Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20210915


Dossier : IMM‑4461‑20

Référence : 2021 CF 954

[TRADUCTION FRANÇAISE]

St. John’s (Terre‑Neuve‑et‑Labrador), le 15 septembre 2021

En présence de madame la juge Heneghan

ENTRE :

KATIA MARGENTINA RAMIREZ CUETO

(alias KATIA MARGARITA RAMIREZ CUETO)

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1] Mme Katia Margentina Ramirez Cueto (la demanderesse) sollicite le contrôle judiciaire de la décision par laquelle la Section d’appel des réfugiés (la SAR) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié a rejeté l’appel qu’elle avait interjeté à l’encontre de la décision de la Section de la protection des réfugiés (la SPR). Dans sa décision, la SAR a maintenu la décision de la SPR selon laquelle la demanderesse n’avait pas la qualité de réfugié au sens de la Convention ni celle de personne à protéger aux termes de l’article 96 et du paragraphe 97(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la Loi).

[2] La demanderesse est une citoyenne du Mexique. Elle prétend être exposée à un risque de persécution au Mexique en raison de son orientation sexuelle, puisqu’elle est lesbienne.

[3] La SAR a conclu que la demanderesse disposait d’une possibilité de refuge intérieur (PRI) viable à Mexico et a rejeté son appel.

[4] La demanderesse soutient que la décision de la SAR est déraisonnable et qu’elle a été rendue sans égard aux éléments de preuve, notamment les éléments de preuve que la SAR avait acceptés dans l’affaire X (Re), TB8‑19175, une autre affaire portant sur l’orientation sexuelle.

[5] Dans cette affaire, la SAR a reconnu que, en tant qu’homosexuel, le demandeur ne serait pas en sécurité à Mexico et lui a accordé l’asile.

[6] Le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration (le défendeur) avance que la SAR n’est pas liée par ses décisions antérieures et que la décision en l’espèce est raisonnable eu égard aux éléments de preuve.

[7] Le critère relatif à une PRI viable est énoncé aux pages 710 et 711 de l’arrêt Rasaratnam c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1991), [1992] 1 CF 706 (CAF). Il s’agit d’un critère à deux volets, énoncé de la façon suivante :

  • Premièrement, la Commission doit être convaincue que le demandeur d’asile ne court pas de risque sérieux de persécution dans la PRI.

  • Deuxièmement, il doit être objectivement raisonnable de s’attendre à ce que le demandeur cherche refuge dans une autre partie du pays avant de demander l’asile au Canada.

[8] Afin d’établir qu’une PRI est déraisonnable, le demandeur doit démontrer que la situation dans la PRI proposée pourrait mettre en péril sa vie et sa sécurité s’il tentait de voyager ou de se réinstaller dans cette PRI; voir Thirunavukkarasu c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1993), [1994] 1 CF 589 (CAF), aux p 596‑598.

[9] En l’espèce, la demanderesse ne conteste pas la façon dont la SAR a établi le critère, mais bien son application du critère en question.

[10] Selon l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65, rendu par la Cour suprême du Canada, la norme de la décision raisonnable est présumée s’appliquer aux décisions administratives, y compris les décisions rendues en application de la Loi, à moins que l’intention du législateur ou la primauté du droit n’exige le contraire; voir l’arrêt Vavilov, précité, au para 23.

[11] Dans l’examen du caractère raisonnable, la Cour doit se demander si la décision faisant l’objet du contrôle « possède les caractéristiques d’une décision raisonnable, soit la justification, la transparence et l’intelligibilité, et si la décision est justifiée au regard des contraintes factuelles et juridiques pertinentes qui ont une incidence sur celle‑ci »; voir Vavilov, précité, au para 99.

[12] Même si je suis d’accord, en principe, pour reconnaître que chaque appel interjeté devant la SAR sera examiné en fonction des faits qui lui sont propres, il y aura des occasions où les éléments de preuve présentés dans le cadre d’un appel, et la manière dont ils sont traités par la SAR, s’appliqueront également à une autre affaire.

