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Date : 20050630

Dossier : IMM-6346-04

Référence : 2005 CF 923

Ottawa (Ontario), le 30 juin 2005

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE SIMON NOËL                               

ENTRE :

                                                   KARUNANEDHY KANENDRA

                                                                                                                                          demandeur

                                                                             et

                     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                           défendeur

                                MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]                Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire visant une décision rendue par un tribunal de la Section de l'immigration (le tribunal) de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la CISR) en date du 30 juin 2004, selon laquelle le demandeur est interdit de territoire au Canada suivant l'alinéa 34(1)f) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la LIPR). Le demandeur demande à la Cour d'annuler cette décision et de renvoyer l'affaire à un tribunal différemment constitué pour qu'une nouvelle décision soit rendue.


QUESTIONS EN LITIGE

[2]                Le tribunal a-t-il correctement interprété la notion de « membre » dont il est question dans les dispositions relatives à l'interdiction de territoire prévues à l'alinéa 34(1)f) de la LIPR? Dans l'affirmative, a-t-il, d'une autre façon, commis une erreur de fait ou de droit, fondé sa conclusion sur des faits erronés ou agi d'une manière contraire à la loi lorsqu'il a décidé que le demandeur était interdit de territoire?

CONCLUSION

[3]                Pour les motifs qui suivent, le tribunal n'a commis aucune erreur dans son examen de la demande. Par conséquent, la présente demande de contrôle judiciaire devrait être rejetée.

CONTEXTE

[4]                Le demandeur, Karunanedhy Kanendra (M. Kanendra ou le demandeur), est un citoyen du Sri Lanka. En janvier 1994, quelques semaines avant son 14e anniversaire de naissance, il s'est joint aux Tigres de libération de l'Eelam tamoul (les TLET). Il a fait partie de l'unité des communications des TLET jusqu'en 2001, lorsqu'il a été placé en détention par les TLET après avoir fait part de son désir de quitter l'organisation. En 2003, M. Kanendra a réussi à échapper au contrôle des TLET. Il s'est enfui en Inde et est arrivé au Canada peu de temps après.


DÉCISION DU TRIBUNAL

[5]                Après une audience sur l'interdiction de territoire qui s'est poursuivie pendant plusieurs jours au printemps 2004, le tribunal a décidé que M. Kanendra était visé à l'alinéa 34(1)f) de la LIPR et qu'il était en conséquence interdit de territoire au Canada. Les passages pertinents de la décision du tribunal sont reproduits ci-dessous :

[traduction] Karunanedhy Kanendra a indiqué dans son témoignage à l'audience qu'il est un citoyen du Sri Lanka né le 4 février 1980 dans ce pays. Il n'est pas un citoyen canadien ni un résident permanent du Canada. Il ne possède pas la citoyenneté d'un autre pays. Son nom dans l'organisation (les Tigres tamouls) était Koilmuran et il s'est joint aux Tigres tamouls en 1994. Il a reçu une formation sur le maniement des AK-47 et des grenades.

M. Kanendra a indiqué à l'audience qu'il faisait partie de l'unité des communications, qu'il ne portait pas d'arme lorsqu'il se trouvait dans la zone de combat et qu'il ne s'était jamais trouvé dans une situation où il avait dû se servir d'une arme au cours d'un affrontement.

[...]

À trois occasions différentes, M. Kanendra a déclaré qu'il était membre des TLET et qu'il avait reçu une formation sur le maniement des armes. À deux de ces occasions, il a dit qu'il avait tiré avec son arme au cours d'un affrontement et, à une occasion, il a dit le contraire. Ces déclarations soulèvent certains doutes quant à sa crédibilité, mais son récit reste essentiellement le même et M. Kanendra était un membre des TLET.

[...]

La question suivante consiste à déterminer si les TLET forment une organisation visée aux alinéas 34(1)a), b) ou c) de la LIPR.

[...]

