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Date : 20210908


Dossier : T-1180-20

Référence : 2021 CF 927

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 8 septembre 2021

En présence de monsieur le juge Zinn

ENTRE :

NORSTEEL BUILDING SYSTEMS LTD.

demanderesse

et

TOTI HOLDINGS INC.

 

défenderesse

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Le contexte et les questions en litige

[1] Norsteel Building Systems Ltd. [Systems] a présenté une demande sur le fondement du paragraphe 57(1) de la Loi sur les marques de commerce, LRC 1985, c T-13 [la Loi], visant à faire radier du registre l’enregistrement pour la marque de commerce NORSTEEL inscrit le 20 mars 2017 au nom de Toti Holdings Inc. [Toti Holdings].

[2] La demande d’enregistrement pour cette marque de commerce a été produite le 1er février 2016, et la marque de commerce NORSTEEL a été enregistrée en liaison avec les produits et services suivants :

PRODUITS :

Matériaux de construction et composants pour la fabrication de bâtiments industriels, commerciaux, résidentiels et agricoles polyvalents modulaires et à portée libre, nommément structures préfabriquées en acier, nommément charpentes en acier, colonnes de mur d’extrémité, contreventements en croix de Saint-André, pannes, entremises, boulons d’ancrage, plaques d’appui en métal, toitures, panneaux de mur d’extrémité, panneaux de mur latéral, cadres de fenêtre, cadres de porte de service, cadres de porte de garage, portes de service.

SERVICES :

Services de construction, nommément fabrication de bâtiments résidentiels, commerciaux et industriels; services d’entrepreneur, nommément services d’entrepreneur en construction de bâtiments; services de génie du bâtiment, nommément services de dessin technique et d’examen technique sur le terrain; services de gestion de projets, nommément services de gestion de projets de construction; services de fournisseur, nommément offre de structures préfabriquées en acier.

[3] Le 27 septembre 2006, Toti Holdings a été constituée en société de portefeuille en Ontario par Sean Keenan, qui en est l’unique actionnaire et administrateur. Sean Keenan est également un administrateur de Norsteel Building Limited [NBL] depuis sa constitution en société en Ontario, par son beau-père, le 26 mars 2001. Monsieur Keenan atteste que NBL exerce les activités suivantes :

[traduction]

Depuis que NBL a été constituée en société, ses activités portent sur la conception, l’ingénierie, la fabrication et la vente de bâtiments préfabriqués en acier ou en métal.

[4] Le 15 octobre 2006, NBL a cédé ses droits sur la marque de commerce NORSTEEL à Toti Holdings, et Toti Holdings a accordé à NBL une licence perpétuelle d’emploi pour la marque de commerce NORSTEEL.

[5] Le 30 janvier 1992, Systems a été constituée en société en Colombie-Britannique. Brandon Miller, un copropriétaire et administrateur de Systems, atteste que Systems exerce les activités suivantes :

[traduction]

Depuis que Norsteel Building Systems Ltd. a été constituée en société le 30 janvier 1992, ses activités portent principalement sur la conception et la vente de bâtiments préfabriqués en acier et de tous leurs composants connexes, y compris les fondations (les « produits »). Depuis sa constitution en société, Norsteel Building Systems Ltd. a également fourni des services d’ingénierie, d’érection de structures en acier, de gestion de projet et de construction (les « services »), lesquels sont généralement liés à la vente des bâtiments préfabriqués en acier de Norsteel Building Systems Ltd.

[6] Brandon Miller affirme que depuis la constitution en société de Systems jusqu’à la fin de l’année 2018, date à laquelle il a « actualisé » sa marque figurative, il a vendu et offert à la vente les produits et services décrits ci-dessus en liaison avec la marque figurative suivante :

Les marques figuratives de Systems « actualisées », adoptées à la fin de 2018, sont les suivantes :

[7] Brandon Miller affirme que Systems n’a appris l’existence de la demande d’enregistrement de la marque Toti Holdings qu’après l’expiration du délai d’opposition.

[8] Le 4 octobre 2017, Systems a déposé deux demandes d’enregistrement pour les marques de commerce NORSTEEL et NORSTEEL BUILDING SYSTEMS. L’examinateur du Bureau des marques de commerce a rejeté ces demandes d’enregistrement, compte tenu de la marque de commerce NORSTEEL de Toti Holdings.

[9] Systems demande la radiation de la marque NORSTEEL conformément à l’article 57(1) de la Loi :

La Cour fédérale a une compétence initiale exclusive, sur demande du registraire ou de toute personne intéressée, pour ordonner qu’une inscription dans le registre soit biffée ou modifiée, parce que, à la date de cette demande, l’inscription figurant au registre n’exprime ou ne définit pas exactement les droits existants de la personne paraissant être le propriétaire inscrit de la marque de commerce.

The Federal Court has exclusive original jurisdiction, on the application of the Registrar or of any person interested, to order that any entry in the register be struck out or amended on the ground that at the date of the application the entry as it appears on the register does not accurately express or define the existing rights of the person appearing to be the registered owner of the trademark.

[10] Systems soutient que l’enregistrement de NORSTEEL est invalide pour les motifs suivants : (1) compte tenu des alinéas 18(1)b) et d) de la Loi, vu que les marques de commerce et les noms commerciaux NORSTEEL BUILDING SYSTEMS ont été antérieurement employés et révélés, 2) compte tenu des alinéas 18(1)a) et d) de la Loi, vu que Toti Holdings n’employait pas la marque NORSTEEL à la date de premier emploi revendiquée; et (3) compte tenu de l’alinéa 18(1)e) de la Loi, vu que la demande d’enregistrement de la marque NORSTEEL a été produite de mauvaise foi.

