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Date : 20050711

Dossier : IMM-6576-04

Référence : 2005 CF 971

Ottawa (Ontario), le 11 juillet 2005

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE SIMON NOËL                               

ENTRE :

                                                              LEON GRIFFITHS

                                                                                                                                          demandeur

                                                                             et

                     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                           défendeur

                                MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]                Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire visant une décision rendue en date du 24 mars 2004 par laquelle la Section d'appel de l'immigration (la SAI) de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la CISR) a alors statué qu'elle n'avait pas compétence pour rouvrir la demande du demandeur qu'elle avait rejetée précédemment. Le demandeur voudrait que cette décision soit annulée et que sa demande de réouverture soit renvoyée à un tribunal différemment constitué de la SAI pour réexamen.


LA QUESTION EN LITIGE

[2]                La présente affaire soulève essentiellement la question suivante : la SAI a-t-elle commis une erreur dans son interprétation et dans son application de l'article 71 de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch 27 (la LIPR), en concluant qu'elle n'avait pas compétence pour rouvrir la demande du demandeur et que, par ailleurs, il n'y avait aucun autre motif, par exemple la compétence en équité se prolongeant dans le temps qu'elle détenait auparavant, qui lui permettait de le faire?

LA CONCLUSION

[3]                Pour les motifs exposés ci-dessous, la SAI n'a commis aucune erreur susceptible de contrôle judiciaire. Par conséquent, la présente demande de contrôle judiciaire est rejetée.

LE CONTEXTE

[4]                Leon Griffiths (M. Griffiths ou le demandeur) avait six ans lorsqu'il est arrivé au Canada avec sa famille en provenance de la Jamaïque en 1976. Il est devenu résident permanent en 1978, mais, pour différentes raisons, il n'a jamais demandé la citoyenneté canadienne.

[5]                M. Griffiths a eu des ennuis avec la justice en 1991. Après qu'il eut été reconnu coupable de deux vols qualifiés, de trois accusations de déguisement dans un dessein criminel et d'une accusation grave de possession d'armes, une mesure d'expulsion a été prise contre lui en 1994. Il a cependant obtenu un sursis assorti de certaines conditions en 1995.

[6]                M. Griffiths ayant été accusé de voies de fait et de manquements aux conditions du sursis, le ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration (le ministre ou le défendeur) a demandé que celui-ci soit annulé. M. Griffiths s'est de nouveau retrouvé sous le coup d'une mesure d'expulsion en octobre 1998.

[7]                Pour des raisons que la Cour ne connaît pas, M. Griffiths n'a pas encore été expulsé. À la fin de 2003, il a déposé un avis de requête afin que son affaire soit rouverte. Il invoquait au soutien de sa demande le fait qu'en 1998 le tribunal de la SAI n'avait pas évalué les conditions existant en Jamaïque ni sa nouvelle situation (il est maintenant le père d'un enfant né au Canada et n'a mené aucune activité criminelle depuis 1996) avant d'annuler le sursis et d'ordonner de nouveau son expulsion.

LA DÉCISION DE LA SAI

[8]                Dans une brève décision, la SAI a statué, aux paragraphes 7 à 9, qu'elle n'avait pas compétence pour rouvrir la demande du demandeur en vertu de l'article 71 de la LIPR :


[U]ne réouverture d'un appel tranché ne doit pas être accordée à moins que la Section d'appel de l'immigration soit convaincue qu'il y a eu un manquement à un principe de justice naturelle lors de l'audition de l'appel du demandeur. Aucun déni de justice naturelle n'a été débattu en l'espèce. Essentiellement, le conseil du demandeur semble dire qu'il a de nouveaux renseignements à soumettre à la Section d'appel de l'immigration et que les conditions actuelles en Jamaïque devraient être évaluées.

L'existence de nouveaux éléments de preuve ne suffit pas en soi à justifier une requête de réouverture. Dans son affidavit daté du 22 décembre 2003, le demandeur déclare essentiellement ceci :

- il n'a poursuivi aucune activité criminelle et n'a fait l'objet d'aucune autre condamnation;

- il entretient une relation avec une nouvelle partenaire qui a donné naissance à leur fille;

- il a un emploi stable et n'a aucun parent en Jamaïque, et sa vie serait menacée s'il était renvoyé en Jamaïque.

