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Date : 20210823

Dossier : T-774-20

Référence : 2021 CF 858

Ottawa (Ontario), le 23 août 2021

En présence de la juge en chef adjointe Gagné

ENTRE :

RÉGIS BENIEY

demandeur

et

MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

Défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1] Dans le cadre d’une demande de révision formulée au titre de l’article 41 de la Loi sur l’accès à l’information, LRC 1985, ch. A-1 [LAI], je suis saisie de deux requêtes : i) une requête en appel d’une décision de la protonotaire Alexandra Steele, par laquelle elle autorise « le défendeur à déposer sous pli confidentiel un affidavit contenant notamment une copie non expurgée des documents en litige qui font l’objet de la demande de révision dans la présente instance que le défendeur refuse de divulguer en vertu du paragraphe 19(1) de la LAI », et; ii) une requête de la part du défendeur en radiation de la demande, sans possibilité d’amendement, notamment au motif que la demande est théorique puisqu’il n’existe pas de documents à l’égard desquels la Gendarmerie Royale du Canada [GRC] aurait invoqué l’exception prévue au paragraphe 19(1) de la LAI.

[2] À première vue, il y a une contradiction flagrante dans la position adoptée par le défendeur qui demande que des documents inexistants soient déposés sous pli confidentiel. Toutefois, après examen, il semble que cette contradiction résulte plutôt d’un malentendu entre les parties, survenu en cours d’examen de la demande d’accès du demandeur (qui se représente lui-même) par la GRC.

I. L’historique de la demande d’accès

[3] Pour bien saisir la confusion au cœur des requêtes dont je suis saisie, une chronologie des faits s’impose.

[4] Tout débute lorsque le 22 octobre 2018, M. Régis Beniey présente la demande d’accès suivante à la GRC (à laquelle on attribue ultérieurement le numéro A-2018-08639) :

Tous les renseignements personnels me concernant détenu (sic) à mon sujet par la GRC (dans son ensemble sans se limiter à une direction uniquement). Pas uniquement l'information dont je suis l'auteur. J'entends par mes renseignements personnels les mêmes que ceux définis par la LOI à la section des définitions : (http://laws-lois.justice.gc.ca/fra/lois/p-21/page-1. Html#h-3). Inclure ÉGALEMENT tous les transcripts [sic] m'identifiant ou faisant référence à ma personne, mon travail, mon état, ma situation dans le cadre du procès R vs TAYLOR (Véron Alwyn Taylor). Inclure EN PLUS toute l’Information se trouvant aux endroits suivants: Hamilton Niagara Regional Detachment/Serious and Organized Crime/GRC Hamilton-Niagara/Intake & Response Team.

[5] Le 27 novembre 2018, n’ayant reçu aucune réponse à sa demande à l’intérieur du délai de 30 jours prévu par la LAI, M. Beniey dépose une première plainte auprès du Commissariat à l’information du Canada [CAI] (dossier 3218-01370) pour refus présumé au titre du paragraphe 10(3) de la LAI.

[6] Le dossier n’offre aucune information sur le traitement de cette première plainte mais le 30 mai 2019, Mme Yvonne Robinson transmet le courriel suivant à M. Beniey (en anglais) :

Good afternoon Regis,

I am a consultant that has been hired by the RCMP ATIP unit to help them catch up processing old requests for information. I have been assigned your file, requesting:

« Tous les renseignements personnels me concernant détenu à mon sujet par la GRC (dans son ensemble sans se limiter à une direction uniquement). Pas uniquement l'information dont je suis l'auteur. J’entends par mes renseignements personnels les mêmes que ceux définis par la LOI à la section des définitions : (http://laws-lois.justice.gc.ca/fra/lois/p-21/page-1.html#h-3). Inclure ÉGALEMENT tous les transcripts [sic] m'identifiant ou faisant référence à ma personne, mon travail, mon état, ma situation dans le cadre du procès R vs TAYLOR (Veron Alwyn Taylor). »

I have looked through the pages that have been provided, related to this request and I have not found any PERSONAL information related to you. I have noted your role at the border crossing, resulting in the arrest of Veron Taylor but none of what I have read would be your personal information. I have not noted any records that discuss your role, offering any comments on performance or anything that would be considered to be yours personally. I do have the occurrence details report but you would not be eligible to receive this under either the Access to information Act or the Privacy Act as much of the document would be the personal information of Veron Taylor.

