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Date : 20210831

Dossier : T-1168-19

Référence : 2021 CF 904

Ottawa (Ontario), le 31 août 2021

En présence de la juge en chef adjointe Gagné

ENTRE :

EDIB ALIEFENDIC

demandeur

et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Nature de l’affaire

[1] M. Edib Aliefendic a soumis une demande de pension de sécurité de la vieillesse qui ne lui a été accordée que partiellement. Service Canada a considéré que puisqu’il est arrivé au Canada en 1991, il n’avait accumulé que 25 des 40 années de résidence requises au pays pour avoir droit à la pleine pension, au titre des paragraphes 3(2) et (3) de la Loi sur la sécurité de la vieillesse, LRC (1985), ch O-9 [la Loi].

[2] M. Aliefendic a soumis une demande de réexamen de cette décision, étant d’avis qu’il satisfaisait aux conditions prévues à l’alinéa 3(1)b) de la Loi et que partant, il avait droit à la pleine pension. Devant le refus de Service Canada de modifier sa décision initiale, M. Aliefendic a fait appel à la division générale du Tribunal de la sécurité sociale.

[3] La division générale l’a d’abord informé qu’elle avait l’intention de rejeter son appel de façon sommaire puisque voué à l’échec; elle lui a toutefois demandé de lui soumettre ses observations écrites à cet égard. M. Aliefendic a répondu qu’il était d’opinion que la Charte canadienne des droits et libertés, partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, constituant l’annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada (R-U), 1982, c 11 [la Charte] lui garantissait les mêmes droits, bénéfices et privilèges qu’à tous les canadiens et canadiennes et qu’il avait droit à la pleine pension sans distinction fondée sur la durée de sa résidence au Canada, après l’âge de 18 ans. La division générale l’a alors informé de la procédure à suivre pour faire valoir un argument constitutionnel fondé sur la Charte et de la nécessité de transmettre l’avis de question constitutionnelle prévu au paragraphe 20(1) du Règlement sur le Tribunal de la sécurité sociale, DORS/2013-60. Elle l’a également informé qu’à défaut de recevoir l’avis dans le délai imparti, l’appel serait traité sans égard à la question constitutionnelle.

[4] Non seulement M. Aliefendic n’a pas transmis l’avis de question constitutionnelle mais tel qu’il l’indique lui-même au paragraphe 9 de son Mémoire des faits et du droit devant la Cour :

Le 05 juin 2018, lors d’une conférence préparatoir [sic], tenue par téléconférence, j’ai expliqué à la division générale que je n’avais pas besoin à déposer un avis conformément à l’article 20(1) a du Règlement parce que j’ai déjà invoqué à la Charte (en visant la disposition, l’article 15) et je ne voulais pas à soulever une question constitutionnalle [sic].

[5] M. Aliefendic a alors été avisé que sans avis de question constitutionnelle, son appel serait traité comme un appel « ordinaire ».

[6] La division générale a rejeté son appel au motif que M. Aliefendic ne répondait pas aux conditions énumérées à l’alinéa 3(1)b) de la Loi. La division générale a mentionné le fait que M. Aliefendic avait invoqué les dispositions de la Charte mais qu’il avait renoncé à transmettre l’avis de question constitutionnelle.

[7] M. Aliefendic n’a pas demandé la permission d’en appeler de cette décision à la division d’appel du Tribunal de la sécurité sociale, mais a plutôt demandé à la division générale d’annuler ou de modifier sa décision, en application de l’alinéa 66(1)b) de la Loi sur le ministère de l’Emploi et du Développement social, LC 2005, ch 34. Il y réitère les mêmes arguments que ceux soulevés dans son appel initial, notamment le fait que l’article 15 de la Charte lui garantissait les mêmes droits, avantages et bénéfices que ceux conférés à tous les canadiens et canadiennes par la Loi, et que l’obligation de 40 années de résidence au Canada pour avoir droit à la pleine pension était discriminatoire.

[8] La division générale a rejeté la demande d’annulation ou de modification de sa décision initiale au motif que M. Aliefendic n’avait soumis aucune preuve qui établissait un fait nouveau et essentiel qui, au moment de l’audience, ne pouvait être connu malgré l’exercice d’une diligence raisonnable.

[9] M. Aliefendic a déposé une demande d’autorisation d’appeler à la division d’appel de cette dernière décision, invoquant des erreurs importantes concernant les faits et le non-respect, par la division générale, des principes de justice naturelle. À nouveau, il fait valoir que la Loi est discriminatoire parce qu’elle exige une résidence de 40 années au Canada après l’âge de 18 ans pour avoir droit à la pleine pension.

