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Date : 20210903


Dossier : IMM‑5659‑19

Référence : 2021 CF 918

[traduction française]

Ottawa (Ontario), le 3 septembre 2021

En présence de madame la juge Elliott

ENTRE :

RONALDO DOMINGO RUPINTA

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Aperçu

[1] Le demandeur, Ronaldo Rupinta, sollicite le contrôle judiciaire de la décision (la décision) rendue par la Section d’appel de l’immigration (la SAI) le 25 août 2019. La SAI a rejeté l’appel interjeté par le demandeur contre une mesure d’expulsion prise contre lui pour grande criminalité après qu’il eut été déclaré coupable de contacts sexuels.

[2] Le demandeur demande à la Cour d’annuler la décision et de renvoyer l’affaire à un tribunal différemment constitué pour nouvel examen. Le défendeur demande à la Cour de rejeter la présente demande.

[3] Pour les motifs qui suivent, la présente demande sera accueillie.

II. Le contexte factuel

[4] Le demandeur a demandé que soient prises des mesures spéciales pour des motifs d’ordre humanitaire, conformément à l’article 68 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la LIPR).

[5] Le demandeur est un citoyen des Philippines qui réside au Canada depuis 2007. Il a essayé pour la première fois la méthamphétamine en cristaux (la méthamphétamine) en 2015, après que des amis lui eurent proposé de l’essayer pour l’aider à rester éveillé pendant ses quarts de nuit. Dès juin 2016, il consommait la substance quotidiennement.

[6] Le demandeur a plaidé coupable et a été déclaré coupable de contacts sexuels le 7 juin 2017, à la suite d’un incident au cours duquel il avait suivi une jeune fille âgée de 15 ans dans son immeuble à logements et l’avait enlacée alors qu’il était sous l’effet de la méthamphétamine. Il a été condamné à 78 jours de prison et à une probation de 18 jours. À la suite de cette criminalité, le demandeur est devenu interdit de territoire au Canada, aux termes du paragraphe 36(1) de la LIPR.

[7] Le demandeur a été déclaré interdit de territoire au Canada pour grande criminalité le 14 janvier 2019.

III. La question préliminaire – l’intitulé de la cause

[8] Le défendeur soutient que l’intitulé devrait être modifié pour que le ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile (le MSPPC) soit désigné comme défendeur tel qu’il apparaît dans la décision de la SAI, conformément à l’alinéa 5(2)b) des Règles des cours fédérales en matière de citoyenneté, d’immigration et de protection des réfugiés, DORS/93‑22, et au paragraphe 4(1) de la LIPR.

[9] La LIPR dispose que le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration est chargé de l’application de la LIPR, sauf disposition contraire (art 4(1)). Il semble que le défendeur désigne à tort le MSPPC en tant que le défendeur compétent en l’espèce, parce que celui‑ci est chargé de l’application de la LIPR, notamment en matière d’arrestation, de détention et de renvoi (art 4(2)b)). Toutefois, la présente demande de contrôle judiciaire ne porte pas sur l’exécution d’un renvoi; il s’agit plutôt du contrôle de la décision de la SAI de ne pas surseoir à une mesure d’expulsion.

[10] Je conclus que le bon défendeur est, comme il est inscrit dans l’Avis de demande, le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration.

IV. La décision faisant l’objet du contrôle

[11] L’appel interjeté par le demandeur concernait sa demande de mesures spéciales pour des motifs d’ordre humanitaire, aux termes du paragraphe 68(1) de la LIPR, qui prévoit ce qui suit :

Sursis

68 (1) Il est sursis à la mesure de renvoi sur preuve qu’il y a— compte tenu de l’intérêt supérieur de l’enfant directement touché — des motifs d’ordre humanitaire justifiant, vu les autres circonstances de l’affaire, la prise de mesures spéciales..

Removal order stayed

68 (1) To stay a removal order, the Immigration Appeal Division must be satisfied, taking into account the best interests of a child directly affected by the decision, that sufficient humanitarian and compassionate considerations warrant special relief in light of all the circumstances of the case.

[12] La SAI a souligné que le demandeur ne contestait pas la validité de la mesure d’expulsion. L’appel portait seulement sur sa demande de mesures spéciales fondées sur des motifs d’ordre humanitaire.