En l'espèce, le conseil n'a produit aucun élément de preuve démontrant que les TLET ne forment pas une organisation ayant été l'instigateur ou l'auteur d'actes visant au renversement par la force du gouvernement du Sri Lanka et s'étant livrée au terrorisme.

[...]


Les documents produits par le ministre en l'espèce pour démontrer que les TLET forment une organisation qui a commis des actes visés aux alinéas 34(1)a), b) ou c) proviennent de quatre sources différentes.

[...]

Il semble que les quatre documents mentionnés ci-dessus émanent de différentes sources et mettent de l'avant divers points de vue. Il n'est pas exagéré de dire que, selon tous ces documents, les TLET forment une organisation qui a recruté des enfants soldats, a commis des actes comme l'explosion d'une bombe dans le centre financier de Colombo en janvier 1996 - qui a tué 90 personnes et en a blessé 1 400 autres - a assassiné des officiers militaires, a commis des attentats-suicides à la bombe et beaucoup plus.

[...]

[L]es TLET doivent être jugés en fonction des actes qu'ils ont commis et, peu importe qu'ils se livrent maintenant à la subversion ou au terrorisme ou non, la période dont je dois tenir compte est celle allant de janvier 1994 à octobre 2001, soit la période pendant laquelle M. Kanendra était, de son propre aveu, membre de l'organisation.

J'estime par conséquent qu'il existe plus que de simples motifs raisonnables de croire que M. Karunanedhy Kanendra était membre bénévole des TLET de janvier 1994 à octobre 2001. De plus, il y a des motifs raisonnables de croire que les TLET forment une organisation qui s'est livrée au terrorisme et qui a tenté activement à plus d'une reprise de renverser le gouvernement du Sri Lanka pendant la période allant de janvier 1994 à octobre 2001. M. Kanendra est une personne visée à l'alinéa 34(1)f) [de la] LIPR.

PRÉTENTIONS DES PARTIES

Le demandeur

[6]                Le demandeur soutient principalement :

<           que le tribunal a commis une erreur en concluant que les TLET formaient une organisation visée aux alinéas 34(1)a), b) ou c) de la LIPR;


<           que le tribunal a commis une erreur en concluant que, vu son association avec les TLET, M. Kanendra était réputé avoir été membre de l'organisation (et, en conséquence, était visé à l'alinéa 34(1)f) de la LIPR), parce qu'il n'a pas évalué correctement l'incidence de l'âge que M. Kanendra avait au moment où il s'est joint aux TLET (13 ans);

<           que le tribunal a commis une erreur en ne tenant pas compte du paragraphe 34(2), soit de la question de savoir si la présence de M. Kanendra au Canada serait préjudiciable à l'intérêt national compte tenu des liens qu'il avait eus dans le passé avec les TLET.

[7]                Le demandeur soutient également, dans son mémoire supplémentaire, que le tribunal a commis une erreur en rejetant l'affidavit qu'il a déposé avec ses observations après la clôture de la présentation de la preuve. Selon lui, le tribunal aurait dû ajourner l'audience.

Le défendeur


[8]                Le défendeur soutient en réponse que le demandeur n'a pas réussi à démontrer que le tribunal a refusé d'examiner certains éléments de preuve, n'a pas tenu compte de certains éléments de preuve ou a tiré une conclusion de fait erronée. Il soutient en outre qu'aucune décision judiciaire ne laisse entendre qu'il faut interpréter de manière restrictive le terme « membre » . Le tribunal disposait d'éléments de preuve documentaire suffisants démontrant que les TLET s'étaient livrés au terrorisme ou à la subversion contre le gouvernement du Sri Lanka. En outre, le demandeur n'a produit aucune preuve réfutant cette conclusion. Finalement, il ressort du paragraphe 34(2) que ni le ministre ni la CISR n'ont l'obligation d'examiner la question de savoir si une exception à l'interdiction de territoire devrait être accordée en application de cette disposition.

