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Date : 20210812


Dossier : T-36-18

Référence : 2021 CF 835

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 12 août 2021

En présence de madame la juge McVeigh

ENTRE :

TERRY THOMPSON

demandeur

et

SA MAJESTÉ LA REINE DU CHEF DU CANADA

défenderesse

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Contexte

[1] Le demandeur (M. Thompson) est détenu dans un établissement fédéral où il purge sa peine. Il a intenté une poursuite contre la défenderesse, Sa Majesté la Reine [la Reine]. Son exposé introductif et sa déclaration révèlent qu’il sollicite la somme de 1 000 000 $ en dommages-intérêts.

[2] Il allègue que le préjudice subi est attribuable à une collusion entre le juge Ferguson [le juge], de la Cour du Banc de la Reine du Nouveau-Brunswick et son agente de libération conditionnelle, Nicole McGillivary [l’agente de libération conditionnelle]. Il prétend que cette collusion visait à empêcher la tenue de l’audience de la requête d’habeas corpus prévue pour le 28 avril 2016 au Nouveau-Brunswick en facilitant son transfèrement à l’extérieur de la province le 25 avril 2016, soit avant l’audience. L’audience de la requête d’habeas corpus visait à juger de la légalité de sa mise en isolement.

[3] La déclaration déposée est composée de trois pages manuscrites peu détaillées et qui ne font pas état d’une cause d’action précise. Selon une interprétation large, il semblerait que la cause d’action alléguée est la faute commise dans l’exercice d’une charge publique. La déclaration est jointe à l’annexe « A ».

[4] Monsieur Thompson s’est représenté lui-même dans la présente affaire. Il est présentement incarcéré au Centre psychiatrique régional en Saskatchewan. L’affaire a été instruite de façon virtuelle avec l’avocate de la défenderesse à Montréal, au Québec, le témoin de la défenderesse à Sydney, en Nouvelle-Écosse, le demandeur à Saskatoon, en Saskatchewan, le fonctionnaire du greffe à Winnipeg, au Manitoba et moi-même à Ottawa, en Ontario.

[5] Les parties s’entendent sur les faits principaux concernant le transfèrement du demandeur et l’audience tenue devant le juge Ferguson.

[6] Le demandeur soutient que le Service correctionnel du Canada [le SCC] ne lui a pas communiqué les raisons pour lesquelles il ne pouvait pas retourner dans son ancienne unité située dans l’établissement de l’Atlantique. Vu l’absence de divulgation, il affirme que son agente de libération conditionnelle doit l’avoir transféré pour le priver de son droit à l’audience de sa requête d’habeas corpus. Il fait valoir que son transfèrement va à l’encontre de l’Habeas Corpus Act, 1679 (R-U), 31 Cha II, c 2 [la Loi sur l’habeas corpus (R-U)]. Selon la page Wikipédia citée (et déposée) par le demandeur, on ne peut transférer un prisonnier à l’extérieur du territoire de compétence pour faire obstacle à un bref d’habeas corpus.

[7] La défenderesse fait valoir que la poursuite devrait être rejetée pour plusieurs raisons, dont le fait que l’agente de libération conditionnelle ne détient pas l’autorité voulue pour approuver un transfèrement, mais peut seulement offrir des recommandations. Elle ne pouvait donc pas agir de connivence avec un juge pour retirer au demandeur son droit à une audience d’habeas corpus. La défenderesse avance que le juge n’est pas un préposé de la Couronne et donc que cette dernière ne peut pas être tenue responsable de ses actions. La Loi sur l’habeas corpus (R-U) à laquelle se réfère le demandeur est une loi britannique qui n’est pas en vigueur au Canada, ce qui invalide l’ensemble des arguments qui lui sont liés. Enfin, une audience s’est tenue devant un juge de la Cour du Banc de la Reine du Nouveau-Brunswick, quoique par téléphone. Or, puisque M. Thompson n’était plus en isolement, le juge a rejeté la demande d’audience d’habeas corpus parce qu’elle était devenue théorique.

II. Le droit

[8] Le demandeur se fonde sur la Loi sur l’habeas corpus (R-U) et l’analyse de Wikipédia sur cette loi (jointe comme annexe « B » : pièce « P-1 »).

[9] Bien que le demandeur n’ait pas employé ce terme, ses observations suggèrent que la cause d’action en l’espèce est la faute commise dans l’exercice d’une charge publique, qui, selon lui, aurait porté atteinte à ses droits prévus par la Loi sur l’habeas corpus (R-U).

[10] La faute commise dans l’exercice d’une charge publique est un délit intentionnel et ses éléments constitutifs sont énumérés dans l’arrêt Succession Odhavji c Woodhouse, 2003 CSC 69 [Odhavji]. Les éléments constitutifs de la faute commise dans l’exercice d’une charge publique sont les suivants :

Premièrement, le fonctionnaire public doit avoir agi en cette qualité de manière illégitime et délibérée. Deuxièmement, le fonctionnaire public doit avoir été conscient du caractère non seulement illégitime de sa conduite, mais aussi de la probabilité de préjudice à l’égard du demandeur.

(Odhavji, au para 23, non souligné dans l’original)

[11] L’inconduite doit être délibérée et illégitime, doublée de l’intention de causer un préjudice et teintée de « mauvaise foi » ou de « malhonnêteté » (Odhavji, aux para 23, 25). Le demandeur doit démontrer que les préjudices qu’il a subis ont pour cause juridique la conduite délictuelle, et que ces préjudices sont indemnisables suivant les règles de droit (Odhavji, au para 32).

III. Preuve

[12] L’exposé conjoint des faits est joint à l’annexe « B ».

[13] Monsieur Thompson a témoigné pour son propre compte et la Reine a cité à comparaître Nicole McGillivary.