[13] Après avoir fait remarquer qu’il incombait au demandeur d’établir le bien‑fondé de sa cause selon la prépondérance des probabilités, la SAI a examiné chacun des facteurs d’une liste non exhaustive dressée dans la décision Ribic c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1985] DSAI n4 (QL) au para 14, et confirmée dans l’arrêt Chieu c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CSC 3 au para 40.

[14] Les principales conclusions de la SAI étaient les suivantes :

  1. L’infraction d’ordre sexuel commise par le défendeur contre une personne mineure est grave;

  2. Plusieurs facteurs militaient contre une conclusion quant à la possibilité de réadaptation, dont le fait que le demandeur nie qu’il y avait une quelconque intention sexuelle, qu’il n’a pas suivi de programme de traitement pour délinquants sexuels, qu’il a entrepris un programme de traitement contre la toxicomanie tout juste une semaine avant l’audience, et qu’il a été déclaré coupable d’infractions liées à la fraude en 2017;

  3. Bien qu’il réside au Canada depuis 12 ans, le demandeur ne semble pas avoir d’établissement financier, puisqu’il est actuellement sans emploi et dépendant de l’aide sociale;

  4. Il n’y avait aucun élément de preuve selon lequel quelqu’un dépendait de manière substantielle du demandeur;

  5. Les enfants du demandeur sont des adultes. Par conséquent, les considérations relatives à l’intérêt supérieur des enfants ne s’appliquaient pas;

  6. En dépit du fait que le demandeur éprouverait de la difficulté à s’adapter de nouveau à la vie aux Philippines, le fait qu’il y a passé les années décisives de son développement ainsi que sa connaissance de la langue et de la culture pourraient faciliter sa réintégration. Le demandeur n’a pas contesté qu’il pourrait bénéficier de l’aide de sa famille aux Philippines.

[15] Les parties ont formulé conjointement une recommandation à la SAI selon laquelle un sursis de trois ans à la mesure d’expulsion serait approprié. Malgré la recommandation formulée par la conseil du ministre, la SAI a conclu que le demandeur n’avait pas établi, selon la prépondérance des probabilités, que les circonstances de l’affaire justifiaient la prise de mesures spéciales.

[16] Les motifs sous‑tendant cette conclusion sont analysés ultérieurement dans la présente décision.

V. Les questions en litige

[17] La seule question consiste à savoir si la décision était raisonnable.

[18] À cet égard, le demandeur soulève trois questions secondaires :

  1. La SAI a‑t‑elle tiré des conclusions contradictoires quant au risque que le demandeur recommence à consommer de la drogue?

  2. La SAI a‑t‑elle apprécié de façon déraisonnable les possibilités de réadaptation du demandeur?

  3. La SAI a‑t‑elle mal appliqué la jurisprudence?

[19] La question de savoir si le rejet par la SAI de la recommandation formulée conjointement était raisonnable fait partie intégrante de l’examen du caractère raisonnable de la décision. Les questions secondaires contribuent à éclairer cette décision.

[20] Je conclus que deux questions sont toutes deux déterminantes dans la présente demande : l’absence de motifs pour rejeter la recommandation conjointe et les conclusions contradictoires en ce qui concerne le risque que le demandeur recommence à consommer de la drogue. L’examen des autres questions n’est donc pas nécessaire.

VI. La norme de contrôle

[21] La question de la norme de contrôle n’est pas en litige. Il y a présomption, sous réserve d’exceptions qui ne s’appliquent pas en l’espèce, d’application de la norme de la décision raisonnable chaque fois qu’une cour contrôle une décision administrative : Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 (Vavilov) au para 16.

[22] Lorsqu’elle effectue un contrôle selon la norme de la décision raisonnable, la cour de révision doit tenir compte du résultat de la décision administrative, eu égard au raisonnement sous‑jacent à celle‑ci, afin de s’assurer que la décision dans son ensemble est transparente, intelligible et justifiée. La cour de justice effectuant un contrôle selon le caractère raisonnable doit centrer son attention sur la décision même qu’a rendue le décideur administratif, notamment sur sa justification, et non sur la conclusion à laquelle elle serait parvenue à la place du décideur administratif : Vavilov, au para 15.

[23] Une décision raisonnable doit être fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle et justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti. La norme de la décision raisonnable exige de la cour de justice qu’elle fasse preuve de retenue envers une telle décision : Vavilov, au para 85.