ANALYSE

Norme de contrôle

[9]                Pour conclure que M. Kanendra était interdit de territoire, le tribunal s'est fondé sur le fait que celui-ci était un membre des TLET, un groupe qui, au moment où il en faisait partie, était l'instigateur ou l'auteur d'actes visant au renversement du gouvernement du Sri Lanka. Cette situation est très semblable à celle dont était saisie la Cour d'appel fédérale dans Poshteh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2005] A.C.F. no 381 (C.A.) (Poshteh). Dans cet arrêt, le demandeur, un citoyen iranien, s'était joint à l'âge de 15 ans à une organisation dont il y avait des motifs raisonnables de croire qu'elle se livrait, s'était livrée ou se livrerait au terrorisme. Sa participation aux activités de cette organisation s'était limitée largement à la distribution de dépliants. Deux ans plus tard, il a été arrêté et détenu pendant deux semaines à cause de ses liens avec l'organisation. Il s'est ensuite enfui et a demandé l'asile au Canada.

[10]            Le juge Rothstein a effectué une analyse pragmatique et fonctionnelle aux paragraphes 21 à 24 dans le but de déterminer la norme de contrôle applicable :


[21]      L'alinéa 34(1)f) fait partie de la loi constitutive de la Section de l'immigration. La question de l'appartenance à une organisation terroriste n'est pas un aspect extrinsèque de ses fonctions ordinaires. La spécialisation de la Section de l'immigration consiste notamment à dire si les critères d'une interdiction de territoire sont remplis. Ces critères comprennent l'appartenance à une organisation terroriste. L'interprétation du mot « membre » , à l'alinéa 34(1)f), est donc, à mon sens, une question juridique à l'égard de laquelle la Section de l'immigration jouit d'une certaine spécialisation.

[...]

[22]      Toutefois, le point de savoir si la minorité de M. Poshteh doit être prise en compte et, dans l'affirmative, selon quels facteurs, n'est pas une question juridique fréquemment soumise à la Section de l'immigration. L'alinéa 34(1)f) ne dit rien sur l'âge. En revanche, les tribunaux sont, eux, saisis de cas où l'application d'une loi à un mineur est un aspect qu'ils doivent considérer. Le point de savoir si l'âge doit être pris en compte et, dans l'affirmative, la manière dont il doit l'être, sont des aspects où la spécialisation de la Cour est plus étendue que celle de la Section de l'immigration, signalant de ce fait une retenue moindre.

[23]      Eu égard aux considérations pragmatiques et fonctionnelles évoquées plus haut, j'arrive aux conclusions suivantes :

a) la question de l'interprétation du mot « membre » , à l'alinéa 34(1)f), est sujette à révision selon la norme de la décision raisonnable;

b) la question de savoir si l'âge doit être pris en compte dans l'application de l'alinéa 34(1)f) et, dans l'affirmative, selon quels facteurs, est sujette à révision selon la norme de la décision correcte.

[24]      Compte tenu des normes de contrôle qui sont applicables aux questions de droit, la Cour, si elle juge nécessaire d'intervenir parce que selon elle M. Poshteh ne pouvait pas être membre d'une organisation terroriste, soit annulera la décision de la Section de l'immigration, soit renverra l'affaire à la Section de l'immigration pour nouvelle décision fondée sur les critères juridiques applicables. Cependant, si la Cour est d'avis que la conclusion de la Section de l'immigration relative au mot « membre » était raisonnable, et que sa conclusion sur la minorité de M. Poshteh était correcte, alors les questions mixtes de droit et de fait, à savoir l'application du droit aux faits par la Section de l'immigration, seront revues selon la norme de la décision raisonnable.