A. La preuve du demandeur

[14] Le recueil conjoint de documents et le dossier du tribunal ont été déposés à titre de pièce P-1.

[15] La preuve déposée par le demandeur se résume ainsi :

  • Le SCC ne lui a pas communiqué l’ensemble des raisons qui empêchaient son retour dans son unité d’origine. Le 8 février 2016, il les a demandés lors de sa mise en isolement. En l’absence de cette information, son droit à l’équité procédurale a été brimé et le SCC a violé ses droits prévus aux articles 7 et 9 de la Charte. En outre, le SCC l’a privé de son droit à l’avocat contrairement au paragraphe 99(2) de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, LC 1992, c 20 [la LSCMLC]. Il s’est fondé sur son affidavit du 16 mars 2016 pour déclarer :

[traduction]

On m’a refusé l’accès à la preuve et à l’information qui auraient dû m’être transmises avant mon audience sur l’isolement à la place d’une description des événements; on m’a privé de mon droit à une entière divulgation comme le prévoient les articles 7 et 9 de la Charte des droits.

  • Le 6 mars 2016, il a déposé un avis de requête préliminaire pour une ordonnance d’habeas corpus de la Cour du Banc de la Reine du Nouveau-Brunswick (il existe une certaine forme de confusion sur la date, mais rien ne montre si c’était en février ou en mars);

  • Il a réfuté sa précédente demande de transfèrement sollicité du 9 mars 2016 à l’établissement de Donnacona pour le motif suivant :

[TRADUCTION]

[L’établissement de l’Atlantique ne m’a pas fourni] tout élément de preuve que ma sécurité est menacée. […] Ma sécurité n’est pas menacée, pas besoin de me transférer […] [l’établissement de l’] Atlantique ne m’a encore rien divulgué sur aucun événement.

  • Le SCC lui a refusé l’accès à la Cour;

  • Une audience était prévue le 15 avril 2016, à 9 h 30, à la Cour du Banc de la Reine du Nouveau-Brunswick pour une question préliminaire, puis une autre était prévue le 28 avril 2016. À la place, il a été envoyé à Donnacona le même jour;

  • Il affirme que l’approbation relative à son transfèrement non sollicité est illégale en raison de la Loi sur l’habeas corpus (R-U) et rappelle que son précédent transfèrement sollicité n’a pas été approuvé;

  • Il n’y avait pas de raison de le transférer puisqu’il désirait retourner dans son unité d’origine et que nul ne lui a fourni de raison pour laquelle il ne pourrait pas y retourner (aucune divulgation);

  • Il aurait dû être en mesure de participer à l’audience d’habeas corpus devant le juge Ferguson de la Cour du Banc de la Reine du Nouveau-Brunswick le 5 mai 2016 même s’il se trouvait dans un établissement au Québec;

  • La transcription de la cour révèle que l’ajournement visait à permettre au SCC de décider en janvier du sort de son transfèrement sollicité à Donnacona. Puis, en mai, le demandeur a déclaré au juge durant la conférence téléphonique qu’il était privé de son droit à une audience, car celui-ci n’avait plus compétence, puisque le demandeur se trouvait au Québec;

  • Le SCC l’a sorti de la province afin d’empêcher la tenue de son audience d’habeas corpus;

  • Le SCC était au courant de son audience et aurait dû l’accommoder comme il le fait en l’espèce, mais à la place il l’a [traduction] « expédié ailleurs »;

  • Il a lu des extraits de la page Wikipédia concernant la Loi sur l’habeas corpus (R-U) comme preuve de ce à quoi il avait droit.

[16] La Couronne a choisi de ne pas contre-interroger le demandeur.

B. Preuve de la défenderesse

[17] La défenderesse a fait comparaître Nicole McGillivary de Sydney, en Nouvelle-Écosse. On peut résumer ainsi son témoignage :

  • Elle travaille pour le SCC depuis 15 ans et est une agente de libération conditionnelle depuis 13 ans. Elle a été affectée à l’établissement de l’Atlantique en 2008;

  • Elle a été l’agente de libération conditionnelle de M. Thompson pendant quelques années avant de quitter l’établissement de l’Atlantique. Elle pense que c’était pour deux ou trois ans;

  • Elle a expliqué les divers documents du SCC déposés en pièce P-1 comme éléments de preuve tout comme son rôle dans leur confection;

  • Elle a témoigné qu’un détenu a la capacité de solliciter par écrit un transfèrement à tout moment. Par contre, une telle requête ne signifie pas que le SCC approuvera le transfèrement.

  • Elle a fait valoir que M. Thompson avait sollicité un transfèrement, mais qu’après l’incident il ne pouvait pas être réintégré dans la population de son choix et qu’il refusait d’être placé dans l’autre population;

  • Elle a précisé que, puisqu’elle ne pouvait pas le renvoyer dans la population et qu’il fallait le sortir de l’isolement dès que possible, on a choisi de faire un transfèrement non sollicité;

  • Donnacona est l’établissement carcéral à sécurité maximale situé le plus près de l’établissement de l’Atlantique, mais elle l’a aussi sélectionné parce que M. Thompson avait déjà demandé à y être transféré par le passé. Elle tentait de se conformer à la précédente demande de M. Thompson pour un placement en établissement;

  • En raison d’incidents survenus dans l’établissement, elle a témoigné que le demandeur ne pouvait plus pénétrer dans l’unité A1 (son unité d’origine), car il était considéré comme un trublion. Il avait été l’assaillant lors d’une attaque et on s’inquiétait de l’atmosphère explosive que sa présence suscitait au sein de cette population. Donc, on a décidé qu’il ne devrait pas y être renvoyé. En effet, on ne savait pas si la sécurité du demandeur pouvait être assurée comme il avait agressé plusieurs personnes qui y étaient placées. Par conséquent, il pourrait y avoir des représailles à son endroit. On ne pouvait pas non plus garantir sa sécurité dans la population générale non plus;