VII. La recommandation conjointe

[24] Comme il a été mentionné précédemment, la question déterminante est celle de savoir s’il était raisonnable que la SAI rejette la recommandation formulée conjointement par les conseils voulant qu’il soit sursis à la mesure d’expulsion pendant trois ans.

[25] Les décideurs ne sont pas tenus d’accepter une recommandation conjointe des conseils, mais ils devraient l’examiner sérieusement et fournir des motifs lorsqu’ils la rejettent : Grewal c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 1186 (Grewal) aux para 24, 28, et les décisions qui y sont citées.

[26] En l’espèce, la SAI a consacré deux phrases à la recommandation conjointe d’un sursis de trois ans à la mesure d’expulsion, au paragraphe 42 de la décision : « J’ai tenu compte de la recommandation formulée par la conseil du ministre, selon laquelle un sursis de trois ans serait approprié en l’espèce. Cependant, il appert clairement de la jurisprudence que je ne suis pas lié par cette recommandation. »

[27] La SAI cite ensuite un paragraphe de la décision Akkawi c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2003] ACF no 54 (Akkawi), dans lequel le juge Pinard a reconnu qu’il appartenait à la Section d’appel d’établir si un demandeur devrait être renvoyé du Canada et qu’aucun commentaire formulé par un avocat ne pouvait lier la Section d’appel, pas même une observation conjointe, « pourvu que [la Section d’appel] explique les raisons pour lesquelles [elle] n’y acquiesce pas » (non souligné dans l’original).

[28] Le paragraphe suivant de la décision tient en une phrase : « L’appel est rejeté. »

[29] Il ne s’agit pas d’une analyse. La SAI n’explique nulle part pourquoi elle n’a pas suivi la recommandation conjointe. Elle l’a tout simplement balayée du revers de la main en invoquant la décision Akkawi.

[30] Le défendeur soutient que [traduction] « [l]a SAI n’a pas rejeté la recommandation conjointe à la légère. La SAI l’a dûment prise en compte, mais a conclu qu’il ne s’agissait pas d’un cas approprié pour la prise de mesures spéciales. Cette conclusion est énoncée explicitement dans la décision de la SAI, au paragraphe 42 ».

[31] La SAI ne mentionne pas de mesures spéciales au paragraphe 42. Avec égards, le paragraphe 42 est celui que j’ai résumé plus haut, dans lequel la SAI a affirmé qu’elle avait pris en compte la recommandation de la conseil du ministre selon laquelle un sursis de trois ans serait approprié en l’espèce. L’avocat du défendeur n’a relevé aucun renvoi à la recommandation, aucune analyse de celle‑ci, ni aucune raison particulière qu’aurait donnée la SAI pour l’avoir rejetée.

[32] En invoquant la décision Tuel c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 223 (Tuel), le défendeur soutient que, lorsque la SAI présente des raisons pour rejeter une recommandation conjointe, il lui est loisible de le faire. Cependant, les faits de la décision Tuel sont différents. Dans la décision Tuel, la SAI a expressément souligné et mentionné les recommandations conjointes faites lors de la conférence de mi‑audience et dans le cadre de la présentation des observations écrites après l’audience. La SAI a renvoyé aux observations formulées par la demanderesse à cet égard.

[33] En l’espèce, les observations à l’appui d’une recommandation conjointe ont été formulées à l’issue de l’audience.

[34] En ce qui concerne la gravité de l’infraction commise, il a été souligné que, il s’agissait d’une infraction grave, mais les gestes posés par le demandeur ont été traités comme se situant au bas de l’échelle des infractions sexuelles. Cette affirmation était étayée par le fait que le ministère public avait procédé par voie sommaire, avec une peine d’emprisonnement maximale de 18 mois, plutôt que par voie de mise en accusation, avec une peine maximale de dix ans. La sentence infligée était discontinue, le demandeur n’étant incarcéré que les fins de semaine.

[35] Il a aussi été souligné qu’il s’agissait de la toute première déclaration de culpabilité du demandeur, et l’épouse de ce dernier a soutenu dans sa lettre qu’elle savait qu’il n’aurait pas posé ces gestes s’il n’avait pas été sous l’effet de la drogue. La lettre de la sœur du demandeur avançait à peu près le même argument.