I can certainly process the request and exempt all of the information but I was wondering if there is something in particular that you are searching for, rather than ATIP declining access to the records under the ATIP legislation.

Please let me know how you would like me to proceed,

Yvonne Robinson

[7] Le lendemain, M. Beniey répond :

Merci pour votre courriel. Serait-il possible de recevoir une copie de l’ensemble des subpoenas me mentionnant et/ou portant ma signature. Notamment celui dont la couronne fait mention dans le email attaché à ce courriel (voir document attaché).

Salutations.

[8] S’ensuivent encore quelques échanges entre eux :

Mme Robinson :

Merci pour la clarification.

Serait-ce ordannance [sic] de comparution pour vous? Parce que une ordannance [sic] de comparution émise à quelqu’un d’autre (même si elle est signée par vous) appartiendrait à la personne assignée à comparaître.

Yvonne

M. Beniey :

Oui, il s’agirait de toute ordonnance de comparution pour moi.

Salutations.

Mme Robinson :

Bonne nouvelle!

J’en ai reçu un, daté du 22 décembre 2016.

Devrais-je être à la recherche de plus ou est-ce celui que vous recherchez?

Yvonne

M. Beniey :

Merci. Vous pouvez me le faire parvenir.

Salutations

[9] Le 7 juin 2019, le responsable de l’accès à l’information de la GRC répond officiellement à la demande d’accès A-2018-08639, reprend textuellement le libellé de la demande, et conclut :

Selon les renseignements fournis, nous avons effectué une recherche de dossier à Division O. Vous trouverez ci-jointe une copie de tous les renseignements auxquels vous avez droit. Veuillez noter que certains renseignements font l’objet d’une exception conformément à paragraphe 19(1) de la Loi, une description se trouvant au : http://laws-lois.justice.gc.ca/fra/lois/P-21.

[10] Seuls deux documents caviardés d’une page chaque sont joints : Une assignation à comparaître devant la Cour supérieure de Justice de l’Ontario adressée à M. Beniey et l’affidavit de signification à M. Beniey de cette assignation. Le nom de l’accusé et du commissaire à l’assermentation et le ou les chef(s) d’accusation ont été caviardés.

[11] Le 18 juillet 2019, le CAI fait rapport dans son dossier 3218-01370 (numéro de dossier donné à la plainte de refus présumé du 4 décembre 2018). À nouveau ce rapport reprend le libellé de la demande d’accès de M. Beniey et conclut :

Au début de notre enquête, nous avons déterminé que la GRC a répondu à votre demande le 3 juin 2019. Par conséquent, notre enquête est terminée et nous considérons que votre plainte est réglée.

[12] Le 25 juillet 2019, le CAI donne à la GRC avis d’une nouvelle plainte de refus reçue de M. Beniey (dossier 3219-00858) en rapport avec la demande A-2018-08639. Le CAI requiert un certain nombre de documents et informations afin d’amorcer son enquête, soient les documents répondant à la demande, les motifs justifiant les exceptions et le nom des personnes ressources.

[13] Le 26 mai 2020 (selon l’affidavit de M. Ray Duguay puisque le document n’est pas daté), le responsable de l’accès à l’information de la GRC répond à nouveau à la demande d’accès de M. Beniey et précise que suite à la plainte formulée auprès du CAI (dossier 3219-00858), on lui communique « de l’information supplémentaire ». Sont joints à cette lettre, les deux mêmes documents communiqués à M. Beniey le 7 juin 2019, mais où toutes les informations apparaissent.

[14] Dans les jours qui suivent, M. Beniey a les échanges courriel suivant avec M. Christian Picard, Directeur des enquêtes au CAI :

M. Picard

Bonjour M. Beniey,

Suite à notre intervention, la GRC vous a fait parvenir tous les documents demandés non caviardés.

Vos commentaires ou représentations concernant cette affaire seraient grandement appréciés.