[10] La division d’appel a conclu que la demande de permission de M. Aliefendic n’avait aucune chance de succès puisque sa demande d’annulation ou de modification de la décision initiale de la division générale n’était accompagnée d’aucune preuve établissant un fait nouveau et essentiel. La division d’appel ajoute que rien ne démontre que la division générale ait négligé ou mal interprété des éléments importants de la preuve, elle n’a pas fait défaut d’observer les principes de justice naturelle, pas plus qu’elle n’a excédé ou refusé d’exercer sa compétence. Bref, la division d’appel a conclu que l’appel de M. Aliefendic était voué à l’échec et devait être rejeté. C’est cette décision qui fait l’objet de la présente demande de contrôle judiciaire.

II. Questions en litige et norme de contrôle

[11] Cette demande de contrôle judiciaire ne soulève qu’une seule question, soit celle de savoir si la division d’appel a erré en rejetant la demande de permission d’en appeler du refus de la division générale d’annuler ou de modifier sa décision initiale.

[12] La norme de contrôle applicable à cette question est celle de la décision raisonnable (Cameron c Canada (Procureur général), 2018 CAF 100 au para 3 [Cameron]), aucune des exceptions à l’application de cette norme, énumérées par la Cour suprême du Canada dans l’affaire Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 au para 69, ne s’appliquant en l’espèce.

III. Analyse

[13] Devant la Cour, le demandeur plaide que le Tribunal de la sécurité social a erré dans son interprétation de l’alinéa 3(1)b) de la Loi, lequel se lit comme suit :

3 (1) Sous réserve des autres dispositions de la présente loi et de ses règlements, la pleine pension est payable aux personnes suivantes :

3 (1) Subject to this Act and the regulations, a full monthly pension may be paid to

[…]

[…]

b) celles qui, à la fois :

(b) every person who

(i) sans être pensionnées au 1er juillet 1977, avaient alors au moins vingt-cinq ans et résidaient au Canada ou y avaient déjà résidé après l’âge de dix-huit ans, ou encore étaient titulaires d’un visa d’immigrant valide,

(i) on July 1, 1977 was not a pensioner but had attained twenty-five years of age and resided in Canada or, if that person did not reside in Canada, had resided in Canada for any period after attaining eighteen years of age or possessed a valid immigration visa,

(ii) ont au moins soixante-cinq ans,

(ii) has attained sixty-five years of age, and

(iii) ont résidé au Canada pendant les dix ans précédant la date d’agrément de leur demande, ou ont, après l’âge de dix-huit ans, été présentes au Canada, avant ces dix ans, pendant au moins le triple des périodes d’absence du Canada au cours de ces dix ans tout en résidant au Canada pendant au moins l’année qui précède la date d’agrément de leur demande;

(iii) has resided in Canada for the ten years immediately preceding the day on which that person’s application is approved or, if that person has not so resided, has, after attaining eighteen years of age, been present in Canada prior to those ten years for an aggregate period at least equal to three times the aggregate periods of absence from Canada during those ten years, and has resided in Canada for at least one year immediately preceding the day on which that person’s application is approved;

[14] Selon lui, cette disposition s’applique à lui et lui donne droit à une pleine pension puisque, sans avoir été pensionné au Canada au 1er juillet 1977, il était titulaire d’un visa d’immigrant valide (à son arrivée au Canada en 1991).

[15] De surcroit, il plaide que le Tribunal de la sécurité social a omis de prendre en considération son motif d’appel fondé sur l’article 15 de la Charte et le fait que l’exigence de 40 années de résidence au Canada pour donner droit à une pleine pension est discriminatoire.

[16] D’abord, les appels des décisions de la division générale à la division d’appel du Tribunal de la sécurité sociale sont bien circonscrits à l’article 58 de la Loi sur le ministère de l'Emploi et du Développement social :

58 (1) Les seuls moyens d’appel sont les suivants :

58 (1) The only grounds of appeal are that

a) la division générale n’a pas observé un principe de justice naturelle ou a autrement excédé ou refusé d’exercer sa compétence;

a) the General Division failed to observe a principle of natural justice or otherwise acted beyond or refused to exercise its jurisdiction;

b) elle a rendu une décision entachée d’une erreur de droit, que l’erreur ressorte ou non à la lecture du dossier;

b) the General Division erred in law in making its decision, whether or not the error appears on the face of the record; or

c) elle a fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance.

c) the General Division based its decision on an erroneous finding of fact that it made in a perverse or capricious manner or without regard for the material before it.

Critère

(2) La division d’appel rejette la demande de permission d’en appeler si elle est convaincue que l’appel n’a aucune chance raisonnable de succès.

Criteria

(2) Leave to appeal is refused if the Appeal Division is satisfied that the appeal has no reasonable chance of success.

