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Date : 20210920

Dossier : T‑607‑20

Référence : 2021 CF 968

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 20 septembre 2021

En présence de monsieur le juge en chef Paul Crampton

RECOURS COLLECTIF ENVISAGÉ

ENTRE :

KATHRYN EATON

demanderesse

et

TEVA CANADA LIMITÉE, TEVA PHARMACEUTICALS USA, INC., ACTAVIS HOLDCO U.S., INC., ACTAVIS ELIZABETH LLC, ACTAVIS PHARMA, INC., ACTAVIS PHARMA COMPANY, BARR PHARMACEUTICALS, LLC, AKORN, INC., AKORN SALES, INC., HI‑TECH PHARMACAL CO., INC., AMNEAL PHARMACEUTICALS, INC., IMPAX LABORATORIES, INC., APOTEX INC., APOTEX CORP., AUROBINDO PHARMA USA, INC., AURO PHARMA INC., AVET PHARMACEUTICALS INC., MARCAN PHARMACEUTICALS INC., BRECKENRIDGE PHARMACEUTICAL, INC., DR. REDDY’S LABORATORIES, INC., DR. REDDY’S LABORATORIES CANADA INC., GLENMARK PHARMACEUTICALS INC., USA, GLENMARK PHARMACEUTICALS CANADA INC., LANNETT COMPANY, INC., LUPIN PHARMACEUTICALS, INC., LUPIN PHARMA CANADA LTÉE, MAYNE PHARMA INC., MYLAN N.V., MYLAN PHARMACEUTICALS ULC, MYLAN INC., MYLAN PHARMACEUTICALS INC., MYLAN INSTITUTIONAL INC., DAVA PHARMACEUTICALS, LLC, GENERICS BIDCO I, LLC, PAR PHARMACEUTICAL COMPANIES, INC., PAR PHARMACEUTICAL, INC., PERRIGO INTERNATIONAL INC., PERRIGO NEW YORK, INC., PFIZER INC., PFIZER CANADA ULC/PFIZER CANADA SRI, GREENSTONE LLC, SANDOZ INC., SANDOZ CANADA INC., FOUGERA PHARMACEUTICALS INC., SUN PHARMACEUTICAL INDUSTRIES, INC., SUN PHARMA CANADA INC., TARO PHARMACEUTICALS INC., TARO PHARMACEUTICALS U.S.A., INC., TELIGENT, INC., TELIGENT CANADA INC., UPSHER‑SMITH LABORATORIES, LLC, WOCKHARDT USA LLC, MORTON GROVE PHARMACEUTICALS, INC., ET ZYDUS PHARMACEUTICALS (USA), INC.

défenderesses

ORDONNANCE ET MOTIFS PUBLICS

(Ordonnance et motifs confidentiels rendus le 20 septembre 2021)

I. Introduction

[1] La demanderesse a présenté une requête pour demander l’approbation d’un accord de financement de litige [AFL] et de certaines mesures accessoires.

[2] La demanderesse, Kathryn Eaton, représente un groupe de personnes ayant acheté des médicaments génériques au Canada entre 2012 et 2020 [la période visée par le recours collectif]. En sa qualité de représentante demanderesse, elle réclame des dommages‑intérêts de 2,75 milliards de dollars et des réparations connexes contre les 74 défenderesses. Ces défenderesses seraient responsables de la plupart des ventes de médicaments génériques au Canada.

[3] À l’appui de sa réclamation, la demanderesse soutient que les défenderesses ont comploté pour [traduction] « attribuer des marchés, fixer les prix et maintenir la fourniture de médicaments génériques » en Amérique du Nord, en contravention aux articles 45 et 46 de la Loi sur la concurrence, LRC 1985, c C‑34 [la Loi].

[4] Pour financer le recours collectif, la demanderesse a conclu un AFL avec Parabellum Partners II, LP [Parabellum]. Entre autres, l’AFL prévoit un important financement pour des services de pointe en matière d’analyse économique et de gestion de documents relativement à une grande quantité de données et de documents que la demanderesse s’attend à ce que les défenderesses communiquent. Le montant du financement envisagé par l’AFL est présenté comme l’un des plus importants que l’on ait jamais cherché à faire approuver par un tribunal au pays.

[5] Conformément à l’AFL, Parabellum aurait droit à un remboursement correspondant à 10 pour cent du produit de la réclamation, après déduction des fonds qu’elle aura avancés conformément à l’accord [le produit résiduel de la réclamation]. Ces frais de 10 pour cent [les frais de financement] sont assujettis à un plafond de 5 à 45 millions de dollars, selon le moment où le produit global de la réclamation sera reçu. On s’attend à ce que les fonds qui seront avancés dans le cadre de l’AFL soient de l’ordre de plusieurs millions de dollars.

[6] Pour les motifs qui suivent, je conclus qu’il est dans l’intérêt supérieur de la justice d’approuver l’AFL, dans sa version modifiée pour répondre à certaines préoccupations que j’ai soulevées [l’AFL modifié]. Entre autres, l’AFL modifié est nécessaire pour faciliter l’accès à la justice des membres du groupe, il contribuera de façon importante à la dissuasion des actes répréhensibles, il est juste et raisonnable pour les membres actuels et éventuels du groupe, et il n’aura pas pour effet de rémunérer Parabellum de façon excessive.

II. Le contexte

[7] Dans sa nouvelle déclaration modifiée, la demanderesse soutient que les défenderesses ont comploté pour se partager une [traduction] « juste part » des ventes de médicaments génériques. Elles auraient également comploté pour fixer les prix, attribuer des marchés, attribuer des clients et restreindre la fourniture des produits, en contravention à l’article 45 de la Loi. Entre autres, ces activités anticoncurrentielles auraient fait en sorte que les prix des médicaments génériques au Canada ont dépassé de 30 pour cent le prix médian des médicaments génériques de sept pays de comparaison au cours de la période visée par le recours collectif. La demanderesse soutient en outre que certaines des défenderesses ont contrevenu à l’article 46 de la Loi en appliquant des directives, des instructions, des énoncés de politique ou d’autres communications ayant pour objet de donner effet à un complot intervenu à l’étranger.

[8] Le complot au Canada s’inscrirait dans un complot nord‑américain plus vaste qui a fait l’objet d’une enquête par des procureurs généraux des États américains et le département de la Justice des États‑Unis. À la date de la nouvelle déclaration modifiée, cette enquête avait permis aux procureurs généraux de déposer deux plaintes civiles et à quatre des défenderesses de conclure des ententes pour payer une amende.

[9] Si certaines défenderesses ne vendent pas de médicaments au Canada, leur participation au complot aurait tout de même nui aux consommateurs du pays, car elles auraient limité indûment la concurrence et ainsi appuyé les hausses de prix ayant découlé du complot.

