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Date : 20210914


Dossier : T-1688-19

Référence : 2021 CF 946

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 14 septembre 2021

En présence de monsieur le juge Lafrenière

ENTRE :

NIJABAT CONTRACTING INC.

demanderesse

et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Aperçu

[1] La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire visant une décision, datée du 13 septembre 2019 [la décision], par laquelle un membre de la division d’appel du Tribunal de la sécurité sociale [la DA-TSS] a refusé la demande de la demanderesse. Cette demande avait pour objet la prorogation du délai imparti pour demander la permission d’en appeler d’une décision de la division générale du Tribunal de la sécurité sociale [la DG-TSS] rendue le 31 juillet 2018.

[2] J’ouvre ici une parenthèse pour signaler que la décision que conteste la demanderesse a été prise par la DA-TSS. Je ne vois pas de raison valable de désigner la Commission de l’assurance-emploi du Canada [la CAEC] comme défenderesse, notamment parce que le défendeur approprié, le procureur général du Canada, est déjà désigné à ce titre. Par conséquent, l’intitulé est modifié de façon à supprimer la CAEC comme défenderesse désignée, avec effet immédiat.

II. Le contexte factuel

[3] Le contexte est le suivant : en 2016, la CAEC a infligé une pénalité à la société demanderesse pour fausses déclarations en lien avec la production frauduleuse d’un relevé d’emploi pour une employée.

[4] La demanderesse a demandé à la Commission de réexaminer la décision et la pénalité au motif que l’employée en question avait travaillé pour la société et avait été rémunérée en argent comptant. La Commission a maintenu sa décision d’infliger une pénalité à la demanderesse du fait que cette dernière avait sciemment fourni de faux renseignements, mais en a réduit le montant, qui est passé de 16 888 $ à 15 277 $.

[5] La demanderesse a interjeté appel devant la DG-TSS de la décision rendue à l’issue du réexamen. La DG-TSS a conclu qu’une pénalité devait être infligée à la demanderesse en vertu du paragraphe 39(1) de la Loi sur l’assurance-emploi, LC 1996, c 23 du fait que celle-ci avait sciemment fait de fausses déclarations en lien avec le relevé d’emploi. La décision de la DG-TSS rendue le 31 juillet 2018, à laquelle était jointe une lettre d’accompagnement, a été envoyée à la demanderesse le 1er août 2018. Voici un extrait de la lettre :

[traduction]

Toute partie à l’appel qui souhaiterait en appeler de la décision de la division générale peut présenter à la division d’appel du Tribunal une demande de permission à cette fin dans les 30 jours suivant la communication de la décision.

[6] Un représentant de la demanderesse a communiqué avec la DA-TSS le 23 août 2018 pour obtenir un formulaire de demande de permission d’en appeler [le formulaire]. Le formulaire a été envoyé à l’adresse électronique de la demanderesse.

[7] Le 9 juillet 2019, un représentant de la demanderesse a demandé par téléphone des renseignements au sujet de l’appel d’une décision de la DG-TSS.

[8] Le 29 août 2019, le chef de la direction de la demanderesse, Furqan Khan, a présenté à la DA-TSS une demande de permission d’en appeler de la décision de la DG-TSS. À la partie 6 du formulaire, la demanderesse a expliqué de la façon suivante son retard à demander la permission d’en appeler :

[traduction]

J’ai trouvé le colis durant le grand ménage, le 31 juillet 2019. De mon point de vue, je présente ma demande d’appel moins de 30 jours après que je l’ai reçu.

III. La décision de la DA-TSS

[9] La DA-TSS a refusé la demande de prorogation du délai. Elle a souligné qu’un représentant de la demanderesse avait demandé par téléphone des renseignements au sujet de l’appel d’une décision de la DG-TSS le 9 juillet 2019, ce qui ne concordait pas avec la déclaration de la demanderesse selon laquelle le colis n’avait été découvert que le 31 juillet 2019. La DA-TSS a aussi souligné que la décision de la DG-TSS avait été communiquée à la demanderesse le 23 août 2018, ou avant cette date, et que la demanderesse avait présenté une demande de permission d’en appeler le 29 août 2019.

[10] La DA-TSS a conclu qu’elle n’avait d’autre choix que de refuser d’accorder à la demanderesse une prorogation du délai pour présenter une demande de permission d’en appeler suivant le paragraphe 57(2) de la Loi sur le ministère de l’Emploi et du Développement social, LC 2005, c 34 [la Loi sur le MEDS]. Cette disposition prévoit que la DA-TSS « peut proroger d’au plus un an le délai pour présenter la demande de permission d’en appeler » à compter de la date où l’appelant reçoit communication de la décision de la division générale.

[11] Le membre de la DA-TSS a conclu que la demande de permission avait été déposée plus d’un an après la date où la demanderesse avait reçu communication de la décision. Il a aussi conclu que la Loi sur le MEDS ne permettait pas l’exercice d’un pouvoir discrétionnaire à cet égard. La demande de prorogation du délai pour présenter une demande de permission d’en appeler a donc été refusée.

