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                                                           IMM-331-96

 

 

 

Ottawa (Ontario), le mardi 26 novembre 1996.

 

 

En présence de Monsieur le juge Gibson.

 

 

 

ENTRE :

 

 

                          TALAR MARGAROSYAN,

 

requérante,

 

 

                                  et

 

 

                   LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET

                          DE L'IMMIGRATION,

 

intimé.

 

 

                              ORDONNANCE

 

     La demande de contrôle judiciaire est accueillie. La décision de l'agent des visas en l'espèce est annulée et l'affaire est renvoyée à l'intimé pour qu'un agent des visas différent l'examine de nouveau et rende une nouvelle décision.

 

 

   FREDERICK E. GIBSON  

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme                                  

Louise Dumoulin-Clark


 

 

 

 

 

 

                                                           IMM-331-96

 

 

 

ENTRE :

 

 

                          TALAR MARGAROSYAN,

 

requérante,

 

 

                                  et

 

 

                   LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET

                          DE L'IMMIGRATION,

 

intimé.

 

 

                        MOTIFS DE L'ORDONNANCE

 

LE JUGE GIBSON

 

     Ces motifs font suite à une demande de contrôle judiciaire de la décision par laquelle un agent des visas a rejeté, le 13 décembre 1995, la demande de résidence permanente au Canada de la requérante.

 

     La requérante est citoyenne de la Turquie. Elle a demandé un visa lui permettant d'immigrer au Canada en application des lignes directrices applicables aux employés autonomes. Au coeur de ces lignes directrices se trouve la définition de l'expression «travailleur autonome» au paragraphe 2(1) du Règlement sur l'immigration de 1978[1], libellée comme suit :

 

2.(1) «travailleur autonome» s'entend d'un immigrant qui a l'intention et qui est en mesure d'établir ou d'acheter une entreprise au Canada, de façon à créer un emploi pour lui‑même et à contribuer de manière significative à la vie économique, culturelle ou artistique du Canada;

 

La requérante a reçu une sérieuse formation de danseuse de ballet classique. Au moment où elle a demandé à venir au Canada, elle enseignait le ballet à Istanboul (Turquie) au Conservatoire national de l'Université d'Istanboul, et elle était première danseuse du Groupe Cagdas Bale.

 

     Dans la lettre transmettant la décision contestée, l'agent des visas a écrit ce qui suit :

 

[TRADUCTION] À mon avis, vous ne respectez pas la définition [celle de l'expression «travailleur autonome»] parce que vous n'avez pas l'intention d'établir votre propre école ou compagnie de danse à votre arrivée au Canada. Vous avez clairement indiqué au cours de l'entrevue que votre intention, si vous allez au Canada, est tout d'abord de travailler dans des écoles ou des compagnies déjà établies et peut‑être, plus tard, de mettre sur pied votre propre entreprise. De plus, vous ne semblez pas posséder d'expérience en ce qui concerne la mise sur pied et l'administration d'une entreprise privée.

 

                                               [Non souligné dans l'original.]

 

L'agent des visas a ensuite considéré la demande de la requérante comme s'il s'agissait de celle d'une requérante indépendante. Il a déterminé que la demande actuelle au Canada dans la profession de la requérante, soit celle de professeur de ballet, était nulle. Il était par conséquent tenu de rejeter la demande de la requérante considérée en fonction de cette catégorie. Finalement, il a déterminé qu'il n'existait pas suffisamment de raisons d'ordre humanitaire pour justifier d'accorder à la demande une considération particulière.

 

     Dans son affidavit, la requérante a attesté ce qui suit :

 

. . .

 

7.[TRADUCTION] Je crois qu'à mon arrivée au Canada je pourrais enseigner le ballet dans plusieurs écoles différentes, la demande de professeurs de ballet classique compétents étant très élevée, comme en  attestent les lettres [jointes à son affidavit]. En enseignant dans plusieurs écoles, je serais en mesure de découvrir comment fonctionnent les écoles de ballet canadiennes et, de la sorte, acquérir les capacités et l'expérience nécessaires pour établir ma propre école. Je crois que mes compétences et mon expérience me permettraient d'ouvrir ma propre école et d'enseigner le ballet.

 

. . .

 

     Dans son affidavit, qui m'a été soumis, l'agent des visas a attesté en partie de ce qui suit :

 

. . .

 

4.[TRADUCTION] Au début de l'entrevue [l'entrevue que l'agent des visas a eue avec la requérante et son mari] la requérante a produit ses lettres de référence. Elle en avait plusieurs de la part d'écoles et de compagnies de danse de différents pays. Nous avons alors parlé de son éducation et de son expérience professionnelle. Il m'a semblé qu'elle était une danseuse et un professeur de ballet compétents et d'expérience. Elle enseignait au conservatoire, cependant, elle n'a jamais exploité sa propre école et elle n'avait aucune expérience dans la gestion d'une école de danse.