  • Lorsqu’une personne est mise en isolement, un examen est fait le même jour pour vérifier si la mesure est justifiée. Puis, au cinquième jour, et à tous les 30 jours par la suite, un nouvel examen a lieu. Mme McGillivary a affirmé que M. Thompson était sur le point de faire l’objet d’un nouvel examen après une période de 30 jours et que c’était à ce moment que le rapport aurait été rédigé (pièce P-1 à l’onglet 10). Daté du 6 avril 2016, le rapport précise que M. Thompson a été mis en isolement le 8 février 2016 après avoir attaqué un codétenu de l’unité 1A. Le document examine les différentes options pour le sortir de l’isolement. La recommandation préconise le maintien en isolement du demandeur pour ensuite le transférer à Donnacona sur un « vol au cours des prochaines semaines ». Le 25 avril 2016, le directeur d’établissement a pris la décision définitive de lever l’isolement et de le transférer à un autre établissement pour faciliter son transfèrement.

  • Elle a souligné que son rôle en tant qu’agente de libération conditionnelle n’est pas de paraître devant un tribunal, mais de s’occuper de détenus déjà condamnés. Elle a ajouté qu’elle ne se présenterait à la cour que si elle était citée à comparaître. Elle n’a donc pas l’habitude de parler avec des juges dans le cadre de son travail;

  • Le 23 mars 2016, elle a rédigé l’évaluation en vue d’une décision(EVD/A4d) au sujet de M. Thompson. Un tel rapport est préparé lorsqu’une décision sur un transfèrement doit être prise, que ce soit pour des raisons en matière de cote de sécurité, de permissions de sortir, d’une demande pour un transfèrement sollicité ou pour d’autres motifs. La décision est ensuite prise par le décideur approprié à partir de la recommandation exposée dans le document;

  • Selon cette évaluation en vue d’une décision :

[traduction]

Le présent rapport a pour objectif de fournir une recommandation au sujet de la demande de transfèrement sollicité de M. Terry Thompson à l’établissement de Donnacona dans la région de Québec. Le rapport portera aussi sur la cote de sécurité et sur un transfèrement non sollicité à l’établissement de Donnacona proposé par l’EGC. La recommandation sur le transfèrement non sollicité interrégional vise à sortir M. Thompson de l’isolement à l’établissement de l’Atlantique.

  • À la page 2, le document fait état de ce qui suit :

[traduction]

Monsieur Thompson a été transféré le 1er mai 2014 à l’établissement de l’Atlantique afin de le sortir de l’isolement de longue durée et de lui permettre de bénéficier d’un environnement sécuritaire. Il avait été mis en isolement à l’établissement de Kent après avoir été agressé à deux reprises par des membres de la population de l’unité 1. De ce fait, M. Thompson ne pouvait pas retourner au sein cette population. Il refuse également d’être mêlé à la population de l’unité 2 de l’établissement de Kent. Lors de son arrivée à l’EA, il a été placé dans la section restreinte 1B de la population alternative de l’unité 1 (appelée aussi population générale). Elle s’est maintenant élargie, mais compte toujours dans ses rangs seulement deux catégories de détenus qui se réclament avec véhémence d’une application stricte du « code des délinquants » et refusent de se mêler à la population carcérale générale où il existe davantage de programmes et d’occasions de trouver un emploi, car ils voient celle-ci comme correspondant à une « détention protégée » et les autres détenus comme ayant un statut inférieur au leur […]

  • Par la suite, le document met de l’avant que M. Thompson a refusé de rejoindre cette population et a été l’objet de cinq mises en isolement en raison d’accusations et d’incidents en établissement dont deux agressions au couteau où il était l’agresseur. De ce fait, il est maintenant considéré comme un risque à l’égard de la population de l’unité A1. Dans son évaluation à propos du transfèrement sollicité à Donnacona, faite avant son dernier incident, Mme McGillivary a fait observer que, par suite de ces événements, [traduction] « […] l’EGC recommande que le transfèrement sollicité soit refusé et qu’un transfèrement non sollicité pour le sortir de l’isolement soit approuvé. »

  • Mme McGillivary fait ainsi remarquer que l’alternative au transfèrement non sollicité est le maintien de M. Thompson en isolement de longue durée à l’établissement de l’Atlantique parce qu’il n’est pas possible de le placer dans la population générale, ce qui a mené l’EGC à appuyer son transfèrement. La recommandation préconisait donc son transfèrement non sollicité à l’établissement de Donnacona et le rejet de son transfert sollicité. Le document a été rédigé par Nicole McGillivary.

  • Celle-ci a ensuite témoigné du contenu du document SCC-DEC/CSC-DEC feuille de recommandation/décision pour le transfèrement institutionnel non sollicité du 8 avril 2016. La sous-commissaire adjointe, Opérations correctionnelles à l’administration régionale de la région de Québec a approuvé et signé cette décision le 11 avril 2016 pour qu’elle prenne effet le 8 avril 2016. L’objectif du transfèrement non sollicité y est décrit comme étant celui de « fournir un milieu sûr». Le Comité des transfèrements régional a fait remarquer dans la décision qu’il [traduction] « […] vise à sortir le détenu de l’isolement » et qu’il « a été décidé que la réintégration [de M. Thompson] dans la population générale n’est plus faisable. [Le détenu] refuse de se prévaloir d’un placement dans l’une des unités de la population carcérale générale ». Il est signalé que [traduction] « M. Thompson a décidé de ne pas présenter de réfutation à l’égard de la demande de transfèrement non sollicité dans la région de Québec ». Ce transfèrement était l’option favorisée et approuvée, car il permettait de sortir M. Thompson de l’isolement et parce que celui-ci ne pouvait pas être renvoyé dans la population de l’unité 1 de l’établissement de l’Atlantique et qu’il ne pouvait pas être intégré au sein de la population carcérale générale. Par ailleurs, il est indiqué que M. Thompson pouvait se mêler à la population générale de Donnacona;

