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Date : 20050427

Dossier : T-543-04

Référence : 2005 CF 572

Ottawa (Ontario), le 27 avril 2005

EN PRÉSENCE DE MADAME LA JUGE MACTAVISH

ENTRE :

DEBBIE STEPHANIE GIESBRECHT VELETA

BRANDON JAKE GIESBRECHT VELETA

THOMAS ALEXANDER GIESBRECHT VELETA

JOSEPH TOBY GIESBRECHT VELETA

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

défendeurs

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]                Les demandeurs sont quatre enfants, tous nés à l'étranger entre 1993 et 2001. Leurs demandes d'attestation de la citoyenneté ont été rejetées par un agent de la citoyenneté parce que leur grand-père, David Giesbrecht, est né hors du mariage, au Mexique. L'agent a estimé que, comme il était né hors du mariage, David Giesbrecht n'a pas acquis la citoyenneté canadienne en vertu des lois en vigueur à l'époque. Par conséquent, il ne pouvait transmettre la citoyenneté canadienne à ses descendants.

[2]                La présente demande de contrôle judiciaire vise la décision de l'agent de la citoyenneté. Les demandeurs affirment que l'agent a fait erreur en ne concluant pas que le mariage religieux des parents de David Giesbrecht et la relation maritale subséquente constituaient un mariage valide, avec le résultat que David Giesbrecht était en réalité né dans les liens du mariage. Les demandeurs allèguent également que l'agent a commis une erreur en refusant de prendre en considération la demande de David Giesbrecht visant l'obtention de la citoyenneté canadienne par filiation maternelle.

[3]              Les demandeurs soutiennent de plus que la décision de leur refuser la citoyenneté au motif que leur grand-père paternel était né hors du mariage porte atteinte à leur droit à l'égalité de traitement garanti par l'article 15 de la Charte canadienne des droits et libertés et par l'alinéa 1b) de la Déclaration canadienne des droits.

Contexte

[4]                Les faits à l'origine de la présente demande sont simples et demeurent pour l'essentiel non contestés. Par ailleurs, les conclusions juridiques tirées de ces faits sont plus complexes et elles sont contestées.

[5]                La famille Giesbrecht est mennonite. Les arrière-grands-parents paternels, Peter Giesbrecht et Anna Peters, sont tous les deux nés au Canada, mais ils ont déménagé au Mexique au début des années 1920. Ils y ont apparemment passé le reste de leur vie.

[6]                Leur mariage a été célébré dans le cadre d'une cérémonie religieuse qui a eu lieu au Mexique en 1924. Ils ont eu sept enfants; leur fils David est né en 1933. Le mariage civil du couple a été célébré au Mexique en 1937.

[7]                La droit mexicain ne reconnaît pas les mariages religieux. Seuls les mariages civils sont reconnus dans ce pays.

[8]                David Giesbrecht a obtenu un certificat de citoyenneté canadienne en 1966, avec une date d'entrée en vigueur fixée au 27 septembre 1957. Le fils de David, Jacob (père des demandeurs), a obtenu son propre certificat de citoyenneté canadienne en 1982.

[9]                Au début des années 1990, le défendeur a appris que le mariage civil des parents de David Giesbrecht n'avait été célébré que plusieurs années après sa naissance.

[10]            En examinant les demandes d'attestation de la citoyenneté canadienne présentées par les enfants en l'espèce, l'agent a estimé que, compte tenu du fait qu'il était apparemment né hors mariage, David Giesbrecht n'avait pas droit à la citoyenneté canadienne. Par conséquent, l'agent a conclu que ni le fils Jacob de David Giesbrecht ni les enfants de Jacob n'avaient le droit de tirer leur citoyenneté canadienne de leur lien avec lui.

[11]            La décision de l'agent de refuser les demandes d'attestation de citoyenneté canadienne des enfants de Jacob fait l'objet de la présente demande de contrôle judiciaire.


Questions en litige

[12]            Les demandeurs soulèvent les questions suivantes dans la présente demande :    

1.          L'agent a-t-il fait erreur en ne concluant pas que le mariage religieux des parents de       David Giesbrecht et la relation maritale subséquente constituaient un mariage valide, avec         le résultat que David Giesbrecht était en réalité né dans les liens du mariage?

2.          L'agent a-t-il commis une erreur en refusant de prendre en considération la demande de            David Giesbrecht visant l'obtention de la citoyenneté canadienne par filiation                     maternelle?

3.          La décision de refuser la citoyenneté aux demandeurs au motif que leur grand-père paternel est né hors du mariage porte-t-elle atteinte à leur droit à l'égalité de traitement garanti par l'article 15 de la Charte canadienne des droits et libertés?

