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Date : 20210826


Dossier : IMM-2706-20

Référence : 2021 CF 884

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 26 août 2021

En présence de monsieur le juge Fothergill

ENTRE :

ADEOLU SAMUEL DANIYAN

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Aperçu

[1] Adeolu Samuel Daniyan est un citoyen du Nigéria. Il sollicite le contrôle judiciaire d’une décision par laquelle un agent [l’agent] d’Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada [IRCC] a rejeté la demande de résidence permanente fondée sur des motifs d’ordre humanitaire qu’il avait présentée depuis le Canada.

[2] M. Daniyan a été déclaré interdit de territoire au Canada aux termes de l’alinéa 42(1)a) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la LIPR]. Il a demandé la levée de l’interdiction de territoire pour des motifs d’ordre humanitaire au titre du paragraphe 25(1) de la LIPR. L’agent a conclu que les motifs d’ordre humanitaire n’étaient pas suffisants pour l’emporter sur l’interdiction de territoire de M. Daniyan.

[3] L’agent devait mener une évaluation nuancée de la demande de M. Daniyan qui tenait compte de la nature de l’interdiction de territoire du demandeur et de la façon dont cela devrait être équilibré par rapport aux facteurs d’ordre humanitaire. Le fait que l’agent n’a pas tenu compte des motifs de l’interdiction de territoire de M. Daniyan dans le contexte global de l’évaluation des motifs d’ordre humanitaire rend sa décision déraisonnable. La demande de contrôle judiciaire est donc accueillie.

II. Le contexte

[4] M. Daniyan est arrivé au Canada à titre d’étudiant en janvier 2014. Il a obtenu un diplôme d’études supérieures en agriculture durable de l’Université Memorial de Terre-Neuve en août 2016. Il a été titulaire d’un permis de travail postdiplôme de 2016 à 2019.

[5] En juillet 2015, M. Daniyan a épousé Zainab Omobolanle Ayinde, au Nigéria. Il est retourné au Canada sans son épouse. Le couple avait l’intention de célébrer sa lune de miel à Hawaii, aux États-Unis. Mme Ayinde a présenté deux demandes de visa de visiteur pour être admise aux États-Unis, mais celles-ci ont été rejetées.

[6] Mme Ayinde a ensuite présenté une demande de visa de résident temporaire et de permis de travail pour rejoindre M. Daniyan au Canada. L’une des questions posées dans la demande était la suivante : « Vous a-t-on déjà refusé un visa ou un permis, interdit l’entrée ou demandé de quitter le Canada ou tout autre pays ou territoire? » Mme Ayinde a répondu « non ». En février 2017, elle a été déclarée interdite de territoire au Canada pour fausses déclarations aux termes de l’alinéa 40(1)a) de la LIPR.

[7] Si ce n’était de l’interdiction de territoire de son épouse, M. Daniyan pourrait être admissible à la résidence permanente étant donné qu’il fait partie de la catégorie de l’expérience canadienne d’Entrée Express. Toutefois, par application de l’alinéa 42(1)a) de la LIPR, l’interdiction de territoire de son épouse le rend également interdit de territoire au Canada jusqu’en février 2022.

[8] Mme Ayinde habite au Nigéria avec la fille du couple, qui est âgée de trois ans. Actuellement, M. Daniyan n’a aucun statut d’immigrant au Canada.

[9] M. Daniyan a présenté sa demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire en juin 2018. Elle a été rejetée en mai 2020.

III. La question en litige

[10] M. Daniyan conteste la décision de l’agent pour de nombreux motifs, dont l’un est déterminant. La question en litige est celle de savoir si le fait que l’agent n’a pas tenu compte des motifs de l’interdiction de territoire de M. Daniyan dans le contexte global de son évaluation des motifs d’ordre humanitaire rend sa décision déraisonnable.

