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                                                                                                                               Date :    20010123

                                                                                                                  Dossier :    IMM-6111-00

OTTAWA (ONTARIO), LE 23 JANVIER 2001

EN PRÉSENCE DE :             M. LE JUGE BLANCHARD

ENTRE :

                                                              ABDELE DAMIYE

                                                                                                                                          demandeur

                                                                             et

                     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                           défendeur

                                MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]                Le demandeur, Abdele Damiye, a présenté une requête pour obtenir un sursis à l'exécution d'une mesure de renvoi délivrée contre lui le 10 janvier 2001. Les motifs de cette requête sont les suivants : le demandeur a présenté une demande d'autorisation de contrôle judiciaire; il y a une question sérieuse à trancher; il subirait un préjudice irréparable s'il était renvoyé en Somalie; et la prépondérance des inconvénients le favorise.


[2]                Afin de comprendre et de bien évaluer le contexte de la présente affaire, il y a lieu de résumer brièvement les faits. Le demandeur est arrivé au Canada en juin 1998 en provenance des États-Unis. Il a pu présenter une revendication de statut de réfugié au Canada après qu'on lui eut refusé l'entrée aux États-Unis. Le 26 mars 1999, la SSR a déclaré qu'il s'était désisté de sa revendication puisqu'il ne s'était pas présenté à l'audience.

[3]                Dans sa FRP de juin 1998, le demandeur soutenait avoir reçu le droit d'établissement aux États-Unis en 1992, avec l'aide du gouvernement américain. Il n'y a toutefois aucune preuve venant appuyer cette affirmation. Il soutenait aussi avoir le statut d'étranger ayant le droit de résider aux États-Unis, mais la preuve a démontré que sa demande pour obtenir ce statut n'a pas été traitée. De plus, il est recherché dans l'État de Georgie pour plusieurs infractions criminelles. Les fonctionnaires de l'Immigration and Naturalization Service des États-Unis ont fait savoir aux responsables de l'immigration au Canada que le demandeur était visé par une mesure d'expulsion des États-Unis.

[4]                Une ordonnance d'expulsion a été délivrée le 25 novembre 2000 par les autorités canadiennes et une date a été fixée pour son exécution. Toutefois, le demandeur a fait une crise d'épilepsie à l'aéroport et l'ordonnance d'expulsion n'a pas été exécutée.

[5]                L'avocat du demandeur soutient qu'il y a une demande de parrainage en cours de la part de sa conjointe. Toutefois, aucune preuve n'a été apportée pour établir ce fait. Il n'y pas non plus de preuve que le mariage qui aurait eu lieu le 24 juin 2000 ait été enregistré par les autorités canadiennes. La conjointe du demandeur est enceinte et elle attend son enfant en mars 2001.


[6]                Le demandeur est présentement détenu à Whitby (Ontario), où il doit faire face à des accusations criminelles pour avoir prétendu être un agent de la paix, mis en circulation des documents contrefaits, et pour entrave à la justice.

[7]                Dans ses arguments, l'avocat du demandeur a soulevé deux questions distinctes. Premièrement, il soutient que le renvoi est interdit par l'article 50 de la Loi sur l'immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2. Deuxièmement, il a invoqué le critère visant à déterminer s'il y a lieu d'accorder une suspension d'instance, une procédure qui est de même nature qu'une injonction interlocutoire[1].

[8]                Je vais d'abord traiter de l'argument qui veut que le renvoi est interdit par l'article 50(1) de la Loi sur l'immigration. Cet article est rédigé comme suit :


50. (1) A removal order shall not be executed where

(a) the execution of the order would directly result in a contravention of any other order made by any judicial body or officer in Canada; or

(b) the presence in Canada of the person against whom the order was made is required in any criminal proceedings and the Minister stays the execution of the order pending the completion of those proceedings.


50. (1) La mesure de renvoi ne peut être exécutée dans les cas suivants :

a) l'exécution irait directement à l'encontre d'une autre décision rendue au Canada par une autorité judiciaire;

b) la présence au Canada de l'intéressé étant requise dans le cadre d'une procédure pénale, le ministre ordonne d'y surseoir jusqu'à la conclusion de celle-ci.



[9]                L'avocat du demandeur soutient que comme ce dernier fait face à des accusations portées en vertu du Code criminel, l'article 50 de la Loi sur l'immigration interdit son expulsion. Afin de trancher cette question, il y a lieu de se rapporter à une décision récente de la Cour d'appel fédérale. Dans l'arrêt Cuskic c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), le juge Létourneau, J.C.A., déclare ceci :

L'article 48 de la Loi impose au ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration (le ministre) une obligation générale d'exécuter la mesure de renvoi le plus rapidement possible en prévoyant qu'il doit agir dès que les circonstances le permettent.

(...)

Cependant, l'article 50 prévoit des circonstances précises dans lesquelles les mesures de renvoi ne peuvent être exécutées. En d'autres termes, l'exécution de la mesure de renvoi constitue la règle, et le sursis à l'exécution, l'exception.