IV. La question en litige

[12] En l’espèce, la Cour est uniquement saisie de la question de savoir s’il était raisonnable de la part la division d’appel de ne pas accorder la prorogation du délai pour interjeter appel.

V. L’admissibilité de l’affidavit du demandeur

[13] À l’appui de sa demande de contrôle judiciaire, la demanderesse a déposé l’affidavit de M. Khan. Ce dernier a simplement joint à son affidavit quatre documents qui auraient été livrés en personne au défendeur et à Service Canada le 14 novembre 2019. Parmi ces documents, il y a une lettre signée par M. Khan, le chef de la direction de la demanderesse, datée du 29 septembre 2019 et adressée à la DA-TSS dans laquelle M. Khan explique qu’il souffre de pertes de mémoire à court terme causées par une blessure à la tête qu’il a subie en chutant sur une surface de béton en avril 2018. M. Khan ajoute qu’il se rappelle seulement avoir trouvé le colis le 31 juillet 2019. Sont aussi jointes à l’affidavit de M. Khan des notes médicales datées d’avril 2018 et provenant d’un médecin de l’hôpital municipal de Brampton au sujet d’une hémorragie sous-arachnoïdienne dont souffrait M. Khan. On y voit que ces notes ont été imprimées le 15 octobre 2019.

[14] La lettre de la demanderesse datée du 29 septembre 2019 est de beaucoup postérieure à la date de la décision. De plus, à l’audition de la demande, M. Khan (qui a été autorisé à agir pour le compte de la demanderesse) a reconnu que la DA-TSS ne disposait pas des notes médicales quand le membre de celle-ci a pris la décision.

[15] Dans le cadre d’une demande de contrôle judiciaire, il est bien établi en droit que seuls les éléments de preuve dont dispose le tribunal administratif peuvent être portés à l’attention de la Cour, sauf en de rares circonstances qui n’ont pas été établies en l’espèce. Il s’ensuit que la lettre de la demanderesse adressée à la DA-TSS et datée du 29 septembre 2019, de même que les notes médicales, qui contiennent des renseignements dont disposait la demanderesse avant de présenter une demande de permission d’en appeler le 29 août 2019, sont inadmissibles en preuve et ne peuvent être prises en compte par la Cour.

VI. Analyse

[16] Dans son examen de la conclusion de la DA-TSS selon laquelle la demande concernant l’appel a été présentée plus d’un an après la date où la décision avait été communiquée à la demanderesse, la Cour s’intéresse à la justification, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit. Je ne constate aucune erreur dans la conclusion de fait, qui est amplement étayée par les éléments de preuve non contredits dont disposait la DA-TSS.

[17] Je ne constate également aucune erreur dans la conclusion de la DA-TSS selon laquelle, compte tenu des faits de l’espèce, l’exercice d’un pouvoir discrétionnaire n’était pas permis. Le paragraphe 57(2) de la Loi sur le MEDS établit clairement que l’intention du législateur est d’interdire l’appel si la demande de permission est présentée plus d’un an après la date où l’appelant a reçu communication de la décision de la DG-TSS. Le juge Sébastien Grammond a confirmé, au paragraphe 7 de la décision Pellettieri c Canada (Procureur général), 2019 CF 1585, que [traduction] « [l]a Loi ne permet l’exercice d’aucun pouvoir discrétionnaire ». Cette conclusion satisfait même aux exigences de la norme de la décision correcte.

VII. Conclusion

[18] Pour les motifs qui précèdent, la demande est rejetée.

[19] Le défendeur demande qu’on lui accorde le montant de 500$ à titre de dépens. Je ne vois aucune raison de déroger à la règle générale selon laquelle les dépens suivent l’issue de la cause. Par conséquent, le défendeur a droit au montant qu’il réclame au titre des dépens.

 


JUGEMENT DANS LE DOSSIER T-1688-19

LA COUR STATUE que :

  1. La demande est rejetée.

  2. La demanderesse doit payer au défendeur les dépens de la demande, dont le montant est fixé par les présentes à 500 $, débours et taxes inclus.

  3. L’intitulé est modifié de façon à supprimer la Commission de l’assurance-emploi du Canada comme défenderesse désignée, avec effet immédiat.

« Roger R. Lafrenière »

Juge

Traduction certifiée conforme

M. Deslippes


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-1688-19

 

INTITULÉ :

NIJABAT CONTRACTING INC. c LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

PAR VIDÉOCONFÉRENCE

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 14 SEPTEMBRE 2021

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE LAFRENIÈRE

 

DATE DES MOTIFS :

LE 14 SEPTEMBRE 2021

COMPARUTIONS :

Furqan Khan

 

POUR LA DEMANDERESSE

(POUR LE COMPTE DE NIJABAT CONTRACTING INC.)

 

James Schneider

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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