[11] Toti Holdings soutient que la présente demande devrait être rejetée pour les motifs suivants : (1) Systems n’est pas une « personne intéressée » visée par le paragraphe 57(1) de la Loi; (2) la demande présentée par Systems sur le fondement du paragraphe 57(1) de la Loi est frappée de prescription en raison de l’application de la règle du manque de diligence et de la règle de l’acquiescement; et (3) son enregistrement de la marque NORSTEEL est valide.

[12] À mon avis, les cinq questions en litige qui suivent se posent :

II. Analyse

1. La personne intéressée

[13] L’article 2 de la Loi donne la définition suivante de « personne intéressée », laquelle est visée au paragraphe 57(1) :

personne intéressée Sont assimilés à une personne intéressée le procureur général du Canada et quiconque est atteint ou a des motifs valables d’appréhender qu’il sera atteint par une inscription dans le registre, ou par tout acte ou omission, ou tout acte ou omission projeté, sous le régime ou à l’encontre de la présente loi. (person interested)

person interested includes any person who is affected or reasonably apprehends that he may be affected by any entry in the register, or by any act or omission or contemplated act or omission under or contrary to this Act, and includes the Attorney General of Canada; (personne intéressée)

[14] Systems soutient que la question de savoir si une personne est une personne intéressée est une question de fait : cette personne doit satisfaire à une condition minimale et peu exigeante, car cette disposition vise simplement à faire échec aux demandes de radiation abusives. Systems invoque la décision Unitel Communications Inc c Bell Canada, [1995] ACF no 613 (CF 1re inst), et renvoie la Cour au paragraphe 27 des motifs du juge Gibson :

La jurisprudence anglaise établit essentiellement un critère minimum auquel le requérant est tenu de satisfaire. Comme il a été mentionné plus tôt, notre Cour a suivi et appliqué cette jurisprudence. Dans la décision John Labatt Ltd. v. Carling Breweries Ltd, [(1974), ACF no 1104 (CF 1re inst)], au sujet de la définition de l’expression « personne intéressée », le juge Cattanach déclare : « Cette définition est très large dans ses implications. » Ce critère est justifié pour faire échec aux demandes abusives et il n’est pas nécessaire que le requérant prouve des [traduction] « dommages importants et graves » [In the Matter of the Registered Trade Marks of the Appolinaris Company, Ltd (1890), 8 RPC 137 (CA) p 160] ni qu’il soit un concurrent du propriétaire de la marque de commerce. Il doit toutefois appartenir au même domaine d’activités commerciales. La preuve déposée au nom de la requérante satisfait au critère posé par les tribunaux. La requérante a présenté suffisamment d’éléments de preuve pour démontrer que, bien qu’elle n’était pas en mesure de livrer directement concurrence ou d’offrir les services auxquels se rapportent les marques de commerce en litige, elle et ses prédécesseurs en titre exerçaient leurs activités commerciales dans le domaine des télécommunications et qu’elles satisfont au critère formulé par la Cour d’appel d’Angleterre à la page 202 de l’arrêt In the Matter of Powell's Trade Mark [(1893), 10 RPC 195 (CA); (1894), 11 RPC 4 (Chambre des lords)] :

[traduction]

Dans mon esprit, la démarche appropriée consiste à se demander, non seulement si les personnes exercent leurs activités commerciales dans le même domaine et si, en fait, elles entendent exercer ces activités commerciales, comme dans l’affaire Appolinaris, mais également si, dans le cadre raisonnable de la conduite de leurs affaires, il est raisonnablement possible qu’elles désirent poursuivre ces activités commerciales, en excluant les possibilités d’affaires éloignées et en s’attachant aux possibilités réelles et substantielles.

[15] Il semble être convenu que Systems et NBL exercent les mêmes activités commerciales. Toutefois, Toti Holdings souligne que le simple fait d’exercer les mêmes activités ne suffit pas à établir la qualité de personne intéressée au sens de la Loi : cette personne doit établir que l’inscription au registre des marques de commerce fait obstacle aux activités légitimes qu’elle exerce. Elle renvoie la Cour à la décision Coronet Wallpaper (Ontario) Ltd v Wall Paper Manufacturers Ltd, [1983] FCJ no 1187 (CF 1re inst), où le juge Décary a dit au paragraphe 4 :

[traduction]

La demanderesse exerce les mêmes activités commerciales que la défenderesse, mais cela ne suffit pas pour lui donner la qualité de « personne intéressée ». Elle doit avoir des motifs valables d’appréhender qu’elle sera atteinte par l’inscription de la marque de commerce CROWN.

[16] Toti Holdings renvoie également la Cour à la décision McCallum Industries Limited c HJ Heinz Company Australia Ltd, 2011 CF 1216 [McCallum], rendue par le juge Pinard (aux paragraphes 16-25). Dans l’affaire McCallum, la demanderesse cherchait à faire radier l’enregistrement de la marque « OX & PALM », invoquant sa marque déposée « PALM & Device ». Le juge Pinard a fait remarquer, entre autres choses, que l’examinateur n’a jamais mentionné dans le cadre de son examen en vue de l’enregistrement de la marque « OX & PALM » que la marque de la demanderesse créait de la confusion avec cette marque, et qu’il n’y avait aucune preuve de véritable confusion sur le marché.