[13] À mon avis, c’est le cas en l’espèce, plus particulièrement en ce qui concerne le cartable national de documentation (le CND) qui avait été présenté à la SAR dans le cadre de l’affaire X (Re), précitée, et le CND qui a été fourni à la SAR en l’espèce.

[14] Dans l’affaire X (Re), précitée, la SAR s’est appuyée sur le CND relatif au Mexique daté du 30 avril 2018, alors qu’en l’espèce, elle s’est appuyée sur le CND relatif au Mexique daté du 29 mars 2019.

[15] Les documents contenus dans chaque CND comportent certaines différences, mais, dans l’extrait suivant des paragraphes 26 et 27 de la décision X (Re), précitée, la SAR cite directement des documents se trouvant dans les deux CND :

La preuve objective fait également état de la complicité d’acteurs étatiques dans la persécution des membres de la communauté LGBTIQ. Plus précisément, les couples de même sexe qui se témoignent de l’affection en public sont [traduction] « fréquemment la cible d’abus de pouvoir de la part des policiers et de détentions arbitraires par des agents de l’État – ce qui s’accompagne souvent d’un usage excessif de la force ou de violence verbale – en raison de ce qui est considéré comme un “comportement immoral” dans les lieux publics[43] ». Il arrive souvent que des représentants du ministère public maltraitent des personnes LGBTIQ et refusent d’ouvrir des enquêtes pour des crimes commis à leur encontre[44].

Même si l’État n’est pas tenu d’offrir une protection parfaite en tout temps, les autorités doivent avoir la capacité et la volonté de mettre en œuvre les lois et les procédures[45]. À la lumière de mon examen, j’estime que la prépondérance de la preuve est claire et convaincante, et qu’elle réfute la présomption relative à la protection de l’État dans la situation particulière de l’appelant.

[16] En l’espèce, la SAR a tenu compte des mêmes éléments de preuve qui l’avaient amenée à tirer les conclusions qui précèdent dans la décision X (Re), précitée. Toutefois, en l’espèce, un tribunal différemment constitué de la SAR a tiré une conclusion différente.

[17] À mon avis, le fait que la SAR n’a pas tenu compte des similitudes et des différences entre les CND présentés dans le cadre de l’affaire X (Re), précitée, et la présente affaire équivaut à une erreur susceptible de contrôle, comme il a été mentionné dans la décision Cepeda‑Gutierrez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1998), [1998] ACF no 1425.

[18] Par conséquent, la présente demande de contrôle judiciaire sera accueillie, la décision de la SAR sera annulée et l’affaire sera renvoyée à un tribunal différemment constitué de la SAR pour qu’il rende une nouvelle décision. Il n’y a aucune question à certifier.


JUDGMENT dans le dossier IMM‑4461‑20

LA COUR STATUE que la décision de la Section d’appel des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié est annulée et que l’affaire est renvoyée à un tribunal différemment constitué de la Section d’appel des réfugiés pour qu’il rende une nouvelle décision.

Il n’y a aucune question à certifier.

« E. Heneghan »

Juge

Traduction certifiée conforme

Manon Pouliot


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM‑4461‑20

 

INTITULÉ :

KATIA MARGENTINA RAMIREZ CUETO (alias KATIA MARGARITA RAMIREZ CUETO) c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

PAR VIDÉOCONFÉRENCE

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 30 AOÛT 2021

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE HENEGHAN

 

DATE DU JUGEMENT ET DES MOTIFS :

LE 15 SEPTEMBRE 2021

 

COMPARUTIONS :

Yasin Ahmed Razak

POUR LA DEMANDERESSE

 

Norah Dorcine

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Razak Law

Avocats

Etobicoke (Ontario)

 

POUR LA DEMANDERESSE

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.