4.          La décision de refuser la citoyenneté aux demandeurs au motif que leur grand-père        paternel est né hors du mariage porte-t-elle atteinte à leur droit à l'égalité de traitement garanti par l'alinéa 1b) de la Déclaration canadienne des droits?

L'agent a-t-il fait erreur en ne concluant pas que le mariage religieux des parents de David Giesbrecht et la relation maritale subséquente constituaient un mariage valide, avec le résultat que David Giesbrecht était en réalité né dans les liens du mariage?

[13]            Les demandeurs soutiennent que le mariage religieux de leurs arrière-grands-parents paternels et la relation maritale subséquente constituaient un mariage valide en vue de l'obtention de la citoyenneté canadienne. Ils affirment, par conséquent, que David Giesbrecht est né dans les liens du mariage et que son fils Jacob et les demandeurs eux-mêmes ont ainsi droit à la citoyenneté canadienne.


[14]            À l'appui de leur prétention, les demandeurs font référence à une série de décisions ontariennes qui établissent qu'un mariage ne sera pas invalidé, même en cas de violation de la Loi sur le mariage de l'Ontario, L.R.O. 1990, ch. M.3, pourvu que les parties se soient mariées de bonne foi et qu'elles aient cohabité par la suite comme mari et femme : voir Luu c. Ma, [1999] O.J. no 493, Freidman c. Smookler, [1964] 1 O.R. 577 (H.C.), et Alspector c. Alspector, [1957] O.R. 454 (C.A. Ont.).

[15]            Bien que j'aie examiné ces décisions, je ne suis pas persuadée qu'elles soient d'une quelconque assistance pour les demandeurs dans la présente affaire. L'article 31 de la Loi sur le mariage de l'Ontario prévoit ce qui suit :

Le mariage est valable, même si le célébrant ntait pas autorisé à le célébrer et même s'il n'y a pas eu de publication de bans ni de délivrance de licence, ou s'il s'est glissé quelque irrégularité dans cette publication ou cette délivrance, quand les parties à la célébration du mariage étaient de bonne foi, désiraient se conformer à la présente loi, ntaient sous le coup d'aucun empêchement légal de contracter mariage et vivent et cohabitent ensemble comme mari et femme depuis le mariage. [Non souligné dans l'original.]

[16]            Rien au dossier dont je dispose ne donne à penser que Anna et Peter Giesbrecht avaient déjà eu l'intention de se conformer à la Loi sur le mariage de l'Ontario dans leur mariage religieux ou qu'ils avaient un lien de quelque nature que ce soit avec la province de l'Ontario.

[17]            De plus, il est bien établi que la validité formelle d'un mariage est régie par les lois du pays où le contrat de mariage a été signé (règle de la lex loci celebrationis) : James G. McLeod, The Conflict of Laws (Calgary : Carswell Legal Publications, 1983), à la page 253.

[18]            En effet, comme le Conseil privé l'a souligné dans Berthiaume c. Dastous, [1930] 1 D.L.R. 849 :

[traduction] S'il existe une question que le droit international règle mieux que les autres, c'est celle qui concerne le mariage¼ locus regit actum. Si un mariage est valable aux termes des lois du pays où il a lieu, il est valable partout dans le monde, peu importe que la procédure ou la cérémonie l'ayant constitué conformément aux lois de l'endroit constituerait ou non un mariage dans le pays du domicile de l'un ou l'autre des époux. Si ledit mariage ne constitue pas un mariage à l'endroit où il est célébré, il n'est valable nulle part, même si la cérémonie ou la procédure était considérée comme un mariage valide à l'endroit du domicile des parties.

[19]            Dans la présente affaire, le mariage en question - celui de Peter et Anna Giesbrecht - a eu lieu au Mexique. Il est bien établi que le Mexique ne reconnaît pas les cérémonies de mariage religieux mais seulement les mariages civils. Par conséquent, j'estime que l'agent de la citoyenneté n'a pas fait erreur en concluant que Peter et Anna Giesbrecht ne s'étaient pas mariés au Mexique avant 1937 et que, pour cette raison, leur fils David était en effet né hors du mariage.

L'agent a-t-il commis une erreur en refusant de prendre en considération la demande de David Giesbrecht visant l'obtention de la citoyenneté canadienne par filiation maternelle?

[20]            Les demandeurs soutiennent que si David Giesbrecht est né hors du mariage, il avait droit à la citoyenneté canadienne par filiation de sa mère qui est née au Canada et que l'agent a fait erreur en ne tenant pas compte de cette possibilité dans l'évaluation de leurs demandes.