[17] La situation visée en l’espèce se distingue de celle dans l’affaire McCallum. En l’espèce, l’examinateur a mentionné l’existence de la marque NORSTEEL lorsque Systems a demandé l’enregistrement des marques NORSTEEL BUILDING SYSTEMS et NORSTEEL. En outre, comme le soutient Systems au paragraphe 40 de son mémoire modifié, son déposant, Brandon Miller, fournit quelques exemples de confusion réelle :

[traduction]

a) En novembre 2016, la demanderesse a conclu un contrat avec un certain M. Ryan Tull de Kelowna, en Colombie-Britannique, pour l’érection d’un bâtiment préfabriqué en acier. Selon M. Miller cet objet était inhabituel, car il concernait uniquement l’érection d’un bâtiment préfabriqué en acier, plutôt que la fourniture et l’érection d’un tel bâtiment (comme on le voit normalement). En fait, M. Tull avait déjà acheté un bâtiment préfabriqué en acier auprès de la société NBL, croyant à tort qu’il s’agissait de la demanderesse.

b) En septembre 2019, une représentante de NBL, Maria Casalino, a transmis des courriels et des documents qui étaient destinés à la demanderesse, mais qui avaient été envoyés par erreur à NBL. Dans le courriel qu’elle a fait suivre, Mme Casalino a dit : « Bonjour Brandon, envoyé à la mauvaise entreprise. »

c) Au cours des deux dernières années, la demanderesse a reçu des appels de différentes personnes qui avaient parlé avec des gens de la société NBL, croyant à tort qu’il s’agissait de la demanderesse.

[Soulignement omis.]

[18] Systems et NBL sont toutes deux des entreprises importantes. D’après la preuve dont dispose la Cour, depuis l’enregistrement de la marque NORSTEEL en 2016, les ventes annuelles de Systems se chiffraient en 2016 à plus de 11 845 000 $, en 2017 à plus de 7 470 000 $, en 2018 à plus de 9 163 000 $, et en 2019 de plus de 12 258 000 $, et malgré les quelques 18 000 000 $ en revenus de NBL en 2012, ses revenus ont depuis diminué en raison de la concurrence et [traduction] « à ce jour, ils plafonnent à 10 000 000 $ par année ».

[19] Systems, dont le siège social est situé à Kelowna Ouest, en Colombie-Britannique, affirme avoir réalisé de nombreux projets, [traduction] « principalement en Colombie-Britannique, mais aussi en Alberta et en Saskatchewan ». NBL, dont le siège social est situé à Markham, en Ontario, affirme que depuis 2001, elle a réalisé des ventes dans [traduction] « toutes les provinces du Canada, y compris le Nunavut » et « a un concessionnaire à Golden, en Colombie-Britannique, et un autre en Alberta ». La preuve indique que ses ventes sont principalement réalisées en Ontario.

[20] Compte tenu de la taille des entreprises de Systems et de NBL, du fait que NBL a vendu certains produits en Colombie-Britannique et de la preuve de confusion émanant du public, je conclus que, dans l’état actuel des choses, l’inscription de NORSTEEL au registre des marques de commerce a une incidence sur les activités légitimes de Systems. Par conséquent, Systems est une personne intéressée au sens du paragraphe 57(1) de la Loi et a qualité pour agir dans la présente demande de radiation.

[21] De plus, le juge Pentney a fait les remarques suivantes au paragraphe 10 de la décision Blue Seal Inc. c Poorter, 2020 CF 178 :

Dans CIBC World Markets Inc c Stenner [Financial Services Ltd.], 2010 CF 397, aux para 19 et 20, le juge Phelan a confirmé qu’une personne ayant employé la marque de commerce avant la date de l’enregistrement satisfait à la définition de « personne intéressée » au titre de l’article 57 de la Loi.

Comme il est indiqué aux présentes, Systems a employé sa marque de commerce au Canada avant l’enregistrement de la marque NORSTEEL, et a donc qualité pour agir dans le cadre de la présente demande.

2. L’acquiescement et la présentation tardive

[22] Toti Holdings invoque l’acquiescement de Systems et la présentation tardive de sa demande comme moyens de défense pleine et entière à la présente demande de radiation. Elle s’appuie sur les éléments qui suivent.

[23] NBL a mené ses activités ouvertement sans rien dissimuler. Elle a été constituée en société en 2001 et exerce ses activités depuis la région de Toronto sous le nom de NORSTEEL. En 2004, NBL a acquis le nom de domaine www.norsteel.com et elle est également propriétaire du nom de site Web www.norsteel.ca. Elle a acquis en 2008 le nom de domaine www.norsteelbuildings.com, qu’elle continue d’utiliser.

[24] Ses ventes ont augmenté de façon constante au fil des ans. Elle commercialise activement ses activités qui, comme nous l’avons déjà mentionné, se déroulent principalement en Ontario, mais elle a eu des ventes dans toutes les provinces et a des concessionnaires en Colombie-Britannique et en Alberta. Ses revenus s’élèvent à environ 10 000 000 $ par année.

[25] Sean Keenan affirme qu’il a appris l’existence de Systems en 2011, lorsque Brad Miller de Systems a communiqué avec lui pour l’informer [traduction] qu’« il exploitait également une entreprise Norsteel à Kelowna, en Colombie-Britannique, qui proposait à la vente des bâtiments préfabriqués en métal. » Voici ce qu’il a dit :

[traduction]

Après avoir parlé à Brad, j’ai compris que son entreprise était confondue avec NBL, la société ontarienne. J’ai également compris, après avoir parlé à Brad, que son entreprise vendait des bâtiments en acier à Kelowna et dans les environs seulement, et que son entreprise était locale et beaucoup plus petite que la mienne.

Je ne suis pas au courant de cas où NBL était ou a été confondue avec la demanderesse.

[26] Toti Holdings mentionne un échange de courriels entre Sean Keenan (de NBL) et Brad Miller (de Systems), qui a eu lieu le 17 octobre 2011. Il semble que tout ait commencé par un courriel de Sean Keenan à Brad Miller, auquel était jointe une image : [traduction] « Je pense qu’ils nous ont envoyé ceci par accident. » Voici la réponse de Brad Miller :

[traduction]

Merci Sean, je vais essayer de voir ce qui en est […] l’existence de deux Norsteel est parfois très déroutante, mais nous apprécions le travail que nous obtenons de votre publicité gratuite; cette année a été une année record pour nous grâce à votre campagne publicitaire.

