Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20210820


Dossier : IMM-3090-20

Référence : 2021 CF 856

Ottawa (Ontario), le 20 août 2021

En présence de l'honorable juge Shore

ENTRE :

CARLOS ANTONIO MENDEZ CABALLERO

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1] Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire à l’encontre d’une décision rendue le 18 février 2020 par un délégué du ministre de l’Immigration, des Réfugiés et de la Citoyenneté selon laquelle le demandeur constitue un danger pour le public au Canada, au sens de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27, art 115(2)(a) [LIPR ou Loi].

[2] Le demandeur est citoyen du Chili, ayant perdu le statut de résident permanent en tant que réfugié au Canada pour interdiction de territoire pour grande criminalité. Entre 2003 et 2012, le demandeur a fait l’objet de trois rapports d’interdiction pour grande criminalité. Une mesure d’expulsion a été émise à son encontre en mars 2009 et maintenue en mai 2011.

[3] Le 28 novembre 2014, l’Agence des services frontaliers du Canada a avisé le demandeur de son intention d’initier une demande pour l’avis du ministre en vertu de l’article 115(2)(a) de la LIPR. Le demandeur a présenté des observations en mars 2015, de la preuve supplémentaire en août 2019, suivie par d’autres observations le mois suivant. Le 18 février 2020, le délégué du ministre a conclu que le demandeur constituait un danger pour le public. Il s’agit de cette décision portée en contrôle judiciaire.

[4] Dans le cadre de cette demande, le demandeur avance de nombreux arguments et, de même, confond les normes de contrôle applicables respectives. En somme, le demandeur soumet que les infractions commises n’atteignent pas le seuil élevé de grande criminalité de l’article 115(2)(a) de la Loi, conformément à la Convention des Nations Unies relatives au statut des réfugiés, 28 juillet 1951, 189 RTNU 137, art 33(2). De plus, en déterminant que le demandeur n’a pas présenté de preuves objectives pour appuyer le risque allégué, le délégué aurait manqué à l’équité procédurale puisqu’il s’agirait d’une inférence négative sur sa crédibilité sans lui donner l’occasion d’y répondre. De surcroît, le demandeur soumet que cette preuve ne pouvait être produite et qu’il aurait dû recevoir le bénéfice du doute.

[5] Hormis l’argument sur l’équité procédurale, la norme de contrôle applicable par cette Cour est celle de la décision raisonnable (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 aux para 23, 77).

[6] En vertu de l’article 115(2)(a), un réfugié ou une personne protégée serait inadmissible pour grande criminalité, telle que définie par l’article 36(1) de la LIPR, faisant ainsi exception au principe de non-refoulement. Il convient également de déterminer si l’individu est un danger pour le public au Canada. Par la suite, le délégué du ministre doit pondérer ce danger avec les risques de retour de l’individu; ceci inclut une étude des circonstances d’ordre humanitaires propres à l’individu (Nagalingam c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CAF 153 aux para 44, 70 [Nagalingam]).

[7] Dans un premier temps, le délégué du ministre a conclu que le demandeur posait un risque inacceptable pour le public et constituait un danger actuel ou futur pour la société canadienne.

[8] Le demandeur, âgé de 42 ans, possède un casier judiciaire important qui compte plus d’une quarantaine d’infractions s’étalant de 1991 à 2017, et ce, sans période marquée de répit. Son dossier criminel comprend plusieurs incidents reliés à la violence conjugale, bris de conditions et défaut de se conformer à des ordonnances, et nombreux incidents à caractère répétitif reliés au vol de marchandises – dont trois infractions sont passibles d’un emprisonnement maximal de dix ans. Le délégué s’est penché sur les circonstances de ces infractions et les conséquences qui en découlent. Il avait également noté qu’il n’y a pas suffisamment de preuve selon laquelle le demandeur aurait corrigé son comportement criminel. Le délégué a ainsi déterminé qu’il représente actuellement et présentera ultérieurement un risque pour le public (Williams c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1997] 2 CF 646 au para 29).