  • Lorsque Mme McGillivary a été interrogée sur la réponse au grief final du délinquant du 31 mai 2016, elle a répondu qu’elle n’avait rien à voir avec cette décision. Le grief final concernant le transfèrement non sollicité à Donnacona a été acheminé à l’administration centrale pour y être tranché. Selon la décision sur le grief final, M. Thompson soutenait [traduction] « avoir été privé de toute information ou tout élément de preuve démontrant que [sa] sécurité était menacée à l’EA ». Il y était aussi mentionné que M. Thompson se plaignait d’avoir été privé d’avocat et invoquait d’autres éléments afférents au transfèrement;

  • Elle n’a jamais parlé au juge Ferguson à l’extérieur de la cour et ne se rappelle pas avoir jamais comparu devant lui autrefois. Elle ne se rend à la cour que si elle est citée à comparaître;

  • Elle ne possède pas l’autorité de décider du sort d’un transfèrement, mais elle est en mesure de le recommander. En l’espèce, c’est la sous-commissaire adjointe, Opérations correctionnelles à l’administration régionale de la région de Québec qui a statué sur le sujet;

  • Elle a témoigné qu’il y avait deux unités et que M. Thompson ne pouvait pas revenir dans son unité d’origine parce que les autres détenus ont affirmé qu’il les [traduction] « enflammait » (elle a fait des guillemets avec ses doigts en prononçant le mot « enflammait »). De plus, en raison des agressions qu’il avait commises sur d’autres détenus, il ne pouvait pas être remis dans l’unité de la population générale;

  • Monsieur Thompson devait sortir de l’isolement, donc le SCC devait lui trouver un autre établissement à sécurité maximale pour l’accueillir. Donnacona était le plus proche, mais, fait notable, il s’agissait de l’établissement où le demandeur avait auparavant sollicité son transfèrement;

  • Le SCC devait rejeter son transfèrement sollicité et opter plutôt pour un transfèrement non sollicité parce que M. Thompson pouvait changer d’avis quant au transfèrement sollicité. Le cas échéant, le SCC aurait été renvoyé à la case départ alors qu’il voulait sortir M. Thompson de l’isolement et ne pouvait pas le remettre dans les deux autres unités. Dans le cas d’un transfèrement non sollicité, M. Thompson n’aurait pas d’autre choix que celui de partir.

[18] Le demandeur a contre-interrogé la témoin. Voici un résumé du contre-interrogatoire :

  • Mme McGillivary ignore tout de la procédure d’habeas corpus, car ce recours n’est pas inclus dans sa description de travail;

  • Le SCC possède une direction de la gestion des peines qui s’occupe des poursuites en justice et s’efforce de faire en sorte que les détenus soient en mesure d’y participer;

  • La raison pour laquelle le transfèrement non sollicité a été préféré au transfèrement sollicité relevait du besoin d’empêcher M. Thompson de faire marche arrière. Il aurait pu retirer sa demande de transfèrement sollicité, ce que le SCC ne pouvait pas se permettre parce qu’il devait le sortir de l’isolement au plus tôt;

  • Eu égard à la question de savoir si M. Thompson avait présenté une réfutation au transfèrement sollicité, elle a répondu qu’il ne l’avait pas fait, mais qu’il pouvait avoir formulé un grief ou fait usage d’un autre type de recours. En fait, M. Thompson a eu l’occasion de réfuter le transfèrement, mais a décliné l’option de le faire à ce moment-là et de cette manière;

  • Interrogée quant à savoir si, au moment du transfèrement non sollicité, le SCC savait qu’il existait un danger ou que quelque chose devait se produire, elle a répondu qu’il existait deux populations carcérales principales à l’établissement de l’Atlantique. M. Thompson a été placé au sein de l’une d’entre elles, l’autre étant la population générale où il aurait pu être intégré. Cependant, il a choisi de ne pas le faire, car il souhaitait uniquement retourner dans celle qui l’avait accueilli avant d’être mis en isolement. Mme McGillivary a affirmé qu’elle ne savait pas s’il existait des inquiétudes relatives à la sécurité personnelle de M. Thompson après qu’il eut été l’auteur de plusieurs incidents violents dans ce groupe. Le SCC ne pouvait pas le remettre dans cette population sans avoir connaissance des risques qui pouvaient se matérialiser et, de surcroît, M. Thompson avait refusé de se joindre à la population générale. Or, comme il se devait de sortir M. Thompson de l’isolement d’une manière ou d’une autre, le SCC a réussi à le faire par transfèrement interrégional à Donnacona;

  • Quant à la question de savoir si elle avait parlé à un juge, mais qu’elle ne connaissait pas le juge Ferguson, Mme McGillivary a spécifié qu’elle pouvait s’être rendue à la cour et avoir parlé à un juge si elle avait été citée pour comparaître. Cela dit, il aurait pu s’agir du juge Ferguson dans le passé, mais elle n’aurait su préciser l’identité du magistrat. Elle n’avait absolument aucune idée de qui était le juge Ferguson et n’avait jamais échangé de propos avec lui à l’extérieur de la salle d’audience;

  • Elle a admis que le SCC n’avait aucunement expliqué à M. Thompson pourquoi il ne pouvait pas réintégrer son unité d’origine.