Cordialement,

Christian Picard

M. Beniey

M. Picard, de quoi parler [sic] vous?

Considérez vous [sic] ces 3 pages comme répondant à tout ce que j’ai demandé ?

M. Picard

Bonjour,

Oui, car cette plainte ne porte que sur les exceptions invoquées. Il ne s’agit pas d’une plainte de documents manquants.

Christian

[15] Le 8 juin 2020, le CAI fait officiellement rapport de son enquête (dossier 3219-00858) et conclut que puisque la plainte ne portait que sur les documents transmis caviardés et l’exception fondée sur le paragraphe 19(1) de la LAI, et puisque les documents ont été transmis intégralement par la GRC, la plainte est résolue. Il termine en rappelant qu’en cas d’insatisfaction, M. Beniey peut se prévaloir du recours en révision prévu à l’article 41 de la LAI, ce qu’il a fait en déposant la présente demande le 17 juillet 2020, à l’intérieur des délais impartis.

[16] Le 20 juillet 2020, à l’insu de M. Beniey, le CAI transmet à la GRC un nouvel Avis d’enquête et sommaire de plainte (dossier 5820-01015), mais concernant toujours la demande d’accès de M. Beniey A-2018-08639. On y indique que :

La commissaire à l’information a reçu une plainte selon laquelle la Gendarmerie royale du Canada n’a pas effectué une recherche raisonnable des documents ayant trait à une demande présentée en vertu de la Loi sur l’accès à l’information.

[17] Or, c’est ici, à mon sens, que le bât blesse.

[18] La GRC a effectivement fait une recherche de ses dossiers et a colligé les documents et informations qui seraient susceptibles de répondre à la demande d’accès de M. Beniey, telle que libellée. Cependant, la GRC a compris de l’échange courriel que M. Beniey a eu avec Mme Robinson en juin 2019, que M. Beniey réduisait considérablement la portée de sa demande et qu’il ne désirait recevoir que les assignations à comparaître lui étant destinées. Et, avant que la Cour d’appel fédérale ne rende sa décision dans le dossier Canada (Ministre de la sécurité publique et de la protection civile) c Gregory, 2021 CAF 33 [Gregory] (j’y reviendrai plus loin), la GRC a déposé sa requête visant une ordonnance l’autorisant à déposer à la Cour, de façon confidentielle, les documents et informations répondant, selon elle, à la demande d’accès de M. Beniey. Toutefois se fondant maintenant sur l’arrêt Gregory, elle a plutôt choisi de présenter la requête en rejet dont je suis saisie, pour prématurité et absence de compétence.

II. Questions en litige

[19] Ces requêtes soulèvent donc les questions suivantes:

  1. Quel est l’objet réellement visé par cette demande de contrôle judiciaire?

  2. Y a-t-il lieu de faire droit à la requête en rejet?

  3. Si non, y a-t-il lieu de faire droit à la requête en appel de la décision de la Protonotaire Steele?

III. Analyse

A. Quelle décision est visée par cette demande de contrôle judiciaire?

[20] Il semble évident à la lumière de la chronologie des événements relatée précédemment que la présente demande de contrôle judiciaire concerne la décision de la CAI par laquelle elle conclut que la GRC a répondu adéquatement à la demande d’accès en transmettant les deux documents non-caviardés, soit la décision portant sur l’exception prévue au paragraphe 19(1) de la LAI. Il semble tout aussi évident que les documents faisant l’objet de l’ordonnance de confidentialité de la Protonotaire Steele sont ceux qui concernent le second avis de plainte transmis par la CAI - qui n’a encore fait l’objet d’aucune décision de la part de la CAI, soit la plainte relative au défaut de la GRC de procéder à une recherche raisonnable de documents.

[21] Bien que la demande d’accès du demandeur ait une portée beaucoup plus large que celle traitée initialement par la GRC, il est aisé de comprendre que ce résultat tient d’une erreur commise de bonne foi tant par la GRC que par la CAI. Dans l’échange de courriels entre M. Beniey et Mme Robinson, représentant de la GRC, le premier a laissé entendre qu’il se contenterait de son assignation à comparaître et de l’affidavit de signification de cette assignation à comparaitre. Sa réaction à l’échange de courriels qu’il a eu subséquemment avec M. Picard, représentant de la CAI, démontre qu’il n’en est rien. M. Picard a d’ailleurs probablement compris de cet échange de courriels que lui aussi s’était mépris sur la portée de la demande d’accès à l’information, d’où le second avis de plainte.