[21]            À l'appui de cet argument, les demandeurs invoquent l'alinéa 4b) de la Loi sur la citoyenneté canadienne, S.C. 1946, ch. 15 (la Loi sur la citoyenneté de 1947), qui prescrit ce qui suit :




4. Une personne, née avant l'entrée en vigueur de la présente Loi [avant le ler janvier 1947], est citoyen canadien de naissance...

b) lorsqu'elle est née hors du Canada ailleurs que sur un navire canadien et que son père ou, dans le cas d'une personne née hors du mariage, sa mère

(i) est né (ou née) au Canada ou sur un navire canadien et n'était pas devenu étranger (ou devenue étrangère) lors de la naissance de ladite personne, ou

si, avant l'entrée en vigueur de la présente Loi [avant le ler janvier 1947], ladite personne n'était pas devenue étrangère, et a été licitement admise au Canada en vue d'une résidence permanente ou est mineure.

4. A person, born before the commencement of this Act, is a natural born Canadian citizen...

(b) if he was born outside of Canada elsewhere than on a Canadian ship and his father, or in the case of a person born out of wedlock, his mother,

(i) was born in Canada or on a Canadian ship and had not become an alien at the time of that person's birth ...

if, at the commencement of this Act, that person has not become an alien, and has either been lawfully admitted to Canada for permanent residence or is a minor.

[22]            Au dire des demandeurs, David Giesbrecht satisfaisait aux exigences de cette disposition, parce qu'il est né hors du Canada, hors du mariage, d'une mère canadienne qui n'était pas devenue étrangère à sa naissance. De plus, le 1er janvier 1947, David était mineur et, comme il était étranger depuis sa naissance, il n'est pas « devenu » un étranger.

[23]            Le ministre dit que David Giesbrecht n'était pas un sujet britannique au moment de sa naissance. En tant qu'étranger, il n'a donc pas acquis la citoyenneté canadienne avec l'entrée en vigueur de la Loi sur la citoyenneté de 1947. Même si l'agent de la citoyenneté devait trancher la question du droit à la citoyenneté canadienne par filiation maternelle, à la lumière de sa conclusion selon laquelle David Giesbrecht est né hors du mariage, en droit, la citoyenneté ne pouvait être acquise de cette manière. Par conséquent, cette erreur n'a eu aucun effet sur l'issue de la présente affaire.

[24]            La partie pertinente de la décision prise par l'agent de la citoyenneté, en date du 13 janvier 2004, est rédigée comme suit :

[traduction] David Giesbrecht est né au Mexique le 27 septembre 1933. Son père, Peter Giesbrecht est né au Manitoba le 21 décembre 1902. La demande de citoyenneté canadienne de David Giesbrecht établie en vertu de l'alinéa 4(1)b) de l'ancienne Loi était fondée sur le fait qu'il était néhors du Canada, dans les liens du mariage, d'un père canadien.

[25]            Après avoir conclu que David Giesbrecht n'était pas né dans les liens du mariage, l'agent a conclu qu'il n'avait pas droit à la citoyenneté canadienne. Il ne semble pas que la question de savoir si David Giesbrecht pouvait avoir le droit de réclamer la citoyenneté canadienne par filiation maternelle ait même effleuré l'esprit de l'agent.

[26]            Même si j'estime que l'agent aurait dû trancher cette question, je ne suis pas convaincue que la demande de contrôle judiciaire devrait être accueillie sur ce fondement. Comme je l'expliquerai plus loin, je suis de cet avis parce que j'estime que, si l'agent avait tranché cette question, le résultat aurait été le même.

[27]            David Giesbrecht est né en 1933. À l'époque, la loi pertinente en la matière qui était en vigueur au Canada était la Loi de naturalisation, 1914, R.S.C. 1927, ch. 138. Cette loi ne portait pas sur la citoyenneté canadienne car, à l'époque, cela n'existait pas. Elle précisait plutôt qui était ou n'était pas un sujet britannique.


[28]            La disposition essentielle de la Loi de naturalisation est l'article 3 qui prévoyait que diverses catégories de personnes étaient réputées être des sujets britanniques de naissance. Ces catégories englobaient les personnes nées dans les [traduction] « dominions de Sa Majesté » et toute personne née hors des dominions de Sa Majesté dont le père était sujet britannique au moment de sa naissance. Cette disposition était assortie de plusieurs conditions, mais aucune n'est applicable en l'espèce.

[29]            La Loi de naturalisation ne prévoyait aucune disposition permettant à un enfant d'acquérir le statut de sujet britannique par filiation maternelle, peu importe s'il était né dans les liens du mariage ou hors du mariage.

