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Date : 20210902


Dossier : IMM‑2205‑20

Référence : 2021 CF 912

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Vancouver (Colombie‑Britannique), le 2 septembre 2021

En présence de monsieur le juge Barnes

ENTRE :

SAVIZ REZAIE

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1] La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire contestant la décision de la Section d’appel de l’immigration (la SAI) qui confirme la mesure de renvoi prise antérieurement par la Section de l’immigration (la SI) à l’égard du demandeur, Saviz Rezaie.

[2] Monsieur Rezaie est citoyen de l’Iran et, à l’instar de sa mère, a obtenu le statut de résident permanent au Canada à titre de réfugié en 1997. Le 26 septembre 2019, la SI a prononcé à son égard une mesure de renvoi à cause de ses antécédents criminels. Bien que M. Rezaie ne compte que deux condamnations à son dossier – toutes deux pour possession de stupéfiants en vue d’en faire le trafic – il a été visé par d’autres accusations qui semblent avoir été suspendues. L’infraction dont il a été déclaré coupable a eu lieu en 2010 et avait pour objet le trafic de cocaïne. Une autre accusation de trafic a été portée contre lui en 2013, mais a été suspendue à cause des délais causés par la poursuite. Néanmoins, cette accusation a eu pour conséquence la confiscation de la maison et de l’automobile de M. Rezaie. Selon le rapport de l’Agence des services frontaliers du Canada [l’ASFC] visé à l’article 44, les accusations concernaient tant M. Rezaie que son épouse.

[3] Devant la SAI, M. Rezaie n’a pas contesté la légalité de la mesure de renvoi prise par la SI, mais il a invoqué sans succès des motifs d’ordre humanitaire. C’est le refus par la SAI de prendre des mesures spéciales fondées sur des motifs d’ordre humanitaire qui est visé par la présente demande.

[4] Monsieur Rezaie soutient que la décision de la SAI est déraisonnable parce qu’elle ne prend pas en compte sa réadaptation depuis sa dernière participation à une activité criminelle et, plus particulièrement, ses sept années de comportement productif et respectueux des lois. Il prétend aussi que la SAI n’a pas mené une analyse appropriée de l’intérêt supérieur de l’enfant au sujet de sa relation avec son neveu âgé de 15 ans.

[5] Le ministre affirme que les préoccupations soulevées par M. Rezaie ne constituent rien de plus qu’une tentative de persuader la Cour d’apprécier de nouveau la preuve, notamment les conclusions sur la preuve tirées par la SAI portant que le témoignage de M. Rezaie sur sa réadaptation et ses remords manquent de crédibilité et que celui‑ci présente un risque élevé de récidive.

[6] Pour les motifs qui suivent, je rejette la présente demande.

[7] Bien que les parties admettent que la norme de contrôle applicable aux questions soulevées par M. Rezaie est celle de la décision raisonnable, il est toujours utile d’expliquer ce que cela signifie concrètement. L’examen commence par l’appréciation de la portée du pouvoir de la SAI lorsqu’elle entend un appel interjeté pour des motifs d’ordre humanitaire contre une mesure de renvoi. Dans la décision Santiago c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2017 CF 91, le juge en chef Crampton a décrit ce pouvoir de la manière suivante :

[27] L’alinéa 67(1)c) prévoit un mécanisme permettant aux personnes d’établir l’existence de circonstances exceptionnelles, fondées sur des motifs d’ordre humanitaire, pour lesquelles elles devraient être autorisées à demeurer au Canada (Khosa, précité, au paragraphe 57; Chieu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CSC 3, [2002] 1 R.C.S. 84, au paragraphe 90; Iamkhong c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 355, au paragraphe 47; Pervaiz c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 680, au paragraphe 40). Pour établir l’existence de circonstances « exceptionnelles » pour lesquelles elles devraient être autorisées à demeurer au Canada, les personnes doivent de fait démontrer que leur situation est exceptionnelle comparativement à celle d’autres ressortissants étrangers qui cherchent à demeurer au pays après le rejet de leur demande en ce sens, en application d’autres dispositions de la LIPR (Gonzalo c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 526, aux paragraphes 16 à 19).

