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Date : 20210623


Dossier : T‑1124‑20

Référence : 2021 CF 657

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 23 juin 2021

En présence de monsieur le juge Manson

ENTRE :

KEVIN MATTHEW GARNER

demandeur

et

LA PREMIÈRE NATION UNION BAR ET

ANDREW ALEX EN SA QUALITÉ DE CHEF ET CONSEIL DE LA

PREMIÈRE NATION UNION BAR

défendeurs

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Introduction

[1] La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire visant une décision qui aurait été prise par la Première Nation Union Bar (la Première Nation ou la bande), ou le chef Andrew Alex, de retirer le demandeur de la liste des membres de la bande Union Bar ou de révoquer son statut de membre de la bande [la Décision].

II. Contexte

[2] Le demandeur, Kevin Matthew Garner, s’est considéré et a été traité comme membre de la Première Nation Union Bar [la bande] de sa naissance en 1967 jusqu’en juillet 2019 approximativement.

[3] Le défendeur est soit la bande et le chef Andrew Alex [le chef Alex], en sa qualité de chef et conseil de la bande, ou l’un des deux. La bande est une « bande » au sens de la Loi sur les Indiens, LRC (1985), c I‑5 [la Loi sur les Indiens de 1985]. Le chef Alex dirige la bande sans qu’il y ait eu d’élections depuis 1967 et sans conseillers depuis 1994.

A. Les liens du demandeur avec la bande

[4] Le demandeur a des liens culturels de longue date avec la bande. Sa mère et son fils sont membres de la bande. Sa mère a agi à titre de membre élue du conseil de bande de 1966 à la fin des années 70. Son père est originaire de la Première Nation de Seabird Island. Les parents du demandeur n’étaient pas mariés.

[5] Lorsqu’il était enfant, le demandeur recevait une allocation vestimentaire annuelle de la bande, puis une fois devenu adulte, il a reçu d’autres prestations de la bande, dont un modeste paiement en espèces à l’approche de Noël.

[6] Le demandeur affirme être un pêcheur et un chasseur. Il pratique la pêche avec son fils sur les sites de pêche traditionnels (Sister Rock, tout juste après le ruisseau American et en amont du ruisseau American). Il enseigne également aux autres membres de la bande comment chasser et préparer des aliments traditionnels et fournit des aliments traditionnels aux aînés et aux membres de la bande dans le besoin.

[7] Le demandeur a également représenté la bande dans des activités de pêche, notamment au sein de la Lower Fraser Fisheries Alliance, du conseil d’administration de la Fraser Valley Aboriginal Fisheries Society, et au titre d’un permis de pêche communautaire des Autochtones de 2018.

[8] Le Certificat de statut d’Indien du demandeur a été délivré en 2015 et désigne la bande comme son groupe au registre. En 2000, le défendeur a approuvé la délivrance d’un certificat de possession au demandeur pour sa maison familiale ancestrale située dans la réserve de la bande.

B. La liste de bande

[9] Entre 1970 et 1986, le nom du demandeur a toujours figuré sur la liste de la bande. À cette époque, la liste de la bande était tenue par le gouvernement fédéral [alors le ministère des Affaires indiennes], comme le prévoit l’article 9 de la Loi sur les Indiens de 1985 :

Liste de bande tenue au ministère

9 (1) Jusqu’à ce que la bande assume la responsabilité de sa liste, celle‑ci est tenue au ministère par le registraire.

Band Lists maintained in Department

9 (1) Until such time as a band assumes control of its Band List, the Band List of that band shall be maintained in the Department by the Registrar.

[10] La bande a assumé la responsabilité de sa liste de membres et de la liste de bande le 25 juin 1987, conformément à l’article 10 de la Loi sur les Indiens de 1985 :

Pouvoir de décision

10 (1) La bande peut décider de l’appartenance à ses effectifs si elle en fixe les règles par écrit conformément au présent article et si, après qu’elle a donné un avis convenable de son intention de décider de cette appartenance, elle y est autorisée par la majorité de ses électeurs.

Band control of membership

10 (1) A band may assume control of its own membership if it establishes membership rules for itself in writing in accordance with this section and if, after the band has given appropriate notice of its intention to assume control of its own membership, a majority of the electors of the band gives its consent to the band’s control of its own membership.

[11] La bande a adopté des règles d’appartenance provisoires jusqu’à l’adoption d’un code d’appartenance final, le « Code d’appartenance de 2019 », le 22 novembre 2019. Les règles d’appartenance provisoires prévoyaient l’application continue du paragraphe 11(1) de la Loi sur les Indiens de 1985. Le paragraphe 11(1) de la Loi sur les Indiens de 1985 codifie le droit d’une personne à ce que son nom soit consigné dans une liste de bande, telle que tenue par le ministère des Affaires indiennes [maintenant le ministère des Services aux Autochtones Canada].

