Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20020125

Dossier : IMM-6089-99

Référence neutre : 2002 CFPI 90

Ottawa (Ontario), le 25 janvier 2002

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE JOHN A. O'KEEFE

ENTRE :

                                                                      SONIA SIMON

                                                                                                                                              demanderesse

                                                                              - et -

                      LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                                      défendeur

                                  MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

LE JUGE O'KEEFE

[1]                 Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire, présentée en vertu du paragraphe 82.1(1) de la Loi sur l'immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2 (la Loi), qui vise la décision d'un agent d'immigration de ne pas recommander une décision favorable sous le régime du paragraphe 114(2) de la Loi.

[2]                 La demanderesse, une citoyenne de la Grenade, est entrée au Canada avec un visa de visiteur en 1988. Elle est demeurée au Canada après l'expiration de son visa, à l'insu des autorités de l'Immigration.

[3]                 La demanderesse a travaillé comme bonne d'enfants pour plusieurs familles au Canada. Elle élève seule sa fille, Jenelle, qui est née au Canada le 3 mars 1994, et n'a que des rapports sporadiques avec le père de celle-ci. Elle a aussi une soeur ayant obtenu le statut de résidente permanente et vivant actuellement à Toronto. Le dossier indique que la demanderesse a été élevée par sa grand-mère à la Grenade, qu'elle a trois demi-frères, d'autres parents et des amis dans ce pays, que sa mère habite à Aruba depuis que la demanderesse a huit ans, et que son père est allé vivre aux États-Unis lorsqu'elle avait deux ans.

[4]                 En août 1998, la demanderesse a présenté une demande de résidence permanente au Canada et une demande de dispense, pour des raisons d'ordre humanitaire, de l'obligation de présenter une demande de résidence permanente de l'extérieur du Canada, qui est prévue au paragraphe 9(1) de la Loi. Un agent d'immigration a rencontré la demanderesse et son conseil au sujet de sa demande de dispense le 22 octobre 1999. Les notes prises par l'agent d'immigration lors de l'entrevue, qui se trouvent aux pages 37 à 42 du dossier de la demanderesse, décrivent plus en détail les raisons invoquées par celle-ci pour être exemptée des exigences normales prévues par la loi.

[5]                 Un document daté du 5 novembre 1999 et intitulé [traduction] « Décision concernant la demande fondée sur des raisons d'ordre humanitaire et motifs » , qui se trouve à la page 43 du dossier de la demanderesse, se lit comme suit :

[traduction] La demanderesse a vécu au Canada sans interruption depuis septembre 1988. Son cas n'est jamais venu auparavant à l'attention des autorités de l'Immigration. Elle a maintenant une fille née au Canada.

Je ne suis pas convaincu que la demanderesse satisfait à la définition de résident de fait illégal. Je ne dispose pas d'éléments de preuve suffisants démontrant qu'elle subira des difficultés indues ou excessives si elle devait quitter le Canada pour présenter sa demande de la manière habituelle. Le fait qu'elle n'ait pas de maison ou d'emploi à la Grenade est une situation dont elle est seule responsable.

Je ne suis pas convaincu qu'elle est établie au Canada au point où elle subirait des difficultés indues si elle devait retourner à la Grenade.

J'ai également considéré avec un très grand soin sa fille née au Canada, qui est âgée de cinq ans maintenant. Elle est une enfant normale et en santé. Je ne dispose pas d'éléments de preuve suffisants démontrant qu'il serait contraire à son intérêt supérieur de vivre à la Grenade avec sa mère.

J'ai examiné avec soin toutes les circonstances de la demande, et je ne suis pas convaincu qu'il existe des raisons d'ordre humanitaire suffisantes justifiant une dispense de l'application du paragraphe 9(1) de la Loi.

[6]                 La demanderesse a appris, par une lettre datée du 6 décembre 1999, qu'il n'existait pas de raisons d'ordre humanitaire suffisantes pour justifier une dispense de l'application des exigences normales prévues par la loi. C'est cette décision qui fait l'objet du présent contrôle judiciaire.

[7]                 Questions en litige

1.          L'agent d'immigration a-t-il fait naître une crainte raisonnable de partialité et, de ce fait, manqué à son obligation d'agir équitablement?


2.          L'agent d'immigration a-t-il mal appliqué les lignes directrices relatives à la procédure et, de ce fait, manqué à son obligation d'agir équitablement?