[28] La capacité de la SAI de faire droit à un appel, qui est fondée sur la question de savoir s’il existe « des motifs d’ordre humanitaire justifiant, vu les autres circonstances de l’affaire, la prise de mesures spéciales », repose sur l’exercice d’un pouvoir hautement discrétionnaire qui milite en faveur de la retenue (Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817, au paragraphe 61; Suresh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CSC 1, [2002] 1 R.C.S. 3, au paragraphe 36; Karshe c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 530, au paragraphe 22).

[8] Lorsque la Cour examine une décision de la SAI pour en apprécier la raisonnabilité dans le contexte des motifs d’ordre humanitaire, elle n’exige pas la perfection. Elle cherche plutôt à savoir si la décision possède les caractéristiques d’une décision raisonnable, soit la justification, la transparence et l’intelligibilité, et si la décision est justifiée au regard des contraintes factuelles et juridiques pertinentes qui ont une incidence sur celle‑ci : voir Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 au para 99 [Vavilov]. Les lacunes ou insuffisances reprochées ne doivent pas être simplement superficielles ou accessoires par rapport au fond de la décision. Elles doivent plutôt être suffisamment importantes pour rendre la décision déraisonnable : Vavilov, au para 100. Lorsque le mode d’analyse, dans les motifs avancés, pouvait raisonnablement amener le tribunal, au vu de la preuve, à conclure comme il l’a fait, sa décision ne saurait être infirmée avec succès au moyen d’un contrôle judiciaire : Vavilov, au para 102. Il s’agit là des paramètres que je dois appliquer à la décision de la SAI en l’espèce.

[9] Monsieur Rezaie prétend que la SAI n’a pas pris en compte, comme elle l’aurait dû, le bon comportement qu’il a eu durant les années qui ont suivi ses dernières activités criminelles. Il fait valoir que lorsque la SAI examinait la question de savoir s’il était pleinement réadapté, elle était tenue de faire peser largement en sa faveur l’absence d’antécédents criminels depuis 2013. Il ajoute, dans le même ordre d’idées, que sa feuille de route contredit la conclusion de la SAI, à savoir qu’il n’était pas totalement réadapté et qu’il présentait un risque élevé de récidive.

[10] La thèse de M. Rezaie aurait plus de poids si ce n’était du fait que les doutes exprimés par la SAI sur sa réadaptation étaient appuyés par une appréciation défavorable de sa crédibilité. La SAI avait en main une preuve solide pour passer outre les manifestations de remords de M. Rezaie et l’acceptation de sa responsabilité. Dans cette veine, la SAI a fait référence au témoignage de M. Rezaie où il affirmait son innocence concernant les accusations qui ont mené à sa condamnation pour l’infraction dont il a été reconnu coupable. Ce refus d’assumer un comportement criminel patent constituait une préoccupation légitime lorsqu’évalué à l’aune du rapport de l’ASFC visé à l’article 44 qui décrit de la manière suivante les événements et la condamnation qui en est résultée :

[traduction]

(1) Possession de substances dans le but d’en faire le trafic – reconnu coupable et condamné à six mois d’emprisonnement

Le sujet a été arrêté par la police de Vancouver (la PDV) le 25 avril 2008 et des accusations ont été portées le 30 mars 2009. La PDV a mené la surveillance d’une entreprise commerciale qu’on disait être impliquée dans la vente de stupéfiants. L’opération a révélé peu de transactions commerciales, mais les agents ont observé des comportements qui pouvaient être associés au trafic de drogues et sont entrés sur les lieux. Un homme travaillait derrière le comptoir et M. REZAIE se trouvait dans la salle d’entreposage. Au moment où les agents y ont pénétré, M. REZAIE était assis à une table et comptait la somme de 1010 $. Il avait à sa portée un sac qui contenait 60 roches de cocaïne. Une fouille complémentaire faite sur M. REZAIE a permis de découvrir la somme de 2165 $ dans son portefeuille dépourvu de carte bancaire et de pièce d’identité. Bien qu’il y ait des raisons de croire qu’une large organisation criminelle se livre à ce trafic, la preuve disponible ne nous permet pas de remplir un rapport visé à l’article 37.

Durant le procès de M. REZAIE, sa conjointe de fait, Debra Eremenko, a témoigné pour la défense. Dans les motifs de son jugement, M. le juge Schultes a remarqué que le montant et l’emplacement de l’argent trouvé ne correspondaient pas au produit de ventes légitimes. M. Rezaie a affirmé qu’il avait une dépendance et a fourni des lettres d’appui de ses parents et de sa conjointe. Dans les motifs relatifs à la peine, monsieur le juge Schultes a rejeté une ordonnance de sursis et a énoncé que, bien que le sujet avait peu de chances d’être déporté, il allait devoir passer par le processus administratif pour qu’il puisse être statué sur son admissibilité à rester au Canada.

