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Dossier : IMM‑5756‑20

Référence : 2021 CF 957

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 16 septembre 2021

En présence de monsieur le juge Brown

ENTRE :

MILLICENT MHLANGA

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Nature de l’affaire

[1] La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire visant la décision rendue par un agent du Haut‑Commissariat du Canada situé dans le quartier Hatfield, à Pretoria, le 22 octobre 2020 [la décision]. L’agent a rejeté la demande de permis d’études de la demanderesse et a conclu que celle‑ci était interdite de territoire au Canada pour avoir directement ou indirectement fait une présentation erronée sur des faits importants, ou une réticence sur ces faits, en application de l’alinéa 40(1)a) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la LIPR].

II. Faits

[2] La demanderesse est une citoyenne de l’Afrique du Sud. Elle a présenté une demande de permis d’études après avoir été admise au programme de préposé aux services de soutien à la personne axé sur les soins actifs du Collège communautaire du Nouveau‑Brunswick.

[3] Le 21 août 2019, l’agent a transmis une lettre relative à l’équité procédurale à la demanderesse pour l’informer qu’il se doutait qu’elle avait fourni des renseignements frauduleux au sujet de ses relevés bancaires. En réponse à cette lettre, la demanderesse a fourni les mêmes documents bancaires, ainsi que des renseignements supplémentaires et des marques d’authentification.

[4] Le 9 mars 2020, l’agent lui a transmis une deuxième lettre relative à l’équité procédurale, concernant cette fois des renseignements incohérents qu’elle a fournis au sujet de son union de fait. Dans sa demande de permis d’études, la demanderesse a affirmé qu’elle avait commencé à vivre en union de fait en juillet 2015. Cependant, dans une demande de visa de résident temporaire présentée auparavant, soit en avril 2017, elle a affirmé qu’elle était célibataire.

[5] Le 11 mars 2020, la demanderesse a transmis sa réponse à la deuxième lettre relative à l’équité procédurale. Elle a confirmé qu’elle vivait en union de fait depuis 2015, mais qu’en 2017, son conjoint de fait et elle avaient décidé de prendre une « pause » en ce qui a trait à leur relation. La demanderesse et son conjoint de fait se sont réconciliés en 2018.

III. Décision faisant l’objet du contrôle

[6] Le 22 octobre 2020, l’agent a rejeté la demande de permis d’études de la demanderesse au motif qu’elle était interdite de territoire au Canada pour avoir fait de fausses déclarations en application de l’alinéa 40(1)a) de la LIPR. Le seul motif cité concernait les documents bancaires.

[7] Selon l’alinéa 40(1)a) de la LIPR, un résident permanent est interdit de territoire s’il fait, directement ou indirectement, une présentation erronée sur un fait important, ou une réticence sur ce fait :

Fausses déclarations

Misrepresentation

40 (1) Emportent interdiction de territoire pour fausses déclarations les faits suivants :

40 (1) A permanent resident or a foreign national is inadmissible for misrepresentation

a) directement ou indirectement, faire une présentation erronée sur un fait important quant à un objet pertinent, ou une réticence sur ce fait, ce qui entraîne ou risque d’entraîner une erreur dans l’application de la présente loi;

(a) for directly or indirectly misrepresenting or withholding material facts relating to a relevant matter that induces or could induce an error in the administration of this Act;

[8] L’agent a conclu que la demanderesse avait fourni des documents frauduleux au sujet de ses finances, des ressources à sa disposition pour sa visite au Canada et de son degré d’établissement en Afrique du Sud. Un agent a vérifié les relevés bancaires de la demanderesse avec des employés de la banque en question, qui ont indiqué que le nom de la demanderesse était associé à un numéro de vérification, mais que le numéro de compte inscrit sur le document imprimé fourni par la demanderesse était différent et que le solde à une certaine date ne correspondait pas à celui figurant dans les dossiers bancaires.

