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Date : 20050624

Dossier : IMM-9604-04

Référence : 2005 CF 901

Ottawa (Ontario), le vendredi 24 juin 2005

EN PRÉSENCE DE MADAME LA JUGE DAWSON

ENTRE :

VLADMIIR KALMYKOV

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

LA JUGE DAWSON


[1]         Le paragraphe 109 (1) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi), autorise la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la SPR ou le tribunal) à annuler, sur demande du ministre, la décision ayant accueilli la demande d'asile résultant, directement ou indirectement, de présentations erronées sur un fait important quant à un objet pertinent, ou de réticence sur ce fait. Le libellé de l'article 109 de la Loi figure en annexe aux présents motifs.

[2]         La présente demande de contrôle judiciaire vise la décision de la SPR qui a accueilli la demande du ministre d'annuler la décision antérieure selon laquelle M. Kalmykov est un réfugié au sens à la Convention.

FAITS

[3]         Les faits pertinents peuvent être résumés comme suit. En juillet 2000, la Section du statut de réfugié de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié a accordé à Vladimir Kalmykov le statut de réfugié au sens à la Convention parce qu'elle a accepté sa prétention selon laquelle il craignait avec raison d'être persécuté en Russie en raison des opinions politiques que lui imputait l'État russe. Par avis de demande du 10 février 2004, le solliciteur général du Canada et le ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration ont demandé une ordonnance d'annulation du statut de réfugié de M. Kalmykov au motif que ce statut avait été obtenu, dans la procédure originale, par suite de présentations erronées sur un fait important quant à un objet pertinent, ou de réticence sur ce fait.

[4]         Les motifs de la demande sont formulés ainsi :


[traduction]

QUEle ou les motifs sur lesquels cette demande est fondée mettent en cause la réticence du défendeur relativement à des faits pertinents, qui, s'ils avaient été connus, auraient entraîné le rejet de sa revendication du statut de réfugié, en application de la section E de l'article premier de la Convention (c'est-à-dire la Convention de 1951 des Nations Unies relative au statut des réfugiés et le Protocole de 1961 [sic] s'y rattachant), ainsi que la crédibilité de la revendication du statut de réfugié effectuée par le défendeur compte tenu de la preuve à être déposée à l'appui de la présente demande.

[5]         La partie essentielle de l'exposé du droit et des arguments est rédigée ainsi :

[traduction]

6.                Aux paragraphes 35 et 36 de son Formulaire de renseignements personnels original (pièce B) du 20 mai 1999, le défendeur a indiqué que sa revendication du statut de réfugié au Costa Rica avait été rejetée et qu'il n'avait jamais reçu le statut de réfugié du Haut Commissaire des Nations Unies pour les réfugiés. En outre, au paragraphe 27 du formulaire IMM 5389 intitulé « Renseignements sur l'admissibilité au Canada et la revendication du statut de réfugié » , il a indiqué qu'il n'avait jamais demandé la reconnaissance du statut de réfugié dans un autre pays. Selon les documents ci-joints, ce renseignement apparaît maintenant comme n'étant pas crédible. Le défendeur a reçu ce statut, lequel pouvait être transformé en statut de résident permanent et peut être maintenant restauré.

[6]         Le document sur lequel les ministres s'appuyaient est une lettre du ministère de l'Intérieur et de la Police du Costa Rica selon laquelle :

[traduction]

M. Vladimir Kalmykov a obtenu le statut de réfugié en 1995. Le 15 juillet 1998, en application de la résolution numéro 0006420-98-DB, son statut en matière d'immigration est passé de celui de réfugié à celui de résident permanent sans condition. Il a été informé de cette décision le 28 août 1998. Aucun document d'identification de résident n'a été obtenu.

En raison de l'absence du pays de l'intéressé depuis plus de cinq ans, celui-ci doit demander à nouveau le statut de résident depuis l'étranger. Il lui incombe de déposer des certificats des services policiers du pays dans lequel il réside actuellement pour que sa demande puisse être évaluée par le conseil national des migrations de manière à ce que, le cas échéant, un renouvellement de ce statut soit accepté.