‑ [25] que tout l’argent, soit 3175 $, saisi par le PDV soit confisqué au profit de la Couronne.

‑ [28] « quant aux circonstances de l’infraction, je les qualifierais de possession en vue de faire du trafic de cocaïne dans la rue, ce qui semble, dans la zone de l’est du centre‑ville, avoir été d’une certaine envergure et assez lucratif.

‑ [31] De surcroît, j’ai des doutes concernant les allégations de M. Rezaie voulant qu’il ait travaillé pour l’entreprise de son père durant les quatre dernières années. Il s’agit d’une période qui comprend la date de la présente infraction. J’en suis venu à me demander s’il travaillait bel et bien avec son père au moment des faits et, dans ce cas, si la disponibilité de ce travail pouvait influer sur la possibilité qu’il récidive à l’avenir, puisque cet emploi ne l’a pas empêché de commettre cette infraction. »

‑ [37] Bien que, comme le procureur de la Couronne l’a indiqué avec raison dans ses observations, la réadaptation demeure un facteur important dans le cas de M. Rezaie, je pense que, au vu du dossier, la dénonciation et la dissuasion doivent prévaloir. Les seules inférences que je peux tirer de la preuve à ce sujet en ce moment sont que (1) M. Rezaie n’a rien pu tirer de l’opportunité qu’il a eue de purger sa peine antérieure dans la communauté afin d’éviter de récidiver; (2) que la sentence infligée en l’espèce doit lui permettre de comprendre, sans aucun doute possible, la nécessité absolue de cesser toute implication dans le trafic de drogue.

[11] En sus de tout cela, M. Rezaie a avoué qu’au moment de son arrestation il jouait un rôle actif dans le trafic de drogue. Sans contredit, la SAI était troublée par le refus de M. Rezaie d’accepter la pleine responsabilité de sa culpabilité, ce qui l’a menée à conclure :

[22] L’appelant continue de contester certains des faits relatifs à chacune des accusations portées contre lui. Je vais donner deux exemples :

a. L’appelant a affirmé qu’il ne vendait pas de cocaïne en 2005 et qu’un ami lui avait simplement remis la drogue lorsqu’il a été arrêté par la police. Cela contredit sa lettre de résidence permanente selon laquelle il avait des remords et avait été « dissuadé par la peur ».

b. L’appelant a soutenu qu’il avait été étonné lorsqu’il avait été déclaré coupable en 2010. Il a déclaré qu’il avait demandé à son avocat d’interjeter appel, mais qu’il avait été avisé que, comme il avait déjà passé un mois en prison, il serait plus rapide de purger sa peine. Cela contredit son témoignage ultérieur selon lequel il éprouvait des remords à l’égard de cette accusation.

[23] L’appelant a exprimé des remords à l’égard des choix médiocres qu’il a faits et de sa fréquentation de pairs qui exerçaient sur lui une mauvaise influence. Il n’a pas été en mesure d’expliquer de façon crédible pourquoi il demeure ami avec bon nombre d’entre eux; il s’est contenté de préciser qu’ils venaient de sa communauté et qu’il ne se rappelait pas ce qu’il avait dit dans son témoignage ni en ce qui a trait à ses accusations et à ses déclarations de culpabilité antérieures. Il a mentionné qu’il estimait maintenant que [traduction] « c’était assez » et qu’il devait changer.

[24] J’estime que le témoignage de l’appelant au sujet des remords est lié à la conséquence éventuelle de perdre son statut de résident permanent et ne découle non pas de remords pour ses actes; ce sont plutôt les conséquences qu’il risque de subir. […]

[27] Compte tenu de l’ensemble de la preuve, j’estime que l’appelant a pris peu de mesures positives en vue de sa réadaptation et présente un risque élevé de récidive.

[28] J’estime que les remords, la réadaptation et le risque de récidive de l’appelant ne jouent pas en faveur de la prise de mesures spéciales ou discrétionnaires.