[36] La conseil du ministre devant la SAI a fait remarquer qu’il s’agissait d’un cas limite pour l’acceptation d’un sursis, étant donné la gravité de l’infraction de contacts sexuels avec une personne mineure. Elle a expliqué que, bien que l’absence d’éclairage de la part du demandeur quant à sa déclaration de culpabilité ayant fait l’objet d’un rapport (le fait qu’il soit incapable d’exposer ses intentions exactes au moment où il a commis l’infraction) fût préoccupante, il a été reconnu que celui‑ci avait admis sa culpabilité et que les gestes qu’il avait posés étaient quand même répréhensibles.

[37] Les antécédents du demandeur quant au respect du Programme de cautionnement de Toronto et le fait qu’il s’est présenté 48 fois ont été mentionnés en tant que facteurs favorables. La conseil du ministre a aussi souligné que le fait que le demandeur n’avait pas reçu d’autres déclarations de culpabilité pour des infractions d’ordre sexuel dans les années qui ont suivi l’infraction commise en 2016 en faisait aussi [traduction] « un bon candidat à un sursis ».

[38] Je commence mon examen de la question de savoir si le rejet de la recommandation conjointe était raisonnable en soulignant qu’un fardeau plus lourd est imposé à la SAI pour justifier sa décision de ne pas acquiescer à une observation commune ou de prendre en compte des questions sur lesquelles les parties s’entendent. Cela découle du fait qu’il s’agit d’une entente entre les parties qui élimine directement la nécessité d’une décision pour les questions en litige : Al‑Abdi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 262 au para 10.

[39] La SAI ne mentionne pas le fait que des observations ont été formulées à l’appui de la recommandation conjointe. Cela m’apparaît étonnant, étant donné que le passage cité par la SAI comporte l’affirmation contenue dans la décision Akkawi selon laquelle aucun commentaire ne pouvait lier la Section d’appel, pas même une observation conjointe, « pourvu que [la Section d’appel] explique les raisons pour lesquelles [elle] n’y acquiesce pas ».

[40] Il ne ressort pas clairement si le défendeur se fondait sur les motifs énoncés dans la décision pour étayer le rejet de la recommandation conjointe. Le cas échéant, je m’appuie sur la décision Grewal, dans laquelle le juge McHaffie a statué que le fait d’énoncer les motifs de la décision « ne cadr[ait] pas adéquatement avec la reconnaissance par la Cour de l’importance et de la nature des observations ou des recommandations conjointes concernant un appel » et que dans les décisions « où la Cour n’a[vait] relevé aucune erreur susceptible de contrôle dans le rejet d’une recommandation conjointe, la SAI a[vait] expressément examiné la recommandation conjointe de manière minutieuse, en soulignant qu’elle n’avait pas pris la décision contraire à la légère » : Grewal, au para 35.

[41] Se contenter d’écrire que la recommandation conjointe des parties a été prise en compte ne suffit pas. Les motifs donnés par la SAI ne montrent pas que celle‑ci a pris en compte la recommandation conjointe. Au contraire, c’est comme si la recommandation conjointe n’existait pas. Cette omission rend la décision déraisonnable, puisque les motifs du rejet de la recommandation conjointe ne sont pas transparents, intelligibles ou justifiés.

VIII. La SAI a tiré des conclusions contradictoires quant au risque que le demandeur recommence à consommer de la drogue

[42] Les conclusions de la décision au sujet de la consommation de drogue et de la possibilité de rechute du demandeur sont incohérentes. Comme l’a souligné le demandeur, [traduction] « la SAI ne peut pas jouer sur les deux tableaux ».

[43] La décision exprime des préoccupations sur la consommation de drogue du demandeur.

[44] La SAI a fait remarquer qu’il n’y avait aucune preuve corroborante pour confirmer que le demandeur suivait un programme de traitement et qu’il ne consommait plus de drogue. Cependant, il ressort de la lettre de la Société John Howard, qui est mentionnée au paragraphe 12 de la décision, que le demandeur était inscrit à un programme de groupe hebdomadaire de prévention des rechutes faisant appel à une approche psychosociale sur des sujets comme la gestion de la colère, l’établissement d’objectifs réalistes, la santé et le bien‑être, la réduction des méfaits, ainsi que les stratégies pour éviter les rechutes. La SAI aurait dû aborder cette lettre, mais elle ne l’a pas fait, sinon qu’en mentionnant son existence. Il semble qu’en concluant qu’il n’y avait pas de preuve corroborante, la SAI a laissé de côté des éléments de preuve contraires.