[11]            Contrairement à ce qui se passe en l'espèce, la question de savoir si l'organisation en cause était une organisation terroriste n'était pas en litige dans Poshteh. La Cour a déjà, dans le passé, appliqué la norme de la décision raisonnable à la question de savoir si une organisation est visée aux alinéas 34(1)a), b) ou c) : voir, par exemple, Hussain c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2004] A.C.F. no 1430 (C.F.), aux paragraphes 12 et suivants; Pushpanathan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2002] A.C.F. no 1207 (C.F.), aux paragraphes 35 à 40.

[12]            C'est donc la norme de la décision raisonnable qui s'applique à la question de savoir si les TLET sont effectivement une organisation terroriste. C'est également cette norme qui s'applique à l'examen de l'appartenance de M. Kanendra à cette organisation. L'incidence de l'âge de M. Kanendra sera ensuite examinée en fonction de la norme de la décision correcte. Finalement, le cas échéant, la décision finale du tribunal devrait être examinée dans son ensemble en fonction de la norme de la décision raisonnable.


Dispositions législatives applicables

[13]            L'article 34 de la LIPR prévoit ce qui suit :



34. (1) Emportent interdiction de territoire pour raison de sécurité les faits suivants :

a) être l'auteur d'actes d'espionnage ou se livrer à la subversion contre toute institution démocratique, au sens où cette expression s'entend au Canada;

b) être l'instigateur ou l'auteur d'actes visant au renversement d'un gouvernement par la force;

c) se livrer au terrorisme;

d) constituer un danger pour la sécurité du Canada;

e) être l'auteur de tout acte de violence susceptible de mettre en danger la vie ou la sécurité d'autrui au Canada;

f) être membre d'une organisation dont il y a des motifs raisonnables de croire qu'elle est, a été ou sera l'auteur d'un acte visé aux alinéas a), b) ou c).

(2) Ces faits n'emportent pas interdiction de territoire pour le résident permanent ou l'étranger qui convainc le ministre que sa présence au Canada ne serait nullement préjudiciable à l'intérêt national.

34. (1) A permanent resident or a foreign national is inadmissible on security grounds for

(a) engaging in an act of espionage or an act of subversion against a democratic government, institution or process as they are understood in Canada;

(b) engaging in or instigating the subversion by force of any government;

(c) engaging in terrorism;

(d) being a danger to the security of Canada;

(e) engaging in acts of violence that would or might endanger the lives or safety of persons in Canada; or

(f) being a member of an organization that there are reasonable grounds to believe engages, has engaged or will engage in acts referred to in paragraph (a), (b) or (c).

(2) The matters referred to in subsection (1) do not constitute inadmissibility in respect of a permanent resident or a foreign national who satisfies the Minister that their presence in Canada would not be detrimental to the national interest.


Les TLET formaient-ils une organisation visée aux alinéas 34(1)a), b) ou c) de la LIPR?

[14]            Le tribunal a déterminé qu'il existait des motifs raisonnables de croire que les TLET s'étaient livrés au terrorisme et avaient tenté de renverser le gouvernement du Sri Lanka entre 1994 et 2001 (la période pertinente en l'espèce). Il s'est fondé sur les quatre documents suivants qui ont été déposés par le ministre pour en arriver à cette conclusion : un rapport sur le pays produit par le Département d'État américain (le rapport US-DOS), un rapport publié par Human Rights Watch (un ONG), un rapport du South Asia Terrorism Portal (un site web géré par l'Institute for Conflict Management en Inde) et le Political Handbook of the World de 1999.

[15]            Le demandeur prétend que le tribunal n'a pas bien apprécié la preuve lorsqu'il a conclu que les TLET formaient, aux fins de l'audience, une organisation visée aux alinéas 34(1)a), b) ou c). D'abord, après avoir rejeté le rapport US-DOS parce qu'il était [traduction] « fortement biaisé sur le plan politique » (à la page 7 de la décision), le tribunal en a tenu compte pour décider qu'il y avait des motifs raisonnables de croire que les TLET s'étaient livrés au terrorisme ou à des activités subversives contre le gouvernement du Sri Lanka pendant la période pertinente.