IV. Analyse

[11] La décision de l’agent est susceptible de contrôle par la Cour selon la norme de la décision raisonnable (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov] au para 10). La Cour n’interviendra que si la décision « souffre de lacunes graves à un point tel qu’on ne peut pas dire qu’elle satisfait aux exigences de justification, d’intelligibilité et de transparence » (Vavilov, au para 100). Ces exigences sont satisfaites si les motifs permettent à la Cour de comprendre la décision et de déterminer si celle-ci appartient aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit (Vavilov, aux para 85-86, citant Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9 au para 47).

[12] Il ne fait aucun doute que l’agent a omis de tenir compte des motifs de l’interdiction de territoire de M. Daniyan dans son évaluation de la question de savoir si les facteurs d’ordre humanitaire justifiaient la prise de mesures discrétionnaires. L’agent n’a pris en considération que le degré d’établissement au Canada de M. Daniyan, les conditions défavorables au Nigéria, dont les considérations relatives à la santé, et l’intérêt supérieur de l’enfant.

[13] Il ne fait aucun doute non plus que M. Daniyan a décrit les circonstances ayant mené à son interdiction de territoire dans les observations qu’il a présentées à l’agent :

[traduction]

À la suite de leur mariage, M. Daniyan et Mme Ayinde ont fait des plans pour se rencontrer à Honolulu, aux États-Unis, où vit la sœur de M. Daniyan. Ils ont donc tous les deux présenté une demande de visa de visiteurs pour être admis aux États-Unis. Le visa de Mme Ayinde a été refusé. Elle a présenté une deuxième demande, qui a aussi été rejetée.

Par la suite, lorsque Mme Ayinde a rempli une demande de visa de résident temporaire et de permis de travail pour le Canada, elle a répondu incorrectement « non » à la question « Vous a-t-on déjà refusé un visa ou un permis, interdit l’entrée ou demandé de quitter le Canada ou tout autre pays ou territoire? ». La réponse incorrecte de Mme Ayinde à cette question était une erreur de bonne foi. En répondant à cette question, Mme Ayinde a cru à tort que ces visas refusés n’étaient pas pertinents aux fins de la demande et a donc omis d’en tenir compte.

[14] Les deux parties se sont appuyées sur le document de politique intitulé « Considérations d’ordre humanitaire : Les interdictions de territoire » publié sur le site Web d’IRCC [la politique d’IRCC]. Voici l’extrait pertinent de ce document :

Le décideur doit évaluer l’interdiction de territoire à l’étape à laquelle il en prend connaissance, en tenant compte du contexte global des considérations d’ordre humanitaire invoquées par le demandeur. Plus précisément, l’agent doit déterminer si les considérations d’ordre humanitaire décrites justifient la levée de l’interdiction de territoire.

[15] Les documents de politique ne sont pas des lois (Bahar c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 1640 au para 18, citant Krasniqi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 743 aux para 19-10). Ils peuvent néanmoins servir à déterminer ce qui constitue une interprétation raisonnable d’une disposition donnée de la LIPR (Kanthasamy c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CSC 61 au para 32).

[16] Selon le défendeur, la politique d’IRCC prévoit que le décideur doit d’abord déterminer si les considérations d’ordre humanitaire justifient la levée de l’interdiction de territoire, puis examiner la nature de l’interdiction de territoire seulement si ces considérations sont suffisamment convaincantes. Je ne suis pas d’accord.

[17] La politique d’IRCC précise explicitement que le décideur doit évaluer l’interdiction de territoire « en tenant compte du contexte global des considérations d’ordre humanitaire invoquées par le demandeur ». Il est difficile d’imaginer comment un décideur peut juger si les considérations d’ordre humanitaire justifient ou non la levée de l’interdiction de territoire sans examiner la nature de l’interdiction de territoire en question.

[18] Dans la décision Ainab c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 630, le juge James Russell a confirmé une décision par laquelle l’agent avait conclu que les facteurs d’ordre humanitaire ne l’emportaient pas sur l’interdiction de territoire pour criminalité du demandeur au point où il était possible de la lever. Dans son évaluation de la question de savoir si le demandeur était réadapté, l’agent devait nécessairement tenir compte de la gravité du comportement criminel à l’origine de l’interdiction de territoire.