 

5.Lorsque j'ai demandé à la requérante si elle s'était renseignée sur la façon de s'y prendre pour ouvrir une école de danse au Canada, elle m'a dit ne pas l'avoir fait, mais elle m'a de nouveau montré des lettres du Canada dont les auteurs se disaient disposés à l'aider à trouver un emploi.

 

6.À ce point, comme je n'étais pas certain que la requérante comprenait, j'ai demandé à Tulay Nergiz, un employé engagé sur place, de servir d'interprète. De nouveau, nous avons répété la définition de la catégorie des employés autonomes. L'époux de la requérante a dit que l'expert-conseil leur avait conseillé de faire une demande en qualité de travailleurs autonomes. Il a déclaré en outre que, naturellement, comme tout le monde, ils aimeraient établir leur propre entreprise un jour, mais qu'ils devaient commencer par travailler pour d'autres afin de mettre de l'argent de côté. Conséquemment, j'ai demandé très clairement s'ils projetaient, dans l'éventualité où ils iraient au Canada, de chercher du travail pour la requérante auprès de compagnies ou d'écoles de danse. La requérante et son époux ont répondu par l'affirmative.

 

. . .

 

     Dans l'affaire Ho v. Canada (Minister of Employment and Immigration)[2], qui a plusieurs points en commun avec l'espèce, le juge en chef adjoint Jerome a écrit :

 

      Il importe de ne pas oublier que l'objectif du Parlement en adoptant la Loi sur l'immigration était de préciser à l'intention des Canadiens et des ressortissants étrangers la politique canadienne d'immigration. Il est indispensable que cette politique s'assortisse d'une réglementation complexe, dont bon nombre de dispositions sont apparemment de nature restrictive, mais il y a lieu de toujours interpréter cette politique d'une manière positive. La loi vise à permettre l'immigration et non pas à l'empêcher, et il incombe en conséquence aux agents d'immigration de procéder à une appréciation approfondie et équitable, en conformité avec la lettre et l'esprit de la législation.

 

     Le juge en chef adjoint Jerome a répété le paragraphe précité dans l'affaire Yang v. Canada (Minister of Employment and Immigration)[3], qu'il a jugée le même jour que l'affaire Ho, et qui comportait des faits semblables à ceux qui sont en cause en l'espèce.

 

     Dans le paragraphe précité, qui est tiré de la décision de l'agent des visas, j'ai souligné les mots [TRADUCTION] «... à votre arrivée au Canada». Il est à noter que ces mots ne figurent pas dans la définition de l'expression «travailleur autonome» aussi citée plus tôt dans ces motifs. Si le gouverneur en conseil avait entendu que les mots soulignés soient sous‑entendus dans la définition de «travailleur autonome», il aurait été facile de les y insérer. Comme le gouverneur en conseil ne l'a pas fait, et vu «... qu'il incombe en conséquence aux agents d'immigration de procéder à une appréciation approfondie et équitable, en conformité avec la lettre et l'esprit de la [Loi sur l'immigration]», comme l'a dit le juge en chef adjoint Jerome, je conclus qu'il n'était tout simplement pas possible d'imaginer les mots en question selon les faits de l'espèce. Pourvu que l'intention de la requérante ait été sincère, je conclus qu'il n'était pas nécessaire que son intention d'établir une entreprise au Canada soit mise à exécution immédiatement à son arrivée au Canada ou au cours d'une période déterminée après son arrivée. L'agent des visas n'a pas contesté la sincérité de l'intention de la requérante. Conséquemment, je conclus, à la lecture de sa décision, que l'agent des visas a commis une erreur de droit.

 

     La citation précitée révèle deux motifs subsidiaires de la décision de l'agent des visas. Celui‑ci insinue que l'intention de la requérante est théorique lorsqu'il écrit [TRADUCTION] «... et peut‑être, plus tard, de mettre sur pied votre propre entreprise». Je ne trouve rien dans la documentation dont disposait l'agent des visas qui étaye la conclusion que l'intention de la requérante était théorique. Bien que le moment où serait mise à exécution son intention d'établir sa propre entreprise restait indéterminé, les documents dont disposait l'agent des visas, et moi aussi par conséquent, me convainquent que l'intention de la requérante était ferme.

