ci étant peut-être moins graves que le fait de témoigner.

3.          Extradition déguisée

a)          Position prise par le demandeur

[24]       Le demandeur affirme que l'enquête est une extradition déguisée. Il veut bien être renvoyé au Liban, mais il affirme que les avocats américains sont de mèche avec les autorités canadiennes de l'Immigration pour utiliser cette procédure comme solution de rechange par rapport à l'extradition.


b)          S'agit-il d'une affaire d'extradition déguisée?

[25]       Dans l'arrêt Moore v. Canada (Minister of Manpower and Immigration), [1968] S.C.R. 839, la Cour suprême du Canada a reconnu que l'expulsion pouvait être utilisée afin de déguiser une extradition. Voici ce qu'elle a dit :

[TRADUCTION] [...] la charge de prouver qu'une mesure d'expulsion à première vue valide est en fait un subterfuge ou n'a pas été prise de bonne foi incombe à la partie qui l'allègue, et ce, « même s'il lui est peut-être difficile de s'acquitter de cette obligation » .

[26]       Dans la décision Halm c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1996] 1 C.F. 547 (1re inst.), Monsieur le juge Rothstein a cité six principes tirés de l'arrêt Shepherd c. Canada (Minister of Employment and Immigration) (1989), 70 O.R. (2d) 765 (C.A.), ces principes s'appliquant aux cas dans lesquels l'extradition déguisée est alléguée :

1. Il y a exercice légitime du pouvoir d'expulsion lorsque l'objectif visé est d'expulser l'intéressé parce que sa présence va à l'encontre du bien public.

2. L'exercice du pouvoir d'expulsion n'est pas légitime lorsque l'objectif visé est de remettre le fugitif à l'État qui le réclame.

3. Il est loisible aux tribunaux de vérifier si l'objectif visé par l'État était légitime ou non.

4. C'est à la partie qui allègue qu'il y a eu exercice illégitime du pouvoir d'expulsion qu'il incombe d'en faire la preuve. C'est une lourde charge.

5. Pour donner gain de cause à l'intéressé, il faudrait statuer que le ministre n'a pas véritablement estimé qu'il était dans l'intérêt du public d'expulser l'intéressé.

6. L'adoption de la Charte n'a pas allégé la charge de la preuve.


[27]       Le demandeur est un étranger qui est accusé d'une grave infraction criminelle dans un autre pays. De toute évidence, sa présence au Canada « va à l'encontre du bien public » . Le demandeur n'a pas fourni à la Cour un nombre suffisant d'éléments de preuve tendant à montrer qu'il peut s'acquitter de la lourde obligation qui lui incombe. Rien n'indique que le ministre cherche à expulser le demandeur dans un but illégitime.

[28]       En outre, l'argument du demandeur selon lequel le refus de M. La Douceur d'accepter l'offre qu'il avait faite de retourner volontairement au Liban montre qu'il s'agit en réalité d'une extradition déguisée est dénué de fondement. La Section de l'immigration ne décide pas du lieu où une personne est renvoyée. En vertu de la partie 13, section 4, du Règlement sur l'immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227, (le Règlement), c'est le ministre qui décide du pays dans lequel une personne sera renvoyée après que celle-ci a été déclarée non admissible. Le ministre peut notamment renvoyer l'étranger dans le pays d'où il est arrivé en vertu de l'alinéa 241(1)a) du Règlement. L'étranger qui est renvoyé ne peut pas choisir le pays dans lequel il sera renvoyé s'il est un fugitif recherché par la justice au Canada ou dans un autre pays, en vertu de l'alinéa 238(2)b).

[29]       La Cour suprême du Canada faisait face à une situation similaire dans l'affaire Moore :


[TRADUCTION] En l'espèce, il existe des motifs valables d'expulser l'appelant, comme le montrent les motifs prononcés par mon collègue le juge Judson. Une personne qui est illégalement au Canada ne peut pas se soustraire à une enquête et à une expulsion en démontrant qu'elle est prête à quitter volontairement le Canada. En pareil cas, les tribunaux judiciaires ne sont pas chargés de se prononcer sur la question de savoir si la mesure d'expulsion doit être prise.

[30]       Par conséquent, rien n'indique qu'il s'agisse d'un cas d'extradition déguisée. Il n'existe aucune question sérieuse à trancher à l'égard de l'extradition déguisée.

CONCLUSION

[31]       Le demandeur n'a pas démontré qu'il existe à l'heure actuelle une question sérieuse à trancher en ce qui concerne l'une ou l'autre des trois questions qu'il a soulevées. Étant donné que la demande est prématurée, je conclus également que le demandeur ne fait face à aucun préjudice irréparable. Le demandeur n'a donc pas droit, sur le plan juridique, à une suspension de l'enquête.

                                    ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE :

La demande est rejetée.

« Michael A. Kelen »

Juge

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, trad. a., LL.L.


COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                           IMM-5319-02

INTITULÉ :                                                          MOHAMAD ABBAS KHALIFE

c.

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

DATE DE L'AUDIENCE :                                LE LUNDI 4 NOVEMBRE 2002

LIEU DE L'AUDIENCE :                                 TORONTO (ONTARIO)

MOTIFS DE L'ORDONNANCE                   MONSIEUR LE JUGE KELEN

ET ORDONNANCE :                                      

DATE DES MOTIFS :                                      LE MERCREDI 6 NOVEMBRE 2002

COMPARUTIONS :

M. Lorne Waldman                                                                 pour le demandeur

Mme Rhonda Marquis                                                              pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

M. Lorne Waldman

281, avenue Eglinton est

Toronto (Ontario)

M4P 1L3

Tél. : (416) 482-6501

Téléc. : (416) 489-9618                                                          pour le demandeur

M. Morris Rosenberg                                                             

Sous-procureur général du Canada                                        pour le défendeur


COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

                                                        Date: 20021106

                                       Dossier : IMM-5319-02

ENTRE :

MOHAMAD ABBAS KHALIFE

                                                                 demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

                                                                    défendeur

                                                                                  

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE

                                                                                  

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.