[19] Dans le même ordre d’idées, dans la décision Mirza c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 510 [Mirza], la juge Catherine Kane a annulé une décision par laquelle un agent avait refusé la prise d’une mesure pour des motifs d’ordre humanitaire parce qu’il « n’[avait] pas tenu compte ou [avait] mal interprété les éléments de preuve pertinents et n’[avait] pas procédé à l’examen nuancé de la nature de l’adhésion du demandeur à un groupe terroriste et de la façon dont cela devrait être équilibré par rapport aux facteurs d’ordre humanitaire pertinents » [non souligné dans l’original] (au para 50).

[20] Le défendeur invoque deux décisions antérieures de notre Cour : Mujiri c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CFPI 121 [Mujiri], et Wong c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 1410. Les demandes de contrôle judiciaire dans ces deux affaires ont été accueillies, car les agents avaient insisté indûment sur l’interdiction de territoire pour motifs sanitaires. Cependant, ces décisions ne permettent pas d’affirmer que les motifs de l’interdiction devraient être exclus en bloc de l’analyse des motifs d’ordre humanitaire. Au contraire, dans la décision Mujiri, le juge John O’Keefe a explicitement indiqué qu’« [i]l ne fait aucun doute que l’état de santé est l’un des facteurs que l’agent peut prendre en compte pour statuer sur une demande fondée sur des raisons d’ordre humanitaire » (au para 22).

[21] Il ressort clairement de la décision Mirza que l’agent en l’espèce devait mener une évaluation nuancée de la demande de M. Daniyan qui tenait compte de la nature de l’interdiction de territoire de celui-ci et de la manière dont cela devrait être équilibré par rapport aux facteurs d’ordre humanitaire. Le fait que l’agent n’a pas tenu compte des motifs de l’interdiction de territoire de M. Daniyan dans le contexte global de l’évaluation des motifs d’ordre humanitaire rend sa décision déraisonnable.

V. La question à certifier

[22] Selon les Lignes directrices sur la pratique dans les instances intéressant la citoyenneté, l’immigration et les réfugiés de la Cour datées du 28 novembre 2018, « [s]i une partie entend proposer une question à certifier, la partie opposée doit en être informée au moins cinq (5) jours avant l’audience, dans le but de s’entendre sur le libellé de la question proposée ».

[23] Lorsque la Cour a demandé si les parties souhaitaient proposer une question à certifier, l’avocate du défendeur a répondu « non ». L’avocat de M. Daniyan a reconnu que, selon les motifs de la Cour, il pourrait y avoir une question à certifier. Finalement, toutefois, aucune des parties n’a proposé de question à certifier en vue d’un appel.

[24] Selon moi, les motifs qui précèdent ne s’écartent pas de la jurisprudence établie par la Cour en ce qui a trait aux décisions concernant la levée d’une interdiction de territoire pour des motifs d’ordre humanitaire aux termes du paragraphe 25(1) de la LIPR. Par conséquent, la présente affaire ne soulève aucune question grave de portée générale.

VI. Conclusion

[25] La demande de contrôle judiciaire est accueillie et l’affaire est renvoyée à un autre décideur pour qu’il rende une nouvelle décision conformément aux présents motifs. Aucune question n’est certifiée en vue d’un appel.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est accueillie et que l’affaire est renvoyée à un autre décideur pour qu’il rende une nouvelle décision conformément aux présents motifs.

« Simon Fothergill »

Juge

Traduction certifiée conforme

Julie Blain McIntosh


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-2706-20

 

INTITULÉ :

ADEOLU SAMUEL DANIYAN c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

AUDIENCE TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE À SASKATOON (SASKATCHEWAN) ET À OTTAWA (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 22 juillet 2021

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE FOTHERGILL

 

DATE DES MOTIFS :

Le 26 août 2021

 

COMPARUTIONS :

Christopher Veeman

 

Pour le demandeur

 

Judith Boer

 

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Veeman Law

Avocats

Saskatoon (Saskatchewan)

 

Pour le demandeur

 

Procureur général du Canada

Saskatoon (Saskatchewan)

Pour le défendeur

 

 

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