[9] En ce qui a trait à la réponse de la demanderesse à la lettre relative à l’équité procédurale concernant les documents bancaires, l’agent a souligné que la demanderesse n’avait pas dissipé ses doutes au sujet de l’authenticité des relevés bancaires, car elle avait fourni les mêmes documents bancaires, ainsi que des renseignements supplémentaires et des marques d’authentification. Les documents fournis n’expliquaient pas pourquoi le numéro de compte inscrit sur le document imprimé était différent, ni pourquoi le solde à une certaine date ne correspondait pas à celui figurant dans les dossiers bancaires. Bien que l’agent ait tenté de vérifier les documents une deuxième fois, cette vérification s’est avérée peu concluante.

[10] Par conséquent, selon les documents fournis par la demanderesse et les résultats de la vérification effectuée par la banque Absa, l’agent qui a rendu la décision a conclu que la demanderesse avait fait de fausses déclarations sur ses finances :

[traduction]

Après avoir examiné les documents fournis et la réponse obtenue de la part d’employés d’Absa lors de la vérification initiale des relevés bancaires, je suis convaincu que la demanderesse principale a fourni des documents frauduleux et a fait de fausses déclarations sur ses finances, les ressources à sa disposition pour sa visite au Canada et son degré d’établissement dans son pays de résidence. Ces fausses déclarations auraient pu entraîner une erreur dans l’application de la Loi. Par conséquent, je rejette la présente demande aux termes de l’article 40.

IV. Questions en litige

[11] Les questions en litige sont les suivantes :

V. Norme de contrôle

A. Principe d’équité procédurale

[12] Pour ce qui est de la première question en litige, les questions d’équité procédurale sont examinées selon la norme de la décision correcte (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, le juge Binnie, au para 43). Cela dit, je souligne que, dans l’arrêt Bergeron c Canada (Procureur général), 2015 CAF 160, le juge Stratas affirme au nom de la Cour d’appel fédérale, au paragraphe 69, qu’il peut être opportun de procéder à un contrôle selon la norme de la décision correcte « en se montrant “respectueux [des] choix [du décideur]” et en faisant preuve d’un “degré de retenue” : Ré: Sonne c Conseil du secteur du conditionnement physique du Canada, 2014 CAF 48, 455 N.R. 87, au paragraphe 42 ». Voir cependant l’arrêt Chemin de fer Canadien Pacifique Limitée c Canada (Procureur général), 2018 CAF 69 [le juge Rennie]. À cet égard, je souligne que la Cour d’appel fédérale a conclu dans un arrêt récent que le contrôle judiciaire des questions d’équité procédurale est effectué selon la norme de la décision correcte : voir Association canadienne des avocats en droit des réfugiés c Canada (Immigration, Réfugiés et Citoyenneté), 2020 CAF 196, motifs du juge de Montigny [les juges Near et LeBlanc y ont souscrit] :

[35] Ni l’arrêt Vavilov ni, à ce sujet, l’arrêt Dunsmuir c. Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190, n’ont abordé la question de la norme applicable pour déterminer si le décideur a respecté l’obligation d’équité procédurale. Dans ces circonstances, je préfère m’en remettre à l’abondante jurisprudence, de la Cour suprême et de notre Cour, selon laquelle la norme de contrôle concernant l’équité procédurale demeure celle de la décision correcte.

[13] Je souligne également, selon les principes énoncés par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov], au paragraphe 23, que la norme applicable aux questions d’équité procédurale est celle de la décision correcte :

[23] Lorsqu’une cour examine une décision administrative sur le fond (c.‑à‑d. le contrôle judiciaire d’une mesure administrative qui ne comporte pas d’examen d’un manquement à la justice naturelle ou à l’obligation d’équité procédurale), la norme de contrôle qu’elle applique doit refléter l’intention du législateur sur le rôle de la cour de révision, sauf dans les cas où la primauté du droit empêche de donner effet à cette intention. L’analyse a donc comme point de départ une présomption selon laquelle le législateur a voulu que la norme de contrôle applicable soit celle de la décision raisonnable.

[Non souligné dans l’original.]