Le fait que le demandeur n'a pas troublé l'ordre public est tout à son honneur. Il semble avoir nettement bénéficié du délai impondérable de son renvoi en Jamaïque. Toutefois, la situation exposée ci-dessus ne représente pas un déni de justice naturelle ni ne prouve que le commissaire Wales a commis un tel déni en rendant sa décision. Il n'existe aucune raison de croire que les conditions en Jamaïque, telles qu'elles toucheraient personnellement le demandeur, étayent la conclusion selon laquelle cette situation constitue un déni de justice naturelle. Dans l'hypothèse la plus optimiste, cette situation n'est pas corroborée et, quoi qu'il en soit, elle n'est pas déterminante en l'espèce.

LES PRÉTENTIONS DES PARTIES

Le demandeur

[9]     Le demandeur invoque essentiellement deux moyens : premièrement, la SAI a commis une erreur lorsqu'elle a décidé que l'article 71 de la LIPR était la disposition de révision qui s'appliquait et lorsqu'elle a interprété la portée de cette disposition et, deuxièmement, la SAI a enfreint les articles 7 et 12 de la Charte canadienne des droits et libertés (la Charte) en ordonnant son expulsion sans examiner les conditions existant en Jamaïque.


[10]            Le demandeur est d'avis que l'ancienne Loi sur l'immigration, L.R.C. 1985, ch. I-2, devrait s'appliquer à sa demande de réouverture puisque la décision qu'il cherche maintenant à rouvrir a été rendue sous le régime de cette loi. Par conséquent, il n'était pas tenu de démontrer qu'il y avait eu manquement à la justice naturelle. Le critère relatif à la réouverture d'une demande est plus large sous l'ancien régime : la SAI a le pouvoir discrétionnaire de rouvrir une demande lorsque de nouveaux éléments lui sont présentés. Le demandeur fait valoir en outre que, même si c'est la LIPR qui s'applique, la SAI a donné une interprétation trop restrictive de l'article 71; aussi, la décision de la SAI selon laquelle elle ne peut rouvrir une affaire qu'en cas de manquement à la justice naturelle l'empêche d'exercer son pouvoir traditionnel en matière de réouverture lorsque, par exemple, il y a eu désistement. Le demandeur soutient que rien dans le libellé de la nouvelle loi n'a pour effet d'abolir ce pouvoir existant en common law. La SAI a donc le pouvoir de rouvrir une demande non seulement lorsqu'il y a eu manquement à la justice naturelle, mais dans d'autres cas également.


[11]            Le demandeur soutient en outre que la décision de la SAI a porté atteinte aux droits qui lui sont garantis par les articles 7 et 12 de la Charte. Compte tenu des faits et de sa situation, la SAI aurait dû tenir compte de différents facteurs qui étaient favorables au fait qu'il demeure au Canada. Il prétend plus précisément que son droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de sa personne n'a pas été correctement apprécié, compte tenu du fait que, selon une évaluation psychologique, il pourrait avoir de graves problèmes psychologiques s'il était renvoyé en Jamaïque et de la preuve selon laquelle le gouvernement jamaïcain surveillait les criminels expulsés en Jamaïque.

Le défendeur

[12]            Le défendeur soutient que la demande devrait être rejetée car la SAI n'a pas commis de manquement à la justice naturelle. Il incombait au demandeur de démontrer le bien-fondé de sa demande, et il ne l'a pas fait. La SAI n'avait pas l'obligation d'entendre les prétentions du demandeur concernant la loi applicable (la LIPR ou l'ancienne Loi sur l'immigration). Le défendeur soutient en outre que c'est la LIPR qui est applicable étant donné que les dispositions transitoires qu'elle prévoit ne s'appliquent pas à un avis de requête en réouverture, et que la SAI a interprété et appliqué correctement la LIPR dans sa décision. De plus, la SAI n'est pas tenue d'analyser les facteurs d'ordre humanitaire.

[13]            En réponse aux prétentions du demandeur concernant la Charte, le défendeur soutient que leur fondement n'a pas été établi clairement dans les faits et dans la preuve. De plus, ces prétentions sont prématurées, selon le défendeur, puisque rien dans la preuve n'indique que le renvoi de M. Griffiths est imminent ou que ce dernier a épuisé tous les recours dont il dispose.