C. Le demandeur est exclu des activités de la Première Nation Union Bar et privé des droits connexes

[12] À partir de juillet 2019 ou à peu près, le défendeur a exclu le demandeur de diverses activités et l’a privé de droits liés à la bande, notamment : (i) la ratification de la Convention de règlement de la revendication particulière de la réserve de Seabird Island [la Convention de règlement]; (ii) la ratification du Code d’appartenance de 2019, dans lequel la liste à jour des membres excluait le demandeur; et (iii) la répartition en espèces du produit du règlement versé aux membres de la bande, pour un total d’environ 84 000 $ par personne (comme en témoignent les montants en espèces qu’ont reçus la mère et le fils du demandeur).

[13] Le ou vers le 24 juillet 2019, l’avocat de la bande a informé le demandeur qu’il n’était pas membre de la bande, mais seulement « affilié » à la bande. Cette information faisait suite aux questions du demandeur qui voulait savoir pourquoi il n’avait pas reçu de trousse de vote pour la ratification de la Convention de règlement, comme sa mère et son fils.

[14] Entre le 15 et le 21 août 2019, le demandeur a soumis des documents pour aider à vérifier son appartenance à la bande, dont son Certificat de statut d’Indien, une lettre d’une autre bande confirmant qu’il n’était pas membre de cette dernière et le certificat de naissance de sa mère.

[15] Le nom du demandeur ne figurait pas dans la liste des membres de l’annexe « A » jointe au Code d’appartenance de 2019, adopté le 22 novembre 2019.

[16] Dans une lettre datée du 26 novembre 2019, le défendeur a informé le demandeur que le droit de sa famille à l’appartenance à la bande, y compris celui de sa mère et de son fils, avait été remis en question par des allégations non divulguées d’ascendance non autochtone. En réponse à la demande du défendeur, le demandeur a tenté d’obtenir des certificats de naissance de ses ancêtres.

[17] Le 25 février 2020, l’avocat du demandeur a demandé les règles d’appartenance provisoires, les listes de bande tenues par la bande et le processus utilisé pour élaborer l’annexe A du Code d’appartenance de 2019 afin de clarifier le fondement juridique de la révocation alléguée du demandeur de l’appartenance à la bande par le défendeur. Le 12 mars 2020, le défendeur a adopté la position selon laquelle le demandeur n’était pas un membre de la bande et n’avait donc pas droit aux documents demandés.

III. La décision faisant l’objet du contrôle

[18] Le demandeur sollicite une ou des ordonnances invalidant la Décision ou la déclarant illégale et annulant ou infirmant la Décision. La Décision est le retrait allégué du demandeur de la liste de bande par le défendeur ou la décision de ce dernier de révoquer l’appartenance du demandeur à la bande, qui a eu lieu en juillet 2019 ou avant. Le défendeur nie qu’une telle décision ait été prise. Le demandeur sollicite également les dépens et autres frais de la présente demande sur une base avocat‑client.

IV. Les questions en litige

[19] Les questions en litige dans la présente affaire sont les suivantes :

  1. Le défendeur a‑t‑il pris une décision susceptible de contrôle?

  2. La Cour a‑t‑elle compétence pour procéder au contrôle judiciaire de la Décision?

  3. Y a‑t‑il eu manquement à l’équité procédurale dans le cadre de la Décision?

  4. La Décision est‑elle déraisonnable?

  5. Quelle réparation est indiquée compte tenu des circonstances?

V. La norme de contrôle

[20] Le manquement allégué à l’équité procédurale est susceptible de contrôle selon la norme de la décision correcte. Le bien‑fondé de la décision est susceptible de contrôle selon la norme de la décision raisonnable (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov]).

VI. Analyse

A. Les positions des parties

[21] Le demandeur affirme que le défendeur a retiré son nom de la liste de la bande ou a révoqué son appartenance à la bande à une date inconnue. Il s’agit d’une décision susceptible de contrôle, relevant de la compétence de la Cour. La Décision constitue un manquement à l’obligation d’équité procédurale envers le demandeur, car elle a été rendue sans préavis et sans donner au demandeur l’occasion d’être entendu. En outre, la Décision est déraisonnable, car elle ne repose sur aucun fondement factuel ou juridique : le demandeur aurait le droit d’être membre de la bande.

[22] Le demandeur déclare également que, si son appartenance à la bande n’est pas reconnue ou rétablie, il risque de subir un préjudice très grave et irréparable, notamment la perte de son foyer, de sa communauté et de son identité culturelle, ainsi que de sa capacité à transmettre ceux‑ci à son fils.