III. Les parties

A. La représentante demanderesse et le groupe

[10] La représentante demanderesse, Kathryn Eaton, est une résidente de Toronto, en Ontario, qui a acheté des médicaments génériques dans le secteur privé pendant la période visée par le recours collectif. Elle cherche à représenter un groupe de consommateurs [les membres du groupe], défini ainsi :

[traduction]

Toutes les personnes ou entités au Canada qui, du 1er janvier 2012 à aujourd’hui (la période visée par le recours collectif), ont acheté des médicaments génériques dans le secteur privé. Sont exclues du groupe les défenderesses ainsi que leurs sociétés mères, leurs filiales et leurs sociétés affiliées.

B. Les défenderesses

[11] Les défenderesses sont décrites comme les principaux fabricants de médicaments génériques en Amérique du Nord, ainsi que certaines de leurs sociétés affiliées.

C. Parabellum

[12] Parabellum est l’un des fonds gérés par Parabellum Capital LLC, qui est décrite comme l’un des bailleurs de fonds des États‑Unis spécialisés dans le financement de litiges les plus importants, les plus anciens et les plus reconnus à l’échelle internationale.

IV. L’AFL

[13] Parabellum, la représentante demanderesse et ses avocats ont signé l’AFL à l’automne 2020. Avant de conclure l’AFL, la demanderesse a sollicité et obtenu des conseils juridiques indépendants de Me Alexi Wood, associée au cabinet St. Lawrence Barristers LLP, qui se spécialise dans les recours collectifs.

[14] En termes généraux, l’AFL prévoit que Parabellum financera :

i. Les débours, jusqu’à concurrence de | ;

ii. Les dépens adjugés en faveur de la partie adverse, jusqu’à concurrence de | ;

iii. Les coûts engagés pour obtenir les conseils juridiques indépendants décrits ci‑dessus.

[15] En échange de son engagement de financement et en cas de recouvrement de toute somme découlant de la réclamation, Parabellum recevra, aux termes de l’ALF : (i) le remboursement de tous les paiements anticipés pour les débours et les dépens adjugés en faveur de la partie adverse, et (ii) le paiement des frais de financement, sous réserve du plafond décrit ci‑dessus.

[16] Conformément à l’article 3 de l’AFL, le produit de la réclamation doit être distribué dans l’ordre de priorité suivant :

  1. Rembourser à Parabellum les fonds avancés dans le cadre de l’accord;

  2. Rembourser aux avocats tous les débours qu’ils ont financés en sus du plafond de | s’appliquant à l’engagement de Parabellum à financer les dépens adjugés en faveur de la partie adverse;

  3. Rembourser les coûts engagés pour la mise en œuvre et l’administration de tout règlement définitif de l’instance (selon la définition de l’AFL);

  4. Au prorata et à rang égal :

  • a) Verser aux avocats des honoraires équivalant à 25 pour cent (sous réserve de l’approbation de la Cour), ce qui correspond aux honoraires conditionnels de 25 pour cent que la représentante demanderesse a acceptés dans son entente d’honoraires conditionnels avec les avocats du groupe;

  • b) Payer à Parabellum les frais de financement;

v. Verser la somme résiduelle aux membres du groupe.

[17] Comme il en sera question ci‑dessous, la version initiale de l’AFL qui a été signée à l’automne 2020 a été modifiée pour répondre aux préoccupations que j’ai soulevées au cours de deux audiences avec les avocats du groupe. L’AFL modifié a notamment apporté les éclaircissements suivants :

  1. La demanderesse doit obtenir l’approbation de la Cour à l’égard de l’AFL, de sa résiliation et de toute modification (sauf en ce qui concerne un changement d’avocats du groupe);

  2. La somme des frais de financement et du rendement versé à un tiers bailleur de fonds qui peut prendre la place de Parabellum ne doit en aucun cas dépasser 10 pour cent du produit résiduel de la réclamation;

  3. Les conditions générales l’emportent sur les conditions principales, en cas d’incompatibilité entre ces deux parties de l’AFL modifié;

  4. Certaines obligations de la demanderesse ne prendront naissance qu’après que Parabellum aura acquis le droit de recevoir les frais de financement et le remboursement des fonds qu’elle a avancés, c’est‑à‑dire après qu’un règlement aura été conclu relativement à la présente instance;

  5. Les renvois à l’obligation de payer des honoraires d’avocat (en sus des dépens ordonnés par la Cour et des débours à des experts et à d’autres tiers) se rapportent uniquement aux frais d’obtention de conseils juridiques indépendants, comme il est décrit au paragraphe 13 ci‑dessus.

V. Les questions en litige

[18] La requête soulève deux principales questions que la Cour doit trancher : (i) si l’AFL doit être approuvé, et (ii) s’il faut préserver la confidentialité de toutes les modalités qui ont été caviardées dans la version caviardée de l’AFL.

VI. Appréciation

A. Le critère d’approbation d’un AFL

[19] Le critère général pour approuver un AFL consiste à déterminer s’il est dans l’intérêt de la justice de le faire : Difederico c Amazon.com, Inc., 2021 CF 311 au para 35 [Difederico].

[20] Pour déterminer si ce critère est respecté, il convient de tenir compte des facteurs suivants :

i. Les exigences de base en matière de procédure et de preuve pour l’examen de l’AFL par la Cour ont‑elles été satisfaites?

ii. Le financement par des tiers est‑il nécessaire pour faciliter un accès véritable à la justice?

iii. L’AFL est‑il une champartie?

iv. L’AFL est‑il juste et raisonnable pour les membres actuels et éventuels du groupe?

v. L’AFL contribuera‑t‑il de façon significative à la prévention des actes répréhensibles?

vi. L’AFL nuit‑il à la relation avocat‑client, à l’obligation de l’avocat envers les membres du recours collectif ou à la conduite de l’instance?

vii. L’AFL protège‑t‑il les privilèges juridiques pertinents et la confidentialité des renseignements des parties?

viii. L’AFL protège‑t‑il les intérêts légitimes des défenderesses?

Difederico, précitée, au para 36.

[21] Une réponse négative à l’une ou l’autre des questions susmentionnées peut être fatale pour un AFL.

[22] J’aborderai chacune de ces questions ci‑dessous.

B. Les exigences de base en matière de procédure et de preuve pour l’examen de l’AFL par la Cour ont‑elles été satisfaites?

[23] Les exigences de base en matière de procédure et de preuve qui doivent être respectées avant que la Cour n’examine un AFL sont les suivantes :

i. l’obtention par la demanderesse de conseils juridiques indépendants avant de conclure l’AFL;

ii. la communication rapide de l’AFL et de toute entente de mandat juridique pertinente à la Cour;

iii. une demande rapide d’approbation de l’AFL;

iv. la présentation d’un avis raisonnable aux autres parties visées par la requête demandant l’approbation de l’AFL;

v. la remise d’une copie de l’AFL aux autres parties, sous réserve de caviardages appropriés;

vi. la présentation à la Cour d’éléments de preuve sur les circonstances générales se rapportant à l’AFL.