L'ANALYSE

La norme de contrôle

[14]            La norme de contrôle qui s'applique lorsque, comme en l'espèce, la SAI a décidé qu'elle n'avait pas compétence pour rouvrir une demande est celle de la décision correcte, la question de la compétence étant une question de droit.

La décision de la SAI concernant l'applicabilité de la LIPR

[15]            L'article 71 de la LIPR prévoit ce qui suit :


71. L'étranger qui n'a pas quitté le Canada à la suite de la mesure de renvoi peut demander la réouverture de l'appel sur preuve de manquement à un principe de justice naturelle.

71. The Immigration Appeal Division, on application by a foreign national who has not left Canada under a removal order, may reopen an appeal if it is satisfied that it failed to observe a principle of natural justice.


[16]            L'article 71 exige qu'il y ait manquement à la justice naturelle, ce qui est très différent de ce que prévoyait le paragraphe 72(1) de l'ancienne Loi sur l'immigration :


72. (1) La section d'appel peut ordonner que l'enquête qui a donné lieu à un appel soit rouverte par l'arbitre qui en était chargé ou par un autre arbitre pour la réception d'autres éléments de preuve ou l'audition de témoignages supplémentaires.

72. (1) The Appeal Division may order that an inquiry that has given rise to an appeal be reopened before the adjudicator who presided at the inquiry or any other adjudicator for the receiving of any additional evidence or testimony.    


[17]            Pour savoir si la SAI a eu raison de considérer que les dispositions de la LIPR et non celles de l'ancienne Loi sur l'immigration s'appliquaient, il faut consulter les dispositions transitoires pertinentes prévues aux articles 190 et 192 de la LIPR :


190. La présente loi s'applique, dès l'entrée en vigueur du présent article, aux demandes et procédures présentées ou instruites, ainsi qu'aux autres questions soulevées, dans le cadre de l'ancienne loi avant son entrée en vigueur et pour lesquelles aucune décision n'a été prise.

[...]

192. S'il y a eu dépôt d'une demande d'appel à la Section d'appel de l'immigration, à l'entrée en vigueur du présent article, l'appel est continué sous le régime de l'ancienne loi, par la Section d'appel de l'immigration de la Commission.

190. Every application, proceeding or matter under the former Act that is pending or in progress immediately before the coming into force of this section shall be governed by this Act on that coming into force.

[...]

192. If a notice of appeal has been filed with the Immigration Appeal Division immediately before the coming into force of this section, the appeal shall be continued under the former Act by the Immigration Appeal Division of the Board.


[18]            La LIPR et ces dispositions sont entrées en vigueur le 28 juin 2002.

[19]            Le demandeur prétend que, comme l'appel dont il demande la réouverture a débuté en 1994, un sursis concernant l'exécution de la mesure d'expulsion ayant été accordé en 1995 et levé ensuite en 1998, l'ancienne Loi sur l'immigration devrait s'appliquer. Selon lui, l'ancienne règle de common law relative à l'ambiguïté s'applique; selon cette règle, lorsqu'une loi est ambiguë quant à son application, il faut adopter l'interprétation qui est la plus favorable aux droits du demandeur. Le demandeur soutient en outre que l'on créerait une situation absurde si l'on appliquait la LIPR : le droit d'appel ne pourrait être exercé que pour des motifs très limités alors que, une fois l'autorisation accordée, la portée de l'appel est beaucoup plus large.


[20]            Je ne peux souscrire à cette interprétation des dispositions transitoires de la LIPR. Il ressort clairement du sens ordinaire de l'article 192 que ce n'est que lorsqu'un avis d'appel a été déposé avant l'entrée en vigueur de la LIPR que l'appel sera continué sous le régime de l'ancienne loi. Il s'ensuit que, lorsque l'avis d'appel est déposé après le 28 juin 2002, l'appel (s'il est accordé) se déroulera conformément à la LIPR. À mon avis, cette interprétation est confirmée par l'article 190, selon lequel toute demande ou procédure présentée ou instruite, ainsi que toute autre question soulevée, dans le cadre de l'ancienne loi et pour laquelle aucune décision n'a été prise est régie par la LIPR après l'entrée en vigueur de celle-ci.