[23] Le défendeur est d’avis que le demandeur n’est pas, et n’a jamais été, un membre de la bande. De plus, bien que des recherches plus approfondies soient nécessaires, le défendeur croit que toute la [traduction] « lignée Garner » n’a pas le droit d’être membre de la bande, puisque les arrière‑grands‑parents du demandeur n’y auraient pas eu droit. Bien que le demandeur ait bénéficié de certains avantages en tant que personne affiliée à la bande, cela ne signifie pas qu’il était membre de la bande. De plus, le chef Alex a commis une erreur en accordant au demandeur le certificat de possession de la maison ancestrale de sa famille.

[24] Le défendeur n’a pas retiré ou ordonné le retrait du nom du demandeur de la liste de la bande. En tant que tel, il n’y a aucune preuve que la Décision a été effectivement prise. Elle ne peut donc pas faire l’objet d’un contrôle par la Cour.

B. Le défendeur a‑t‑il pris une décision susceptible de contrôle?

[25] Une question préliminaire se pose à savoir si le défendeur a pris la décision de retirer le nom du demandeur de la liste de la bande ou de révoquer l’appartenance du demandeur à la bande. Le défendeur nie avoir pris ou ordonné une telle mesure.

[26] Cependant, il est clair que, pendant la période où le gouvernement fédéral a tenu la liste de la bande, le nom du demandeur y figurait. La preuve indique également que le défendeur a considéré le demandeur comme un membre de la bande, jusqu’à un certain point en juillet 2019, lorsque le demandeur a cessé de bénéficier des mêmes droits que les autres membres de la bande.

[27] Je n’accepte pas la position du défendeur selon laquelle le demandeur n’a reçu des avantages qu’en tant que personne affiliée à la bande. Non seulement le demandeur a des liens culturels profonds avec la bande, mais il a représenté les intérêts de la bande dans des activités de pêche. Le demandeur a bénéficié des avantages de l’appartenance à la bande jusqu’en juillet 2019 environ. Les éléments de preuve ne démontrent pas qu’il existe une catégorie distincte de personnes qui n’ont reçu des avantages qu’à titre de personnes affiliées à la bande.

[28] De plus, le Certificat de possession a été approuvé par le défendeur en 2000. Aucune excuse raisonnable n’a été fournie pour étayer la position du défendeur selon laquelle, plus de 10 ans plus tard, il peut prétendre avoir délivré le Certificat de possession par erreur, sur la base d’une prétendue, mais non prouvée, absence d’appartenance à la bande.

[29] Je note également l’argument du demandeur concernant son droit à l’appartenance à la bande, qui n’est pas contesté. Le demandeur a été inscrit en vertu de l’alinéa 11(1)e) de la Loi sur les Indiens, LRC 1970, c I‑6 :

11.(1) Sous réserve de l’article 12, une personne a le droit d’être inscrite si

e) elle est l’enfant illégitime d’une personne du sexe féminin décrite à l’alinéa a), b) ou d), ou

[30] Ce droit a été préservé par l’alinéa 11(1)a) de la Loi sur les Indiens de 1985, qui prévoit ce qui suit :

Règles d’appartenance pour une liste tenue au ministère

11 (1) À compter du 17 avril 1985, une personne a droit à ce que son nom soit consigné dans une liste de bande tenue pour cette dernière au ministère si elle remplit une des conditions suivantes :

a) son nom a été consigné dans cette liste, ou elle avait droit à ce qu’il le soit le 16 avril 1985;

Membership rules for Departmental Band List

11 (1) Commencing on April 17, 1985, a person is entitled to have his name entered in a Band List maintained in the Department for a band if

(a) the name of that person was entered in the Band List for that band, or that person was entitled to have it entered in the Band List for that band, immediately prior to April 17, 1985;

[31] De plus, ce droit aurait continué d’exister en vertu des règles d’appartenance provisoires jusqu’en novembre 2019. Par conséquent, le défendeur ne pouvait pas retirer le nom du demandeur de la liste de la bande.

[32] Bien que le dossier n’indique pas clairement à quel moment le nom du demandeur n’a plus été consigné dans la liste de la bande, le défendeur ne peut pas prétendre qu’aucune décision n’a été prise. Le traitement du demandeur par le défendeur a changé de façon considérable en 2019. Il ne fait aucun doute que le défendeur a pris une décision et y a donné suite. L’absence de formalisation de la Décision ne constitue pas un obstacle au contrôle judiciaire, car cela « encouragerait les conseils de bandes et d’autres entités administratives à s’abstenir d’enregistrer leurs décisions et à agir sur la base de décisions informelles » (Okemow‑Clark c Nation crie de Lucky Man, 2008 CF 888 aux para 29 et 30 [Okemow‑Clark], confirmé par 2010 CAF 48).

