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Date : 20041117

Dossier : IMM-6461-03

Référence : 2004 CF 1607

ENTRE :

                                                    ASIF MOHAMMAD SHAHID

                                                                                                                                          demandeur

                                                                             et

                     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                           défendeur

                                                  MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LA JUGE SIMPSON


[1]                La Cour est saisie d'une demande de contrôle judiciaire d'une décision en date du 22 juillet 2003 (la décision) par laquelle la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la Commission) a rejeté la requête présentée par le demandeur en vue de faire rouvrir sa demande d'asile. La Commission avait auparavant prononcé le désistement de sa demande d'asile. La décision, qui se trouvait sur une lettre type, était ainsi libellée : [TRADUCTION] « Votre demande est rejetée. » Il ressort toutefois du dossier du Tribunal que la commissaire a jugé l'affaire le 15 juillet 2003 et que ses motifs portaient la mention [TRADUCTION] « aucun manquement aux principes de justice naturelle » (les motifs). Après avoir pris connaissance de la décision, le demandeur a réclamé de la Commission qu'elle motive sa décision, ce qu'elle a fait quelques mois plus tard.

[2]                Le demandeur soulève les questions suivantes :

a)    La décision devait-elle être motivée?

b)    Dans l'affirmative, la décision était-elle suffisamment motivée?

A)         LA DÉCISION DEVAIT-ELLE ÊTRE MOTIVÉE?

[3]                L'article 169 de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi), oblige la Commission à motiver ses décisions définitives. En voici le texte :


169.    Les dispositions qui suivent s'appliquent aux décisions, autres qu'interlocutoires, des sections :

169. In the case of a decision of a Division, other than an interlocutory decision:

a) elles prennent effet conformément aux règles;

(a) the decision takes effect in accordance with the rules;

b) elles sont motivées;

(b) reasons for the decision must be given;

c) elles sont rendues oralement ou par écrit, celles de la Section d'appel des réfugiés devant toutefois être rendues par écrit;

(c) the decision may be rendered orally or in writing, except a decision of the Refugee Appeal Division, which must be rendered in writing;

d) le rejet de la demande d'asile par la Section de la protection des réfugiés est motivé par écrit et les motifs sont transmis au demandeur et au ministre;

(d) if the Refugee Protection Division rejects a claim, written reasons must be provided to the claimant and the Minister;


e) les motifs écrits sont transmis à la personne en cause et au ministre sur demande faite dans les dix jours suivant la notification ou dans les cas prévus par les règles de la Commission;

(e) if the person who is the subject of proceedings before the Board or the Minister requests reasons for a decision within 10 days of notification of the decision, or in circumstances set out in the rules of the Board, the Division must provide written reasons; andf) les délais de contrôle judiciaire courent à compter du dernier en date des faits suivants : notification de la décision et transmission des motifs écrits.

(f) the period in which to apply for judicial review with respect to a decision of the Board is calculated from the giving of notice of the decision or from the sending of written reasons, whichever is later.


[4]                Ainsi, la question à laquelle il faut répondre est de savoir si le refus de rouvrir une demande d'asile dont le désistement a été prononcé constitue une décision définitive ou une décision interlocutoire. J'insiste sur le mot « décision » parce qu'on confond parfois « requête » et « décision » lorsqu'il s'agit de qualifier l'acte dont il s'agit. En l'espèce, c'est la nature de la décision qui est en cause.

Prétentions et moyens du défendeur

[5]                Le défendeur invoque les propos suivants qu'a tenus le juge Evans (maintenant juge à la Cour d'appel) dans le jugement Faghihi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2000] 1 C.F. 249 :

[28] Je suis disposé en l'instance à présumer qu'une requête demandant la réouverture d'une décision est une « matière interlocutoire » , puisque si elle était accueillie elle ne trancherait pas le litige. Elle ouvrirait simplement la voie à un réexamen de la revendication par la Section du statut de réfugié en vertu de l'article 69.1.