IV. Résumé de la thèse du demandeur

[19] La thèse du demandeur repose sur le fait qu’il soupçonne fortement qu’il a été privé de son audience d’habeas corpus parce que le SCC l’a transféré dans le but de l’en spolier. Il soutient qu’il a droit à une audience en vertu de la loi et des politiques. Il s’est fondé sur la Loi sur l’habeas corpus (R-U) qui prévoit qu’il est interdit de déplacer les prisonniers d’une prison à l’autre pour éviter une audience. De surcroît, il a prétendu que le SCC a le devoir de prendre les mesures nécessaires pour permettre aux gens de se rendre à la cour et que, malgré cela, ils l’ont plutôt transféré. C’est ce qu’il a dit au juge lors de leur conversation téléphonique. Étant donné que le SCC n’avait pas la preuve qu’il subirait un préjudice s’il était renvoyé dans son unité d’origine, c’est ce qu’il aurait dû faire. Au procès, la témoin a confirmé que personne n’avait transmis au demandeur de renseignement sur un préjudice potentiel qu’il subirait s’il était réintégré dans son ancienne unité et que le SCC avait ainsi bafoué ses droits.

[20] Le demandeur n’a présenté aucun élément de preuve ou aucun argument à l’égard de la demande de dommages-intérêts ou du lien de causalité.

V. Analyse

[21] J’estime que les deux témoins ont fourni des éléments de preuve fiables. La preuve documentaire à la pièce P-1 et l’exposé conjoint des faits et des admissions appuient la preuve testimoniale entendue lors de l’instruction de l’affaire et colmatent les brèches subsistantes. Cependant, je ne me rallie pas à l’interprétation de la preuve faite par le demandeur ni à ses arguments juridiques. Je vais expliquer au demandeur les raisons qui me poussent à rejeter son action en me fondant sur la preuve. Pour ce faire, je vais énumérer les éléments de preuve en ordre chronologique puis exposer mes conclusions.

[22] Le 1er mai 2014, le demandeur a été transféré depuis l’établissement de Kent à l’établissement de l’Atlantique (sécurité maximale) au Nouveau-Brunswick afin de le sortir d’un isolement de longue durée et de lui fournir un milieu sûr.

[23] Le 23 août 2016, alors qu’il était détenu à l’établissement de l’Atlantique, le demandeur a été mis en isolement parce que lui et deux autres délinquants ont poignardé un codétenu. Après de tels actes, il n’était plus le bienvenu dans cette unité. Il avait été mis en isolement à quatre reprises depuis son arrivée dans cet établissement. Son EGC a recommandé qu’il reste en isolement puisqu’il n’existait aucune autre alternative disponible en raison de ses antécédents de violence. Il avait vécu au sein de l’unité 1A (une unité restrictive) et avait refusé de se joindre à la population générale. Il existe seulement deux unités où il aurait pu vivre au sein de l’établissement de l’Atlantique.

[24] Pendant qu’il était placé en isolement, il a officiellement demandé un transfèrement sollicité à l’établissement de Donnacona (sécurité maximale) au Québec.

[25] Le 8 février 2016, pendant que sa demande était à l’étude, le demandeur a attaqué un nouvel arrivant en utilisant un couteau, ce qui l’a de nouveau mené à la mise en isolement.

[26] En février 2016, le demandeur a déposé un avis de requête préliminaire sollicitant une ordonnance d’habeas corpus auprès de la Cour du Banc de la Reine du Nouveau-Brunswick pour faire reconnaître que sa mise en isolement constituait une privation illégale de liberté.

[27] Le 9 mars 2016, il s’est fait remettre un avis écrit de recommandation d’un transfèrement non sollicité pour être envoyé à l’établissement de Donnacona. Il ne s’est pas opposé à cette mesure à l’époque. Sa demande de transfèrement sollicité à l’établissement de Donnacona a été rejetée parce qu’un détenu ne peut pas se soustraire à un transfèrement non sollicité, contrairement à un transfèrement sollicité.

[28] En mars 2016, il a déposé un grief final à l’encontre de son transfèrement. Dans un grief du délinquant (troisième palier) du 9 mars 2016, il a réfuté son transfèrement dans un autre établissement à sécurité maximale. Dans les motifs de la décision sur le grief final, il est expliqué que le grief et la réfutation d’un transfèrement sollicité sont deux processus distincts qui pourraient ne pas avoir été examinés dans le cas du transfèrement interrégional, mais seulement dans le cadre de la procédure de grief.

[29] L’agente de libération conditionnelle a recommandé que M. Thompson fasse l’objet d’un transfèrement non sollicité parce que le SCC ne pouvait pas assurer sa sécurité s’il retournait à l’unité 1B et qu’il refusait de se joindre à la population générale. Le SCC ne pouvait pas garantir sa sécurité vu son rôle dans deux différentes agressions au couteau contre d’autres détenus. Le SCC avait le devoir de le sortir de l’isolement. En outre, M. Thompson avait autrefois demandé un transfèrement sollicité à Donnacona, lieu qui a donc été recommandé pour un transfèrement interrégional dans un autre établissement à sécurité maximale pour le sortir de l’isolement. Un transfèrement interrégional est envisagé seulement pour sortir un détenu de l’isolement.

[30] Le 8 avril 2016, le SCC a pris la décision définitive de le transférer à l’établissement de Donnacona.

[31] Son isolement a été levé par le directeur de l’établissement de l’Atlantique le 25 avril 2016 pour faciliter son transfèrement plus tard le même jour.

[32] Les lettres (pièce P-1) et la transcription de la Cour confirment ce qui suit :

  • a) Une audience préliminaire sur sa demande d’habeas corpus s’est tenue le 15 avril, à 9 h 30, par téléphone;

  • b) Dans la lettre du 18 avril 2016, la date de l’audience a été fixée au 28 avril 2016, à 13 h 30, par téléconférence;

  • c) Les lettres de la Cour montrent que l’affaire a été ajournée jusqu’au 5 mai 2016 à 15 h 00.