[9] La Cour estime que le délégué a appliqué le critère approprié dans l’évaluation de l’élément de danger pour le public en analysant la gravité des crimes et la possibilité de récidive à l’étude de la preuve. Grande criminalité comprend un large éventail d’infractions, lesquelles atteignent le seuil de danger pour le public selon la Loi (voir Ramanathan c Canada (Immigration, Réfugiés et Citoyenneté), 2017 CF 834 aux para 45-51; Shababy c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 810 aux para 8-9). En l’espèce, les crimes n’étaient pas accessoires et ont été jugés particulièrement graves; il était raisonnable pour le délégué de conclure que le demandeur constitue un danger pour le public.

[10] Dans un deuxième temps, le délégué a conclu que le demandeur ne fera pas face à un risque de persécution au retour au Chili. Mis à part la déclaration du demandeur à l’effet qu’il craint la vengeance de deux individus qui auraient commis des vols au Canada et été expulsés vers le Chili, et qui croient qu’il est responsable pour leur renvoi, le demandeur n’a pas présenté de preuve objective pour appuyer le risque allégué. Le délégué a conclu à l’étude de la preuve documentaire sur les conditions du pays et du système judiciaire que la preuve soumise par le demandeur ne suffisait pas à démontrer qu’il ne pourra pas se prévaloir de la protection des autorités chiliennes si nécessaire.

[11] Compte tenu de la preuve documentaire et en l’absence de preuve démontrant l’existence d’un risque personnalisé actuel, le délégué pouvait raisonnablement conclure en l’espèce que les faits invoqués ne constituent pas des facteurs de risque. (Ce qui était devant le délégué du ministre doit être considéré à l’intérieur d’une demande de contrôle judiciaire; voir Alberta (Information and Privacy Commissioner) c Alberta Teachers’ Association, 2011 CSC 61, [2011] 3 RCS 654.)

[12] En l’espèce, il s’agit d’une conclusion sur l’insuffisance de la preuve et non, contrairement à ce qui allégué, une conclusion de crédibilité voilée. Nonobstant ce qui précède, une présomption de véracité n’équivaut pas à une présomption de preuve suffisamment probante (voir Garces Canga c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 749 aux para 39-42).

[13] Le fardeau revenait au demandeur de démontrer qu’il serait exposé à un risque; la détermination ne peut dépendre en soi sur sa qualité comme réfugié (Mworosha c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 983 aux para 25-26; Nagalingam, ci-dessus, au para 44). À cet effet, il ne revient pas au délégué de demander des renseignements supplémentaires (Barre c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 1091 aux para 20-21).

[14] Enfin, le délégué a analysé, dans un troisième temps, les circonstances personnelles du demandeur et a conclu qu’il n’y a pas suffisamment d’éléments de considérations humanitaires, comme le niveau d’établissement au Canada, tant social qu’économique, incluant le meilleur intérêt des enfants, pouvant l’amener à conclure que le retour du demandeur vers le Chili devrait être empêché. Le demandeur ne conteste pas cette détermination devant cette Cour.

[15] Le délégué a ainsi conclu, après avoir pondéré les facteurs susmentionnés, que le besoin de protéger la société canadienne justifie le renvoi du demandeur et, par conséquent, il peut être expulsé en vertu de l’article 115(2)(a) de la LIPR.

[16] Pour les motifs mentionnés ci-dessus, la Cour est satisfaite que la décision est raisonnable et qu’il n’y a pas eu manquement à l’équité procédurale. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.


JUGEMENT au dossier IMM-3090-20

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire soit rejetée sans question d’importance générale à certifier (suite à l’abondante jurisprudence considérée par la Cour, selon les autorités citées et soumises par les avocats des deux parties et plaidées par les avocats des deux parties).

« Michel M.J. Shore »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

imm-3090-20

 

INTITULÉ :

CARLOS ANTONIO MENDEZ CABALLERO c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

AFFAIRE ENTENDUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 18 AOÛT 2021

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE SHORE

 

DATE DES MOTIFS :

LE 20 AOÛT 2021

 

COMPARUTIONS :

Nazar Saaty

 

Pour LE DEMANDEUR

 

Michel Pépin

 

Pour LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Simard Saaty Beaudoin

Montréal (Québec)

 

Pour LE DEMANDEUR

 

Procureur général du Canada

Montréal (Québec)

 

Pour LE DÉFENDEUR

 

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.