[33] Le défendeur affirme qu’il incombe au demandeur de vérifier d’abord si le Registraire ou le ministère des Affaires indiennes (tel qu’il s’appelait à l’époque) a retranché son nom de la liste de la bande. Dans un tel cas, il peut y avoir eu une décision susceptible de contrôle (Landry c Canada (Affaires indiennes et du Nord Canada) (1996), 118 FTR 184 aux para 36, 37, 41, 45‑48, 52 [Landry], 67 ACWS (3d) 3). En outre, le demandeur devrait faire une demande d’appartenance à la bande conformément au Code d’appartenance de 2019. Si le demandeur voit sa demande d’appartenance refusée, il peut alors solliciter un contrôle judiciaire.

[34] Je ne pense pas que les circonstances de l’affaire Landry s’appliquent à la présente affaire. Dans la décision Landry, la Cour fédérale a examiné l’application du paragraphe 5(3) et de l’article 14.2 de la Loi sur les Indiens en ce qui concerne le pouvoir du ministère des Affaires indiennes d’ajouter le nom d’une personne dans le Registre des Indiens ou de le retrancher. Ainsi, la Cour fédérale a déterminé que, dans ce contexte, une décision finale n’avait pas été rendue. En l’espèce, une décision a été rendue par la bande. On ne m’a signalé aucun processus d’examen interne auquel le demandeur n’a pas participé.

C. La Cour a‑t‑elle compétence pour procéder au contrôle judiciaire de la Décision?

[35] Le contrôle judiciaire de la Décision relève de la compétence de la Cour. La décision d’un conseil de bande de retirer le nom d’une personne de la liste de la bande, dont la compétence est prévue à l’article 10 de la Loi sur les Indiens de 1985, est une décision d’un « office fédéral » et susceptible de contrôle judiciaire (Loi sur les Cours fédérales, LRC 1985, c F‑7, para 2(1) et 18(1); Ermineskin c Conseil de la bande d’Ermineskin, [1995] ACF no 821 aux para 13‑14, 96 FTR 181).

D. Y a‑t‑il eu manquement à l’équité procédurale dans le cadre de la Décision?

[36] La Décision a des répercussions importantes sur le demandeur. Il s’identifie à la bande et a été traité comme un membre de la bande depuis sa naissance. Le demandeur risque de perdre le droit de posséder la maison ancestrale de sa famille, son lien avec la bande et sa part de la répartition par personne du produit du règlement. Les enjeux sont très élevés pour le demandeur.

[37] Je souscris à la position du demandeur selon laquelle il avait droit à un avis et à une possibilité réelle de participer au processus décisionnel, y compris au droit d’être entendu. J’ajoute également que le demandeur avait droit à une divulgation appropriée afin de pouvoir répondre de manière adéquate. Cela comprend, notamment, les documents demandés par son avocat le 25 février 2020.

[38] Aucune équité procédurale n’a été observée à l’égard du demandeur dans le cadre de la prise de décision. Le demandeur n’a reçu aucun avis, n’a obtenu que des réponses évasives à ses questions et n’a eu droit à aucune véritable divulgation, ni à la possibilité d’être entendu. La Décision a été prise sur la base d’allégations non divulguées, qui restent non fondées. Le défendeur a porté atteinte au droit du demandeur à l’équité procédurale.

E. La Décision est‑elle déraisonnable?

[39] La Décision ne satisfait pas à la norme de la décision raisonnable. Il n’existe aucun fondement factuel ou juridique raisonnable à la décision du défendeur de retirer le nom du demandeur de la liste de la bande ou de révoquer son appartenance à la bande. La décision manque de justification, de transparence et d’intelligibilité. La seule explication offerte par le défendeur semble être la suggestion que deux des arrière‑grands‑parents du demandeur n’étaient pas Autochtones ou [traduction] « n’étaient pas de la lignée de Union Bar ». Aucun élément de preuve n’a été fourni pour étayer la proposition, ni aucune justification que cela constituerait un fondement juridique pour révoquer l’appartenance du demandeur à la bande. En fait, le défendeur semble essayer de rassembler des preuves a posteriori de la Décision pour justifier la révocation de l’appartenance du demandeur à la bande. Comme il est indiqué dans le mémoire des faits et du droit du défendeur au paragraphe 2 :

[traduction]

Le chef Alex croyait que le demandeur n’était pas membre et n’avait jamais été membre de Union Bar, bien qu’il semble que le Canada ait inclus le demandeur dans la liste des membres de Union Bar qu’il a tenue jusqu’au 31 décembre 1986. Union Bar a assumé la responsabilité de sa liste de membres le 25 juin 1987.