Brad Miller a fait un suivi plus tard dans la même journée avec un autre courriel :

[traduction]

Bonjour Sean […] les documents que vous m’avez envoyés indiquent que VOTRE projet a été vendu à Agassiz??? […] ce qu’ont confirmé VP et Summit Customs Brokers.

Jusqu’à présent, nous avons vendu 14 bâtiments/projets cette année grâce à votre publicité. Il semble que le nom « Norsteel » soit largement reconnu en Colombie-Britannique, c’est pourquoi les gens viennent nous voir.

Je suppose que lorsqu’ils voient votre publicité, la plupart des gens tapent le nom sur Google et c’est ainsi qu’ils entrent en contact avec nous […] Continuez ce bon travail! […] Il nous rend la vie facile ici.

[27] Toti Holdings a produit la demande d’enregistrement pour sa marque de commerce le 1er février 2016. Elle a été annoncée dans le Journal des marques de commerce le 14 septembre 2016. Une personne qui n’est pas partie à la présente instance a produit une demande d’opposition le 14 novembre 2016, mais s’est désistée le 16 mars 2017. Le délai d’opposition a pris fin le 15 novembre 2016. Systems affirme qu’elle n’a eu connaissance de la demande qu’après l’expiration du délai d’opposition.

[28] La première communication entre les parties concernant la demande d’enregistrement de la marque a eu lieu le 20 février 2017, au moyen d’une lettre de Me Godfrey, avocat de Systems, à Toti Holdings. Dans cette lettre, il faisait savoir à Toti Holdings que Systems venait d’apprendre l’existence de la demande d’enregistrement de la marque, que le délai d’opposition était expiré et qu’il demanderait la radiation de la marque si elle était enregistrée.

[29] Selon NBL, c’est à cette date qu’elle a appris que Systems avait déjà produit une demande d’enregistrement le 25 mai 2005 pour la marque NORSTEEL BUILDINGS, dans laquelle le 19 avril 2005 est la date de premier emploi revendiquée. Cette demande a été abandonnée par la suite.

[30] Le 27 juillet 2017, au plus tard, Systems savait que la marque NORSTEEL avait été enregistrée. Toti Holdings affirme que Systems n’a rien fait [traduction] « pendant plus de trois ans et demi », au cours desquels Toti Holdings et NBL ont poursuivi leurs activités commerciales normalement.

[31] La première chose que Systems a faite après l’envoi de la lettre de son avocat à Toti Holdings a été de produire deux demandes d’enregistrement le 4 octobre 2017, pour les marques de commerce NORSTEEEL BUILDING SYSTEMS et NORSTEEL. Le 8 novembre 2018, l’examinateur des marques de commerce a écrit à Systems pour l’informer que les deux marques visées par les demandes créaient de la confusion avec la marque déposée NORSTEEL de Toti Holdings. Par la suite, Systems a demandé à deux reprises à l’examinateur des marques de commerce une prolongation de délai dans les deux cas parce qu’elle rédigeait un avis de demande sollicitant la radiation de la marque déposée de Toti Holdings. Elle a finalement produit sa demande le 5 octobre 2020.

[32] L’acquiescement est un moyen de défense d’equity. Le verbe « acquiescer » vient du latin « acquiescere » qui signifie « reposer ». Si vous vous opposez à quelque chose, mais que vous laissez cette chose « reposer » ou que vous restez passif, on peut dire que vous y consentez tacitement. Le critère juridique de l’acquiescement a été décrit de différentes manières.

[33] Dans la décision Institut National des Appellations d’Origine des vins et eaux de vie et al v Andres Wines Ltd et al, 1987 CanLII 4051 (CS Ont), conf par 1990 CanLII 6726 (CA Ont.), autorisation d’interjeter appel devant la CSC refusée, [1991] 1 RCS x (note), le juge Dupont (juge de première instance) a adopté le critère énoncé dans l’arrêt HP Bulmer Ltd et al v J Bollinger SA et al, [1978] RPC 79 (CA Angl.) à la p 136 :

[traduction]

[…] le véritable critère pour décider s’il faut refuser la réparation en equity au motif que le demandeur a tardé à exercer ses droits consiste à vérifier si, dans les faits, le titulaire du droit légal ne s’est pas simplement contenté d’attendre dans le but d’encourager l’auteur du préjudice à croire qu’il ne fera pas valoir ses droits stricts, et si l’auteur du préjudice a agi à son détriment en raison de cette croyance […]

[34] Au paragraphe 113 de la décision White Consolidated Industries Inc c Beam of Canada Inc [1991] ACF no 1076 (CF 1re inst) [White Consolidated Industries], le juge Teitelbaum, de notre Cour, a formulé différemment le critère énoncé à la page 383 de l’arrêt Archbold v Scully (1861), 9 HLC 360 :

[traduction]

Si une partie qui aurait pu s’y opposer demeure passive et permet sciemment à un[e] autre d’engager une dépense pour poser un acte, croyant que nul ne s’y opposerait, elle se trouve, en quelque sorte à avoir autorisé l’autre à modifier sa condition, ce qui revient à dire qu’elle y a acquiescé.

[35] Au paragraphe 53 de la décision Remo Imports Ltd c Jaguar Canada Ltd, 2005 CF 870 [Remo Imports], le juge Shore dit, après avoir examiné de nombreuses décisions, que les quatre éléments suivants sont nécessaires pour établir l’acquiescement :

1. Il faut quelque chose de plus que le simple retard. À lui seul, le silence ne suffit pas pour empêcher une procédure judiciaire […] 2. le détenteur de droits doit connaître son droit et doit connaître la violation de son droit par l’autre partie […] 3. le détenteur de droits doit encourager l’autre partie à continuer la violation […] et 4. l’autre partie doit agir à son détriment en se fiant à l’encouragement du détenteur de droits […]

[Renvois omis.]