[6]                Cette décision a été confirmée par la Cour d'appel fédérale ((2001), 274 N.R. 358, 2001 C.A.F. 163). La Cour d'appel n'a cependant pas abordé la conclusion du juge Evans suivant laquelle une requête en réouverture est une matière interlocutoire.

[7]                Le défendeur signale par ailleurs que, plus tôt cette année, dans le jugement Ali c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2004 CF 1153, [2004] A.C.F. no 1394, le juge Mosley s'est penché sur la question de l'obligation pour la Commission de motiver sa décision de rejeter une demande de réouverture d'une demande d'asile. Le juge Mosley a expliqué, au paragraphe 19, qu'il ne voyait aucune raison d'écarter la décision rendue par le juge Evans dans l'affaire Faghihi, précitée. Voici, à cet égard, ce qu'il a fait observer :

Si le demandeur avait obtenu gain de cause, sa demande d'asile aurait été rouverte et elle aurait été examinée au fond. Le refus d'une telle demande ne fait que confirmer le statu quo, à savoir, le fait que le désistement de la demande d'asile avait été prononcé. C'est une décision interlocutoire et par conséquent, les prescriptions de l'article 169 de la LIPR ne sont pas applicables.

Analyse

[8]                À mon avis, la jurisprudence citée par le défendeur n'est d'aucune utilité parce qu'il est évident que le juge Evans et le juge Mosley traitaient de la nature d'une requête et non de celle d'une décision.


[9]                Dans l'affaire Reebok Canada c. Canada (Sous-ministre du Revenu national, Douanes et Accise), (1995), 179 N.R. 300, [1995] A.C.F. no 220, la Cour d'appel fédérale était appelée à résoudre la question de savoir si une décision était définitive ou interlocutoire. La décision en cause avait été rendue par un juge de la Section de première instance de la Cour fédérale qui avait accordé l'autorisation d'interjeter appel à la Cour d'appel d'une décision du Tribunal canadien du commerce extérieur. La Cour d'appel a estimé que la décision accordant l'autorisation de faire appel était une décision interlocutoire parce qu'elle ne statuait pas sur le fond du droit mais qu'elle permettait seulement à l'appelant de faire définir ses droits substantiels par la Cour d'appel.

[10]            Dans ce contexte, la question qui se pose est de savoir comment qualifier le refus de rouvrir une demande d'asile. Une des conséquences d'une telle décision est que les droits substantiels du demandeur d'asile ne seront jamais précisés et que l'affaire est classée. Pour ces motifs, je conclus que la décision négative rendue en réponse à une requête en réouverture constitue une décision définitive qui doit être motivée pour satisfaire aux exigences de l'alinéa 169b) de la Loi.

B)         LA DÉCISION EST-ELLE SUFFISAMMENT MOTIVÉE?

[11]            Saisie d'une requête en réouverture d'une demande d'asile, la Commission est tenue, aux termes du paragraphe 55(4) des Règles de la Section de la protection des réfugiés, DORS/2002-228 (les Règles de la SPR), d'examiner si la demande d'asile qui a fait l'objet d'une décision ou d'un désistement a donné lieu à un manquement à un principe de justice naturelle.

[12]            L'article 55 des Règles de la SPR dispose :


55. (1) Le demandeur d'asile ou le ministre peut demander à la Section de rouvrir toute demande d'asile qui a fait l'objet d'une décision ou d'un désistement.

55. (1) A claimant or the Minister may make an application to the Division to reopen a claim for refugee protection that has been decided or abandoned.


(2) La demande est faite selon la règle 44.

(2) The application must be made under rule 44.(3) Si la demande est faite par le demandeur d'asile, celui-ci y indique ses coordonnées et en transmet une copie au ministre.

(3) A claimant who makes an application must include the claimant's contact information in the application and provide a copy of the application to the Minister.

(4) La Section accueille la demande sur preuve du manquement à un principe de justice naturelle.

(4) The Division must allow the application if it is established that there was a failure to observe a principle of natural justice.