[33] Le demandeur se trouvait à l’établissement de Donnacona le 28 avril 2016 et n’était pas mis en isolement.

[34] Le 5 mai 2016, l’audience sur l’habeas corpus du demandeur a eu lieu par téléphone avec le juge Ferguson de la Cour du Banc de la Reine du Nouveau-Brunswick. Ce dernier a statué que la question était devenue théorique parce que le demandeur ne se trouvait plus en isolement, mais qu’il était plutôt placé dans la population générale de l’établissement de Donnacona.

[35] Durant l’audience téléphonique, le juge Ferguson a dit [traduction] : « Eh bien, notre échange se tient parce que nous n’avions pas mis fin à la demande d’habeas corpus la dernière fois que nous étions ensemble ». Il a ensuite expliqué [traduction] : « […] dans la province du Nouveau-Brunswick, la Cour supérieure n’a pas la compétence de prononcer une ordonnance visant à empêcher le SCC de déplacer les détenus d’une province à l’autre. Donc, cet appel a pour but de déterminer si vous étiez toujours en isolement ».

[36] Monsieur Thompson s’est plaint d’avoir été transféré avant d’avoir eu droit à une audience. Cependant, il a confirmé qu’il n’était plus isolé des autres détenus. Le juge Ferguson a dit que c’était le but de l’audience. La Couronne a fait valoir que la demande était maintenant théorique parce que le demandeur [traduction] « n’était plus mis en isolement et que la seule réparation que la Cour [pouvait] ordonner [était] de le retirer de l’isolement, de sorte qu’il ne continue pas de faire l’objet d’une telle mesure ».

[37] Le juge Ferguson a demandé si M. Thompson avait déposé un grief à l’encontre du transfèrement. Le demandeur a répondu [traduction] : « Donc oui, légalement, c’est légalement qu’ils devaient me présenter à la cour légalement. […] C’est leur responsabilité de voir à ce que je sois présent à la Cour […] ».

[38] Le juge Ferguson a confirmé que [traduction] « […] premièrement, l’ajournement visait à déterminer ce que le SCC allait faire de vous, compte tenu du fait qu’en janvier vous aviez demandé à être transféré à Donnacona. » Le demandeur a dit qu’il avait [traduction] « été privé d’un accès à la cour. J’ai présenté une demande et ils m’ont expédié ailleurs. D’après la loi, il faut se présenter physiquement à la cour où la demande a été déposée. Vous savez cela. »

[39] Le juge Ferguson a conclu que, puisque M. Thompson était placé dans la population générale, il n’avait pas droit à la tenue d’une audience d’habeas corpus. Le juge a précisé que si M. Thompson avait un motif de mécontentement à l’égard du SCC pour son transfèrement, il n’y avait rien que sa Cour pouvait faire. C’est à ce moment que le demandeur s’est fait dire qu’il pouvait se présenter à la Cour fédérale et il transparaît clairement de la transcription que le juge Ferguson évoque la Cour fédérale pour un contrôle judiciaire de la décision sur le grief final du transfèrement par le SCC et non pas pour l’affaire de l’habeas corpus.

[40] Le juge Ferguson a tranché que, puisque M. Thompson n’était plus mis en isolement, l’audience sur l’habeas corpus était théorique.

[41] Comme le démontrent les éléments de preuve à la pièce P-1, le document du SCC sur le réexamen de l’isolement indique que le demandeur a été libéré de l’unité d’isolement administratif pour être transféré le 25 avril 2016. Il est arrivé à Donnacona le 28 avril 2016. Il n’y a pas trace de document ou d’élément de preuve expliquant pourquoi ou à la demande de qui l’audience d’habeas corpus a été ajournée du 28 avril 2016 au 5 mai 2016. Au vu des lettres de la Cour, il semble possible que ce soit la Cour elle-même qui ait décidé d’ajourner du 28 avril 2016 au 5 mai 2016 après avoir tenu l’audience préliminaire du 15 avril 2016, dont je n’ai pas la transcription. Je présume que la Cour a pris cette décision après avoir été informée que le demandeur allait être libéré de l’unité d’isolement et qu’il serait en transit le 28 avril 2016, soit la date prévue pour la tenue de l’audience. Or, ce n’est qu’une supposition et je ne dispose d’aucun élément de preuve sur les motifs justifiant l’ajournement. Dans tous les cas, son transfèrement le libérant de l’isolement prenait effet le 8 avril 2016, soit avant la date de l’audience prévue, comme le montre la décision du SCC prise par le SCAOC de la région du Québec, pièce P-1, à la page 20, onglet 3.

[42] Le 31 mai 2016, le grief final sur le transfèrement non sollicité a été rejeté par la sous‑commissaire principale. La décision afférente au grief final énumère en détail les faits et explique pourquoi le transfèrement s’est produit. Le demandeur n’a pas présenté de demande de contrôle judiciaire de cette décision à la Cour fédérale.

[43] La décision sur le grief final cite l’article 28 et le paragraphe 31(2) de la LSCMLC :

28. Le Service doit s’assurer, dans la mesure du possible, que le pénitencier dans lequel est incarcéré le détenu constitue un milieu où seules existent les restrictions nécessaires, compte tenu des éléments suivants :

a) le degré de garde et de surveillance nécessaire à la sécurité du public, à celle du pénitencier, des personnes qui s’y trouvent et du détenu;

b) la facilité d’accès à la collectivité à laquelle il appartient, à sa famille et à un milieu culturel et linguistique compatible;

c) l’existence de programmes et de services qui lui conviennent et sa volonté d’y participer.