[16]            Un examen de la décision contredit toutefois le demandeur sur ce point. Il est vrai que le tribunal a admis que le rapport US-DOS [traduction] « était vraisemblablement fortement biaisé sur le plan politique » , mais il ne l'a rejeté d'aucune façon. On peut tout au plus supposer qu'il lui a accordé moins de poids à cause de sa partialité apparente.

[17]            Le demandeur cite une décision rendue aux États-Unis, Tian Yong-Chen c. United States Immigration and Naturalization Service (dossier no 00-4136) (Chen), dans laquelle un rapport US-DOS semblable a été rejeté. Cependant, comme le défendeur l'a fait remarquer à juste titre, la Cour d'appel des États-Unis a simplement indiqué, dans cette affaire, que les rapports US-DOS fournissent souvent des renseignements utiles et instructifs sur les conditions existant dans différents pays, mais qu'ils ne sauraient être utilisés pour discréditer automatiquement la preuve d'un demandeur. Contrairement à Chen, où le tribunal n'a pas tenu compte de l'ensemble de la preuve du demandeur, en l'espèce, le tribunal a soupesé le rapport US-DOS avec les autres documents produits en preuve, en tenant compte des prétentions du demandeur concernant la nature des TLET.


[18]            Le demandeur prétend également que le tribunal a commis une erreur en exigeant qu'il démontre que les TLET ne formaient pas une organisation terroriste ou une organisation se livrant à des activités subversives. Or, le tribunal ne semble pas avoir fait une telle chose. Il incombe clairement au ministre de prouver que l'alinéa 34(1)a), b) ou c) s'applique dans un cas donné. Il est cependant toujours loisible au demandeur de produire une preuve contraire. En l'espèce, le tribunal a simplement dit : [traduction] « L'avocate n'a produit aucune preuve démontrant que les TLET ne forment pas une organisation qui a été l'instigateur ou l'auteur d'actes visant au renversement du gouvernement du Sri Lanka par la force et qui s'est livrée au terrorisme » (à la page 6 de la décision). Il a ensuite apprécié la preuve documentaire produite par le ministre.   

[19]            Finalement, en ce qui concerne l'appréciation de la preuve qui lui a été présentée, il était raisonnable que le tribunal décide qu'il y avait des motifs raisonnables de croire que les TLET formaient une organisation visée aux alinéas 34(1)a), b) ou c) de la LIPR. Outre les quatre rapports, qui avaient une certaine crédibilité et qui faisaient autorité, y compris, je dois le souligner, le rapport du HCR de 2000 qui décrit clairement les circonstances en raison desquelles les TLET forment une organisation terroriste, le tribunal s'est fondé sur la définition de « terrorisme » établie par la Cour suprême du Canada sous le régime de l'ancienne Loi sur l'immigration, au paragraphe 98 de l'arrêt Suresh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2002] 1 R.C.S. 3 :


À notre avis, on peut conclure sans risque d'erreur, suivant la Convention internationale pour la répression du financement du terrorisme, que le terme « terrorisme » employé à l'art. 19 de la Loi inclut tout « acte destiné à tuer ou blesser grièvement un civil, ou toute autre personne qui ne participe pas directement aux hostilités dans une situation de conflit armé, lorsque, par sa nature ou son contexte, cet acte vise à intimider une population ou à contraindre un gouvernement ou une organisation internationale à accomplir ou à s'abstenir d'accomplir un acte quelconque » . Cette définition traduit bien ce que l'on entend essentiellement par « terrorisme » à l'échelle internationale. Des situations particulières, à la limite de l'activité terroriste, susciteront inévitablement des désaccords. Le législateur peut toujours adopter une définition différente ou plus détaillée du terrorisme. La question à trancher en l'espèce consiste à déterminer si le terme utilisé dans la Loi sur l'immigration a un sens suffisamment certain pour être pratique, raisonnable et constitutionnel. Nous estimons que c'est le cas.