En ce qui concerne le statut de réfugié, les éléments nécessaires à l'établissement de ce statut, s'ils existent, doivent être évalués par le ministère compétent.

[7]         En réponse à la demande d'annulation de son statut de réfugié, M. Kalmykov a signé un affidavit dans lequel il a déclaré :

[traduction]

1.              Je suis le défendeur dans la présente demande.

2.              Lors de l'audience concernant le statut de réfugié, je n'ai pas trompé délibérément le tribunal. Je croyais à l'exactitude de ma déposition.

3.              La lettre du 28 août 1998 m'informant que j'étais devenu un résident permanent du Costa Rica a été reçue par mes parents et non par moi. En fait, j'étais alors un mineur âgé de 17 ans. Je suis né le 27 octobre 1980. J'ai appris que j'avais été auparavant un résident permanent du Costa Rica uniquement après avoir reçu les documents à l'appui de la demande du ministre. C'est alors que j'ai vérifié auprès de mes parents, qui ont confirmé ce renseignement.

[8]         La transcription de l'audience devant la SPR indique :

[traduction]

LE PRÉSIDENT D'AUDIENCE :

[...]

Nous avons tenu une brève conférence préparatoire avant le commencement de l'audience. Il a été convenu alors qu'il serait inutile que le ministre ou votre avocat vous interroge aujourd'hui. Votre avocat a dit qu'il s'appuierait sur l'affidavit que vous aviez signé précédemment en réponse à la demande du ministre.

Je vais vous demander Monsieur, aujourd'hui, d'attester le contenu de votre affidavit. Et avant de le faire, je vais vous demander d'affirmer solennellement que vous dites la vérité.

LE DEMANDEUR D'ASILE : Oui Monsieur.

LE PRÉSIDENT D'AUDIENCE : Pourriez-vous vous lever et lever votre main droite?


V. KALMYKOV (LE DEMANDEUR D'ASILE), a affirmé solennellement :

LE PRÉSIDENT D'AUDIENCE : Je vous remercie. Veuillez vous asseoir.

Veuillez noter que les pièces utilisées pour l'audience seront celles qui sont énumérées sur la liste de pièces que j'ai fournie plus tôt ici à chacune des parties. Il est possible que chacune des parties dépose plus tard des documents additionnels à l'appui de ses observations.

M. Matas, êtes-vous prêt à procéder à l'attestation du contenu de l'affidavit du défendeur?

M. MATAS : Certainement.

Je vous présente l'affidavit que vous avez signé le 20 février 2004.

LE DEMANDEUR D'ASILE : Oui.

M. MATAS : Les renseignements contenus dans l'affidavit sont-ils vrais à votre connaissance?

LE DEMANDEUR D'ASILE : Oui Monsieur.

LE PRÉSIDENT D'AUDIENCE : C'est bien. Monsieur Offrowich, avez-vous des questions à poser au défendeur?

M. OFFROWICH: Non.

LE PRÉSIDENT D'AUDIENCE : Je n'ai aucune question à vous poser Monsieur. Et vous, monsieur Matas, en avez-vous?

M. MATAS :          Non.

[9]         Par la suite, un calendrier a été fixé pour le dépôt d'observations écrites.


DÉCISION DE LA SPR

[10]       Dans ses motifs, la SPR n'a pas abordé la question des présentations erronées que M. Kalmykov aurait faites sur des faits importants. Elle s'est plutôt concentrée exclusivement sur la question de savoir si M. Kalmykov avait dissimulé les faits importants selon lesquels il avait été reconnu réfugié au sens où la Convention au Costa Rica et avait, en conséquence, obtenu le statut de résident permanent dans ce pays.