[…]

31. (2) Il est mis fin à l’isolement préventif le plus tôt possible.

[44] La décision se poursuit comme suit :

[traduction]

En outre, un transfèrement interrégional est envisagé seulement pour sortir un détenu de l’isolement. Le paragraphe 47c) des lignes directrices 710-2-3 sur le processus de transfèrement des détenus dispose :

47. Un transfèrement interrégional sera normalement envisagé dans les cas où un tel transfèrement :

c. […] sortira [le détenu] de l’isolement lorsque toutes les solutions de rechange à son maintien en isolement ont été épuisées, y compris dans les cas où il reste moins de six mois avant la date de libération d’office ou d’expiration du mandat, que le détenu bénéficie ou non d’un soutien communautaire confirmé dans la région d’accueil. Dans un tel cas, l’Évaluation en vue d’une décision doit contenir une description détaillée des solutions de rechange au maintien en isolement qui ont été envisagées.

[45] Le demandeur a signé sa déclaration pour la présente action à Québec le 13 novembre 2017, laquelle a été délivrée le 9 janvier 2018.

[46] Le demandeur n’a mis de l’avant aucun élément de preuve pour appuyer l’existence d’une collusion visant à le transférer à l’extérieur de la région de l’Atlantique avant son audience.

[47] La preuve révèle que son agente de libération conditionnelle ne connaissait pas le juge Ferguson et ne peut donc être accusée de collusion avec ce dernier. Nul n’avait l’intention de transférer le demandeur pour faire fi de l’audience d’habeas corpus et son transfèrement avait pour objectif de le sortir de l’isolement le plus tôt possible, comme l’imposait la politique du SCC.

[48] La preuve documentaire et la preuve testimoniale de l’agente de libération conditionnelle ont confirmé que le transfèrement visait à sortir M. Thompson de l’isolement étant donné que le SCC avait des préoccupations liées à la sécurité de celui-ci quant à le remettre dans son unité d’origine ou dans l’autre population au vu de ses récentes agressions à l’encontre d’autres détenus.

[49] La Loi sur l’habeas corpus (R-U) que le demandeur prétend avoir été violée par suite de son transfèrement avant son audience n’est pas en vigueur au Canada. Donc, l’argument de droit qu’il a fait valoir à ce sujet ne peut pas être accueilli.

[50] En ce qui concerne le premier volet du critère propre à la faute commise dans l’exercice d’une charge publique, la fonctionnaire Nicole McGillivary n’a pas agi de manière illégitime et délibérée dans le cadre de ses fonctions. Rien ne révèle l’existence de mauvaise foi et de malhonnêteté puisque les motifs justifiant le transfèrement recommandé étaient clairement énoncés et que la décision visait à sortir le demandeur de l’isolement. De surcroît, Mme McGillivary n’était pas la personne qui avait approuvé le transfèrement.

[51] Le SCC devait sortir le demandeur de l’isolement dès que possible, et c’est la raison du transfèrement. Bien que l’agente de libération conditionnelle soit une fonctionnaire publique et qu’elle ait recommandé le transfèrement, elle ne l’a pas approuvé, car elle ne possède pas le pouvoir de le faire. Elle ne s’est associée d’aucune façon avec le juge Ferguson pour participer à une collusion. Sa recommandation était justifiée par ses motifs. Je conclus que le motif du transfèrement était le même que celui dont elle a témoigné, et n’était pas lié à une collusion pour faire obstacle à l’audience d’habeas corpus.

[52] De plus, le juge Ferguson jouit d’une immunité contre les poursuites. Le principe de l’immunité judiciaire s’applique à lui et il en bénéficie contre toute poursuite en responsabilité civile pour des actes posés dans l’exercice de sa fonction décisionnelle (MacKeigan c Hickman, [1989] 2 RCS 796 à la p. 830; Slansky c Canada (Procureur général), 2013 CAF 199 aux para 134-135).

[53] La transcription révèle nettement que le juge Ferguson a tenu l’audience, qu’il a cherché à obtenir la preuve quant à savoir si le demandeur était toujours placé en isolement, et que lorsqu’il a découvert qu’il ne l’était plus il a statué que l’audience sur l’habeas corpus était théorique. Il a tenté d’expliquer qu’il n’avait pas la compétence de se pencher sur le transfèrement et que le demandeur allait devoir formuler un grief à ce sujet pour ensuite aller en Cour fédérale. D’autant plus, comme la Loi sur l’habeas corpus (R-U) n’est pas une loi canadienne, lorsque le demandeur a tenté de l’invoquer, il a laissé son auditoire dans la confusion et dans l’ignorance de ce dont il pouvait traiter.

[54] En ce qui concerne le deuxième volet du critère, la conduite de la fonctionnaire publique ne répond pas à la condition selon laquelle elle devait avoir agi de manière illégitime, parce que tel n’est pas le cas. Ses actes n’étaient pas non plus susceptibles de causer un préjudice au demandeur alors qu’en fait ils lui étaient plutôt favorables. En effet, le transfèrement était fait pour sa propre sécurité étant donné son comportement agressif adopté à l’établissement de l’Atlantique. Il n’y a eu aucune inconduite délibérée et illégitime doublée de l’intention de causer un préjudice. C’est d’autant plus vrai puisque ce n’est pas la fonctionnaire publique qui a autorisé le transfèrement.

[55] Enfin, le demandeur n’a pas fait la preuve de quelque préjudice. Il n’a donc pas démontré l’existence d’une conduite délictuelle qui aurait causé un préjudice indemnisable.

[56] Le demandeur n’a prouvé, selon la prépondérance des probabilités, l’existence d’aucun des éléments constitutifs de la faute commise dans l’exercice d’une charge publique.