[21]            L'appel de M. Griffiths n'était ni « présenté » ni « instruit » en 2002. En fait, l'appel avait été rejeté par le tribunal de la CISR en 1998 lorsque le sursis concernant l'exécution de la mesure d'expulsion avait été levé, et cette décision n'a jamais été portée en appel. Il s'agissait donc d'une décision définitive et complète. Le fait que M. Griffiths a déposé un avis de requête en réouverture n'y change rien. On n'a qu'à lire à cet égard les commentaires formulés par la Cour suprême du Canada dans Gustavson Drilling (1964) Ltd. c. Canada (Ministre du Revenu national), [1977] 1 R.C.S. 271, où il est écrit que « [l]e simple droit de se prévaloir d'un texte législatif abrogé, dont jouissent les membres de la communauté ou une catégorie d'entre eux à la date de l'abrogation d'une loi, ne peut être considéré comme un droit acquis » . La Cour a appliqué ce principe dans un certain nombre d'affaires dans le passé; par exemple, dans McAllister c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1996] A.C.F. no 177, le juge MacKay déclare au paragraphe 53 :

... M. McAllister, ayant présenté une revendication du statut de réfugié au sens de la Convention, n'avait aucun droit, acquis ou inscrit, à ce que cette revendication soit étudiée conformément aux règles en vigueur au moment de la présentation; il n'avait plutôt que le droit de voir sa revendication étudiée selon les règles en vigueur au moment de l'étude. Il était une personne qui n'avait pas le droit d'entrer ou de demeurer au Canada, sauf comme le prévoit la Loi sur l'immigration et, à mon avis, toute revendication présentée en vue d'entrer ou de demeurer dans le pays est assujettie à la loi applicable au moment de l'examen de cette revendication, et non au moment de sa présentation. [Non souligné dans l'original]

À la lumière de ces faits, du pouvoir légal antérieur et du libellé du texte de loi lui-même, l'avis de requête en réouverture de M. Griffiths a été traité de manière appropriée conformément à l'article 71 de la LIPR.

[22]            Le demandeur prétend en outre que, même si l'article 71 de la LIPR s'applique, le tribunal a manqué à l'équité procédurale en arrivant à cette conclusion car il n'a pas communiqué avec lui pour l'inviter à présenter des arguments sur ce point. Il rappelle que l'une des affaires citées dans sa demande à l'appui de la réouverture de son appel a été tranchée sous le régime de l'ancienne loi. Aussi, il aurait dû être évident pour le tribunal que le demandeur considérait que l'ancienne loi était pertinente. De plus, comme le défendeur n'a jamais déposé d'arguments à l'encontre de sa requête en réouverture, le demandeur pensait que sa demande était conforme. Il prétend que le tribunal a manqué à l'équité procédurale en décidant le contraire.


[23]            Les prétentions du demandeur sont dépourvues de fondement. L'équité procédurale exige qu'un demandeur sache ce qu'on entend faire valoir contre lui, mais non (comme le demandeur en l'espèce semble le laisser entendre) qu'il ait la possibilité de répondre à la décision du tribunal avant que celle-ci ne soit formellement rendue : voir, p. ex., Mia c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2001] A.C.F. no 1584, au paragraphe 11 (1re inst.); Haghighi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2000] 4 C.F. 407 (C.A.F.).

[24]            En outre, le demandeur n'a renvoyé à aucune disposition de la Loi sur l'immigration ou de la LIPR dans son avis de demande et dans son mémoire des faits et du droit. Il a cependant mentionné une décision rendue sous le régime de l'ancienne Loi sur l'immigration, Ghatoura c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2002] A.C.F. no 407 (1re inst.). Je constate toutefois que la LIPR était en vigueur depuis 18 mois lorsque le demandeur a déposé son avis de demande auprès de la SAI. Il me semble que le demandeur aurait dû invoquer cet argument au moment du dépôt de sa demande et qu'il n'aurait pas dû tenir pour acquis que la Loi sur l'immigration allait s'appliquer. De toute façon, son avocat aurait dû savoir que la LIPR était en vigueur et que cette nouvelle loi imposait un nouveau fardeau de preuve pour les demandes de réouverture présentées à la SAI. Reprocher à la SAI d'avoir manqué à l'équité procédurale sans avoir vraiment invoqué devant elle la question de l'application de l'ancienne loi n'est pas équitable. Le demandeur et son avocat ne peuvent blâmer la SAI pour une chose qu'ils avaient l'obligation de vérifier au moment du dépôt de la demande ou du mémoire.