[14] Dans l’arrêt Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 50, la Cour suprême du Canada explique ce que doit faire une cour de révision lorsqu’elle examine une décision selon la norme de la décision correcte :

[50] […] La cour de révision qui applique la norme de la décision correcte n’acquiesce pas au raisonnement du décideur; elle entreprend plutôt sa propre analyse au terme de laquelle elle décide si elle est d’accord ou non avec la conclusion du décideur. En cas de désaccord, elle substitue sa propre conclusion et rend la décision qui s’impose. La cour de révision doit se demander dès le départ si la décision du tribunal administratif était la bonne.

B. Caractère raisonnable

[15] La norme de contrôle qui s’applique pour établir si un agent d’immigration a commis une erreur susceptible de contrôle en concluant qu’un demandeur avait fait une fausse déclaration aux termes de l’alinéa 40(1)a) de la LIPR est la raisonnabilité : Sidhu c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2014 CF 176 [le juge Shore], au para 16.

[16] En ce qui concerne le caractère raisonnable, dans l’arrêt Société canadienne des postes c Syndicat des travailleurs et travailleuses des postes, 2019 CSC 67, motifs majoritaires du juge Rowe, que la Cour suprême du Canada a rendu en même temps que l’arrêt Vavilov, les juges majoritaires font état des éléments essentiels d’une décision raisonnable et, point pertinent au regard de l’espèce, de ce à quoi l’on doit s’attendre d’une cour de révision procédant au contrôle d’une décision selon la norme de la décision raisonnable :

[31] La décision raisonnable « doit être fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle et est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti » (Vavilov, par. 85). Par conséquent, lorsqu’elle procède au contrôle d’une décision selon la norme de la décision raisonnable, « une cour de révision doit d’abord examiner les motifs donnés avec “une attention respectueuse”, et chercher à comprendre le fil du raisonnement suivi par le décideur pour en arriver à [l]a conclusion » (Vavilov, par. 84, citant Dunsmuir, par. 48). Les motifs devraient être interprétés de façon globale et contextuelle afin de comprendre « le fondement sur lequel repose la décision » (Vavilov, par. 97, citant Newfoundland Nurses).

[32] La cour de révision devrait se demander si la décision dans son ensemble est raisonnable : « ce qui est raisonnable dans un cas donné dépend toujours des contraintes juridiques et factuelles propres au contexte de la décision particulière sous examen » (Vavilov, par. 90). Elle doit se demander « si la décision possède les caractéristiques d’une décision raisonnable, soit la justification, la transparence et l’intelligibilité, et si la décision est justifiée au regard des contraintes factuelles et juridiques pertinentes qui ont une incidence sur celle‑ci » (Vavilov, par. 99, citant Dunsmuir, par. 47 et 74, et Catalyst Paper Corp. c. North Cowichan (District), 2012 CSC 2, [2012] 1 R.C.S. 5, par. 13).

[33] Lors d’un contrôle selon la norme de la décision raisonnable, « [i]l incombe à la partie qui conteste la décision d’en démontrer le caractère déraisonnable » (Vavilov, par. 100). La partie qui conteste la décision doit convaincre la cour de justice que « la lacune ou la déficience [invoquée] [. . .] est suffisamment capitale ou importante pour rendre [la décision] déraisonnable » (Vavilov, par. 100).

[Non souligné dans l’original.]

[17] Comme l’a déclaré la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Vavilov, la cour de révision doit être convaincue que le raisonnement du décideur « se tient » :

[104] De même, la logique interne d’une décision peut également être remise en question lorsque les motifs sont entachés d’erreurs manifestes sur le plan rationnel – comme lorsque le décideur a suivi un raisonnement tautologique ou a recouru à de faux dilemmes, à des généralisations non fondées ou à une prémisse absurde. Il ne s’agit pas d’inviter la cour de révision à assujettir les décideurs administratifs à des contraintes formalistes ou aux normes auxquelles sont astreints des logiciens érudits. Toutefois, la cour de révision doit être convaincue que le raisonnement du décideur « se tient ».

[105] En plus de la nécessité qu’elle soit fondée sur un raisonnement intrinsèquement cohérent, une décision raisonnable doit être justifiée au regard de l’ensemble du droit et des faits pertinents : Dunsmuir, par. 47; Catalyst, par. 13; Nor‑Man Regional Health Authority, par. 6. Les éléments du contexte juridique et factuel d’une décision constituent des contraintes qui ont une influence sur le décideur dans l’exercice des pouvoirs qui lui sont délégués.