[36] Ces décisions et d’autres invoquées par les parties indiquent clairement qu’une production tardive ne suffit pas pour établir une défense d’acquiescement. Par conséquent, le fait que Systems connaissait depuis 2011 l’existence de NBL et son emploi de NORSTEEL ne sont pas suffisants à eux seuls pour justifier ce moyen de défense.

[37] J’estime qu’il est utile de tenir compte des circonstances entourant le fait pour une personne de savoir qu’une autre emploie un nom ou une marque identique ou semblable à celui ou celle qu’elle emploie aussi, et depuis quand elle a cette connaissance. Avant l’enregistrement, les parties ont plus ou moins le même rapport de force – aucune n’a un net avantage. L’une d’elles aura la priorité sur l’autre dans toute action en violation, mais cette priorité doit être prouvée lors de l’instruction. Cependant, après l’enregistrement, le propriétaire de la marque déposée obtient l’avantage que lui confère l’article 20 de la Loi, selon lequel son droit à l’emploi de sa marque déposée est « réputé » être violé par l’emploi qu’en fait l’autre partie. Le rapport de force est sensiblement modifié. En l’espèce, le rapport de force n’est plus le même depuis l’enregistrement en 2017 de la marque de commerce NORSTEEL.

[38] Par ailleurs, même si une partie établie dans une région donnée du Canada qui allègue avoir antérieurement employé une marque se soucie peu de l’emploi de la même marque par une autre partie établie dans une autre région du pays, elle se souciera vraisemblablement davantage de l’enregistrement de la marque de commerce obtenu par cette autre partie. À défaut d’avoir gain de cause dans sa demande de radiation de la marque de commerce, la partie qui a employé la marque en premier pourrait se voir interdire d’employer la marque.

[39] Pour ces motifs, j’estime qu’il est important pour l’examen de la défense d’acquiescement de se demander ce que Systems savait et ce qu’elle a fait une fois qu’elle a appris l’existence de l’enregistrement de la marque de commerce. Lorsqu’elle a appris l’existence de l’enregistrement, Systems a révélé à Toti Holdings qu’elle avait antérieurement employé la marque de commerce et qu’elle chercherait à la faire radier. Toti Holdings reproche à Systems d’avoir attendu plus de trois ans et demi avant de produire la présente demande de radiation.

[40] La preuve démontre qu’au cours de cette période, NBL a engagé des dépenses importantes pour faire la publicité de la marque de commerce, dont une partie semble avoir profité à Systems. Je n’accorde aucune importance à l’argument de Toti Holdings selon lequel Systems a produit tardivement la présente demande afin de bénéficier de la publicité continue du nom NORSTEEL. Son argument est purement hypothétique. Comme Toti Holdings savait que Systems chercherait à faire radier la marque NORSTEEL du registre, c’est à NBL et à Toti Holdings d’assumer les conséquences de leurs actes.

[41] Le fait pour Systems d’avoir avisé Toti Holdings qu’elle chercherait à obtenir la radiation se rapporte aux troisième et quatrième éléments du critère énoncé dans la décision Remo Imports : Systems a-t-elle encouragé NBL ou Toti Holdings à poursuivre la violation alléguée? Et NBL ou Toti Holdings ont-elles agi à leur détriment en se fiant aux encouragements de Systems?

[42] Contrairement à l’argument de Toti Holdings, je ne crois pas que l’échange de courriels en 2011 signifie que Systems encourageait NBL à continuer d’employer la marque et d’en faire la publicité. J’y vois plutôt une forme d’ironie qui n’a aucune conséquence juridique. Si ce n’était pas clair, la lettre de l’avocat de Systems de 2017 informant NBL que Systems chercherait à faire radier l’enregistrement de la marque de commerce aurait dû mettre un terme à la croyance de NBL selon laquelle Systems l’encourageait à continuer d’employer la marque.

[43] Même si l’échange de courriels de 2011 est interprété comme constituant un encouragement subtil à employer la marque de commerce dans la publicité, il est bien antérieur à la date de production de la demande d’enregistrement de la marque. Comme nous l’avons souligné plus haut, l’enregistrement a changé la donne dans les relations entre ces parties.

[44] Pour ces motifs, j’estime que Systems n’a pas encouragé NBL à continuer d’employer la marque (et certainement pas à l’enregistrer), et que NBL ou Toti Holdings n’ont pas agi à son détriment en se fiant à un tel encouragement. La défense d’acquiescement n’est pas justifiée.

3. L’enregistrement est-il invalide en raison de l’emploi antérieur par Systems?

[45] Systems soutient que l’enregistrement de la marque NORSTEEL est invalide en vertu des alinéas 18(1)b) et d) de la Loi, parce qu’elle a antérieurement employé et révélé les marques de commerce et les noms commerciaux NORSTEEL BUILDING SYSTEMS.

[46] Les alinéas 18(1)b) et d) de la Loi sur les marques de commerce disposent :

18 (1) L’enregistrement d’une marque de commerce est invalide dans les cas suivants :

[…]

b) la marque de commerce n’est pas distinctive à l’époque où sont entamées les procédures contestant la validité de l’enregistrement;

[…]

d) sous réserve de l’article 17, l’auteur de la demande n’était pas la personne ayant droit d’obtenir l’enregistrement;

18 (1) The registration of a trademark is invalid if

[…]

(b) the trademark is not distinctive at the time proceedings bringing the validity of the registration into question are commenced;

[…]

(d) subject to section 17, the applicant for registration was not the person entitled to secure the registration;

[47] Suivant l’alinéa 18(1)a), la marque de commerce qui n’est pas distinctive à la date où est entamée la procédure de radiation doit être radiée. Le terme « distinctive » est défini à l’article 2 de la Loi :

distinctive Se dit de la marque de commerce qui distingue véritablement les produits ou services en liaison avec lesquels elle est employée par son propriétaire de ceux d’autres personnes, ou qui est adaptée à les distinguer ainsi. (distinctive)

distinctive, in relation to a trademark, describes a trademark that actually distinguishes the goods or services in association with which it is used by its owner from the goods or services of others or that is adapted so to distinguish them; (distinctive)