[40] Selon l’affidavit du chef Alex, souscrit le 2 mars 2021, la bande enquête actuellement sur les circonstances de l’appartenance du demandeur à la bande, avec l’objectif déclaré d’essayer de prouver que le demandeur n’y a pas droit (paragraphes 3 et 5) :

[traduction]

Comme indiqué au paragraphe cinq de mon premier affidavit, la Première Nation Union Bar a retenu les services d’un chercheur pour trouver les documents étayant la position de la Première Nation Union Bar selon laquelle Joseph Garner et sa femme, Annie Garner, n’auraient jamais dû être inscrits sur la liste des membres de Union Bar et que cette erreur aurait donc dû être corrigée, et que Joseph Garner et Annie Garner et tous leurs descendants, y compris le demandeur Kevin Matthew Garner, auraient dû être retirés de la liste des membres de Union Bar tenue par ce qui était alors le ministère des Affaires indiennes (MAI) au plus tard la veille du jour où la Première Nation Union Bar a assumé la responsabilité de sa liste de membres le 25 juin 1987. Par conséquent, Kevin Garner n’aurait pas dû figurer sur la liste des membres de la Première Nation Union Bar, car je constate maintenant qu’il semble y avoir figuré avant le 25 juin 1987. L’ajout de Joseph Garner par le MAI à la liste des membres de Union Bar, alors tenue par le MAI, a entraîné d’énormes pertes de ressources forestières de Union Bar, au profit de Joseph Garner et au détriment de Union Bar et de ses membres.

En tant que chef de la Première Nation Union Bar, je suis d’avis que tant que la Première Nation Union Bar ne sera pas en mesure d’obtenir les documents que j’ai vus, de les examiner et de les présenter correctement à la Cour, la présente affaire ne pourra pas être résolue de manière équitable et la Première Nation Union Bar sera gravement lésée…

[41] Il est troublant que le défendeur soutienne qu’il ne sait pas s’il a reçu du ministère des Affaires indiennes une copie de la liste de la bande lorsqu’il a assumé la responsabilité de celle‑ci. Le chef Alex ne sait pas non plus si le demandeur figurait sur la liste de la bande. Entre‑temps, la liste de la bande a été tenue à jour par l’épouse du chef Alex, une fois que la bande en a assumé la responsabilité, puis par la fille du chef Alex, à partir de 2013.

[42] Par ailleurs, même après l’adoption par la bande des Règles d’appartenance de 2019, le pouvoir du défendeur de retirer des noms de la liste de la bande était limité par les paragraphes 10(4) et 10(5) de la Loi sur les Indiens de 1985 :

Droits acquis

(4) Les règles d’appartenance fixées par une bande en vertu du présent article ne peuvent priver quiconque avait droit à ce que son nom soit consigné dans la liste de bande avant leur établissement du droit à ce que son nom y soit consigné en raison uniquement d’un fait ou d’une mesure antérieurs à leur prise d’effet.

Idem

(5) Il demeure entendu que le paragraphe (4) s’applique à la personne qui avait droit à ce que son nom soit consigné dans la liste de bande en vertu de l’alinéa 11(1)(c) avant que celle‑ci n’assume la responsabilité de la tenue de sa liste si elle ne cesse pas ultérieurement d’avoir droit à ce que son nom y soit consigné.

Acquired rights

(4) Membership rules established by a band under this section may not deprive any person who had the right to have his name entered in the Band List for that band, immediately prior to the time the rules were established, of the right to have his name so entered by reason only of a situation that existed or an action that was taken before the rules came into force.

Idem

(5) For greater certainty, subsection (4) applies in respect of a person who was entitled to have his name entered in the Band List under paragraph 11(1)(c) immediately before the band assumed control of the Band List if that person does not subsequently cease to be entitled to have his name entered in the Band List.