[Non souligné dans l’original.]

[18] Au paragraphe 86 de l’arrêt Vavilov, la Cour suprême du Canada affirme qu’« il ne suffit pas que la décision soit justifiable. Dans les cas où des motifs s’imposent, le décideur doit également, au moyen de ceux‑ci, justifier sa décision auprès des personnes auxquelles elle s’applique », et donne la directive selon laquelle la cour de révision décide au vu du dossier dont elle était saisie :

[126] Cela dit, une décision raisonnable en est une qui se justifie au regard des faits : Dunsmuir, par. 47. Le décideur doit prendre en considération la preuve versée au dossier et la trame factuelle générale qui ont une incidence sur sa décision et celle‑ci doit être raisonnable au regard de ces éléments : voir Southam, par. 56. Le caractère raisonnable d’une décision peut être compromis si le décideur s’est fondamentalement mépris sur la preuve qui lui a été soumise ou n’en a pas tenu compte. Dans l’arrêt Baker, par exemple, le décideur s’était fondé sur des stéréotypes dénués de pertinence et n’avait pas pris en compte une preuve pertinente, ce qui a mené à la conclusion qu’il existait une crainte raisonnable de partialité : par. 48. En outre, la démarche adoptée par le décideur permettait également de conclure au caractère déraisonnable de sa décision, car il avait démontré que ses conclusions ne reposaient pas sur la preuve dont il disposait en réalité : par. 48.

[Non souligné dans l’original.]

[19] En outre, dans l’arrêt Vavilov, il est clairement établi qu’à moins de « circonstances exceptionnelles », le rôle de la Cour n’est pas d’apprécier de nouveau la preuve :

[125] Il est acquis que le décideur administratif peut apprécier et évaluer la preuve qui lui est soumise et qu’à moins de circonstances exceptionnelles, les cours de révision ne modifient pas ses conclusions de fait. Les cours de révision doivent également s’abstenir « d’apprécier à nouveau la preuve examinée par le décideur » : CCDP, par. 55; voir également Khosa, par. 64; Dr Q, par. 41‑42. D’ailleurs, bon nombre des mêmes raisons qui justifient la déférence d’une cour d’appel à l’égard des conclusions de fait tirées par une juridiction inférieure, dont la nécessité d’assurer l’efficacité judiciaire, l’importance de préserver la certitude et la confiance du public et la position avantageuse qu’occupe le décideur de première instance, s’appliquent également dans le contexte du contrôle judiciaire : voir Housen, par. 15‑18; Dr Q, par. 38; Dunsmuir, par. 53.

[Non souligné dans l’original.]

VI. Analyse

[20] La demanderesse fait valoir que l’agent a manqué à l’équité procédurale et que sa décision de rejeter la demande était déraisonnable.

A. Question préliminaire : Pour rendre sa décision, l’agent s’est‑il appuyé uniquement sur les relevés bancaires d’Absa ou a‑t‑il également tenu compte de la question de l’union de fait?

[21] La demanderesse soutient que pour rendre sa décision, l’agent s’est appuyé uniquement sur les relevés bancaires d’Absa. Elle reconnaît que l’agent a soulevé des doutes quant à son union de fait dans la recommandation qu’il a formulée à l’intention du gestionnaire du programme d’immigration; cependant, la décision définitive était axée uniquement sur les doutes concernant les relevés bancaires.

[22] Le défendeur n’est pas de cet avis et fait valoir que l’entrée du 5 mai 2019 porte sur les deux problématiques entourant l’union de fait de la demanderesse et ses relevés bancaires, qui revêtent une importance en ce qui a trait à sa demande de permis d’études. Aucune des parties n’a présenté d’autre observation.

[23] Je suis d’accord avec la demanderesse car, à mon humble avis, les motifs applicables sont ceux du 22 octobre 2020, soit ceux rendus par l’agent d’Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada qui s’est penché en dernier sur le dossier et qui est le plus haut placé.