Difederico, précitée, au para 38; Houle c St. Jude Medical Inc, 2017 ONSC 5129 aux para 68‑70 et 74 [Houle 1].

[24] J’estime que chacune de ces exigences a été remplie. Il est entendu que le dossier de requête de la demanderesse a été envoyé aux avocats de toutes les défenderesses nommées, à l’exception de certaines à qui le dossier a été envoyé directement. Certaines de ces défenderesses ont ensuite présenté des observations sur la requête et ont finalement informé la Cour, le 3 mai 2021, qu’une entente avait été conclue sur les modalités d’un engagement de Parabellum au profit de chaque défenderesse. Cet engagement est examiné plus en détail dans les parties VI.H et VI.I ci‑dessous.

[25] Compte tenu de ce qui précède, ce facteur milite en faveur de l’approbation de l’AFL modifié.

C. Le financement par des tiers est‑il nécessaire pour faciliter un accès véritable à la justice?

[26] Dans son affidavit, la demanderesse affirme avoir été informée par les avocats du groupe que des dépenses de l’ordre de plusieurs millions de dollars seront probablement nécessaires pour poursuivre l’instance devant la Cour. Elle affirme qu’elle n’a pas les moyens de payer ces dépenses et qu’elle ne serait pas disposée à continuer d’exercer son rôle de représentante demanderesse en l’absence de financement par des tiers. Autrement dit, elle soutient que, sans le soutien financier de Parabellum, elle ne pourrait pas intenter le présent recours.

[27] Dans ses observations écrites, la demanderesse a expliqué que la nature de l’industrie des médicaments génériques et l’ampleur du complot fomenté par les défenderesses sont telles qu’il sera nécessaire d’obtenir des éléments de preuve économiques pointus de la part d’experts pour faire avancer la présente instance. Elle a ajouté que, comme bon nombre des défenderesses disposent de ressources importantes, une grande quantité de données et de documents sera communiquée, ce qui coûtera cher à gérer et à analyser.

[28] Compte tenu de la preuve présentée par la demanderesse et de l’ampleur du financement prévu dans l’AFL, je conclus que le financement par un tiers est effectivement nécessaire pour faciliter l’accès véritable de la demanderesse à la Cour afin qu’elle puisse demander réparation pour le préjudice qu’elle affirme avoir subi en raison de la conduite anticoncurrentielle des défenderesses. Ce facteur milite en faveur de l’approbation de l’AFL modifié.

D. L’AFL est‑il une champartie?

[29] Pour les motifs exposés aux paragraphes 48 à 53 de la décision Difederico, précitée, l’appréciation de ce facteur par la Cour devrait tenir compte de deux considérations. La première consiste à déterminer s’il y a une preuve d’un motif inapproprié réel, par opposition à un motif qui peut être jugé inapproprié en fonction du montant du rendement envisagé par l’AFL. Une telle preuve n’a pas été présentée en l’espèce.

[30] La deuxième considération qu’il convient d’apprécier à cette étape‑ci de l’analyse consiste à savoir si les frais établis dans l’AFL dépassent la limite supérieure de ce qui pourrait être considéré comme raisonnable, juste ou proportionnel. Là encore, il n’y a aucune preuve que c’est le cas, et je n’ai aucune raison de m’inquiéter à cet égard. Cela s’explique par le fait que les frais de financement (10 pour cent du produit résiduel de la réclamation) se situent dans la fourchette des frais semblables qui ont été approuvés par les tribunaux canadiens : voir, p. ex., Difederico, précitée, au para 55; Flying E Ranche Ltd c Canada (Procureur général), 2020 ONSC 8076 au para 34 [Flying E]; Houle 1, précitée, au para 83.

[31] Cela est d’autant plus vrai si l’on considère que les frais de financement sont assujettis à un plafond qui varie de 5 000 000 $ à 45 000 000 $, selon le moment où le produit de la réclamation est reçu. Étant donné que la demanderesse réclame des dommages‑intérêts de 2,75 milliards de dollars dans la présente instance, ces plafonds feront en sorte que les frais de financement seront bien inférieurs à 10 pour cent pour plus de 80 pour cent des résultats possibles entre une victoire totale (recouvrement de 2,75 milliards de dollars) et l’échec complet (recouvrement nul) [1] .

[32] Compte tenu de ce qui précède, ce facteur milite en faveur de l’approbation de l’AFL modifié.

E. L’AFL est‑il juste et raisonnable pour les membres actuels et éventuels du groupe?

[33] La question de savoir ce qui est juste et raisonnable dépend largement du contexte : Houle 1, précitée, au para 81.

[34] Dans son affidavit sous serment, la demanderesse affirme qu’elle croit que l’AFL est juste et raisonnable pour elle‑même et pour le groupe de personnes qu’elle se propose de représenter. Bien que ce facteur soit pertinent, il [traduction] « n’est en aucun cas déterminant » : Dugal c Manulife Financial Corp., 2011 ONSC 1785 au para 17; Difederico, précitée, au para 66.

[35] La demanderesse affirme avoir tiré cette conclusion en se fondant sur les conseils qu’elle a reçus d’un avocat indépendant et sur le fait qu’elle ne pouvait intenter le présent recours sans le soutien financier de Parabellum.

[36] Dans ses observations écrites, la demanderesse ajoute que les frais de financement reflètent raisonnablement l’investissement effectué par Parabellum et le marché du financement des litiges. En ce qui concerne le niveau d’investissement, les avocats du groupe affirment qu’il est supérieur à tout accord de financement qui a été approuvé au Canada à ce jour. Cependant, ces observations ont été présentées avant la décision Difederico, précitée. Il n’en demeure pas moins que l’investissement effectué par Parabellum semble être l’un des plus importants jamais faits dans le contexte du financement des litiges au pays.

[37] En ce qui concerne le marché du financement des litiges, Pujan Modi a expliqué dans son affidavit que les avocats du groupe ont communiqué avec trois bailleurs de fonds pour obtenir le financement nécessaire en vue d’intenter le présent recours. Après avoir déterminé que la proposition de Parabellum était dans l’intérêt supérieur des membres du groupe, les avocats du groupe ont entrepris des négociations avec Parabellum pour obtenir les conditions les plus favorables possible pour les membres du groupe.

[38] Comme il a été reconnu au paragraphe 59 de la décision Difederico, précitée, le risque d’échec dans ce type d’affaires est élevé et peut survenir à de multiples étapes, y compris à l’étape de l’autorisation, au procès et en appel, pour des raisons liées à la théorie juridique ainsi qu’à la méthodologie des dommages‑intérêts. Dans chacun de ces scénarios, Parabellum pourrait ne recevoir aucun rendement sur son investissement, ni même un remboursement du financement qu’elle a avancé. De plus, conformément à l’article 7 de l’AFL, Parabellum devra obtenir l’approbation de la Cour avant de pouvoir résilier ou modifier l’AFL, sauf si la modification vise un changement d’avocats du groupe. Bref, à ce stade‑ci, le niveau de rendement que Parabellum recevra est très incertain, et Parabellum devra attendre une période indéfinie avant de recevoir une quelconque somme ou même le remboursement des fonds qu’elle a avancés.