[43] Les recherches du défendeur quant à la [traduction] « lignée Garner » constituent « un fait ou une mesure antérieurs à [la] prise d’effet [du Code d’appartenance de 2019] ». Dans la mesure où le Code d’appartenance de 2019 contrevient aux paragraphes 10(4) et 10(5) de la Loi sur les Indiens de 1985, il ne constitue pas une base valide pour révoquer l’appartenance à la bande du demandeur. Par exemple, les dispositions 8.1b) et 8.2‑8.3 du Code d’appartenance de 2019 prévoient ce qui suit :

[traduction]

Partie VIII – Perte de la qualité de membre

8.1 Le droit d’une personne d’être membre, et tous les avantages qui en découlent, prennent fin immédiatement dans les cas suivants :

b) lorsqu’il est définitivement établi que la personne est devenue membre à la suite d’une erreur ou sur la base de renseignements faux ou inexacts;

8.2 Lorsqu’il a des raisons de croire qu’une personne est devenue membre à la suite d’une erreur ou sur la base de renseignements faux ou inexacts, l’administrateur de l’appartenance doit informer le membre par écrit de l’erreur ou des renseignements inexacts et lui accorder un délai de trente (30) jours à compter de la date de l’avis pour fournir des renseignements supplémentaires.

8.3 À l’expiration du délai visé au paragraphe 8.2, l’administrateur de l’appartenance soumet les renseignements originaux et toute information reçue du membre au chef et, le cas échéant, au conseil, qui rend une décision écrite et motivée.

[44] Bien qu’il puisse chercher à invoquer l’alinéa 8.1b) du Code d’appartenance de 2019, le défendeur n’a rendu aucune décision finale dans le présent cas. Bien que le défendeur ait pris une décision concernant l’appartenance du demandeur à la bande et qu’il ait agi en conséquence, il est clair que le défendeur continue de rassembler des éléments de preuve afin de prendre une décision finale, comme prévu à l’alinéa 8.1b) du Code d’appartenance de 2019. En outre, le demandeur n’a reçu aucun avis et n’a pas eu la possibilité de répondre. Même si l’alinéa 8.1b) du Code d’appartenance de 2019 devait s’appliquer aux circonstances du demandeur, le défendeur a, quoi qu’il en soit, effectivement enfreint le processus prescrit.

[45] La position du défendeur selon laquelle le demandeur n’est pas un membre de la bande n’est tout simplement pas étayée par le dossier. Sa décision de retirer le demandeur de la liste de la bande ou de révoquer son appartenance à la bande n’est pas justifiée et manque de transparence et d’intelligibilité. Une telle révocation n’est pas non plus fondée en droit, aux termes des paragraphes 10(4) et 10(5) de la Loi sur les Indiens de 1985.

F. Quelle réparation est indiquée compte tenu des circonstances?

[46] Le défendeur soutient que la question devrait être renvoyée à la bande pour nouvel examen (Conseil de bande de la Première Nation Peters c Peters, 2019 CAF 197 aux para 52, 55‑63 [Peters]; Okemow‑Clark, précitée, aux para 35‑38).

[47] Les réparations sont discrétionnaires. Lorsque la décision contrôlée selon la norme de la décision raisonnable ne peut être confirmée, il conviendra le plus souvent de renvoyer l’affaire au décideur pour qu’il revoie la décision (Vavilov, précité, au para 141). Toutefois, une cour de révision doit se demander si le renvoi de l’affaire servirait un objectif pratique ou juridique (Peters, précitée, para 56; Vavilov, para 142). Ce n’est pas le cas en l’espèce.

[48] Je conclus qu’il convient d’annuler la Décision et de rétablir l’appartenance du demandeur à la bande, sans interruption. Le droit du demandeur d’être membre de la bande est tel que le résultat est inévitable et que le renvoi de l’affaire à la bande ne servirait à rien, mais empêcherait plutôt la résolution rapide et efficace de l’affaire (Vavilov au para 142). Contrairement aux précédents invoqués par le défendeur, il n’y a pas de doute quant à l’appartenance du demandeur à la bande jusqu’en juillet 2019.

[49] Les circonstances en l’espèce sont différentes de celles décrités par la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Peters. Cet arrêt portait sur une demande d’inscription sur la liste de la bande parmi d’autres, où le conseil de bande n’avait pas réussi à résoudre deux questions fondamentales liées au droit du demandeur à l’inscription sur la liste de la bande. Dans la décision Okemow‑Clark, la Cour fédérale a conclu en partie qu’il y avait très peu d’éléments de preuve qui permettaient de déterminer si les demandeurs avaient fait consigner leur nom dans la liste de la bande en question, avant le jour où la Nation crie de Lucky Man avait assumé la responsabilité de sa liste de membres (Okemow‑Clark, para 35‑37).

[50] Selon les éléments de preuve non contestés, le nom du demandeur figurait sur la liste de la bande tenue par le gouvernement fédéral, avant que la bande n’en assume la responsabilité. Le défendeur admet que [traduction] « le Canada a inclus le demandeur sur la liste des membres de Union Bar qu’il a tenue jusqu’au 31 décembre 1986 », avant que la bande n’en assume la responsabilité.