B. L’agent a‑t‑il manqué aux règles d’équité procédurale?

[24] La demanderesse reconnaît que l’obligation d’équité dans le contexte d’une demande de visa se trouve à l’extrémité inférieure du registre : voir la décision Chiau c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2001] 2 CF 297 (CAF) [Chiau] [le juge Evans], au paragraphe 41, qui porte sur une demande de visa présentée par un demandeur en vue d’être admis au Canada comme résident permanent à titre de travailleur autonome. Cependant, la demanderesse soutient que, dans le contexte d’une fausse déclaration, l’importance d’avoir une véritable possibilité de faire respecter l’obligation d’équité procédurale est encore plus évidente compte tenu des conséquences possibles d’une conclusion de fausse déclaration, voir Toki c Canada (Immigration, Réfugiés et Citoyenneté), 2017 CF 606, au paragraphe 17 [le juge Diner].

[25] L’avocat de la demanderesse soutient que la lettre relative à l’équité procédurale concernant les dossiers bancaires [traduction] « soulevait simplement des doutes quant aux renseignements bancaires », et ajoute qu’en raison du fait qu’elle a [traduction] « présenté cette demande sans obtenir de conseils juridiques ou professionnels », elle est retournée à la banque pour obtenir des copies certifiées de ses renseignements bancaires pour sa réponse. Il fait valoir que cela était suffisant.

[26] Je ne suis pas d’accord. À mon humble avis, la lettre relative à l’équité procédurale jetait un doute sur l’authenticité générale des relevés bancaires. Après tout, sur les relevés bancaires soumis deux fois plutôt qu’une, le numéro de compte inscrit sur le document imprimé fourni par la demanderesse était différent et le solde à une certaine date ne correspondait pas à celui figurant dans les dossiers bancaires.

[27] Le défendeur soutient que la demande ne devrait pas avoir d’incidence, car elle a été préparée sans l’aide d’un professionnel. Il fait valoir à juste titre que la Cour a toujours conclu que ni l’ignorance de la loi ni le recours aux services de professionnels incompétents ne permettent à un demandeur de se soustraire à ses obligations et à sa responsabilité de s’assurer de respecter la loi. Pour des raisons évidentes, la Cour n’applique pas des normes qui varient en fonction de la personne sur laquelle s’appuie le demandeur pour déposer les documents.

[28] La demanderesse soutient que la lettre relative à l’équité procédurale du 21 août 2019 était insuffisante parce qu’elle ne l’a pas informée des [traduction] « préoccupations particulières » de l’agent. La demanderesse s’appuie sur la décision Penez c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 1001, au paragraphe 36, pour faire valoir l’objectif des lettres relatives à l’équité procédurale. Cependant, la décision Penez s’appuie sur les principes selon lesquels l’équité procédurale qui est fournie dans le contexte d’une demande de visa d’étudiant a été décrite comme étant « moins stricte », il incombe toujours aux demandeurs de fournir tous les renseignements nécessaires à l’appui de leur demande, et les agents n’ont aucune obligation légale d’aller chercher des explications ou de plus amples renseignements pour dissiper les doutes par l’entremise d’une lettre relative à l’équité procédurale. Voir la décision Penez, aux paragraphes 36 et 37 [le juge Gascon].

[29] La demanderesse ajoute qu’elle aurait dû obtenir des précisions sur les tentatives de l’agent visant à vérifier les relevés bancaires. Les notes versées dans le Système mondial de gestion des cas révèlent qu’un agent a téléphoné à la banque Absa à deux reprises pour vérifier les renseignements bancaires de la demanderesse. Le premier appel a été effectué avant la délivrance de la première lettre relative à l’équité procédurale, lequel a révélé que le numéro de compte était différent de celui que la demanderesse avait fourni, et que le solde ne concordait pas avec les documents se trouvant dans le dossier de la banque. Le deuxième appel a été effectué après la délivrance de la première lettre relative à l’équité procédurale, lequel a donné des résultats peu concluants.