[12] Je conviens avec M. Rezaie qu’il n’y avait aucun élément de preuve qui appuie la conclusion de la SAI selon laquelle il était resté ami avec « bon nombre » de ses anciens acolytes du milieu de la drogue. La preuve démontrait seulement qu’il avait maintenu des liens avec l’un d’entre eux. Or, il s’agit d’une erreur sans gravité qui n’a eu aucun impact sur le sort de l’appel.

[13] Il est également erroné d’affirmer que la SAI a fait fi du bon comportement revendiqué par M. Rezaie depuis sa dernière participation à des activités criminelles. Son parcours est mentionné aux paragraphes 25 et 26 de la décision de la SAI. Bien que M. Rezaie prétende que ces facettes de sa vie méritent qu’on leur accorde plus de poids qu’elles n’en ont reçu, ce facteur, à lui seul, ne donne pas ouverture à l’intervention de la Cour. Il était loisible à la SAI de conclure que, bien que M. Rezaie ait pris « peu de mesures positives en vue de sa réadaptation », il présentait un risque élevé de récidive.

[14] Monsieur Rezaie soutient en outre que la SAI ne s’est pas suffisamment penchée sur les éléments de preuve relatifs à l’intérêt supérieur de l’enfant, plus particulièrement une lettre d’appui rédigée par son neveu âgé de quinze ans. Il affirme que cette lettre n’a été mentionnée nulle part dans les motifs de la SAI. M. Rezaie prétend que l’omission de prendre en compte les souhaits exprimés par son neveu révélait un manque d’égards envers les besoins de l’enfant et contrevient aux exigences établies dans l’arrêt Kanthasamy c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CSC 61. Cet argument ne me convainc pas.

[15] La SAI a accordé l’attention voulue aux intérêts du neveu de M. Rezaie. Elle a pris acte des « liens solides » qui existent entre eux, mais a aussi remarqué que M. Rezaie n’était pas le gardien de l’enfant. Ce dernier jouit d’un large réseau de soutien dans sa famille élargie qui demeurerait en place si M. Rezaie était renvoyé du Canada. La SAI n’a commis aucune erreur lorsqu’elle a noté qu’il y avait peu d’éléments de preuve qui démontraient les conséquences probables qu’aurait le renvoi de M. Rezaie sur son neveu.

[16] Dans tous les cas, le fait que, dans sa brève lettre d’appui le neveu professe son amour pour M. Rezaie et souligne son influence positive n’est pas un élément de preuve particulièrement éloquent de la force du soutien réel que M. Rezaie donne à son neveu. L’omission de la SAI de mentionner la lettre dans ses motifs n’était pas une erreur susceptible de contrôle parce que celle‑ci reconnaît à juste titre les conséquences négatives qu’aurait sur l’enfant le renvoi de M. Rezaie. La SAI a convenu que les considérations liées à l’intérêt supérieur de l’enfant constituaient, entre autres, un facteur à l’appui de la prise de mesures spéciales ou discrétionnaires, mais qu’elles n’étaient pas suffisamment importantes pour prévaloir sur la gravité des antécédents criminels de M. Rezaie, le peu de ses remords, sa réadaptation limitée et son risque de récidive.

[17] Pour conclure, j’estime que la décision de la SAI révèle une pondération raisonnable des facteurs pertinents à l’exercice de son large pouvoir discrétionnaire et qu’il n’existe aucun fondement juridique qui permette de l’annuler.

[18] Par conséquent, la demande est rejetée.

[19] Aucune des parties n’a proposé de question aux fins de certification et la présente affaire ne soulève aucune question de portée générale.


JUGEMENT DANS LE DOSSIER IMM‑2205‑20

LA COUR STATUE que la présente demande est rejetée.

« R.L. Barnes »

Juge

Traduction certifiée conforme

Semra Denise Omer


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM‑2205‑20

INTITULÉ :

SAVIZ REZAIE c LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

LIEU DE L’AUDIENCE :

TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 30 AOÛT 2021

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE BARNES

DATE DES MOTIFS :

LE 2 SEPTEMBRE 2021

COMPARUTIONS :

Juliana Cliplef

POUR LE DEMANDEUR

Tasneem Karbani

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Juliana Cliplef Law Corporation

Vancouver (Colombie‑Britannique)

POUR LE DEMANDEUR

Procureur général du Canada

Vancouver (Colombie‑Britannique)

POUR LE DÉFENDEUR

 

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