 

     Finalement, l'agent des visas s'est montré préoccupé que la requérante [TRADUCTION] «... ne semble[...] pas posséder d'expérience en ce qui concerne la mise sur pied et l'administration d'une entreprise privée.» Dans l'arrêt Grube c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration)[4], M. le juge MacKay traitait de la demande de contrôle judiciaire de la décision de l'agent des visas qui avait trait à une personne souhaitant venir au Canada en qualité d'entraîneur/chorégraphe autonome d'une troupe de ballet. Il a écrit ce qui suit :

 

      À mon avis, dans le cas dont je suis saisi, l'agent des visas a mis trop d'accent sur le manque d'expérience professionnelle à titre de travailleur autonome quand il a examiné la demande de Mme Grube . . . Cette expérience peut très bien être un facteur qui doit être positif quand il s'agit de déterminer s'il est possible qu'un requérant s'établisse avec succès en tant que travailleur autonome au Canada, mais ce n'est pas le seul critère dont il faut tenir compte, et celui‑ci doit être évalué à la lumière de l'occupation que l'immigrant entend exercer au Canada. Dans certains cas, ce critère aura plus d'importance que dans d'autres.

 

      Dans les circonstances de l'espèce, l'agent des visas a indiqué . . . qu'il ne considérerait pas favorablement [la] demande[s] de résidence permanente de Mme Grube . . . à moins que soient produits des documents ayant trait à d'anciens comptes commerciaux et à une expérience en tant que travailleur autonome. À mon avis, ces affirmations indiquent que l'agent des visas a mis trop d'accent sur l'expérience. En fait, le manque d'expérience a été le critère décisif . . ., étant donné que l'agent des visas a indiqué que [la] demande[s] [de Mme Grube] ne pourrai[en]t être accueillie[s] qu'en présence de ces éléments de preuve. Comme dans la décision Ho, cette importance excessive accordée à l'expérience a fait en sorte qu'il est devenu pratiquement impossible pour [la] requérant[e] de faire accepter [sa] demande[s].

 

Je suis convaincu que l'on peut dire la même chose d'après les faits propres à l'espèce. Les compétences et l'expérience de la requérante comme danseuse et professeur de ballet classique n'étaient pas contestées. Elle a produit des preuves devant l'agent des visas émanant de sources canadiennes selon lesquelles il existait [TRADUCTION] «un besoin constant de personnes possédant une formation telle que [la sienne]» et qu'il y a au Canada [TRADUCTION] «... de nombreuses possibilités pour des enseignants professionnels qui ont son niveau d'expertise.» Je suis disposé à croire que le niveau d'expérience en affaires requis pour exploiter une école de ballet au Canada pourrait être acquis beaucoup plus facilement grâce à l'observation ou au travail avec d'autres personnes que ne le seraient les capacités artistiques et pédagogiques que possède la requérante.

 

     Pour les motifs susmentionnés, je suis persuadé que l'agent des visas a commis une erreur donnant lieu à contrôle judiciaire en rejetant la demande de la requérante en qualité de travailleuse autonome. Conséquemment, cette demande de contrôle judiciaire sera accueillie, la décision de l'agent des visas sera annulée et l'affaire sera renvoyée à l'intimé pour qu'un agent des visas différent l'examine de nouveau et rende une nouvelle décision.

 

     Ni l'un ni l'autre des avocats n'ayant recommandé la certification de l'existence d'une question grave, il n'y aura pas certification.

 

 

   FREDERICK E. GIBSON  

Juge

 

Ottawa (Ontario)

Le 26 novembre 1996

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme                                  

Louise Dumoulin-Clark


                    COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                 SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

            AVOCATS ET PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

No DU GREFFE :IMM-331-96

 

INTITULÉ DE LA CAUSE :Talar Margarosyan

 

c.

 

Le ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration

 

 

 

LIEU DE L'AUDIENCE :               Toronto (Ontario)

 

 

 

DATE DE L'AUDIENCE :               le 7 novembre 1996

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT PRONONCÉS PAR MONSIEUR LE JUGE GIBSON

 

 

EN DATE DU :26 novembre 1996

 

 

 

 

ONT COMPARU :

 

 

Mme Shoshanna GreenPOUR LA REQUÉRANTE

 

 

M. James BrenderPOUR L'INTIMÉ

 

 

 

 

PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER :

 

 

Green and SpiegelPOUR LA REQUÉRANTE

Toronto (Ontario)

 

 

M. George ThomsonPOUR L'INTIMÉ

Sous-procureur général

  du Canada



    [1]DORS/78-172 (modifié).

    [2](1989), 8 Imm. L.R. (2d) 38.

    [3](1989), 8 Imm. L.R. (2d) 48.

    [4]Le 14 août 1996, Imm.‑2484‑95 (non publié) (C.F. 1re inst.).

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