[51] Je note également le mépris total du défendeur à l’égard de l’équité procédurale et sa position inébranlable, mais non fondée, selon laquelle le demandeur n’a pas le droit d’être membre de la bande. Dans de telles circonstances, les préoccupations relatives aux retards, à l’équité envers les parties et à l’urgence de fournir une résolution au litige favorisent également l’exercice par la Cour du pouvoir discrétionnaire de réparation en l’espèce.

[52] L’annulation de la Décision dans l’espèce a pour effet de rétablir de façon ininterrompue l’appartenance du demandeur à la bande.

[53] Je conclus qu’une somme globale à titre de dépens doit être adjugée au demandeur, conformément au paragraphe 400(4) des Règles des Cours fédérales, DORS/98‑106. Bien que le demandeur sollicite des dépens sur une base avocat‑client, ceux‑ci sont rarement accordés et sont plutôt réservés aux cas où une partie fait preuve d’une « conduite répréhensible, scandaleuse ou outrageante » (Québec (Procureur général) c Lacombe, 2010 CSC 38 au para 67). Ce critère élevé n’a pas été établi en l’espèce. Toutefois, les circonstances de la présente affaire justifient tout de même l’octroi d’une somme globale à titre de dépens, selon un barème supérieur, correspondant à 50 % des honoraires d’avocat réels, soit 54 086,87 $ (50 % de 108 173,74 $) (Whalen c Première Nation no 468 de Fort McMurray, 2019 CF 1119 aux para 28, 33 [Whalen]). Le demandeur a également droit à un montant de 1 501,26 $ pour ses débours. Les dépens sont payables sans délai par le défendeur.

[54] Le pouvoir discrétionnaire d’adjuger une somme globale à titre de dépens est exercé en tenant compte de tous les facteurs pertinents, y compris ceux énumérés au paragraphe 400(3) des Règles des Cours fédérales (Whalen, précitée au para 31). L’ordre de grandeur approprié d’une somme globale à titre de dépens se situe généralement dans une fourchette de 25 % à 50 % des honoraires d’avocat réels de la partie qui obtient gain de cause (Nova Chemicals Corporation c Dow Chemical Company, 2017 CAF 25 au para 17 [Nova Chemicals]; Whalen au para 33). Les facteurs applicables du paragraphe 400(3) jouent en faveur de l’octroi d’une somme globale élevée à titre de dépens en l’espèce.

[55] Le défendeur a commencé à traiter le demandeur de façon très différente en juillet 2019, sans aucun fondement juridique ou factuel pour le justifier. Le fardeau de la preuve a été placé sur le demandeur, qui s’est renseigné auprès du défendeur, et qui a découvert que des préoccupations non fondées existaient quant à son appartenance à la bande. Le demandeur n’a bénéficié d’aucun avis, d’aucune possibilité de répondre et d’aucune divulgation, malgré des demandes d’informations supplémentaires.

[56] Il incombait au défendeur de tenir à jour la liste de la bande, après en avoir assumé la responsabilité le 25 juin 1987. La liste de la bande aurait été tenue à jour par sa femme et, plus tard, par sa fille. Par conséquent, dans la mesure où il allègue qu’il ne savait pas si une liste de la bande avait été reçue du ministère des Affaires indiennes et qu’il ne connaissait pas les membres qui y étaient inscrits au fil des ans, le défendeur a cherché à s’appuyer sur sa propre incapacité à assumer ces responsabilités.

[57] Une telle conduite, qui constitue un exercice de pouvoir désinvolte, doit être découragée par la Cour et justifie l’adjudication d’une somme globale à titre de dépens à l’extrémité supérieure de la fourchette décrite par la Cour d’appel fédérale dans l’affaire Nova Chemicals, soit 50 % des honoraires d’avocat réels.

VII. Conclusion

[58] Pour les motifs exposés ci‑dessus, la Décision est annulée. L’appartenance du demandeur à la Première Nation Union Bar est rétablie, sans interruption des droits et avantages du demandeur. Les dépens sont adjugés au demandeur sur la base d’une somme globale de 54 086,87 $, plus des débours de 1 501,26 $.

VIII. Annexe A : Dispositions pertinentes

[59] Les dispositions pertinentes de la Loi sur les Indiens de 1985 sont notamment les suivantes :

Liste de bande tenue au ministère

9 (1) Jusqu’à ce que la bande assume la responsabilité de sa liste, celle‑ci est tenue au ministère par le registraire.

Pouvoir de décision

10 (1) La bande peut décider de l’appartenance à ses effectifs si elle en fixe les règles par écrit conformément au présent article et si, après qu’elle a donné un avis convenable de son intention de décider de cette appartenance, elle y est autorisée par la majorité de ses électeurs.