[45] Par la suite, la SAI a conclu que le demandeur craignait d’être victime de violence aux Philippines, parce qu’il était toxicomane, ce qui donnait à penser qu’il consommait encore de la drogue ou, à tout le moins, qu’il craignait de faire une rechute et qu’il s’agissait d’une possibilité réelle.

[46] Cependant, dans l’examen des difficultés à l’étranger, la SAI rejette la menace à la sécurité personnelle du demandeur en tant que toxicomane aux Philippines, parce que celui‑ci a affirmé qu’il ne consommait pas de drogue actuellement et que la rechute était hypothétique.

[47] Ces conclusions quant à la consommation de drogue du demandeur, ou la cessation de celle‑ci, ne possèdent pas les caractéristiques d’une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle d’une décision raisonnable et justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles : Vavilov, au para 85.

[48] Dans l’arrêt Vavilov, la Cour suprême a déclaré ce qui suit aux paragraphes 102 et 103 (condensés et renvois omis) :

102. Pour être raisonnable, une décision doit être fondée sur un raisonnement à la fois rationnel et logique. Il s’ensuit qu’un manquement à cet égard peut amener la cour de révision à conclure qu’il y a lieu d’infirmer la décision. Certes, le contrôle selon la norme de la décision raisonnable n’est pas une « une chasse au trésor, phrase par phrase, à la recherche d’une erreur ». Cependant, la cour de révision doit être en mesure de suivre le raisonnement du décideur sans buter sur une faille décisive dans la logique globale; elle doit être convaincue qu’« [un] mode d’analyse, dans les motifs avancés, […] pouvait raisonnablement amener le tribunal, au vu de la preuve, à conclure comme il l’a fait ». Les motifs qui « ne font que reprendre le libellé de la loi, résumer les arguments avancés et formuler ensuite une conclusion péremptoire » permettent rarement à la cour de révision de comprendre le raisonnement qui justifie une décision, et [traduction] « ne sauraient tenir lieu d’exposé de faits, d’analyse, d’inférences ou de jugement ».

103. […] une décision sera déraisonnable lorsque, lus dans leur ensemble, les motifs ne font pas état d’une analyse rationnelle ou montrent que la décision est fondée sur une analyse irrationnelle. Une décision sera également déraisonnable si la conclusion tirée ne peut prendre sa source dans l’analyse effectuée […]

[49] Les conclusions de la SAI concernant le risque de rechute du demandeur et l’incidence de ce risque sur ses possibilités de réadaptation, ainsi que le risque de difficultés à l’étranger, sont contradictoires. Elles ne sont pas conciliables.

[50] Aucune explication n’a été donnée au sujet de ces conclusions contradictoires.

[51] L’absence de cohérence interne dans la décision sur ces points, et les commentaires inexacts formulés par la SAI quant à l’absence de preuve au sujet du programme de traitement suivi par le demandeur, révèlent des failles dans l’analyse de la SAI qui minent sa logique globale au point de la rendre déraisonnable.

IX. Conclusion

[52] Pour ces motifs, je suis convaincue que la décision est déraisonnable. Bien que celle‑ci renferme d’autres erreurs, il n’est pas nécessaire que je les examine.

[53] La présente demande sera accueillie, et l’affaire sera renvoyée à un autre commissaire de la SAI pour qu’il rende une nouvelle décision.

[54] Il n’y a aucune question grave de portée générale à certifier.


J JUGEMENT dans le dossier IMM‑5659‑19

LA COUR STATUE :

  1. La présente demande est accueillie, et l’affaire est renvoyée à un autre commissaire de la SAI pour qu’il rende une nouvelle décision.

  2. Il n’y a aucune question grave de portée générale à certifier.

« E. Susan Elliott »

Juge

Traduction certifiée conforme

Christian Laroche, LL.B., juriste‑traducteur


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM‑5659‑19

 

INTITULÉ :

RONALDO DOMINGO RUPINTA c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

audience tenue par vidéoconférence

DATE DE L’AUDIENCE :

le 15 Mars 2021

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

la juge ELLIOTT

 

DATE DU JUGEMENT

ET DES MOTIFS :

le 3 Septembre 2021

 

COMPARUTIONS :

Esther Lexchin

 

pour le demandeur

 

Ian Hicks

 

pour le défendeur

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Jared Will & Associates

Avocats

Toronto (Ontario)

 

pour le demandeur

 

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

pour le défendeur

 

 

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