3.          La décision de l'agent d'immigration était-elle déraisonnable?

[8]                 Dispositions législatives pertinentes

Le paragraphe 9(1) de la Loi sur l'immigration, précitée, prévoit ce qui suit :

9. (1) Sous réserve du paragraphe (1.1), sauf cas prévus par règlement, les immigrants et visiteurs doivent demander et obtenir un visa avant de se présenter à un point d'entrée.

9. (1) Except in such cases as are prescribed, and subject to subsection (1.1), every immigrant and visitor shall make an application for and obtain a visa before that person appears at a port of entry.

[9]                 Le paragraphe 114(2) de la Loi se lit comme suit :

114.(2) Le gouverneur en conseil peut, par règlement, autoriser le ministre à accorder, pour des raisons d'ordre humanitaire, une dispense d'application d'un règlement pris aux termes du paragraphe (1) ou à faciliter l'admission de toute autre manière.

114.(2) The Governor in Council may, by regulation, authorize the Minister to exempt any person from any regulation made under subsection (1) or otherwise facilitate the admission of any person where the Minister is satisfied that the person should be exempted from that regulation or that the person's admission should be facilitated owing to the existence of compassionate or humanitarian considerations.

[10]            Analyse et décision

Question no 1

L'agent d'immigration a-t-il fait naître une crainte raisonnable de partialité et, de ce fait, manqué à son obligation d'agir équitablement?


La demanderesse a indiqué à l'audience que la question de la crainte raisonnable de partialité n'était pas en litige.

[11]            Question no 2

L'agent d'immigration a-t-il mal appliqué les lignes directrices relatives à la procédure et, de ce fait, manqué à son obligation d'agir équitablement?

La section 9.06(3) se lisait comme suit au moment où la demanderesse a déposé sa demande fondée sur des raisons d'ordre humanitaire :

[traduction]

3) Politique relative aux résidents de fait illégaux (voir IE9.15)

Le cas des personnes qui satisfont à la définition de « résident de fait illégal » peut être examiné pendant qu'elles se trouvent au Canada. Les résidents de fait illégaux sont des personnes qui n'ont pas encore attiré notre attention et qui, bien qu'elles soient sans statut au Canada, vivent ici depuis tellement longtemps et y sont établies au point où elles ont, en fait si ce n'est en droit, leur résidence au Canada et non dans un autre pays. L'établissement concerne la capacité d'une personne de subvenir à ses besoins et de ne pas devenir un fardeau pour les services publics. Ces personnes auront « vécu dans la clandestinité » sans jamais avoir attiré l'attention des autorités de l'Immigration, p. ex. des revendicateurs du statut de réfugié déboutés, des personnes dont le cas fait partie de l'arriéré ou des personnes frappées d'une mesure de renvoi. Ces personnes auraient rompu leurs liens avec leur pays d'origine et subiraient des difficultés si elles devaient quitter le Canada pour présenter une demande de visa afin d'être autorisées à y revenir en qualité de résidents permanents.

[12]            De nouvelles lignes directrices sont entrées en vigueur en 1999 (chapitre IP 5 - Demandes d'établissement présentées au Canada pour des considérations humanitaires (CH)). La section 6.1 de ces lignes directrices indique notamment ce qui suit :


6.1 Qu'entend-on par « considérations humanitaires » ?

En présentant une demande R2.1, le demandeur cherche à faciliter son admission au Canada en raison de l'existence de CH. Les dispositions CH permettent d'autoriser des personnes, dont le cas est digne d'intérêt et n'est pas prévu par la Loi, à présenter leur demande au Canada.

Il incombe au demandeur de convaincre l'agent que, vu sa situation, l'obligation, dont il demande d'être dispensé, d'obtenir un visa hors du Canada lui causerait des difficultés (i) inhabituelles et injustifiées ou (ii) excessives. Le demandeur peut présenter tout fait qu'il juge pertinent pour l'obtention de cette dispense.

[...]

Difficultés inhabituelles et injustifiées

Les difficultés que subirait le demandeur (s'il devait présenter sa demande de visa hors du Canada) doivent, dans la plupart des cas, être inhabituelles. Il s'agit, en d'autres termes, de difficultés qui ne sont pas prévues dans la Loi ou le Règlement, et

Les difficultés que subirait le demandeur (s'il devait présenter sa demande hors du Canada) doivent, dans la plupart des cas, découler de circonstances indépendantes de sa volonté.