[30] La demanderesse fait valoir qu’elle aurait dû se voir accorder une autre occasion de répondre aux enquêtes de l’agent, particulièrement compte tenu du fait que la deuxième enquête de l’agent a donné des résultats peu concluants. La demanderesse soutient que l’agent ne lui a pas expliqué de manière transparente comment il avait mené son enquête, et qu’il avait ainsi manqué à l’équité procédurale.

[31] Le défendeur fait valoir que les deux lettres relatives à l’équité procédurale étaient claires et je suis d’accord avec lui. L’authenticité générale des relevés bancaires a été mise en doute dans la première lettre relative à l’équité procédurale. La demanderesse n’a pas fourni de réponse adéquate, car elle a simplement renvoyé les mêmes documents, accompagnés de renseignements supplémentaires et de marques d’authentification. Le défendeur soutient, et je suis du même avis, que l’agent n’était pas tenu de chercher à obtenir d’autres renseignements de la part de la demanderesse ni de réaliser une entrevue, particulièrement si les renseignements devaient être fournis conformément aux exigences législatives encadrant le dépôt de la demande, voir Suri c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 86 [le juge Manson], au paragraphe 20 :

[20] Je suis d’accord. Il n’y a pas de manquement à l’équité procédurale si un demandeur a une possibilité raisonnable de réfuter ce qu’on lui reproche, en particulier s’il profite de cette possibilité (Liu c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 440, au par. 12). Dans la présente affaire, l’agent a informé la demanderesse qu’il avait été confirmé que le CPG était frauduleux. C’était le seul détail de la demande de permis d’études qui le préoccupait. La demanderesse a eu la possibilité d’y répondre et en a profité. Elle a présenté une réponse sous forme d’une lettre rédigée par son père expliquant que les documents relatifs au CPG lui avaient été remis par un agent de voyages. Cependant, la question de la nature frauduleuse du CPG n’a jamais été abordée.

[32] En outre, l’agent a fait part de ses doutes à la demanderesse et il n’était pas tenu d’être plus précis quant à l’origine de ses doutes, voir Kong c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 1183 [la juge Kane], aux paragraphes 26, 27 et 31 :

[26] En l’espèce, l’agent a informé la demanderesse de ses préoccupations, mentionnant [traduction] « [p]lus particulièrement, les relevés bancaires de la BOC (Banque de Chine) que vous avez présentés à l’appui de votre demande ne me semblent pas authentiques ». À mon sens, cela suffisait pour informer la demanderesse de la nature de ses préoccupations. La demanderesse a eu la possibilité d’y répondre, ce qu’elle a fait.

[27] L’agent n’était pas tenu d’être plus précis et de l’informer que c’était le code à 16 chiffres qui posait problème. L’affidavit de la demanderesse ainsi que sa réponse à la lettre relative à l’équité procédurale montrent qu’elle avait saisi la nature des préoccupations de l’agent. Elle affirme avoir corrigé l’information quant au code, au moins sur un relevé, puis avoir fourni une lettre, de la banque, ainsi que des captures d’écran.

[…]

[31] En l’espèce, les doutes entourant les relevés bancaires ont été mentionnés et la demanderesse a eu une possibilité raisonnable d’y répondre.

[33] Il est bien établi – par la Cour suprême du Canada – que les critères relatifs à l’équité procédurale sont tributaires du contexte particulier, voir Baker c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 RCS 817 [le juge L’Heureux‑Dubé], au paragraphe 21 :

21 L’existence de l’obligation d’équité, toutefois, ne détermine pas quelles exigences s’appliqueront dans des circonstances données. Comme je l’écrivais dans l’arrêt Knight c. Indian Head School Division No. 19, [1990] 1 R.C.S. 653, à la p. 682, « la notion d’équité procédurale est éminemment variable et son contenu est tributaire du contexte particulier de chaque cas ». Il faut tenir compte de toutes les circonstances pour décider de la nature de l’obligation d’équité procédurale : Knight, aux pp. 682 et 683; Cardinal, précité, à la p. 654; Assoc. des résidents du Vieux St‑Boniface Inc. c. Winnipeg (Ville), [1990] 3 R.C.S. 1170, le juge Sopinka.