[20]            Il était raisonnable que le tribunal, après avoir appliqué cette définition aux activités des TLET décrites dans les quatre rapports, décide que ceux-ci formaient une organisation visée aux alinéas 34(1)a), b) ou c) de la LIPR.

M. Kanendra était-il membre des TLET?

[21]            Le demandeur soutient que le terme « membre » à l'alinéa 34(1)f) doit recevoir une interprétation restrictive de façon à ne pas viser les personnes qui peuvent s'associer et sympathiser avec une organisation visée aux alinéas 34(1)a), b) ou c), mais qui ne constituent pas elles-mêmes une menace pour le Canada. Il soutient également que le terme « membre » devrait être interprété de manière à englober uniquement les personnes qui sont des membres actuels et réels ou officiels, c'est-à-dire les personnes qui sont assujetties à la discipline de l'organisation et qui n'ont pas le droit d'agir en conformité avec d'autres convictions et d'autres stratégies que celles de l'organisation.


[22]            Adopter une telle interprétation serait contraire, à mon avis, à l'esprit de la loi et à la jurisprudence. Dans Suresh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1997), 40 Imm. L.R. (2d) 247 (C.F. 1re inst.), à la page 259 (paragraphe 22), infirmée en partie (pour des motifs différents) à 47 Imm. L.R. (2d) 1 (C.A.F.), le juge Teitelbaum a écrit : « L'appartenance ne saurait ni ne devrait être interprétée de façon restrictive quand elle se rapporte à la question de la sécurité nationale du Canada. Par ailleurs, l'appartenance ne fait pas uniquement référence à des personnes qui se sont livrées ou pourraient se livrer àdes activités terroristes » . Voir également Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) c. Singh (1998), 44 Imm. L.R. (2d) 309, aux paragraphes 51 et suivants (C.F. 1re inst.); Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) c. Owens (2000), 9 Imm. L.R. (3d) 101, aux paragraphes 16 à 18 (C.F. 1re inst.); Poshteh, précité, au paragraphe 29.

[23]            Par conséquent, le terme « membre » employé à l'alinéa 34(1)f) de la LIPR devrait recevoir une interprétation libérale. Le demandeur craint que les personnes qui ne constituent pas une menace pour la sécurité du Canada malgré le fait qu'elles ont déjà été membres d'une organisation visée aux alinéas 34(1)a), b) ou c) soient exclues par l'alinéa 34(1)f). Je constate cependant que le paragraphe 34(2) fait en sorte que cela n'arrive pas. Cette disposition prévoit qu'une personne qui serait interdite de territoire en raison de certains liens ou activités n'est pas réputée l'être si elle peut convaincre le ministre qu'elle ne constitue pas un danger pour la sécurité du Canada. La loi a aussi été interprétée de cette manière dans Suresh (C.S.C.), précité. Même si cet arrêt a été rendu sous le régime de l'article 19 de l'ancienne Loi sur l'immigration, le principe reste le même.


[24]            Il faut donc, pour savoir si un demandeur a été ou est membre d'une organisation visée aux alinéas 34(1)a), b) ou c), évaluer sa participation au sein de l'organisation. Il importe de mentionner que cette analyse ne devrait pas tenir compte de l'âge de la personne au moment de sa prétendue appartenance. Comme le juge Rothstein l'a dit dans Poshteh, précité, au paragraphe 26 :

Pour le cas où un adulte, au vu des faits propres à M. Poshteh, ne serait pas considéré comme membre, il sera inutile d'examiner la question de l'âge. Ce n'est que si les activités de M. Poshteh ont pour résultat de faire de lui un membre de l'organisation, en supposant qu'il fût adulte à l'époque pertinente, qu'il sera nécessaire de se demander si sa minorité à l'époque requiert une conclusion autre.