[48] L’existence du caractère distinctif est une question de fait (White Consolidated Industries, précitée). Pour être distinctive, la marque de commerce doit remplir les trois conditions suivantes : 1) la marque et les marchandises doivent avoir un lien entre elles; 2) le « propriétaire » doit faire usage de ce lien dans la fabrication et la vente de ses marchandises; et 3) ce lien doit permettre au propriétaire de la marque de distinguer ses marchandises de celles d’autres personnes (Philip Morris Incorporated v Imperial Tobacco Ltd et al (1985), 7 CPR (3d) 254 à la p 270 (CF 1re inst), conf par (1987), 17 CPR (3d) 237 (CAF), et par (1987), 17 CPR (3d) 289 (CAF), autorisation d’interjeter appel devant la CSC refusée (1988), 19 CPR (3d) vi (note); et Nature’s Path Foods Inc c Quaker Oats Co of Canada, 2001 CFPI 366 au para 40).

[49] À mon avis, le non-respect de la troisième condition établit que la marque NORSTEEL de Toti Holdings n’est pas distinctive.

[50] Il n’est pas contesté que NBL a employé le mot NORSTEEL depuis la date de sa constitution en société, le 26 mars 2001. Systems soutient qu’elle a employé la marque NORSTEEL BUILDING SYSTEMS en liaison avec ses produits et services depuis la date de sa constitution en société en Colombie-Britannique, le 30 janvier 1992. On a fait valoir que Systems a peut-être commencé à employer sa marque beaucoup plus tard. Dans la demande abandonnée pour l’enregistrement de la marque NORSTEEL BUILDING, il était affirmé qu’elle avait employé cette marque depuis le 19 avril 2005.

[51] Je ne tiens pas compte de cette date. La demande abandonnée n’a pas été rédigée par un avocat, mais, plus important encore, le dossier dont dispose la Cour contient l’affidavit de Brandon Miller, dans lequel il affirme que Systems a fourni ses produits et services à des clients de 1992 à 2018. Il joint comme pièces à son affidavit de nombreux contrats établissant la véracité de ses déclarations concernant l’emploi.

[52] Je conclus que Systems a établi qu’elle a commencé à employer le mot Norsteel dans sa marque NORSTEEL BUILDING SYSTEMS en 1992 et qu’elle l’a employé de manière continue depuis. La période d’emploi qu’elle revendique est plus longue que la période d’emploi de la marque NORSTEEL revendiquée par Toti Holdings.

[53] Il ne fait aucun doute que la nature des biens, des services ou de l’entreprise et la nature du commerce des parties sont très similaires, voire identiques.

[54] Le degré de ressemblance entre la marque de commerce déposée de Toti Holdings et la marque de commerce de Systems est très élevé. Je suis d’accord avec Systems pour dire que NORSTEEL est [traduction] « la première partie de chacune des marques de commerce NORSTEEL BUILDING SYSTEMS, de la marque figurative NORSTEEL BUILDING SYSTEMS, du nom commercial “Norsteel Building Systems”, de la dénomination sociale “Norsteel Building Systems Ltd.” et des nouvelles marques figuratives NORSTEEL de la demanderesse, et qu’elle en constitue la partie dominante et la plus distinctive ». Les mots « Building » et « Systems » décrivent les marchandises et des services; c’est le mot NORSTEEL qui est distinctif.

[55] La preuve indique également, comme nous l’avons souligné plus haut, que les consommateurs des biens et services des parties confondent les deux. Ces éléments de preuve montrent directement le degré réel de ressemblance entre NORSTEEL et NORSTEEL BUILDING SYSTEMS.

[56] Pour ces motifs, je conclus que l’enregistrement de Toti Holdings est invalide suivant l’alinéa 18(1)b) de la Loi, parce que la marque NORSTEEL ne permettait, ni ne permet, de distinguer les produits et services de la défenderesse.

[57] Je conclus en outre que l’enregistrement de NORSTEEL est invalide suivant l’alinéa 18(1)d) de la Loi, parce que Toti Holdings n’était pas la personne ayant droit d’obtenir l’enregistrement de la marque de commerce.

[58] L’article 16(1) de la Loi prescrit qui a le droit d’obtenir un enregistrement et contient une exception importante concernant l’emploi antérieur par une autre personne :

16 (1) Tout requérant qui a produit une demande conforme au paragraphe 30(2) en vue de l’enregistrement d’une marque de commerce enregistrable a droit, sous réserve de l’article 38, d’obtenir cet enregistrement à l’égard des produits ou services spécifiés dans la demande, à moins que, à la date de production de la demande ou à la date à laquelle la marque a été employée pour la première fois au Canada, la première éventualité étant à retenir, la marque n’ait créé de la confusion :

a) soit avec une marque de commerce antérieurement employée ou révélée au Canada par une autre personne;

b) soit avec une marque de commerce à l’égard de laquelle une demande d’enregistrement avait été antérieurement produite au Canada par une autre personne;

c) soit avec un nom commercial qui avait été antérieurement employé au Canada par une autre personne.

[Non souligné dans l’original.]

16 (1) Any applicant who has filed an application in accordance with subsection 30(2) for the registration of a registrable trademark is entitled, subject to section 38, to secure its registration in respect of the goods or services specified in the application, unless at the filing date of the application or the date of first use of the trademark in Canada, whichever is earlier, it was confusing with

(a) a trademark that had been previously used in Canada or made known in Canada by any other person;

(b) a trademark in respect of which an application for registration had been previously filed in Canada by any other person; or

(c) a trade name that had been previously used in Canada by any other person.