[25]            Par conséquent, comme la SAI ne s'est pas fondée sur des renseignements extrinsèques dont le demandeur ne disposait pas, elle n'était pas tenue de demander à ce dernier de lui soumettre des prétentions concernant la question de l'applicabilité de la LIPR et le ministre n'avait pas l'obligation de présenter des prétentions sur cette question. En outre, les dispositions et l'applicabilité de la LIPR étaient (et sont) publiques et connues du public. La SAI n'a pas commis d'erreur en n'avisant pas le demandeur au sujet de cette question et en ne lui demandant pas de soumettre des prétentions à ce sujet.

La décision de la SAI concernant l'interprétation de la LIPR

[26]            Comme je l'ai mentionné précédemment, la SAI a décidé qu'elle n'avait pas compétence pour rouvrir l'affaire du demandeur car le tribunal de la CISR n'avait pas commis de manquement à la justice naturelle en 1998. C'est là le critère prévu par l'article 71 de la LIPR. Le demandeur soutient qu'en rendant cette décision la SAI n'a pas tenu compte de sa compétence en équité qui se prolonge dans le temps.


[27]            La SAI avait une compétence en équité se prolongeant dans le temps sous le régime de l'ancienne Loi sur l'immigration. Il semble cependant que cette compétence n'existe pas sous le régime de la LIPR : voir, p. ex., Lawal c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (2002), 26 Imm. L.R. (3d) 226, au paragraphe 6 (SA de la CISR). Mon collègue le juge Kelen a traité de cette question de manière assez détaillée dans Ye c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (2004), 18 Admin. L.R. (4th) 166 (C.F.). Il a statué que pareille compétence n'existe plus sous le régime des nouvelles dispositions de la LIPR. Après avoir examiné l'arrêt Grillas c. Canada (Ministre de la Main-d'oeuvre et de l'Immigration), [1972] R.C.S. 577 - où la Cour suprême a statué que la Commission d'appel de l'immigration avait, jusqu'au moment de l'expulsion, la compétence voulue pour décider si des personnes devraient être autorisées à demeurer au Canada lorsque de nouveaux éléments de preuve étaient présentés - ainsi que d'autres décisions judiciaires subséquentes, le juge Kelen s'est penché sur l'article 71 de la LIPR qui énonce clairement le motif pour lequel un appel peut être rouvert (à savoir lorsqu'il y a eu manquement à la justice naturelle). Il n'y avait, dans l'ancienne Loi sur l'immigration, aucune disposition semblable à l'article 71. Le juge Kelen a conclu que l'adoption de cette disposition avait fait en sorte que les décisions rendues jusque-là ne s'appliquaient plus :

J'ai conclu que selon quatre principes d'interprétation des lois, l'article 71 limite ou restreint la compétence de la SAI de rouvrir un appel pour manquement à la justice naturelle. Voici ces principes :

1.      La mention de l'un implique l'exclusion de l'autre - selon ce principe d'interprétation des lois, si une chose est mentionnée, une autre est exclue par le fait même. Quand le législateur précise, dans la loi, les circonstances permettant la réouverture d'un appel par la SAI, il exclut implicitement tous les autres motifs.

2.      La version française de l'article 71 - est beaucoup plus claire et expresse que la version anglaise. Dans la version française, la SAI peut rouvrir un appel « sur preuve de » manquement à un principe de justice naturelle (dans la version anglaise, il est dit « if it is satisfied that » ). Cette preuve constitue donc une condition préalable à la réouverture. Sans cette preuve, il est implicite que la SAI ne peut reprendre un appel.

3.      La règle de l'exclusion implicite - en rapport avec la codification de la common law mentionnée dans l'ouvrage Sullivan and Driedger on the Construction of Statutes, 4e édition (Markman.Butterworths Canada Ltd., 2002) à la page 355, qui se fonde sur la décision de la Cour suprême du Canada dans l'affaire R. c. McClurg (1990), 76 DLR (4th) 217. Il est dit, à la page 355 de cet ouvrage :

[traduction] Lorsque le législateur codifie expressément une partie seulement du droit sur une question, la Cour peut se fonder sur le raisonnement relatif à l'exclusion implicite pour conclure que le législateur avait l'intention d'exclure la partie du droit qui n'est pas mentionnée en termes exprès.