[17] La question devant la Cour est donc de déterminer s’il était raisonnable pour la division d’appel de conclure que l’appel du demandeur n’avait aucune chance raisonnable de succès. En d’autres termes, le demandeur a-t-il soulevé, dans sa demande de permission d’en appeler, « certains motifs défendables grâce auxquels l’appel proposé pourrait avoir gain de cause »? (Osaj c Canada (Procureur général), 2016 CF 115 au para 12).

[18] Et la question soumise à la division d’appel était celle de savoir si le demande d’annulation ou de modification de sa décision initiale était accompagnée d’une preuve établissant un fait nouveau et essentiel au sens de l’alinéa 66(1)b) de la Loi sur le ministère de l’Emploi et du Développement social.

[19] Or, l’historique procédural de cette affaire démontre clairement que le demandeur présente les mêmes éléments factuels depuis le début (il est arrivé au Canada en 1991 et ne cumulait que 25 des 40 années de résidence en sol canadien au moment de sa demande de pension en 2016) et il soulève les mêmes arguments : il a droit à une pleine pension puisqu’il rencontre les conditions prévus à l’alinéa 3(1)b) de la Loi et l’obligation de cumuler 40 années de résidence canadienne pour avoir droit à la pleine pension est discriminatoire et contraire à l’article 15 de la Charte.

[20] Puisqu’aucun fait nouveau et essentiel n’était soulevé devant la division générale, celle-ci était bien fondée de refuser la demande d’annulation ou de modification du demandeur. Puisque cette décision ne contenait aucune erreur, il était raisonnable pour la division d’appel de refuser la demande d’autorisation du demandeur.

[21] Plutôt que de démontrer que la division générale a erré en concluant qu’il n’avait présenté aucun fait nouveau et essentiel au soutien de sa demande d’annulation ou de modification, le demandeur reprend devant la Cour les mêmes arguments qu’il plaide depuis sa demande initiale à la division générale.

[22] Bien que je n’ai pas à répondre à ces arguments dans le cadre de la présente demande de contrôle judiciaire, je me propose de le faire afin d’éclairer le demandeur qui se représente lui-même.

[23] La division générale n’a pas erré en concluant que le demandeur ne rencontre pas les conditions énumérées à l’alinéa 3(1)b) de la Loi puisque ces conditions sont cumulatives. En d’autre termes, elles doivent toutes être rencontrées pour donner droit à la pleine pension. Or, le demandeur ne rencontre pas la condition prévue au sous-alinéa (i) puisqu’au premier juillet 1977, il ne résidait pas au Canada et n’y avait pas résidé après l’âge de 18 ans, et il n’était pas titulaire d’un visa d’immigrant valide. Il n’est pas suffisant pour le demandeur d’avoir été titulaire d’un visa d’immigrant valide en 1991, il devait en être titulaire en 1977. La logique étant qu’il devait avoir un lien avec le Canada en 1977, le demandeur n’en avait aucun. Il n’est donc visé par aucune des situations donnant doit à une pleine pension.

[24] Quant à la question constitutionnelle, le demandeur ne semble pas avoir compris qu’il a lui-même renoncé à la soumettre en refusant de respecter l’exigence procédurale de transmettre l’avis préalable de question constitutionnelle prévu au paragraphe 20(1) du Règlement sur le Tribunal de la sécurité sociale. Tout au long des procédures l’ayant mené devant la Cour, le demandeur semble avoir fait une distinction entre son argument fondé sur la Charte et la question constitutionnelle. Or, il s’agit de la même question. Pour pouvoir plaider que la Loi viole l’article 15 de la Charte (question constitutionnelle), le demandeur se devait de transmettre l’avis. À défaut, la division générale était bien fondée de ne pas traiter de cet argument. C’est également à bon droit que la division d’appel n’y a pas vu d’erreur de la part de la division générale.

IV. Conclusion

[25] Puisque le demandeur n’a soulevé aucune erreur de la part de la division d’appel et qu’il n’a fait que reprendre les mêmes arguments que ceux soulevés et analysés par la division générale dans sa décision initiale, l’intervention de la Cour n’est pas requise et la demande de contrôle judiciaire sera rejetée. Elle le sera toutefois sans frais.

JUGEMENT dans T-1168-19

LA COUR STATUE que :

  1. La demande de contrôle judiciaire du demandeur est rejetée;

  2. Aucun dépens n’est accordé.

blanc

« Jocelyne Gagné »

blanc

Juge en chef adjointe


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-1168-19

 

INTITULÉ :

EDIB ALIEFENDIC c LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 9 juin 2021

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE EN CHEF ADJOINTE GAGNÉ

 

DATE DES MOTIFS :

LE 31 août 2021

 

COMPARUTIONS :

Edib Aliefendic

 

Pour le demandeur

 

Suzette Bernard

 

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Procureur général du Canada

Gatineau (Québec)

 

Pour le défendeur

 

 

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