[39] La demanderesse soutient également que les frais de financement sont justes et raisonnables comparativement à d’autres recours fondés sur la Loi qui ont été approuvés.

[40] À cet égard, la demanderesse fait remarquer que dans la décision Jensen c Samsung (6 février 2019), Ottawa (Ontario), CF T‑809‑18 (décision interlocutoire) [Jensen], la Cour a approuvé un niveau de recouvrement non plafonné qui pouvait atteindre jusqu’à 15 pour cent de tout produit recouvré par les membres du groupe. La demanderesse déclare en outre que, dans la décision David c Loblaw, 2018 ONSC 6469 au paragraphe 12 [Loblaw], un accord de financement [traduction] « comparable » à l’AFL dans la présente instance a été approuvé [2] . Dans cette affaire, l’accord permettait au bailleur de fonds d’obtenir 10 pour cent de la somme obtenue dans le cadre du litige, sous réserve d’un plafond qui variait entre 30 et 60 millions de dollars, selon le moment du règlement ou du jugement : Loblaw, précitée, aux para 9‑10. De plus, la Cour a récemment approuvé un accord de financement qui prévoit un rendement correspondant à cinq fois les fonds avancés par le bailleur de fonds ou à 10 pour cent du produit de la réclamation, selon le montant le plus élevé, sous réserve d’un plafond de 100 000 000 $US : Difederico, précitée, au para 4.

[41] En plus de ce qui précède, la demanderesse fait également remarquer que les modalités de l’AFL sont plus favorables aux membres du groupe que les modalités applicables lorsqu’une instance est financée par le Fonds d’aide aux recours collectifs [le FARC] de l’Ontario relativement aux instances fondées sur la Loi sur les recours collectifs : Loi sur le Barreau, LRO 1990, c L.8, art 59.3. Cela s’explique par le fait que le FARC a droit à un prélèvement non plafonné de 10 pour cent dans les instances qu’il finance, tandis que les frais de financement dans l’AFL sont assujettis à un plafond qui varie de 5 à 45 millions de dollars, selon le moment où le produit de la réclamation est reçu.

[42] Je conviens que les considérations analysées précédemment permettent de conclure que les frais de financement sont justes et raisonnables pour les membres du groupe actuels et éventuels.

[43] Cela est d’autant plus vrai puisque le plafond prévu dans l’AFL (45 000 000 $) fera en sorte que le rendement de Parabellum diminuera progressivement, passant de 10 pour cent à moins de 2 pour cent, dès que le montant du règlement ou de l’indemnité augmentera au‑delà de 450 millions de dollars et s’approchera des 2,75 milliards de dollars réclamés dans la présente instance. Comme je l’ai déjà mentionné, cet éventail de résultats possibles représente plus de 80 pour cent des résultats possibles dans le cadre de l’instance, entre la victoire complète (recouvrement de 2,75 milliards de dollars) et l’échec complet (recouvrement nul).

[44] Il convient également de souligner que, dans la décision Difederico, les amis de la cour ont fait valoir que la jurisprudence a établi une « fourchette de validité présumée » allant de 30 à 35 pour cent du produit de la réclamation, pour offrir un rendement combiné au bailleur de fonds du litige et aux avocats du groupe : Difederico, précitée, au para 65. Voir aussi JB & M Walker Ltd. / 1523428 Ontario Inc. c TDL Group Corp., 2019 ONSC 999 au para 25 [TDL]; Drynan c Bausch Health Companies Inc., 2020 ONSC 4379 aux para 91, 98 et 111 [Drynan]; et Houle 1, précitée, au para 33. Les frais de 10 pour cent auxquels Parabellum aurait droit, ainsi que les honoraires conditionnels de 25 pour cent auxquels les avocats du groupe auraient droit (sous réserve de l’approbation de la Cour), aux termes de leur entente de mandat pour honoraires conditionnels avec la demanderesse, entreraient dans cette fourchette.

[45] Je m’arrête ici pour faire remarquer que, lors d’une des journées consacrées à l’audition de la requête, les avocats du groupe ont confirmé que le rendement combiné pour les avocats du groupe et pour Parabellum ne dépassera pas 35 pour cent.

[46] Enfin, bien que les dispositions de l’AFL concernant la distribution prévoient que les membres du groupe seraient les derniers à recouvrer des sommes (voir le paragraphe 16 ci‑dessus), cette pratique est courante dans les recours collectifs : Difederico, précitée, au para 71.

[47] En résumé, pour les motifs mentionnés précédemment, je conclus que l’AFL modifié est juste et raisonnable pour les membres actuels et éventuels du groupe.

[48] En bref, les frais de financement reflètent plutôt bien le niveau de risque couru par Parabellum en ce qui concerne l’étendue et le moment du recouvrement (y compris les montants qu’elle avance dans le cadre de l’AFL). Ces frais se situent également dans la fourchette des rendements pour les bailleurs de fonds de litiges (ou les bailleurs de fonds et les avocats du groupe combinés) qui ont été approuvés par les tribunaux au Canada, y compris dans des instances fondées sur la Loi sur la concurrence. De plus, si le montant du règlement ou de toute ordonnance judiciaire dépasse les 450 millions de dollars et s’approche des 2,75 milliards de dollars réclamés en l’espèce, les frais de financement en pourcentage du rendement total du recours collectif diminueront pour passer de 10 pour cent à moins de 2 pour cent. Cette fourchette de résultats possibles représente plus de 80 pour cent des résultats possibles entre la victoire complète (rendement de 2,75 milliards de dollars) et l’échec complet (rendement nul). Enfin, les frais de financement se comparent favorablement au prélèvement non plafonné de 10 pour cent auquel a droit le FARC dans les instances qu’il finance en Ontario.

[49] De plus, la Cour conservera son rôle de supervision à l’égard du niveau de rémunération combiné auquel auraient droit Parabellum et les avocats du groupe. De plus, tout membre du groupe mécontent de l’AFL aura le droit de se retirer de l’instance dans le délai et de la manière précisés dans toute ordonnance autorisant le recours collectif : Règles de la Cour fédérale, DORS/98‑106, art 334.21(1) [les Règles].

[50] Compte tenu de tout ce qui précède, ce facteur (l’équité et le caractère raisonnable de l’AFL) milite en faveur de l’approbation de l’AFL modifié.

[51] À titre d’information, je ferai remarquer que l’AFL modifié indique clairement que l’approbation de la Cour est requise pour tout ce qui concerne l’AFL, que ce soit la résiliation de l’AFL par Parabellum, le retrait des avocats du groupe ou toute modification à l’AFL (sauf en ce qui concerne un changement d’avocats).