VI. Résumé

[57] L’audience sur l’habeas corpus s’est tenue en mai devant le juge Ferguson. Lorsqu’on lui a confirmé que le demandeur n’était plus mis en isolement, le juge a rejeté le recours en raison de son caractère théorique. Le transfèrement a pris effet le 8 avril 2016 et le demandeur a été déplacé le 25 avril 2016, soit avant la date de l’audience fixée au 28 avril 2016. Je n’ai pas de preuve que cet ajournement a été ordonné pour empêcher le demandeur de participer à l’audience. Je tire cette conclusion car, même si l’audience avait eu lieu le 28 avril 2016, le résultat aurait été le même vu que M. Thompson a été retiré de l’unité d’isolement le 25 avril 2016 et que le transfèrement a pris effet le 8 avril 2016.

[58] Je tiens à préciser qu’il n’y a aucun élément de preuve appuyant l’existence d’une faute commise par Nicole McGillivary ou par le juge Ferguson, ensemble ou individuellement. De plus, il n’y avait aucune collusion entre ces deux personnes et le demandeur n’a pas prouvé l’existence d’une autre cause d’action selon la prépondérance des probabilités.

VII. Conclusion

[59] La présente action est rejetée avec dépens. Vu le statut de détenu du demandeur et son attitude respectueuse à l’égard de la Cour, j’adjugerai à la défenderesse des dépens réduits, pour une somme globale de 100 $, taxes et débours compris.


JUGEMENT DANS LE DOSSIER T-36-18

LA COUR STATUE :

  1. L’action est rejetée;

  2. Le demandeur doit payer à la défenderesse des dépens de 100 $, taxes et débours compris.

« Glennys L. McVeigh »

Juge

Traduction certifiée conforme

Semra Denise Omer


ANNEXE A

T-36-18

Cour fédérale

Terry Thompson

demandeur

et

Sa Majesté la Reine

défenderesse

Paragraphe 48(1) – poursuite visant la Couronne

DÉCLARATION

À l’appui de sa déclaration, le demandeur fait valoir les motifs suivants :

Exposé des faits

  • 1) Je soussigné, Terry Thompson, suis sous la garde du Service correctionnel du Canada.

  • 2) J’ai déposé une demande d’ordonnance d’habeas corpus vers février 2016 en raison d’une détention illégale.

  • 3) L’audience était prévue en avril 2016.

  • 4) L’ordonnance d’habeas corpus sollicitée visait l’établissement de l’Atlantique au Nouveau-Brunswick.

  • 5) Le juge Fred Ferguson et mon agente de libération conditionnelle, Nicole McGillivary, sont de connivence.

  • 6) Ils ont ajourné l’audience pour permettre à l’établissement de l’Atlantique de me transférer à l’extérieur de la province avant la tenue de mon audience.

  • 7) L’audience devait se tenir le 28 avril 2016. J’ai été transféré le 25 avril 2016.

  • 8) Je suis arrivé à l’établissement de Donnacona au Québec le 25 avril 2016. Le directeur de l’établissement aurait dû me renvoyer au Nouveau-Brunswick pour l’audience, mais ne l’a pas fait.

  • 9) Les actes posés par le Service correctionnel Canada et le juge Fred Ferguson m’ont privé d’un accès à la cour et des mesures de réparation.

  • 10) La Loi sur l’habeas corpus dispose qu’aucun gardien de prison ne devrait transférer un détenu à l’extérieur de la province ou une autre prison pour faire obstacle à un bref d’habeas corpus.

  • 11) Le cas échéant, il doit payer au détenu les dépens et les dommages‑intérêts, ainsi que des amendes élevées.

  • 12) Je réclame des dommages‑intérêts moraux.

Statement of Claim_4


ANNEXE B

2

Zone de Texte: 2 Le demandeur a déposé un avis de requête préliminaire pour une ordonnance d’habeas corpus (habeas corpus) en février 2016, lequel contestait sa mise en isolement durant son incarcération à l’EA.

  1. Le 9 mars 2016, le demandeur a reçu un avis écrit de recommandation d’un transfèrement non sollicité. Il n’a pas soumis de réfutation à l’égard de son transfèrement non sollicité.

  2. Le 8 avril 2016, la décision définitive a été prise de transférer le demandeur d’EA à l’ED. Il est arrivé à l’établissement de Donnacona le 28 avril 2016.

  3. Quoique le demandeur n’ait pas soumis de réfutation à l’égard de son transfèrement non sollicité, il a présenté un grief final en mars 2016.

  4. Le 31 mai 2016, une décision sur le grief final a été prise.

  5. Entre le mois de mars et le mois de mai 2016, la Cour du Banc de la Reine du Nouveau-Brunswick est entrée en communication avec le demandeur au sujet de son habeas corpus. L’audience pour l’habeas corpus était prévue en avril 2016.

  6. Le 5 mai 2016, le demandeur a participé par conférence téléphonique à une audience portant sur son habeas corpus devant monsieur le juge Fred Ferguson de la Cour du Banc de la Reine du Nouveau-Brunswick.

9. Le 12 janvier 2018, le demandeur a signifié à la défenderesse la présente déclaration.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-36-18

 

INTITULÉ :

THOMPSON c SA MAJESTÉ LA REINE DU CHEF DU CANADA

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 21 JUIN 2021

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE MCVEIGH

 

DATE DES MOTIFS :

Le 12 AOÛT 2021

 

COMPARUTIONS :

Terry Thompson

 

LE DEMANDEUR

POUR SON PROPRE COMPTE

Renalda Ponari

 

POUR LA DÉFENDERESSE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Procureur général du Canada

Montréal (Québec)

POUR LA DÉFENDERESSE

 

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