[11]       En ce qui concerne la déposition sous serment de M. Kalmykov selon laquelle celui-ci n'avait jamais été personnellement informé du fait qu'il avait obtenu le statut de résident permanent, le tribunal a écrit :

Le tribunal ne trouve pas crédible que les parents de l'intimé aient reçu une lettre du gouvernement du Costa Rica et n'en aient pas communiqué le contenu à l'intimé, c'est-à-dire qu'il avait obtenu la résidence permanente au Costa Rica. D'ailleurs, suivant les autorités costariciennes : [traduction] « Il [l'intimé] a été avisé [...]. » Cependant, le tribunal souligne que l'intimé était mineur quand la résidence permanente au Costa Rica lui a été octroyée. Le tribunal conclut que l'intimé savait qu'il était résident permanent du Costa Rica à son arrivée au Canada, en février 1999, et qu'il a dissimulé ce fait au tribunal responsable de la détermination.

PRINCIPES DE DROIT APPLICABLES AU CONTRÔLE JUDICIAIRE DE LA CONCLUSION DE LA SPR


[12]       Sous réserve de l'obligation d'agir équitablement, c'est la norme de la décision manifestement déraisonnable qui s'applique au refus du tribunal d'accepter la déposition de M. Kalmykov, selon laquelle celui-ci n'avait appris qu'il avait acquis le statut de résident permanent au Costa Rica qu'après l'introduction de la demande d'annulation, et à la conclusion connexe que M. Kalmykov avait sciemment caché ce fait. Lorsqu'elle examine la question de savoir si l'obligation d'agir équitablement a été respectée, la Cour n'a pas à faire preuve de retenue judiciaire à l'égard de la décision rendue. Il incombe en effet à la Cour de donner une réponse juridique à cette question. Voir : S.C.F.P. c. Ontario (Ministre du Travail), [2003] 1 R.C.S. 539, au paragraphe 100.

[13]       Étant donné le fondement de la conclusion du tribunal, à savoir qu'il était invraisemblable que les parents de M. Kalmykov n'aient pas communiqué à celui-ci le contenu de la lettre du gouvernement, les principes de droit suivants s'appliquent indéniablement au contrôle de la conclusion du tribunal :

-            La SPR a le droit de tirer des conclusions raisonnables fondées sur des invraisemblances, le bon sens et la raison, et elle est habilitée à rejeter les preuves incompatibles avec les probabilités touchant l'affaire dans son ensemble.

-            La SPR ne peut affirmer simplement que la déposition d'un témoin est invraisemblable. Elle doit motiver le raisonnement qui sous-tend cette conclusion.


-            Les conclusions défavorables quant à la crédibilité doivent être fondées sur des déductions tirées raisonnablement de la preuve, et non pas sur des conjectures ou de simples hypothèses.

-            Il convient de distinguer entre les déductions raisonnables, d'une part, et les hypothèses, d'autre part. Dans l'arrêt Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) c. Satiacum (1989), 99 N.R. 171, la Cour d'appel fédérale a cité le passage suivant avec approbation :

[traduction] Il est souvent très difficile de faire la distinction entre une hypothèse et une déduction. Une hypothèse peut être plausible mais elle n'a aucune valeur en droit puisqu'il s'agit d'une simple supposition. Par contre, une déduction au sens juridique est une déduction tirée de la preuve et si elle est justifiée, elle pourra avoir une valeur probante.

-            Si elle conclut au caractère invraisemblable de certains éléments de preuve fondamentaux pour la demande, la SPR doit indiquer sa conclusion au demandeur d'asile afin de lui donner la possibilité d'expliquer pourquoi ces éléments de preuve sont vraisemblables.

APPLICATION DE CES PRINCIPES À LA CONCLUSION TIRÉE PAR LA SPR

[14]       Après avoir appliqué ces principes aux conclusions figurant dans les motifs de la SPR, je note en premier lieu que cette dernière n'a pas expliqué les motifs qui sous-tendent sa conclusion que les parents de M. Kalmykov auraient communiqué à celui-ci le contenu de la lettre.