[Non souligné dans l’original.]

[34] Bien qu’il puisse être nécessaire d’obtenir davantage de détails dans certains cas, dans d’autres, une lettre satisfaisante relative à l’équité procédurale nécessitera moins de détails sur les doutes de l’agent. On a porté à mon attention la décision Ntaisi v Canada (Minister of Citizenship and Immigration), 2018 CanLII 73079 (CF), dans laquelle le juge Barnes traite des [traduction« doutes précis » à énoncer dans une lettre relative à l’équité procédurale au sujet de l’auteur d’une demande de résidence temporaire. Je souligne que la décision Ntaisi est une « ordonnance motivée » sans référence neutre, c’est‑à‑dire qu’il s’agit d’une décision à laquelle on prévoit accorder une valeur de précédent moindre. On a aussi porté à mon attention la décision Kaur c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 809 [le juge Norris], mais là encore, le contexte était différent bien que l’affaire concernait une demande de visa de résident temporaire.

[35] Le défendeur soutient, et je suis du même avis, que la demanderesse n’a pas dissipé adéquatement les doutes de l’agent concernant les relevés bancaires malgré la lettre relative à l’équité procédurale. Je souligne également que la demanderesse a déposé un affidavit dans le cadre de la présente demande de contrôle judiciaire. Bien que cet affidavit dissipe les doutes quant à son union de fait, il ne fournit pas de meilleure explication sur les divergences entre les documents financiers, même si la demanderesse était parfaitement au courant des [traduction« doutes précis » de l’agent, dont elle a été informée par l’entremise du dossier certifié du tribunal complet.

[36] L’agent a clairement exprimé ses doutes quant à l’authenticité générale, et les documents transmis en réponse à ces doutes n’étaient pas concluants, car il s’agissait essentiellement des documents déjà transmis. Par conséquent, à mon humble avis, il n’y a pas eu de manquement à l’équité procédurale.

C. La décision de l’agent était‑elle raisonnable?

[37] La demanderesse fait valoir que l’agent a tiré une conclusion arbitraire de fausse déclaration aux termes de l’alinéa 40(1)a) de la LIPR. La demanderesse affirme qu’il faut donner une interprétation libérale et solide de l’article 40 et que l’exception étroite à une conclusion de fausse déclaration s’applique lorsqu’une personne croyait honnêtement et raisonnablement qu’elle ne faisait pas une présentation erronée sur un fait important, voir Goudarzi c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 425 [la juge Tremblay‑Lamer], au paragraphe 33 :

33 Je conclus que la décision rendue dans Osisanwo n’est d’aucune utilité pour les demandeurs en l’espèce. Cette décision était subordonnée à un ensemble fort inusité de faits et on ne peut l’invoquer à l’appui de la thèse générale selon laquelle une fausse déclaration exige dans tous les cas un élément de connaissance subjective. La règle générale est plutôt la suivante : une fausse déclaration peut être faite à l’insu du demandeur, ainsi que l’a fait remarquer le juge Russell dans la décision Jiang, précitée, au paragraphe 35 :

[35] En ce qui concerne l’interdiction de territoire pour fausses déclarations, la Cour a déjà donné une interprétation libérale et solide de l’article 40. Dans Khan, précitée, le juge O’Keefe a statué que le libellé de la Loi doit être respecté et qu’il faut donner de l’article 40 l’interprétation large que son libellé exige. Il a dit aussi que l’article 40 s’applique lorsque le demandeur adopte une fausse déclaration, mais la clarifie ensuite avant qu’une décision soit rendue. Dans Wang c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1059, la Cour a statué que l’article 40 s’applique à un demandeur lorsque la fausse déclaration a été faite par une autre partie à la demande et que le demandeur ignorait cette fausse déclaration. La Cour a affirmé qu’une lecture initiale de l’article 40 n’étayait pas cette interprétation, mais que la disposition devait être interprétée de cette façon pour éviter un résultat absurde.

Quelques décisions prévoient une exception étroite à cette règle, mais cette exception ne s’appliquera qu’aux circonstances véritablement exceptionnelles dans lesquelles le demandeur croyait honnêtement et raisonnablement qu’il ne faisait pas une présentation erronée sur un fait important.