Selon ce principe, puisque l'article 71 précise que la réouverture d'un appel est permise en cas de manquement à un principe de justice naturelle, il s'ensuit que le législateur voulait exclure la partie de la common law qui n'est pas mentionnée expressément. Par conséquent, le droit de la SAI de rouvrir un appel pour des motifs d'équité a été exclu implicitement. La proposition contraire illustre la logique de cette dernière affirmation. Si le législateur avait voulu que la SAI puisse rouvrir un appel pour des motifs d'ordre humanitaire, notamment l'intérêt supérieur de l'enfant, il l'aurait précisé. Il en est particulièrement ainsi puisque le législateur a mentionné expressément l'intérêt supérieur de l'enfant dans les dispositions qui précèdent immédiatement les articles de la LIPR sur la compétence de la SAI. La SAI protège l'intérêt supérieur des enfants. Le législateur aurait dit, en termes exprès, que la SAI pouvait rouvrir un appel afin de prendre en compte de nouvelles circonstances concernant l'intérêt supérieur d'un enfant si telle avait été son intention.

4.              Le contexte législatif - comprend l'explication de l'article 71 qui a été présentée au Parlement. Selon cette explication, « les réouvertures sont clairement limitées aux cas où il y a eu manquement à la justice naturelle au sens de la common law » . L'article 71 a pour objet d'empêcher que le mécanisme de réouverture ne soit utilisé comme manoeuvre dilatoire du renvoi. L'analyse article par article de la LIPR, datée de septembre 2001, a été déposée devant le Parlement au moment où ce dernier examinait le projet de loi de la LIPR. Par conséquent, le Parlement avait été avisé que l'article 71 avait pour objet d'empêcher que le mécanisme de réouverture des appels en matière d'immigration ne serve de moyen de reporter un renvoi et que l'article 71 limitait la réouverture d'instances aux cas où il y avait eu manquement aux règles de justice naturelle.

Par conséquent, je suis d'avis que ces quatre principes d'interprétation des lois amènent à conclure que l'article 71 limite la compétence de la SAI de rouvrir un appel et ils excluent implicitement la compétence en vertu de la common law de rouvrir un appel pour permettre à l'appelant de produire une nouvelle preuve ou une preuve supplémentaire. [Au paragraphe 17 de la décision du juge Kelen. Non souligné dans l'original.]

[28]            La question de savoir si l'article 71 de la LIPR met fin à la compétence en équité se prolongeant dans le temps dont jouissait auparavant la CISR a été certifiée par le juge Kelen. La Cour ne statuera pas sur cette question, l'appel ayant perdu sa raison d'être et ayant été abandonné depuis que la demanderesse a obtenu la résidence permanente. J'adopte finalement le raisonnement du juge Kelen et je fais miens ses motifs.

[29]            Le demandeur n'a pas démontré que la SAI avait manqué à la justice naturelle lorsqu'elle a refusé de rouvrir sa demande. La majeure partie des prétentions du demandeur ont trait à de nouveaux éléments de preuve dont le tribunal de la CISR ne disposait pas en 1998. Or, il ressort clairement de l'analyse qui précède que ces nouveaux éléments de preuve ne peuvent entraîner la réouverture d'une demande en vertu de l'article 71. Il n'y a pas de compétence en équité qui se prolonge dans le temps.

La violation des droits garantis au demandeur par les articles 7 et 12 de la Charte

[30]            Le demandeur soutient que le refus du tribunal de la CISR de rouvrir sa demande a porté atteinte aux droits qui lui sont garantis aux articles 7 et 12 de la Charte parce que celui-ci n'a pas évalué les difficultés auxquelles il serait confronté, ni les conditions existant en Jamaïque, avant d'annuler le sursis relatif à l'exécution de la mesure d'expulsion en 1998. En ne le faisant pas non plus dans le cadre de la requête en réouverture, le tribunal continue de porter atteinte à ces droits.

[31]            À mon avis, le demandeur n'a pas, à nouveau, réussi à démontrer que ses droits ont été violés. Il ressort de la décision levant le sursis qui a été rendue en 1998 que le tribunal a évalué les difficultés auxquelles M. Griffiths serait confronté s'il était forcé de retourner en Jamaïque. Je cite plus particulièrement le passage suivant figurant à la page 10 de la décision de 1998 :


[traduction] L'appelant a nié avoir des membres de sa famille en Jamaïque, son pays de citoyenneté. Il vit dans ce pays [le Canada] depuis l'âge de six ans. Le tribunal reconnaît que le retour de l'appelant dans son pays de citoyenneté pourrait lui causer des difficultés, mais il ne s'agit que d'un facteur à prendre en compte.