[25]            Il ressort de la preuve en l'espèce que, même si M. Kanendra était jeune lorsqu'il a joint les rangs des TLET, il est resté membre de cette organisation durant près de sept ans. Il était âgé de près de 21 ans lorsqu'il a tenté de quitter l'organisation en octobre 2001, et il avait alors eu amplement de temps pour évaluer sa situation. Les faits en l'espèce ne concernent donc pas seulement les actes d'un enfant; une bonne partie d'entre eux sont survenus alors que M. Kanendra avait atteint l'âge adulte. En outre, le dossier indique que le demandeur a toujours été représenté par un avocat et qu'il a eu la possibilité de présenter des arguments concernant le fait qu'il était un enfant pendant une certaine partie de son association avec les TLET. Or, il n'a présenté aucun argument semblable. On ne peut donc pas reprocher à la CISR de ne pas avoir traité précisément de cette question.

[26]            L'avocate du demandeur a prétendu devant moi que M. Kanendra avait informé [traduction] « continuellement » les TLET qu'il voulait mettre fin à son association avec eux. Je souligne que cette prétention n'a pas été invoquée devant le tribunal. En outre, cette question est soulevée seulement dans les notes prises au point d'entrée (à la page 136 du dossier du tribunal), dans les termes suivants :

[traduction]

Pourquoi vouliez-vous quitter [les TLET] en octobre 2001?

Après avoir été avec eux durant sept ans, je voulais retourner à la maison pour voir ma famille. Je leur ai dit que je partais et que je retournais chez moi.

Vous payaient-ils?

Non (sic).

Vous ont-ils laissé partir?

Ils ont refusé de me laisser partir. Je disais sans arrêt que j'avais besoin de retourner à la maison. Ils m'ont placé dans leur prison, ils m'ont dit qu'ils me laisseraient m'en aller après cinq ans seulement.

Il est clair que cette preuve n'est pas suffisante pour établir que M. Kanendra a essayé de quitter les TLET mais a été incapable de le faire, ou qu'il a toujours été forcé d'une autre façon de demeurer membre de l'organisation avant octobre 2001. Le demandeur n'a pas réussi à démontrer que la décision du tribunal sur cette question était déraisonnable.


Le paragraphe 34(2) aurait-il dû être pris en compte?

[27]            Pour des raisons de commodité, je reproduis le paragraphe 34(2) de la LIPR :


34. (2) Ces faits n'emportent pas interdiction de territoire pour le résident permanent ou l'étranger qui convainc le ministre que sa présence au Canada ne serait nullement préjudiciable à l'intérêt national.

34. (2) The matters referred to in subsection (1) do not constitute inadmissibility in respect of a permanent resident or a foreign national who satisfies the Minister that their presence in Canada would not be detrimental to the national interest.


[28]            Le demandeur prétend que le tribunal aurait dû soit se prononcer sur l'applicabilité de cette disposition, soit ajourner l'audience jusqu'à ce que des arguments sur la question puissent être entendus. Je souligne cependant que cette prétention est contraire à ce que la Cour a décidé dans le passé : voir, par exemple, Hussenu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2004 CF 283, aux paragraphes 25 et 26, où le juge Russell a statué que ni le ministre ni le tribunal de la CISR n'ont l'obligation d'aviser un demandeur de son droit de demander une exception en vertu du paragraphe 34(2) de la LIPR :

[25]      À mon avis, le demandeur a raison d'affirmer qu'une norme élevée de justice naturelle s'applique lorsque le ministre prend une position adverse à l'égard d'un demandeur d'asile, mais cela n'impose pas au ministre, dans un cas comme celui-ci, l'obligation d'aviser et d'informer le demandeur de l'existence d'une exception précise dont celui-ci pourrait se prévaloir en vertu de la LIPR. La disposition pertinente figure dans la Loi et tous peuvent la consulter. Le demandeur était représenté par un avocat pendant toute la période pertinente. Il avait le droit de soulever toutes les questions pertinentes. [...]