[Souligné dans l’original.]

[38] Le paragraphe cité précise que cette exception étroite ne s’applique qu’aux « circonstances véritablement exceptionnelles ». La demanderesse affirme que cette exception étroite s’applique dans sa situation, car la lettre relative à l’équité procédurale du 21 août 2019 ne comprenait pas de détails explicites sur les doutes de l’agent au sujet de ses relevés bancaires, ce qui l’a empêchée de les dissiper adéquatement.

[39] Je ne suis pas d’accord. À mon humble avis, les circonstances de la demanderesse ne sont pas des circonstances véritablement exceptionnelles au sens de la décision Goudarzi. Selon moi, il s’agit d’une variante du même argument invoqué relativement à l’équité procédurale, dont je traite plus haut. La question en litige concernait l’authenticité générale des relevés bancaires fournis, et la demanderesse n’a pas traité de cette question. Je ne trouve rien de déraisonnable dans la conclusion de l’agent dans de telles circonstances.

[40] La demanderesse fait aussi valoir que le fait que l’agent se soit appuyé sur les résultats de l’enquête initiale, malgré les résultats peu concluants de la deuxième enquête, rendait théorique l’objectif de la lettre d’équité procédurale. Par conséquent, la demanderesse soutient que les motifs de la décision de l’agent étaient inintelligibles. Là encore, je ne partage pas cet avis. L’agent a clairement exprimé ses doutes quant à l’authenticité générale, et les documents transmis en réponse à ces doutes n’étaient pas concluants, car il s’agissait essentiellement des documents déjà transmis et, par conséquent, à mon humble avis, la décision est intelligible. En outre, il a toujours incombé à la demanderesse de fournir des éléments de preuve confirmant l’authenticité de ses relevés bancaires. Comme la demanderesse a simplement fourni de nouveau les mêmes relevés bancaires, accompagnés de renseignements supplémentaires et de timbres bancaires, l’agent avait raisonnablement le droit de conclure que ses doutes n’étaient pas dissipés.

[41] Dans la décision Khedri c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 1397 [le juge Noël], aux paragraphes 4, 10, 12 et 30, l’agent a jugé que les relevés bancaires du demandeur n’étaient pas authentiques. La Cour a jugé que l’agent avait conclu de façon raisonnable, selon l’ensemble de la preuve et la prépondérance des probabilités, que les relevés étaient frauduleux et portaient sur un fait important de la demande. Le défendeur soutient que conformément au raisonnement ressortant de la décision Khedri, la décision de l’agent appartenait aux issues raisonnables. Je partage cet avis.

[42] Comme je l’ai indiqué dans la décision Hehar c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 1054, aux paragraphes 35 et 36, une preuve claire et convaincante est requise pour tirer une conclusion de fausse déclaration. À mon avis, l’agent avait le loisir de tirer une telle conclusion en l’espèce et, par conséquent, la décision est justifiée, intelligible et transparente, comme l’exige l’arrêt Vavilov. Dans Hehar, la décision s’appuyait sur des faits, car la demanderesse a donné des réponses différentes de celles de son employeur à des questions simples et directes, ce qui a fait en sorte que la conclusion de fausse déclaration s’appuyait raisonnablement sur des faits. En l’espèce, la demanderesse a fourni des relevés bancaires qui ne correspondaient pas aux renseignements contenus dans le dossier de la banque en soi.

VII. Conclusion

[43] À mon humble avis, la demanderesse n’a pas prouvé qu’il y a eu manquement à l’équité procédurale ni que la décision de l’agent était déraisonnable. La demande de contrôle judiciaire sera donc rejetée.

VIII. Question à certifier

[44] Aucune des parties n’a proposé de question à certifier, et l’affaire n’en soulève aucune.


JUGEMENT dans le dossier IMM‑5756‑20

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est rejetée, qu’aucune question n’est certifiée et qu’aucuns dépens ne sont adjugés.

« Henry S. Brown »

Traduction certifiée conforme

Caroline Tardif



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