(...)

L'argument de l'appelant selon lequel le juge saisi en révision a omis de tenir compte de l'objectif général de la Loi, en particulier de la partie III, qui traite longuement de l'exclusion et du renvoi de personnes non admissibles, mérite toutefois un examen plus attentif. En effet, l'appelant a-t-il soutenu, le juge a plutôt interprété de façon littérale une disposition particulière comme l'article 50 sans avoir convenablement considéré le régime général que prévoit la Loi et son incidence sur la façon dont il convient d'interpréter une disposition particulière. En conséquence, une telle interprétation mène à des conclusions illogiques ainsi qu'à des résultats qui diffèrent à partir de distinctions négligeables.

(...)


À mon avis, l'interprétation large que l'on a donnée aux exceptions précises prévues à l'article 50, en particulier à l'alinéa 50(1)a), mène à des conséquences injustes et déraisonnables que le législateur fédéral n'a pu vouloir produire. J'estime qu'il convient, dans les circonstances de l'espèce, [TRADUCTION] « où il semble que les conséquences de l'adoption d'une interprétation seraient absurdes ... de la rejeter en faveur d'une solution de rechange plausible qui évite l'absurdité » : voir R. Sullivan, Driedger on Construction of Statutes, 3rd ed., 1994, Butterworths, Toronto, à la page 79. La solution de rechange consiste, selon moi, à considérer que les ordonnances de probation n'étaient pas destinées à surseoir à l'exécution d'une mesure de renvoi valable et à empêcher le ministre de remplir l'obligation que lui impose l'article 48 de la Loi d'agir de façon diligente et expéditive[2].

[10]            En appliquant les principes de l'arrêt Cuskic, on me demande de tenir compte de l'objectif général et du régime général de la Loi sur l'immigration pour décider si les exceptions prévues à l'article 50 sont pertinentes.

[11]            La Cour a aussi déclaré très clairement dans l'arrêt Cuskic que l'exécution d'une mesure de renvoi valable constitue la règle, et le sursis à l'exécution, l'exception.

[12]            En l'instance, nous ne sommes pas face à une ordonnance de probation, mais à un ordre intimant au demandeur de se présenter à la Cour pour y faire face à des accusations criminelles.

[13]            De plus, en l'instance le procureur général de l'Ontario a convenu de suspendre les procédures criminelles visant le demandeur, en cas de renvoi.


[14]            Il eut été préférable que le procureur général suspende les accusations criminelles avant cette demande de sursis à l'exécution de la mesure de renvoi. Je reconnais toutefois que cela n'est pas toujours possible, étant donné que ces demandes sont présentées à la dernière minute. En l'instance, la mesure de renvoi doit être exécutée le samedi 13 janvier, savoir le jour suivant, ce qui fait qu'il n'est pas pratique, sinon impossible, pour le procureur général de demander au tribunal approprié la suspension des accusations criminelles. En l'instance, je suis disposé à accepter l'engagement du procureur général de l'Ontario que les accusations seront suspendues dès que le demandeur sera renvoyé et avant le moment où il doit se présenter devant la Cour de juridiction criminelle.

[15]            Je conclus donc que, même en interprétant l'alinéa 50(1)a) de façon littérale et très restrictive, l'exécution de la mesure de renvoi n'irait pas directement à l'encontre d'une autre décision rendue par une autorité judiciaire, savoir une Cour de juridiction criminelle en Ontario, puisque les accusations criminelles visant le demandeur seront suspendues dès son renvoi et que l'ordonnance lui intimant de comparaître devant la Cour criminelle deviendra alors nulle et de nul effet.

[16]            En appliquant les principes de l'arrêt Cuskic, et en interprétant comme je le fais l'article 50 de la Loi sur l'immigration, j'arrive à la conclusion que le demandeur ne peut s'appuyer sur l'article 50 pour éviter son renvoi.

[17]            La deuxième question porte sur le critère à trois volets de l'arrêt Toth. Ce critère exige, pour qu'une telle ordonnance soit accordée, que le demandeur prouve :

1)         qu'il a soulevé une question sérieuse à trancher dans sa demande de contrôle judiciaire;

2)         qu'il subirait un préjudice irréparable si le sursis n'était pas accordé; et

3)         que la prépondérance des inconvénients, compte tenu de la situation globale des deux parties, favorise l'octroi du sursis.


[18]            L'avocat du demandeur a déposé une demande d'autorisation de contrôle judiciaire pour faire annuler la directive de se présenter en vue d'un renvoi. En attendant, il cherche à obtenir une ordonnance suspendant la directive de se présenter en vue d'un renvoi, datée du 29 novembre 2000. Afin de pouvoir envisager la possibilité d'accorder le sursis demandé, je dois d'abord être convaincu qu'il y a une question sérieuse à trancher.

[19]            Le demandeur soutient aussi qu'il y a une demande de parrainage en cours, de la part de sa conjointe. Toutefois, il n'a apporté aucune preuve à cet égard. Quant aux accusations criminelles en cours, j'en ai déjà traité dans le cadre de l'exception prévue à l'article 50 de la Loi sur l'immigration.