[26]      À condition que le demandeur ait pleinement accès aux droits qui lui sont reconnus par la LIPR et qu'on ne l'empêche pas d'invoquer l'exception prévue au paragraphe 34(2), il ne pouvait pas y avoir manquement à l'équité procédurale. Si l'avocat du demandeur a omis de soulever la question, on ne saurait imputer cette omission au ministre en invoquant l'obligation de donner un avis d'une exception qui est parfaitement apparente au vu de la loi.

[29]            M. Kanendra a toujours été représenté par un avocat et il est évident que l'exception prévue au paragraphe 34(2) peut être invoquée par toute personne lors d'une audience sur l'interdiction de territoire. Il incombe au demandeur de demander que l'exception s'applique dans son cas. Or, aucune preuve n'indique en l'espèce qu'une telle demande a été faite ou qu'un ajournement a été demandé afin qu'elle puisse l'être; par conséquent, il n'y a eu aucun manquement à la justice naturelle.

CONCLUSION

[30]            Le demandeur n'a pas réussi à démontrer, comme il devait le faire, que le tribunal a commis une erreur relativement à sa décision. Par conséquent, la présente demande de contrôle judiciaire est rejetée.

QUESTIONS PROPOSÉES À DES FINS DE CERTIFICATION

[31]            L'avocate du demandeur a proposé deux questions à des fins de certification :

(1) Un membre de la Section de l'immigration a-t-il l'obligation de clarifier les éléments de preuve pertinents concernant une question soulevée par l'intéressé sur laquelle il doit se prononcer et qui sont ambigus?


(2) À la lumière du raisonnement suivi par la Cour suprême du Canada dans Suresh c. M.C.I., [2002] A.C.S. no 39, aux paragraphes 109 et 110, un membre de la Section de l'immigration a-t-il l'obligation d'aviser une personne qui serait visée au paragraphe 34(1) de la LIPR du fait qu'une exception peut être demandée en vertu du paragraphe 34(2) de la LIPR et d'ajourner l'audience afin de lui permettre de demander cette exception?

[32]            Je ne pense pas que ces questions doivent être certifiées. Elles sont fondées sur les faits de la présente affaire et ne sont pas de portée générale. Pour ce qui est de la première question, le demandeur a été représenté par un avocat à toutes les étapes de l'examen de sa demande d'asile, et lui et son avocat avaient l'obligation de clarifier toute question ambiguë ou imprécise. En ce qui concerne la deuxième question, j'ai expliqué dans mes motifs que ni le ministre ni le tribunal de la CISR n'ont l'obligation d'aviser un intéressé de l'existence de l'exception ou d'ajourner la procédure afin que cette exception soit demandée. Il incombe au demandeur de veiller à présenter la meilleure cause possible. Les questions ne seront pas certifiées.


                                        ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE :

­                      la demande de contrôle judiciaire est rejetée sans dépens et aucune question n'est certifiée.

                       « Simon Noël »                                                                                                                                    Juge

Traduction certifiée conforme

Thanh-Tram Dang, B.C.L., LL.B.


                                     COUR FÉDÉRALE

                      AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                             IMM-6346-04

INTITULÉ :                                                            KARUNANEDHY KANENDRA

c.

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

LIEU DE L'AUDIENCE :                                      TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :                                    LE MERCREDI 22 JUIN 2005   

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                                           LE JUGE NOËL

DATE DES MOTIFS :                                           LE 30 JUIN 2005

COMPARUTIONS :

Barbara Jackman                                                      POUR LE DEMANDEUR

Kumar S. Sriskanda

Rhonda Marquis                                                        POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Barbara Jackman                                                      POUR LE DEMANDEUR

Kumar S. Sriskanda

Avocats

Toronto (Ontario)

John H. Sims, c.r.                                                      POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada


COUR FÉDÉRALE

         Date : 20050622

        Dossier : IMM-6346-04

ENTRE :

KARUNANEDHY KANENDRA

                                          demandeur

- et -

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

                                           défendeur

                                                          

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE

                                                          


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