[15]       En outre, le caractère vraisemblable de la conduite d'un parent envers son enfant de 17 ans dépend d'un certain nombre de facteurs, notamment la nature de la relation, l'intensité du contrôle exercé par le parent dans le cadre de sa relation avec l'enfant, et la maturité, l'intelligence et l'indépendance de l'enfant. Ce qui est vraisemblable à l'égard d'une relation peut s'avérer invraisemblable l'égard d'une autre. Il en découle que des preuves quant à la nature de la relation parent-enfant sont à la fois pertinentes et nécessaires pour tirer correctement de la preuve une déduction d'invraisemblance.

[16]       En l'espèce, il n'y a eu aucune preuve de cette nature en raison du fait que, ni le représentant du ministre, ni le tribunal, n'ont interrogé M. Kalmykov relativement à sa déposition sous serment suivant laquelle il ignorait qu'il avait reçu le statut de résident permanent. Il était loisible au représentant du ministre d'agir ainsi en se contentant de plaider sur le fondement de cette assertion inexacte faite innocemment. Toutefois, le tribunal ne pouvait pas rejeter la déposition de M. Kalmykov en ce qui concerne le pivot de sa défense contre la demande du ministre sans donner à celui-ci la possibilité d'expliquer pourquoi, dans les circonstances, sa déposition était vraisemblable. Bien qu'il ne soit pas nécessaire de saisir le témoin de toute contradiction ou de toute invraisemblance, l'équité oblige la SPR à lui donner la possibilité de présenter ses observations relativement aux déductions qu'elle tire sur des questions essentielles dont elle est saisie.


CONCLUSION

[17]       La demande de contrôle judiciaire sera donc accueillie. Les avocats n'ont posé aucune question à certifier et je conviens que la présente affaire n'en soulève aucune.

ORDONNANCE

[18]       LA COUR ORDONNE :

1.          La demande de contrôle judiciaire est accueillie et la décision de la SPR du 28 octobre 2004 est annulée.

2.          L'affaire est renvoyée à un tribunal différemment constitué de la SPR pour qu'il rende une nouvelle décision.

« Eleanor R. Dawson »

Juge

Traduction certifiée conforme

Julie Boulanger, LL.M.


ANNEXE

L'article 109 de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés est libellé ainsi :

109(1) La Section de la protection des réfugiés peut, sur demande du ministre, annuler la décision ayant accueilli la demande d'asile résultant, directement ou indirectement, de présentations erronées sur un fait important quant à un objet pertinent, ou de réticence sur ce fait.

109(2) Elle peut rejeter la demande si elle estime qu'il reste suffisamment d'éléments de preuve, parmi ceux pris en compte lors de la décision initiale, pour justifier l'asile.

109(3) La décision portant annulation est assimilée au rejet de la demande d'asile, la décision initiale étant dès lors nulle.

109(1) The Refugee Protection Division may, on application by the Minister, vacate a decision to allow a claim for refugee protection, if it finds that the decision was obtained as a result of directly or indirectly misrepresenting or withholding material facts relating to a relevant matter.

109(2) The Refugee Protection Division may reject the application if it is satisfied that other sufficient evidence was considered at the time of the first determination to justify refugee protection.

109(3) If the application is allowed, the claim of the person is deemed to be rejected and the decision that led to the conferral of refugee protection is nullified.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                     IMM-9604-04

INTITULÉ :                                                   VLADMIIR KALMYKOV

c.

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

LIEU DE L'AUDIENCE :                             WINNIPEG (MANITOBA)

DATE DE L'AUDIENCE :                           LE 16 JUIN 2005

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                                    LA JUGE DAWSON

DATE DES MOTIFS :                                   LE 24 JUIN 2005

COMPARUTIONS:

David Matas                                                      POUR LE DEMANDEUR

Aliyah Rahaman                                                 POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER:

David Matas                                                      POUR LE DEMANDEUR

Avocat

Winnipeg (Manitoba)

John H. Sims, c.r.                                              POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

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