Difficultés excessives

Dans certains cas où le demandeur ne subirait de difficultés ni inhabituelles ni injustifiées (s'il devait présenter sa demande de visa hors du Canada), il est possible de conclure à l'existence de CH en raison de difficultés considérées comme excessives pour le demandeur compte tenu de ses circonstances personnelles.

[13]            Les instructions concernant la transition des anciennes lignes directrices aux nouvelles indiquent notamment ce qui suit :

Transition des anciennes aux nouvelles lignes directrices

1. Pour toutes les demandes reçues avant le 8 mars 1999 : Lorsque les décideurs considèrent la première étape, ils peuvent tenir compte, le cas échéant, des lignes directrices du chapitre IE-9, « Personnes sollicitant, au Canada, le statut de résident permanent » , décrites à la partie 9.06(3) [incluant le renvoi à 9.15] et la partie 9.06(4). Autrement, le chapitre IE-9 est désormais annulé et IP-5 devra être suivi, les cas-types qui étaient dans IE-9 étant aussi inclus dans IP-5.

[14]            L'agent d'immigration a notamment mentionné ce qui suit dans sa décision :

[traduction] ... Je ne dispose pas d'éléments de preuve suffisants démontrant qu'elle subirait des difficultés indues ou excessives si elle devait quitter le Canada pour présenter sa demande de la manière habituelle.

[...]

Je ne suis pas convaincu qu'elle est établie au Canada au point où elle subirait des difficultés indues si elle devait retourner à la Grenade.

[15]            Il semble que l'agent ait appliqué une norme de [traduction] « difficultés indues » ou de [traduction] « difficultés indues ou excessives » dans son évaluation de la demande de la demanderesse. Les lignes directrices transitoires indiquent que les demandes déposées avant l'entrée en vigueur des nouvelles lignes directrices pouvaient être examinées sous le régime de la section 9.06 des anciennes lignes directrices. Selon cette section, la norme applicable est celle de l'existence de [traduction] « difficultés » , alors que la norme établie par les nouvelles lignes directrices est celle de l'existence de [traduction] « difficultés indues » ou de [traduction] « difficultés indues et excessives » . J'estime qu'il était déraisonnable de ne pas appliquer le critère prévu par les anciennes lignes directrices. Si l'agent d'immigration avait appliqué ce critère aux faits, il aurait pu en arriver à une conclusion différente. Je ne sais pas si une décision différente aurait été rendue puisque l'ancienne norme n'a pas été appliquée.


[16]            Comme j'en suis arrivé à la conclusion qu'il était déraisonnable de ne pas avoir appliqué l'ancienne norme de l'existence de [traduction] « difficultés » , la décision de l'agent d'immigration doit être annulée et l'affaire, être renvoyée à un autre agent pour qu'elle fasse l'objet d'un nouvel examen.

[17]            Vu ma conclusion concernant la question no 2, il n'est pas nécessaire que je me prononce sur la question no 3.

[18]            Aucune partie n'a souhaité me soumettre une question grave de portée générale.

ORDONNANCE

[19]            LA COUR ORDONNE QUE la demande de contrôle judiciaire soit accueillie et que l'affaire soit renvoyée à un autre agent pour qu'elle fasse l'objet d'un nouvel examen.

                                                                                 « John A. O'Keefe »             

                                                                                                             Juge                          

Ottawa (Ontario)

Le 25 janvier 2002

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, trad. a., LL.L.


COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                     SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

                       AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

   

DOSSIER :                                                         IMM-6089-99

INTITULÉ :                                                        Sonia Simon c. MCI

  

                                                         

LIEU DE L'AUDIENCE :                                Toronto (Ontario)

DATE DE L'AUDIENCE :                             Le 16 août 2001

MOTIFS DE L'ORDONNANCE :            Monsieur le juge O'Keefe

DATE DES MOTIFS :                                     Le 25 janvier 2002

   

COMPARUTIONS :

Carey A. McKay                                                              POUR LA DEMANDERESSE

Martin Anderson                                                               POUR LE DÉFENDEUR

  

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Carey A. McKay                                                              POUR LA DEMANDERESSE

Toronto (Ontario)

Morris Rosenberg                           POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.