[52] L’AFL modifié précise aussi clairement que, si Parabellum est remplacée par un autre bailleur de fonds, le rendement combiné de Parabellum et du bailleur de fonds remplaçant ne dépassera pas 10 pour cent du produit résiduel de la réclamation ou du plafond variable dont il a été question précédemment.

[53] De plus, les conditions générales de l’AFL modifié, qui y sont jointes à titre d’annexe A, précisent désormais clairement qu’elles l’emportent sur les conditions principales qui y figurent en cas d’incompatibilité. Cette information est importante, car plusieurs des questions abordées dans les présents motifs sont examinées plus clairement, et dans certains cas exclusivement, dans les conditions générales.

[54] D’autres modifications apportées à l’AFL modifié servent simplement à clarifier les questions qui n’étaient pas tout à fait claires. Elles n’ont aucune incidence sur mon examen de l’équité et du caractère raisonnable de l’AFL.

F. L’AFL contribuera‑t‑il de façon significative à la prévention des actes répréhensibles?

[55] Selon la demanderesse, si l’on veut que les personnes lésées par le complot allégué aient accès à la justice et que les défenderesses modifient leur comportement, le recours en l’espèce doit absolument représenter une menace crédible pour les défenderesses. En fournissant les ressources financières nécessaires pour faire avancer efficacement le recours, l’AFL facilitera cet accès à la justice et contribuera à changer les comportements, ce qui ne serait pas possible autrement.

[56] Je conviens que l’AFL modifié aidera grandement la demanderesse à faire avancer le recours contre les défenderesses et que, sans le financement de Parabellum, la possibilité que les défenderesses changent véritablement leur comportement risque d’être considérablement réduite. Dans la mesure où la demanderesse obtient gain de cause, soit en obtenant un jugement ou une adjudication favorable, soit en parvenant à un règlement qui reflète une réclamation valable, il est raisonnable de s’attendre à ce qu’un tel changement de comportement se produise. En fait, les entreprises d’autres marchés seront probablement dissuadées de se livrer à une conduite semblable.

[57] Par conséquent, ce facteur milite en faveur de l’approbation de l’AFL modifié.

G. L’AFL nuit‑il à la relation avocat‑client, à l’obligation de l’avocat envers les membres du groupe ou à la conduite de l’instance?

[58] L’AFL ne doit pas [traduction] « nuire à la relation avocat‑client, aux obligations de loyauté et de confidentialité de l’avocat ou au jugement professionnel de l’avocat et à la conduite du litige au nom du représentant demandeur ou des membres du groupe » : Houle 1, précitée, au para 88.

[59] La demanderesse soutient que l’AFL garantit qu’il n’y aura aucune ingérence de ce genre.

[60] À cet égard, l’AFL modifié contient les modalités suivantes :

  1. Les avocats du groupe doivent recevoir des instructions de la demanderesse et ont des obligations envers elle (conditions principales, article 4.1);

  2. La demanderesse a le droit exclusif de diriger la conduite de la présente instance et de la régler (conditions générales, article 5.1);

  3. Rien dans l’AFL ne créera une relation avocat‑client entre les avocats du groupe et Parabellum, et il est entendu que les avocats du groupe ont des obligations professionnelles exclusivement envers la demanderesse (conditions générales, article 7.4);

  4. Il est expressément indiqué que le droit de recevoir des documents et d’autres renseignements ne doit pas [traduction] « nuire à la relation avocat‑client » entre les avocats du groupe et la demanderesse (conditions générales, article 6.3);

  5. L’obligation de la demanderesse d’éviter tout acte, toute conduite, omission ou entente ou tout arrangement important qui compromettrait le droit de Parabellum de recevoir les frais de financement ne prend naissance que lorsque Parabellum acquiert le droit de recevoir ces frais – ce qui ne se produira que lorsque qu’un jugement ou un règlement définitif aura été obtenu (conditions générales, article 8.1.1);

  6. L’approbation de la Cour est requise pour toute résiliation de l’AFL par Parabellum, tout retrait des avocats du groupe et toute modification de l’AFL (sauf en ce qui concerne un changement d’avocats) (conditions principales, article 7; conditions générales, articles 7.2.2 et 10.1).

[61] Compte tenu de ce qui précède, je considère que l’AFL modifié ne nuira pas à la relation avocat‑client, à l’obligation des avocats envers les membres du groupe ou à la conduite de l’instance. Par conséquent, ce facteur milite en faveur de l’approbation de l’AFL modifié.

H. L’AFL protège‑t‑il les privilèges juridiques pertinents et la confidentialité des renseignements des parties?

[62] L’AFL doit garantir que le tiers bailleur de fonds sera lié par la règle de l’engagement implicite et sera tenu de ne pas divulguer de renseignements confidentiels ou privilégiés : Houle 1, précitée, au para 65.

[63] En ce qui concerne les privilèges juridiques, l’article 6.2 des conditions générales de l’AFL modifié dispose que la demanderesse ne renonce à aucun privilège qui pourrait s’appliquer aux documents ou autres renseignements fournis à Parabellum. De plus, l’article 6.4 prévoit que la communication de renseignements confidentiels à un destinataire ne constitue pas une renonciation au secret professionnel de l’avocat, au privilège relatif au litige, au privilège d’intérêt commun ou à tout autre privilège ou protection semblable applicable ou qui peut être invoqué. En outre, plusieurs autres dispositions prévoient que l’obligation de la demanderesse de fournir des renseignements est assujettie au jugement raisonnable des avocats du groupe en ce qui concerne le maintien de tous les privilèges juridiques : conditions générales, articles 6.3, 7.2.3 et 7.2.4. Enfin, le paragraphe 6 de l’ordonnance que j’accorderai dispose que l’obligation des parties de se conformer aux Règles en ce qui a trait à la signification de documents relatifs à toute réparation sollicitée à l’égard de l’AFL est assujettie à tout droit des parties ou de Parabellum de caviarder les renseignements dans les documents qui sont assujettis au secret professionnel ou visés par une ordonnance de confidentialité. Une disposition semblable se trouve au sous‑alinéa e)(ii) de l’engagement figurant à l’annexe A de la présente ordonnance, qui a été négocié entre Parabellum et les défenderesses [l’engagement].

[64] De même, l’engagement, l’AFL et l’ordonnance jointe aux présents motifs traitent tous de la confidentialité. En particulier, l’engagement contient plusieurs dispositions (y compris les alinéas c), e) et g) à k)) qui visent expressément à protéger la confidentialité de tout renseignement confidentiel des défenderesses que Parabellum pourrait obtenir. Il en va de même pour les paragraphes 5 et 6 de l’ordonnance ci‑jointe, dont le libellé a été fourni à la Cour avec le consentement de Parabellum et des défenderesses.

[65] Compte tenu de ce qui précède, je considère que l’AFL modifié, complété par l’engagement et l’ordonnance ci‑jointe, protégera les renseignements juridiques pertinents et la confidentialité des renseignements des parties. Par conséquent, ce facteur milite en faveur de l’approbation de l’AFL modifié.