[20]            Pour démontrer l'existence d'une question sérieuse, la question doit être soulevée dans le cadre de la demande elle-même et il doit y avoir un fondement de preuve pour l'appuyer. En l'instance, la demande présentée vise l'annulation de la directive de se présenter en vue d'un renvoi. Le contrôle de ce type de décision est fort restreint, comme l'indique le juge Nadon dans l'affaire Simoes :

À mon avis, le pouvoir discrétionnaire que l'agent chargé du renvoi peut exercer est fort restreint et, de toute façon, il porte uniquement sur le moment où une mesure de renvoi doit être exécutée. En décidant du moment où il est « raisonnablement possible » d'exécuter une mesure de renvoi, l'agent chargé du renvoi peut tenir compte de divers facteurs comme la maladie, d'autres raisons à l'encontre du voyage et les demandes fondées sur des raisons d'ordre humanitaire qui ont été présentées en temps opportun et qui n'ont pas encore été réglées à cause de l'arriéré auquel le système fait face[3].


[21]            En l'instance, l'agent chargé du renvoi a tenu compte des divers facteurs liés au demandeur et aux circonstances de son renvoi. De plus, l'agent a notamment prévu une escorte médicale pour le demandeur lors de son vol de retour et il a obtenu que les accusations criminelles en cours soient suspendues.

[22]            Après avoir examiné la preuve devant la Cour et entendu les avocats des parties en conférence téléphonique, et pris bonne note de l'arrêt Baker, je conclus qu'il n'y a pas de question sérieuse à trancher dans la demande de contrôle judiciaire. Même si l'on procède au renvoi, la demande d'autorisation de contrôle judiciaire va se continuer. Il en va de même de la demande de parrainage de la conjointe, si elle existe.

[23]            En plus du fait qu'il n'y a pas de question sérieuse à trancher par la Cour dans le cadre de la demande d'autorisation de contrôle judiciaire, je ne suis pas convaincu que le demandeur a démontré l'existence du préjudice irréparable. Or, c'est une autre composante essentielle lorsqu'on applique le critère à trois volets pour déterminer s'il y a lieu d'accorder un sursis. Le demandeur aura l'aide médicale dont il a besoin lors de son renvoi, au cas où il aurait une autre crise d'épilepsie. Je conclus aussi qu'il n'y a pas de preuve probante indiquant que le demandeur subirait un préjudice irréparable s'il était renvoyé en Somalie.

[24]            Quant à la demande de parrainage de sa conjointe, notre Cour a déjà décidé plusieurs fois que, prise en soi, la séparation ne constitue pas un préjudice irréparable.


[25]            Comme le déclare le juge Lemieux, ce n'est qu'exceptionnellement qu'on accordera une suspension :

Notre Cour ne possède pas une compétence d'equity en première instance qui lui permettrait de décider, d'une façon générale, s'il est équitable ou non de renvoyer quelqu'un du Canada. Notre Cour ne peut intervenir que dans des cas précis en fonction de principes juridiques qui, en l'espèce, imposent aux demandeurs le fardeau d'établir le critère à trois volets qui permet d'accorder une suspension[4].

[26]            Pour ces motifs, la demande de sursis est rejetée.

                                                                ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE que :

1.         la requête pour l'obtention d'un sursis à l'exécution de la mesure de renvoi délivrée contre le demandeur le 10 janvier 2001 est rejetée.

                                                                                                                     « Edmond P. Blanchard »               

                                                                                                                                                     Juge                        

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, LL.L., Trad. a.


COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

No DU GREFFE :                                IMM-6111-00

INTITULÉ DE LA CAUSE :                ABDELE DAMIYE c. MCI

REQUÊTE ENTENDUE PAR CONFÉRENCE TÉLÉPHONIQUE ENTRE OTTAWA ET TORONTO

DATE DE L'AUDIENCE :                   le vendredi 12 janvier 2001

MOTIFS DE L'ORDONNANCE DE M. LE JUGE BLANCHARD

EN DATE DU :                                     23 janvier 2001

ONT COMPARU

M. Munyonzwe Hamalengwa                                         POUR LE DEMANDEUR

Mme Marianne Zoric                                                                  POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

M. Hamalengwa                                                                        POUR LE DEMANDEUR

Toronto (Ontario)

M. Morris Rosenberg

Sous-procureur général du Canada                                            POUR LE DÉFENDEUR



[1]            Toth. c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), (1988) 6 Imm. L.R. (2d) 123.

[2]               Cuskic c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), (2001) C.A.F., 20001005, dossier no A-363-97, le juge Létourneau, J.C.A., aux paragraphes 14, 20 et 25.

[3]               Simoes c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) [2000] J.C.F. no 936, au par. 12.

[4]            Jordan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2000] J.C.F. no 1076, dossier no IMM-3316-00, au paragraphe 22.

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