[32]            En plus d'effectuer les autres évaluations relatives à la situation du demandeur en 1998, le tribunal a déterminé que le sursis devait être levé et que la mesure de renvoi devait être exécutée dès que possible. Il est vrai que le tribunal aurait pu évaluer les conditions existant en Jamaïque, mais rien ne permet de croire qu'il disposait d'éléments de preuve indiquant que ces conditions étaient telles qu'il aurait les évaluer de façon plus approfondie. En fait, les prétentions soumises par M. Griffiths en 1998 et aujourd'hui portent sur le fait que son expulsion lui causera des problèmes ou des difficultés.

[33]            Lorsque M. Griffiths laisse entendre que les droits qui lui sont garantis par la Charte ont été violés, il oublie qu'il dispose d'au moins une autre voie de recours. À ma connaissance, aucune demande fondée sur des motifs d'ordre humanitaire n'a encore été faite. M. Griffiths ne peut prétendre que ses droits garantis par la Charte ont été violés s'il dispose encore d'autres recours (voir, p. ex., Sinnappu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1997] 2 C.F. 791, au paragraphe 66 (1re inst.); Razavi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1998] A.C.F. no 224, au paragraphe 19 (1re inst.)). En outre, ses préoccupations sur ces questions pourront être traitées directement dans le cadre d'une demande fondée sur des motifs d'ordre humanitaire.


LA CONCLUSION

[34]            Il n'y a aucune raison d'infirmer la décision rendue par le tribunal en date du 24 mars 2004. Le tribunal a correctement appliqué les dispositions législatives applicables et apprécié l'état du droit. La présente demande de contrôle judiciaire est donc rejetée.

LES QUESTIONS SOUMISES À DES FINS DE CERTIFICATION

[35]            J'ai demandé aux parties si elles avaient des questions à proposer à des fins de certification. Le demandeur en a proposé deux :

(1) Que signifie l'expression « sur preuve de manquement à un principe de justice naturelle » à l'article 71 de la LIPR?

(2) L'article 71 de la LIPR a-t-il pour effet d'abolir la « compétence en équité » se prolongeant dans le temps conférée par la common law à la SAI en matière de réouverture d'un appel, sauf dans les cas où la SAI a manqué à un principe de justice naturelle?


[36]            J'ai reproduit intégralement l'analyse de la deuxième question faite par le juge Kelen dans Ye, précitée, au paragraphe 27 des présents motifs, et je ne vois rien à ajouter. Par ailleurs, je suis d'accord avec le défendeur lorsqu'il dit que les questions soumises par le demandeur ne devraient pas être certifiées puisque ce dernier n'a pas invoqué un manquement à la justice naturelle dans la demande qu'il a présentée à la SAI. La question de la justice naturelle n'ayant tout simplement pas été soulevée, le demandeur ne peut pas prétendre maintenant qu'un tel manquement est survenu. Aucune question ne sera donc certifiée.

                                        ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE :

­           La demande de contrôle judiciaire est rejetée et aucune question n'est certifiée.

                       « Simon Noël »                                                                                                                                   Juge

Traduction certifiée conforme

Thanh-Tram Dang, B.C.L., LL.B


                                     COUR FÉDÉRALE

                      AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                             IMM-6576-04

INTITULÉ :                                                            LEON GRIFFITHS

c.

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

LIEU DE L'AUDIENCE :                                      TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :                                    LE MERCREDI 22 JUIN 2005

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                                            LE JUGE NOËL

DATE DES MOTIFS :                                           LE 11 JUILLET 2005

COMPARUTIONS :

Osborne G. Barnwell                                                 POUR LE DEMANDEUR

           

Marianne Zoric                                                  POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :      

Osborne G. Barnwell                                                 POUR LE DEMANDEUR

Avocat

North York (Ontario)

John H. Sims, c.r.                                                     POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada


COUR FÉDÉRALE

                     Date : 20050622

              Dossier : IMM-6576-04

ENTRE :

LEON GRIFFITHS

                                          demandeur

- et -

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

                                           défendeur

                                                         

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE

                                                         


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