I. L’AFL protège‑t‑il les intérêts légitimes des défenderesses?

[66] En ce qui concerne l’AFL modifié, les intérêts légitimes des défenderesses ont trait aux questions du privilège, de la confidentialité et des dépens. Les deux premières questions ont été examinées précédemment et n’ont pas besoin d’être réexaminées ici.

[67] En ce qui concerne les dépens, l’AFL modifié exige que Parabellum finance des dépens jusqu’à concurrence de |||||||||| au nom de la demanderesse, et prévoit que tous les dépens ordonnés par la Cour qui dépassent ce montant seront la responsabilité exclusive des avocats du groupe : conditions principales, articles 2.1 et 2.2; conditions générales, article 2.1. L’obligation de Parabellum à cet égard survit à la résiliation de l’AFL : conditions générales, article 10.3.3.2. Cette obligation est réitérée à l’alinéa 5g) de l’ordonnance ci‑jointe.

[68] De plus, le paragraphe 14 de l’entente sur les honoraires conditionnels conclue entre la demanderesse et les avocats du groupe indique que la demanderesse n’aura pas à payer personnellement les dépens adjugés à la partie adverse. Il est également indiqué que, dans la mesure où le bailleur de fonds ne prévoit aucune indemnisation, les avocats du groupe indemniseront la demanderesse pour ces dépens. Cette obligation est également prévue dans les conditions générales de l’AFL modifié à l’article 7.2.2.2.

[69] De même, à l’alinéa a) de l’engagement, Parabellum accepte de se conformer à toute adjudication de dépens ordonnée par la Cour, sans réserve. À l’alinéa c), Parabellum accepte également de reconnaître la compétence de la Cour relativement aux obligations que lui imposent l’AFL, l’ordonnance ci‑jointe ou l’engagement. Ces obligations sont renforcées par plusieurs autres dispositions relatives aux dépens dans l’engagement.

[70] Compte tenu de tout ce qui précède, je conclus que l’AFL modifié, complété par les paragraphes 5 et 6 de l’ordonnance ci‑jointe et l’engagement, protégera les intérêts légitimes des défenderesses.

[71] Par conséquent, ce facteur milite en faveur de l’approbation de l’AFL modifié.

J. Conclusion concernant l’approbation de l’AFL

[72] Compte tenu des conclusions que j’ai tirées relativement à chacun des facteurs analysés dans les parties VI.B à VI.I ci‑dessus, j’approuverai l’AFL modifié.

VII. La question de la confidentialité

[73] Dans son avis de requête et sa demande de réparation, la demanderesse a sollicité une ordonnance lui permettant [traduction] « de signifier et déposer le dossier de requête en caviardant les modalités de [l’ALF] se rapportant à la stratégie de litige de la demanderesse et de déposer auprès de la Cour une copie non caviardée de [l’AFL] sous scellé ».

[74] La version caviardée de l’AFL qui a été déposée auprès de la Cour comporte très peu de renseignements caviardés. Ceux‑ci concernent les montants maximaux des débours et des dépens adjugés par la Cour que Parabellum a accepté de financer, les frais de financement de 10 pour cent, les montants précis du plafond variable, ainsi que le moment où chacun de ces montants doit être payé.

[75] Je reconnais volontiers que les renseignements relatifs au montant maximal du financement fourni dans le cadre de l’AFL sont de nature délicate sur le plan de la concurrence. Il en va de même pour le moment où les montants précis du plafond variable appliqué aux frais de financement doivent être payés. Ces renseignements sont également de nature délicate en ce que leur divulgation aux défenderesses pourrait avoir une incidence sur la façon dont elles se conduisent dans la présente instance.

[76] Toutefois, je ne suis pas d’accord avec la demanderesse pour dire que le montant des frais de financement et la fourchette du plafond variable à laquelle les frais de financement sont assujettis devraient demeurer confidentiels. Il est entendu que les frais de financement représentent 10 pour cent du produit résiduel de la réclamation, sous réserve d’un plafond variant de 5 à 45 millions de dollars. Dans la mesure où les membres des médias ou le grand public ont un intérêt dans la requête en l’espèce, il serait difficile pour eux de bien comprendre les questions soulevées sans connaître ces montants.

[77] Je m’arrête ici pour faire remarquer qu’au paragraphe 113 de la décision Difederico, précitée, j’ai souligné et accepté l’avis des amis de la cour selon lequel je devrais être guidé par l’approche qui a été adoptée dans d’autres affaires dans lesquelles les renseignements concernant les plafonds et les « multiplicateurs » n’ont pas été gardés confidentiels : voir, p. ex., Jensen, précitée, à la pièce A, au para 5.1; Bayens c Kinross Gold Corporation, 2013 ONSC 4974 au para 15; Loblaw, précitée, aux para 9‑10; Drynan, précitée, aux para 14, 109; Flying E, précitée, au para 25; Houle c St. Jude Medical Inc., 2018 ONSC 6352 au para 17; TDL, précitée, au para 24; et Schenk c Valeant Pharmaceuticals International Inc., 2015 ONSC 3215 au para 15.

[78] Compte tenu de tout ce qui précède, je fais droit à la demande de la demanderesse en vue de préserver la confidentialité du montant maximal de financement que Parabellum fournira pour les débours et les dépens ordonnés par la Cour aux termes de l’AFL. Je préserverai également la confidentialité du moment où les divers montants du plafond variable devront être payés, ainsi que les montants précis du plafond, sauf pour les montants figurant aux deux extrémités de la fourchette. Cependant, je ne crois pas qu’il convienne de préserver la confidentialité des frais de financement de 10 pour cent de Parabellum ou la fourchette du plafond.

VIII. Nomination des avocats

[79] Dans son avis de requête, la demanderesse a demandé que ses avocats, le cabinet Orr Taylor LLP, soient nommés comme avocats dans le recours collectif envisagé. Elle a également sollicité une ordonnance interdisant que toute autre procédure soit engagée devant la Cour relativement aux allégations visées par la présente instance sans l’autorisation de la Cour, sur avis aux avocats nommés dans le recours collectif.

[80] À mon sens, il convient de faire droit à ces demandes. Entre autres, dans la mesure où elles permettront d’éviter les procédures en double, coûteuses et potentiellement conflictuelles, ainsi que des retards potentiels dans la présente instance, ces demandes seraient dans l’intérêt supérieur des membres du groupe, des défenderesses et de l’économie judiciaire. Si un membre éventuel du groupe souhaite engager une procédure qui chevauche la présente instance, il demeure libre de demander l’autorisation de la Cour pour le faire. De même, les membres du groupe demeureront libres de se retirer de la présente instance dans le délai et de la manière précisés dans l’ordonnance autorisant l’instance comme recours collectif : article 334.21(1) des Règles. Faire droit à ces demandes serait également conforme à l’article 3 des Règles (apporter une solution au litige qui soit juste et la plus expéditive et économique possible) « en offrant aux membres du groupe qui demeurent dans des régions éloignées l’une de l’autre un forum commun et commode pour faire valoir leurs droits légitimes » : Heyder c Canada (Procureur général), 2018 CF 432 au para 12.