Droits acquis

(4) Les règles d’appartenance fixées par une bande en vertu du présent article ne peuvent priver quiconque avait droit à ce que son nom soit consigné dans la liste de bande avant leur établissement du droit à ce que son nom y soit consigné en raison uniquement d’un fait ou d’une mesure antérieurs à leur prise d’effet.

Idem

(5) Il demeure entendu que le paragraphe (4) s’applique à la personne qui avait droit à ce que son nom soit consigné dans la liste de bande en vertu de l’alinéa 11(1)c) avant que celle‑ci n’assume la responsabilité de la tenue de sa liste si elle ne cesse pas ultérieurement d’avoir droit à ce que son nom y soit consigné.

Règles d’appartenance pour une liste tenue au ministère

11 (1) À compter du 17 avril 1985, une personne a droit à ce que son nom soit consigné dans une liste de bande tenue pour cette dernière au ministère si elle remplit une des conditions suivantes :

a) son nom a été consigné dans cette liste, ou elle avait droit à ce qu’il le soit le 16 avril 1985;

b) elle a le droit d’être inscrite en vertu de l’alinéa 6(1)b) comme membre de cette bande;

c) elle a le droit d’être inscrite en vertu de l’alinéa 6(1)a.1) et a cessé d’être un membre de cette bande en raison des circonstances prévues à cet alinéa;

d) elle est née après le 16 avril 1985 et a le droit d’être inscrite en vertu de l’alinéa 6(1)f) et ses parents ont tous deux droit à ce que leur nom soit consigné dans la liste de bande ou, s’ils sont décédés, avaient ce droit à la date de leur décès.

Band Lists maintained in Department

9 (1) Until such time as a band assumes control of its Band List, the Band List of that band shall be maintained in the Department by the Registrar.

Band control of membership

10 (1) A band may assume control of its own membership if it establishes membership rules for itself in writing in accordance with this section and if, after the band has given appropriate notice of its intention to assume control of its own membership, a majority of the electors of the band gives its consent to the band’s control of its own membership.

Acquired rights

(4) Membership rules established by a band under this section may not deprive any person who had the right to have his name entered in the Band List for that band, immediately prior to the time the rules were established, of the right to have his name so entered by reason only of a situation that existed or an action that was taken before the rules came into force.

Idem

(5) For greater certainty, subsection (4) applies in respect of a person who was entitled to have his name entered in the Band List under paragraph 11(1)(c) immediately before the band assumed control of the Band List if that person does not subsequently cease to be entitled to have his name entered in the Band List.

Membership rules for Departmental Band List

11 (1) Commencing on April 17, 1985, a person is entitled to have his name entered in a Band List maintained in the Department for a band if

(a) the name of that person was entered in the Band List for that band, or that person was entitled to have it entered in the Band List for that band, immediately prior to April 17, 1985;

(b) that person is entitled to be registered under paragraph 6(1)(b) as a member of that band;

(c) that person is entitled to be registered under paragraph 6(1)(a.1) and ceased to be a member of that band by reason of the circumstances set out in that paragraph; or

(d) that person was born on or after April 17, 1985 and is entitled to be registered under paragraph 6(1)(f) and both parents of that person are entitled to have their names entered in the Band List or, if no longer living, were at the time of death entitled to have their names entered in the Band List.


JUGEMENT DANS LE DOSSIER T‑1124‑20

LA COUR statue :

  1. La présente demande est accueillie et la décision de retirer le demandeur en tant que membre de la Première Nation Union Bar est annulée;

  2. Le demandeur est par la présente réintégré en tant que membre de la Première Nation Union Bar, sans interruption de ladite appartenance;

  3. Des dépens et débours sont adjugés au demandeur pour un montant de 55 588,13 $, y compris les taxes et intérêts, et sont payables immédiatement par le défendeur.

« Michael D. Manson »

Juge

Traduction certifiée conforme

Caroline Tardif


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T‑1124‑20

 

INTITULÉ :

KEVIN MATTHEW GARNER c LA PREMIÈRE NATION UNION BAR ET ANDREW ALEX EN SA QUALITÉ DE CHEF ET CONSEIL DE LA PREMIÈRE NATION UNION BAR

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 15 JUIN 2021

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE MANSON

 

DATE DES MOTIFS :

LE 23 JUIN 2021

 

COMPARUTIONS :

Peter Millerd

Renata Colwell

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Stan Ashcroft

 

POUR LES DÉFENDEURS

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Mandell Pinder LLP

Avocats

Vancouver (Colombie‑Britannique)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Ashcroft and Company

Avocats

Vancouver (Colombie‑Britannique)

 

POUR LES DÉFENDEURS

 

 

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