B. Y a-t-il lieu de faire droit à la requête en rejet?

[22] Dans sa décision récente rendue dans l’affaire Gregory, la Cour d’appel fédérale était appelée à se prononcer sur une requête en rejet similaire à celle sous étude. Devant le défaut de la GRC de faire suite à sa demande d’accès à l’information dans les délais impartis, M. Gregory a fait une plainte à la CAI qui l’a jugée bien fondée. M. Gregory a déposé une demande de contrôle judiciaire de cette décision de la CAI, avant même que la GRC ne réponde à sa demande d’accès. Bien que la GRC ait subséquemment répondu à la demande d’accès en invoquant l’une des exceptions prévues à la LAI pour refuser l’accès, la Cour d’appel fédéral a accueilli l’appel et rejeté la demande de contrôle judiciaire pour prématurité. La Cour réitère qu’il existe une condition préalable à l’exercice d’une demande fondée sur l’article 41 de la LAI, soit que le demandeur ait reçu le rapport de la CAI.

[23] En l’instance, le seul rapport que la CAI a émis est celui du 8 juin 2020 par lequel elle conclut que la plainte concernant l’exception prévue au paragraphe 19(1) de la LAI est résolue à la satisfaction de M. Beniey puisque, suite à son intervention, la GRC lui a transmis les documents demandés non-caviardés.

[24] Si M. Beniey recherche le contrôle judiciaire de cette décision, sa demande est théorique et sans objet.

[25] Par ailleurs, si sa demande de contrôle judiciaire porte sur sa plainte concernant le défaut de la GRC de procéder à des recherches raisonnables de documents, sa demande est prématurée puisque la CAI n’a toujours pas fait rapport suite à l’avis de plainte transmis à la GRC le 20 juillet 2020 (dossier 5820-01015).

[26] Bien que ce résultat puisse être fort décevant pour M. Beniey, compte tenu particulièrement du temps écoulé depuis sa demande d’accès à l’information, ni l’économie des ressources judiciaires ni aucun autre facteur pertinent ne justifie que la Cour entende un recours malgré son caractère théorique et/ou prématuré, ni ne justifie en l’espèce de poursuivre la présente demande de contrôle judiciaire.

[27] M. Beniey n’est pas sans recours puisque la CAI examinera les documents que la GRC a colligés suite à la plainte du 20 juillet 2020, et elle fera rapport en conséquence.

[28] Compte tenu de ce qui précède, il ne m’est pas nécessaire de répondre à la troisième question soulevée par cette demande. La requête en appel de la décision de la Protonotaire Steele est donc sans objet, et doit être rejetée.

IV. Conclusion

[29] Pour les motifs exposés aux présentes, la requête en rejet du défendeur sera accueillie et la requête en appel de la décision de la Protonotaire Steele sera rejetée. J’exercerai toutefois ma discrétion de n’accorder aucun dépens.


 

JUGEMENT dans T-774-20

LA COUR STATUE que :

  1. La requête du défendeur en radiation de l’avis de demande du demandeur est accueillie;

  2. La demande de contrôle judiciaire du demandeur est rejetée, sans possibilité d’amendement;

  3. La requête en appel d’une décision rendue par la Protonotaire Alexandra Steele en date du 23 avril 2021 et corrigée le 26 avril 2021 est rejetée;

  4. Aucun dépens n’est accordé.

Blanc

« Jocelyne Gagné »

Blanc

Juge en chef adjointe


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-774-20

 

INTITULÉ :

RÉGIS BENIEY c MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 4 JUIN 2021

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE EN CHEF ADJOINTE GAGNÉ

 

DATE DES MOTIFS :

LE 23 AOÛT 2021

 

COMPARUTIONS :

Régis Beniey

 

Pour le demandeur

 

Marilou Bordeleau

 

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

 

Pour le défendeur

 

 

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