[81] J’ajouterai au passage que les avocats du groupe ont déclaré à la Cour qu’à leur connaissance, aucun recours connexe n’a été intenté au Canada à ce jour. Par conséquent, il n’y a actuellement aucun risque de préjudice pour les autres parties et avocats participant à des réclamations qui se chevauchent.

IX. Conclusion

[82] Pour les motifs qui précèdent, j’approuverai l’AFL modifié et je ferai droit à la demande de la demanderesse visant à préserver la confidentialité : (i) des montants maximaux de financement que Parabellum avancera dans le cadre de l’AFL pour couvrir les débours et les dépens adjugés par la Cour, et (ii) des montants précis du plafond, autres que les deux extrémités de la fourchette. Toutefois, je ne préserverai pas la confidentialité du pourcentage des frais de financement (10 pour cent du produit résiduel de la réclamation) ou de la fourchette du plafond.

ORDONNANCE dans le dossier T‑607‑20

LA COUR ORDONNE :

  1. L’accord de financement de litige modifié et reformulé [AFL], entré en vigueur le 20 octobre 2020 et envoyé à la Cour le 5 juillet 2021, entre Parabellum Partners II, LP [Parabellum], la représentante demanderesse Kathryn Eaton et ses avocats, le cabinet Orr Taylor LLP, est approuvé, sous réserve du paragraphe 5 ci‑dessous.

  2. Les modalités relatives aux montants de financement maximaux que Parabellum fournira dans le cadre de l’AFL seront caviardées de la version publique de l’AFL. Il est entendu que la fourchette du plafond appliqué aux frais de financement (qui varie de 5 000 000 $ à 45 000 000 $, selon le moment où le produit de la réclamation est reçu) ne doit pas être caviardée.

  3. Les avocats du cabinet Orr Taylor LLP sont nommés avocats du groupe dans la présente instance.

  4. Aucune autre procédure ne peut être engagée devant la Cour relativement aux allégations visées par la présente instance sans l’autorisation de la Cour sur avis à Orr Taylor LLP.

  5. L’approbation de l’AFL est assujettie aux conditions suivantes :

  • a) Parabellum doit remettre un engagement signé aux défenderesses sous la forme de l’engagement joint à la présente ordonnance en tant qu’annexe A;

  • b) La demanderesse et/ou Parabellum ne doivent pas céder l’AFL en tout ou en partie à une autre personne sans en avoir avisé au préalable les défenderesses et sans avoir obtenu l’approbation de la Cour, mais il est entendu qu’une telle approbation n’est pas requise dans le cas où Parabellum demeure partie et pleinement responsable de ses obligations découlant de l’AFL;

  • c) Parabellum est liée par l’engagement implicite de confidentialité imposé aux parties à l’instance à l’égard des documents, des renseignements ou des données non publics fournis par les défenderesses dans le cadre de l’instance [les renseignements des défenderesses];

  • d) Dans la mesure où les renseignements des défenderesses qui sont communiqués à Parabellum et/ou utilisés par Parabellum aux termes de l’AFL sont assujettis à une ordonnance de confidentialité et/ou une autre ordonnance préventive rendue par la Cour, Parabellum est liée par les modalités de cette ordonnance. Il est entendu que les renseignements des défenderesses produits ou divulgués par l’une des défenderesses à la demanderesse et désignés comme confidentiels par cette défenderesse au moment de la production ou de la divulgation ne doivent pas être communiqués à Parabellum à moins qu’une ordonnance de confidentialité et/ou une autre ordonnance préventive n’ait été rendue par la Cour;

  • e) Dans la mesure où Parabellum fournit les renseignements des défenderesses à Parabellum Capital LLC et/ou à leurs sociétés affiliées, assureurs, conseillers juridiques ou cessionnaires potentiels ou réels [les destinataires tiers], ces destinataires tiers doivent recevoir une copie de la présente ordonnance et être liés par l’engagement implicite de confidentialité et toute ordonnance de confidentialité et/ou autre ordonnance préventive rendue par la Cour;

  • f) En cas d’incompatibilité entre les modalités de l’AFL et celles de la présente ordonnance, de toute ordonnance de confidentialité et/ou de toute autre ordonnance préventive rendue par la Cour, les modalités de la présente ordonnance, de l’ordonnance de confidentialité et/ou de toute autre ordonnance préventive l’emportent;

  • g) Si la Cour approuve la résiliation de l’accord conformément à la partie 10 des conditions générales de l’AFL, Parabellum est tenue de payer tous les dépens ordonnés par la Cour (tels qu’ils sont définis dans l’AFL) impayés et accumulés jusqu’à la date de cette approbation, quelle que soit la date de l’adjudication.

  1. Les parties et/ou Parabellum doivent se conformer aux Règles des Cours fédérales en ce qui concerne la signification de documents relatifs à toute réparation demandée à l’égard de l’AFL, sous réserve des droits des parties et/ou de Parabellum de caviarder les renseignements dans les documents qui sont assujettis au secret professionnel ou à une ordonnance de confidentialité. Aucune requête ex parte relative à l’AFL ne peut être présentée à moins que la cour détermine qu’une requête ex parte est appropriée dans les circonstances.

 

« Paul S. Crampton »

 

Juge en chef

Traduction certifiée conforme

Mylène Boudreau

ANNEXE A

ENGAGEMENT

Les termes en majuscule utilisés dans le présent document qui ne sont pas définis auront le sens qui leur est attribué dans l’accord de financement de litige conclu le 20 octobre 2020 entre Parabellum Partners II, LP, Kathryn Eaton et Orr Taylor LLP (l’accord).

PARTIE

NOM

ADRESSE

À L’ATTENTION DE

COURRIEL

Parabellum Partners II, LP
810, Seventh Avenue, suite 1700, New York, NY 10019 Aaron Katz

Chef des investissements de Parabellum Capital LLC (gestionnaire des investissements de Parabellum Partners II, LP et représentant autorisé de PBLM General Partner II, LLC à titre de commandité de Parabellum Partners II, LP)
akatz@parabellumcap.com

DÉFINITIONS

COUR

La Cour fédérale du Canada ou tout autre tribunal au Canada ayant compétence sur l’instance.

DÉFENDERESSES

Individuellement ou collectivement, les entités désignées comme défenderesses dans la nouvelle déclaration modifiée déposée par la demanderesse dans la présente instance.