[emphasis added]

[59] Pour les motifs mentionnés plus haut, je conclus qu’à la date de production de la demande, la marque et le nom commercial NORSTEEL avaient été antérieurement employés par Systems. Par conséquent, Toti Holdings n’était pas la personne ayant le droit d’obtenir l’enregistrement et, conformément à l’alinéa 18(1)d), l’enregistrement est invalide.

4. L’enregistrement est-il invalide parce que la marque n’était pas employée à la date de premier emploi revendiquée?

[60] Systems soutient que la demande d’enregistrement de la marque NORSTEEL contient une fausse déclaration. À la date de production de la demande d’enregistrement, l’ancien alinéa 30b) s’appliquait :

30 Quiconque sollicite l’enregistrement d’une marque de commerce produit au bureau du registraire une demande renfermant :

[…]

b) dans le cas d’une marque de commerce qui a été employée au Canada, la date à compter de laquelle le requérant ou ses prédécesseurs en titre désignés, le cas échéant, ont ainsi employé la marque de commerce en liaison avec chacune des catégories générales de produits ou services décrites dans la demande;

30 An applicant for the registration of a trade-mark shall file with the Registrar an application containing

[…]

(b) in the case of a trade-mark that has been used in Canada, the date from which the applicant or his named predecessors in title, if any, have so used the trade-mark in association with each of the general classes of goods or services described in the application;

[61] La demande, produite par Toti Holdings le 1er février 2016, contient la déclaration suivante : [traduction] « Employée au CANADA depuis au moins le 1er janvier 2001. » Systems fait remarquer que Toti Holdings n’a été constituée en société que le 27 septembre 2006, et qu’elle ne peut donc pas avoir employé la marque depuis au moins le 1er janvier 2001. NBL a cédé à Toti Holdings tous les droits sur la marque NORSTEEL au moyen d’un accord daté du 15 octobre 2006. Systems fait valoir que ni la demande ni l’enregistrement n’indiquent que NBL est la prédécesseure en titre. Rien dans la preuve dont dispose la Cour n’établit que l’Office de la propriété intellectuelle du Canada exige ou exigeait un renvoi précis au prédécesseur en titre.

[62] Selon l’accord de cession, NBL a employé la marque de commerce NORSTEEL [traduction] « depuis au moins 2001 ». NBL a été constituée en société le 26 mars 2001. Sean Keenan témoigne des origines de la société NBL :

[traduction]

Mon beau-père, Marcel, a travaillé dans la vente de bâtiments préfabriqués en métal au Canada, sous une forme ou une autre, depuis au moins le milieu des années 1970. J’ai cru comprendre que le nom NORSTEEL avait été choisi par Marcel pour combiner les mots NORTHERN et STEEL et que, selon son avocat Me Garbe, son emploi du nom NORSTEEL ne posait aucun problème pour la société ontarienne.

[63] Toti Holdings n’a fourni aucun élément de preuve indiquant que la marque de commerce NORSTEEL était employée par un prédécesseur de NBL le 1er janvier 2001, avant qu’elle soit constituée en société. Par contre, la preuve démontre que Marcel Aitoro a joué un rôle dans l’entreprise pendant plusieurs années. Le fardeau d’établir que Toti Holdings a fait une fausse déclaration incombe à Systems. Systems n’a pas contre-interrogé Sean Keenan. Même si le dossier ne permet pas vraiment de savoir si la marque de commerce NORSTEEL était employée par Toti Holdings ou un prédécesseur en titre le 1er janvier 2001, je dois conclure que Systems ne s’est pas acquittée de son fardeau de prouver ce fait selon la prépondérance des probabilités.

5. L’enregistrement est-il invalide parce que la demande a été produite de mauvaise foi?

[64] Systems soutient que l’enregistrement de NORSTEEL est invalide parce que la demande d’enregistrement de la marque NORSTEEL a été produite de mauvaise foi. L’alinéa 18(1)e) de la Loi, dans sa version actuelle, mentionne expressément qu’un enregistrement de marque est invalide si « la demande d’enregistrement a été produite de mauvaise foi ». Cette disposition n’existait pas lorsque Toti Holdings a produit sa demande d’enregistrement pour la marque NORSTEEL.

[65] Systems soutient que, même avant l’adoption de l’alinéa 18(1)e), la jurisprudence établissait qu’un enregistrement obtenu de mauvaise foi était susceptible d’être radié. Selon les décisions qu’elle invoque, l’alinéa 30i) de la Loi, tel qu’il était libellé à l’époque, exigeait que la demande comporte « une déclaration portant que le requérant est convaincu qu’il a droit d’employer la marque de commerce au Canada en liaison avec les marchandises ou services décrits dans la demande ».

[66] Systems invoque tout d’abord la décision Cerverceria Modelo, SA de CV c Marcon, [2008] COMC no 131 [Cerverceria Modelo], où la Cour était appelée à examiner une série de demandes d’enregistrement de marques bien connues produites par une même partie. Au paragraphe 35, le registraire a fait les remarques suivantes sur ce qui pourrait constituer la mauvaise foi :

Je ne connais pas de décision qui décrit la notion de « mauvaise foi » dans le contexte de l’alinéa 30i). Bien que je ne sois pas certaine si cette notion s’applique en l’espèce, je me demande comment une personne raisonnable serait convaincue qu’elle a droit de produire des demandes d’enregistrement pour plus de 18 marques de commerce sans doute bien connues en liaison avec des marchandises et/ou services apparemment connexes. Je m’interroge également sur l’intention qui motive un requérant à le faire. À mon avis, le fait pour un requérant de tenter de profiter de la réputation établie d’un nombre important de marques bien connues devrait être le genre de situation que l’alinéa 30i) vise à empêcher.