[13]            L'avocate du demandeur fait valoir que les principes de justice naturelle ne se limitent pas aux seules questions d'équité procédurale. Ils englobent selon elle des questions comme le défaut d'appliquer le bon critère de droit au cours d'une audience portant sur le désistement. En ce qui concerne la présente affaire, elle affirme que la demande d'asile du demandeur aurait dû être rouverte parce qu'au cours de l'audience sur le désistement (à laquelle le demandeur était présent et était représenté par un avocat), la Commission n'a pas tenu compte de la diligence avec laquelle le demandeur avait fait instruire sa demande d'asile. À mon avis, bien que la diligence constitue un facteur pertinent lors de l'audience sur le désistement, elle perd toute pertinence une fois que la Cour refuse d'autoriser l'introduction d'une demande de contrôle judiciaire de la décision portant sur le désistement.


[14]            On ne peut se servir d'une requête en réouverture pour débattre des questions soulevées au cours de l'audience sur le désistement qui faisaient régulièrement l'objet de la demande d'autorisation (en l'espèce, le présumé défaut de tenir compte de la diligence.) À mon avis, la seule question qui se pose dans le cas d'une requête en réouverture est celle de savoir si le requérant a été traité de façon équitable sur le plan procédural. À cet égard, la requête en réouverture du demandeur énumère onze moyens. De ce nombre, dix portent exclusivement sur la question de la diligence qui, comme je l'ai déjà dit, n'était plus pertinente. Seul le dernier moyen était censé porter sur la justice naturelle, bien qu'en fait, il reprenne le moyen tiré de la négligence en le formulant autrement. En voici le texte :

[TRADUCTION]

11.            Le défaut de la Commission d'accorder le poids qu'il convient aux actes, à la diligence et au comportement du demandeur équivaut à un manquement flagrant aux règles de justice naturelle.

[15]            La réponse à la question de savoir si les motifs sont suffisants et s'ils sont assez formels dépend des faits de chaque espèce. Dans le cas qui nous occupe, comme la coutume veut que l'on utilise une lettre type pour communiquer une décision, il semble raisonnable d'exiger que, dans les cas de rejet d'une requête en réouverture, la lettre renferme à la fois la décision et les motifs. Bien qu'ils puissent être brefs, les motifs devraient démontrer que l'on a tenu compte des préoccupations soulevées par l'intéressé au sujet de présumés manquements aux principes de justice naturelle.

[16]            Toutefois, en l'espèce, comme nous l'avons déjà précisé, aucun acte ayant entraîné un manquement aux principes de justice naturelle n'a en fait été allégué. Compte tenu de ces circonstances inusitées, les motifs qui ont finalement été communiqués au demandeur étaient suffisants.

QUESTION À CERTIFIER

[17]            Aucune question n'a été proposée en vue d'être certifiée.


DISPOSITIF

[18]            Pour les motifs qui ont été exposés, la présente demande de contrôle judiciaire sera rejetée.

                                                                          _ Sandra J. Simpson _                    

                                                                                                     Juge                                  

Ottawa (Ontario)

Le 17 novembre 2004

Traduction certifiée conforme

Jacques Deschênes, LL.B.


                                     COUR FÉDÉRALE

                      AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                             IMM-6461-03

INTITULÉ :                            ASIF MOHAMMAD SHAHID

c.

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

LIEU DE L'AUDIENCE :      TORONTO

DATE DE L'AUDIENCE :    LE 1er SEPTEMBRE 2004

MOTIFS DE L'ORDONNANCE :               MADAME LA JUGE SIMPSON

DATE DES MOTIFS :           LE 17 NOVEMBRE 2004

COMPARUTIONS :

Demandeur :                                                      KARINA THOMPSON

Défendeur :                                                        NEETA LOGSETTY

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

ROBERT BLANSHAY                                    POUR LE DEMANDEUR

TORONTO (ONTARIO)

MORRIS ROSENBERG                                  POUR LE DÉFENDEUR

SOUS-PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

TORONTO (ONTARIO)


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