DEMANDERESSE

Kathryn Eaton

DÉPENS ORDONNÉS PAR LA COUR

Frais juridiques et débours (y compris les intérêts afférents) que la Cour ordonne à la demanderesse de payer à une ou plusieurs défenderesses, que cette ordonnance soit rendue avant ou après la date d’entrée en vigueur de toute résiliation de l’accord, jusqu’à concurrence de [le montant caviardé précisé à l’article 2.2 de l’accord] pour toutes les défenderesses, pourvu que les frais juridiques et les débours applicables aient été engagés par une ou plusieurs défenderesses après avoir reçu signification de la déclaration ou de la nouvelle déclaration modifiée, selon la première de ces éventualités, et avant la date d’entrée en vigueur de toute résiliation de l’accord.

INSTANCE

L’instance judiciaire relative aux réclamations, aux actions et/ou aux procédures dans l’affaire intitulée Kathryn Eaton c Teva Canada Limited et al, en instance devant la Cour fédérale du Canada, dossier no T‑607‑20, y compris les appels qui en découlent.

PAR LE PRÉSENT ENGAGEMENT, Parabellum Partners II, LP, dans l’intérêt de chaque défenderesse :

  • a) accepte de se conformer à toute adjudication de dépens prononcée par la Cour et d’y donner suite;

  • b) reconnaît que le présent engagement est régi par les lois de la province de l’Ontario et les lois fédérales du Canada qui s’y appliquent, étant entendu que les Règles des Cours fédérales continueront de régir l’instance et toute adjudication de dépens prononcée par la Cour;

  • c) reconnaît la compétence de la Cour relativement aux obligations que lui imposent l’accord, l’ordonnance d’approbation de financement du litige et/ou le présent engagement, y compris, sans s’y limiter, à ses obligations relatives à toute adjudication de dépens prononcée par la Cour contre la demanderesse et/ou Parabellum Partners II, LP, y compris l’exécution par les défenderesses d’une telle adjudication, et à ses obligations découlant de toute ordonnance de confidentialité et/ou préventive;

  • d) dans l’éventualité où la demanderesse ne paie pas les dépens imposés par la Cour dans les vingt‑huit (28) jours suivant l’échéance, et qu’aucun appel ni aucune requête n’est en instance relativement à l’adjudication de ces dépens, par les présentes :

    • (i) consent à toute demande présentée par l’une ou l’autre des défenderesses dans le cadre de l’instance en vue d’obtenir une ordonnance enjoignant à Parabellum Partners II, LP de payer les dépens ordonnés par la Cour, et convient que le présent engagement constitue une preuve valable et suffisante de ce consentement;

    • (ii) convient de verser aux défenderesses le montant définitif et quantifié des dépens imposés par la Cour, de sorte que les défenderesses puissent faire exécuter le paiement de cette somme à titre de dette payable par Parabellum Partners II, LP aux défenderesses;

  • e) convient :

(i) d’informer les défenderesses par écrit de toute résiliation de l’accord dans les 10 jours suivant l’entrée en vigueur de cette résiliation;

de se conformer aux Règles des Cours fédérales en ce qui concerne la signification de documents relatifs à toute réparation demandée à l’égard de l’accord, sous réserve de tout droit de caviarder des renseignements dans les documents qui sont assujettis au secret professionnel ou à une ordonnance de confidentialité. Aucune requête ex parte relative à l’accord ne peut être présentée à moins que la Cour ne détermine qu’une requête ex parte est appropriée dans les circonstances;

  • (ii) de demeurer responsable, à la résiliation de l’accord, de tous les dépens imposés par la Cour et accumulés jusqu’à la date de l’ordonnance de la Cour approuvant cette résiliation, quelle que soit la date à laquelle les dépens sont adjugés;

(Aux fins du sous‑alinéa e)(i), Parabellum Partners II, LP s’acquittera de ses obligations en remettant par courriel l’avis exigé à l’avocat des défenderesses dans le cadre de l’instance, aux adresses électroniques figurant à l’annexe A);

  • f) accepte de ne pas révoquer le présent engagement ou de ne pas s’y désister avant de s’acquitter de toute obligation de payer les dépens ordonnés par la Cour en faveur des défenderesses;

  • g) accepte d’être liée par l’engagement implicite de confidentialité applicable aux parties à l’instance à l’égard des documents, renseignements ou données non publics fournis par les défenderesses dans le cadre de l’instance (les renseignements des défenderesses);

  • h) accepte, nonobstant toute disposition de l’accord, de préserver la confidentialité des renseignements des défenderesses qui sont assujettis à une ordonnance de confidentialité et/ou une autre ordonnance préventive rendue par la Cour et qui lui sont communiqués ou qu’elle utilise conformément à l’accord;

  • i) accepte d’être liée par toute ordonnance de confidentialité et/ou ordonnance préventive rendue par la Cour;

  • j) dans la mesure où elle communique les renseignements fournis par les défenderesses à Parabellum Capital LLC et à ses sociétés affiliées, assureurs, conseillers juridiques ou cessionnaires actuels ou éventuels (les destinataires tiers), accepte que ces destinataires tiers reçoivent une copie de l’ordonnance approuvant l’accord et soient liés par l’engagement implicite de confidentialité et toute ordonnance de confidentialité et/ou ordonnance préventive rendue par la Cour;

  • k) convient qu’en cas d’incompatibilité entre les modalités de l’accord et celles de l’ordonnance approuvant l’accord, de toute ordonnance de confidentialité et/ou de toute autre ordonnance préventive rendue par la Cour, les modalités de l’ordonnance d’approbation de l’accord, de l’ordonnance de confidentialité et/ou de toute autre ordonnance préventive l’emportent;

  • l) reconnaît avoir reçu une contrepartie de valeur pour le présent engagement.

[ Signature à suivre ]

FAIT ce jour de 2021

Signé comme engagement

 

 

PARABELLUM PARTNERS II, LP, par son commandité, PBLM GENERAL PARTNER II, LLC

PAR :

 

[]

[]

Nom : Aaron Katz

Titre : Directeur des investissements,

Parabellum Capital LLC

(Gestionnaire des investissements de Parabellum Partners II, LP et représentant autorisé de PBLM General Partner II, LLC à titre de commandité de Parabellum Partners II, LP)



COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :

T‑607‑20

 

INTITULÉ :

KATHRYN EATON c TEVA CANADA LIMITED ET AL

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 26 MAI 2021 ET LE 28 JUIN 2021

 

ORDONNANCE ET MOTIFS PUBLICS :

LE JUGE EN CHEF CRAMPTON

 

DATE DES MOTIFS :

LE 20 SEPTEMBRE 2021

COMPARUTIONS :

Kyle R. Taylor

Annie (Qurrat‑ul‑ain) Tayyab

 

POUR LA DEMANDERESSE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Orr Taylor LLP

Toronto (Ontario)

 

POUR LA DEMANDERESSE

 



[1] Un recouvrement de 450 millions de dollars représenterait environ 16,4 pour cent des 2,75 milliards de dollars réclamés dans le cadre de la présente instance.

[2] Les avocats du groupe ont également participé à cette affaire.

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