[67] Systems invoque ensuite la décision Julia Wine Inc c Les marques Metro, SENC, 2016 CF 738, un appel formé devant la Cour à l’encontre d’une décision faisant droit à une demande d’opposition fondée sur la mauvaise foi du requérant. Avant de rejeter l’appel, la juge Tremblay-Lamer a fait les remarques suivantes au paragraphe 60 : « Il est difficile d’imaginer que la demanderesse ne connaissait pas l’usage que faisait la défenderesse de sa marque, compte tenu de son établissement et de sa large circulation. » Elle a ensuite fait sien le passage précité de Cerverceria Modelo puis a rejeté l’appel.

[68] Enfin, Systems invoque la décision Levis c Golubev, 2019 COMC 100, dans laquelle, là encore, la Commission des oppositions des marques de commerce citait avec approbation l’extrait de la décision Cerverceria Modelo. Au paragraphe 33, la Commission a renvoyé à des éléments de preuve, dont celui-ci : « Une relation d’affaires préexistante unissait les parties, et la preuve donne à penser que le Requérant avait pu avoir connaissance que la Marque ou une marque de commerce similaire avait été adoptée par l’Opposant. »

[69] La Cour ne dispose d’aucune preuve directe établissant que Toti Holdings ou NBL savait que Systems employait la marque de commerce avant qu’elle l’emploie au [traduction] « début de 2001 »; cependant, elle connaissait l’existence de Systems lorsqu’elle a produit la demande d’enregistrement en 2016. Cette connaissance est établie par l’échange de courriels entre Sean Keenan de NBL et Brad Miller de Systems du 17 octobre 2011.

[70] Selon Systems, l’emploi de NORSTEEL dans le nom de la société NBL n’était pas une coïncidence, et NORSTEEL n’était pas un mot inventé par le beau-père de Sean Keenan : il l’a plutôt choisi parce qu’il connaissait les activités de Systems. Aux paragraphes 92 et 93 de son mémoire modifié, Systems écrit :

[traduction]

La preuve de la demanderesse et celle de la défenderesse démontrent que la défenderesse est étroitement liée à la société Future Steel Buildings/Future Buildings, une entité avec laquelle la demanderesse a fait des affaires importantes entre 1996 et 1999. Plus précisément, Future Steel Buildings/Future Buildings exerce ses activités dans le même immeuble que la défenderesse/NBL, les télécopies destinées à NBL sont envoyées à Future Steel Buildings/Future Buildings, elles ont en commun des administrateurs actuels – dont M. Keenan lui-même – qui occupaient des postes de direction clés chez Future Steel Buildings/Future Buildings entre 1996 et 1999. Monsieur Keenan admet même que son beau-père, qui est le fondateur de Future Steel Buildings/Future Buildings et qui y travaillait lorsqu’elle faisait affaire avec la demanderesse, est la personne qui aurait inventé la marque de commerce NORSTEEL.

Compte tenu de ces circonstances, il est difficile d’imaginer que la défenderesse a innocemment choisi NORSTEEL pour son propre nom commercial et sa propre marque de commerce. La demanderesse soutient que la preuve étaye la conclusion selon laquelle la défenderesse (par l’entremise de ses administrateurs) avait une connaissance réelle de la demanderesse et des marques et noms commerciaux NORSTEEL Building Systems, et qu’elle a intentionnellement facilité la production de la demande d’enregistrement NORSTEEL afin de tirer profit de l’achalandage attaché aux marques et noms commerciaux NORSTEEL Building Systems. D’après les décisions invoquées plus haut, cette situation démontre la mauvaise foi de la défenderesse.

[Soulignement omis.]

[71] Systems ne m’a pas convaincu que NBL a choisi le nom NORSTEEL en raison de sa connaissance préalable de Systems. À défaut d’une preuve directe ou d’éléments de preuve obtenus dans le cadre d’un contre-interrogatoire, la déclaration que Sean Keenan faite dans son affidavit, selon laquelle son beau-père a inventé le nom, doit être admise.

[72] En revanche, la preuve établit qu’à la date de production de sa demande d’enregistrement pour la marque de commerce, Toti Holdings était parfaitement au courant de l’existence de Systems et du fait qu’une autre société exerçant le même genre d’activités employait le mot « Norsteel » dans son nom. Rien dans la preuve dont dispose la Cour n’établit quelles mesures ont été prises, le cas échéant, pour démontrer laquelle des deux sociétés avait antérieurement employé le mot.

[73] À la date de production de la demande par Toti Holdings, la Loi exigeait qu’elle produise une déclaration portant qu’elle « [était] convaincue qu’[elle] a[vait] le droit d’employer la marque de commerce au Canada en liaison avec les marchandises ou services décrits dans la demande ». Cette disposition ne veut pas dire que le requérant est tenu d’effectuer une recherche approfondie pour trouver des conflits. Toutefois, lorsque le requérant sait qu’une autre entité qui relève du même secteur d’activités emploie le mot même qui constitue la marque dont il sollicite l’enregistrement, il faut s’attendre à ce qu’il fasse preuve de diligence relativement à cette autre société avant de produire la déclaration exigée.

[74] En l’espèce, Toti Holdings n’a pas fait la preuve de mesures qu’elle aurait prises, le cas échéant, à l’égard de Systems avant d’affirmer qu’elle avait « le droit d’employer la marque de commerce au Canada en liaison avec [s]es marchandises [et] services ».

[75] Il est juste de dire que Toti Holdings a, au mieux, fait montre d’aveuglement volontaire quant à la question de savoir si elle avait le droit de produire une demande compte tenu de sa concurrente Systems; cependant, je ne saurais affirmer que l’absence des recherches qui s’imposent équivaut à de la mauvaise foi.

III. Conclusion

[76] La présente demande doit être accueillie. La demanderesse a droit à ses dépens. Si les parties ne peuvent s’entendre sur le barème ou le montant, la demanderesse pourra déposer des observations sur les dépens comptant au plus 10 pages, dans les 15 jours suivant la date du présent jugement, et la défenderesse déposera sa réponse comptant au plus 10 pages, dans les 10 jours suivant la réception des observations de la demanderesse.

 



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