[30]            Ainsi, à sa naissance, le seul moyen par lequel David Giesbrecht aurait pu acquérir le statut de sujet britannique aurait été par filiation paternelle, mais seulement s'il avait été né dans les liens du mariage.

[31]            Comme il a déjà été conclu que David Giesbrecht est né hors du mariage, au Mexique, il n'était donc pas un sujet britannique au moment de sa naissance. D'après les indications qu'il a inscrites sur un formulaire en 1981, sa naissance au Mexique lui aurait permis d'obtenir la citoyenneté de ce pays.

[32]            La citoyenneté canadienne a été créée avec l'entrée en vigueur de la Loi sur la citoyenneté de 1947, le 1er janvier de la même année. À cette date, puisqu'il était un enfant né à l'étranger, hors du mariage, d'une mère née au Canada, David Giesbrecht devenait admissible à la citoyenneté canadienne, à la condition de ne pas être « devenu étranger » .

[33]            En 1947, David Giesbrecht était un citoyen du Mexique. Il n'était pas un sujet britannique. Par conséquent, il était étranger. Il n'était donc pas devenu étranger. Si j'acceptais l'argument des demandeurs, cette distinction aurait permis à David Giesbrecht de réclamer la citoyenneté canadienne par filiation maternelle.

[34]            Je ne suis toutefois pas convaincue que les demandeurs interprètent correctement l'alinéa 4b) de la Loi sur la citoyenneté de 1947.

[35]            La Cour suprême du Canada a clairement établi que, pour trancher une question d'interprétation législative, il faut lire les termes d'une loi dans leur contexte global en suivant le sens ordinaire et grammatical qui s'harmonise avec l'esprit de la loi, l'objet de la loi et l'intention du législateur : voir Rizzo & Rizzo Shoes Ltd. (Re), [1998] 1 R.C.S. 27, au paragraphe 21.

[36]            Il faut également tenir compte de l'article 12 de la Loi d'interprétation, S.R., ch. I-23, art. 11, qui prévoit que : « [t]out texte est censé apporter une solution de droit et s'interprète de la manière la plus équitable et la plus large qui soit compatible avec la réalisation de son objet » .

[37]            La Loi sur la citoyenneté de 1947 a établi un régime législatif régissant l'octroi et la révocation de la citoyenneté canadienne et le droit à celle-ci. L'examen de la loi dans son ensemble révèle que, même s'il n'était pas nécessaire d'être né au Canada pour avoir droit à la citoyenneté canadienne, il était néanmoins essentiel que la personne en question ait un lien étroit avec le pays, que ce soit en étant né d'un parent canadien vivant à l'étranger, par naturalisation ou par une autre voie.


[38]            Les demandeurs allèguent que l'exigence de ne pas être devenu étranger, laquelle est prévue à l'alinéa 4b) de la Loi sur la citoyenneté de 1947, devrait être interprétée comme signifiant que les personnes qui étaient des étrangers en 1947, et qui avaient toujours été des étrangers, pouvaient obtenir la citoyenneté canadienne si elles étaient en mesure de satisfaire aux autres exigences précisées dans l'article.

[39]            En toute déférence, cette interprétation n'est tout simplement pas logique. En outre, elle est incompatible avec l'esprit de la Loi dans son ensemble. L'interprétation proposée par les demandeurs aurait pour effet de conférer la citoyenneté canadienne à ceux qui étaient étrangers depuis la naissance, mais de la refuser à ceux qui étaient des sujets britanniques depuis la naissance, du fait qu'ils sont nés au Canada, mais qui étaient devenus étrangers avant le 1er janvier 1947.

[40]            En d'autres termes, ceux ayant moins de liens avec le Canada auraient plus facilement droit à la citoyenneté canadienne que ceux ayant beaucoup plus de liens avec ce pays, ce qui est nettement incompatible avec l'esprit de la Loi sur la citoyenneté de 1947 dans son ensemble.

[41]            Par conséquent, j'estime que, pour avoir droit à la citoyenneté canadienne en vertu du sous-alinéa 4b)(i) de la Loi sur la citoyenneté de 1947, l'exigence que la personne en question ne soit pas « devenue étrangère » devrait à juste titre être interprétée comme signifiant que cette personne « n'était pas étrangère » .

[42]            En tant que citoyen du Mexique, David Giesbrecht était étranger le 1er janvier 1947. Il n'avait donc pas le droit d'acquérir la citoyenneté canadienne par filiation maternelle.

[43]            Tel qu'il a été mentionné précédemment, même s'il avait été préférable que l'agent de la citoyenneté tranche cette question dans sa décision, le fait est qu'en vertu des dispositions législatives en matière de citoyenneté en vigueur aux dates pertinentes, David Giesbrecht n'avait pas droit à la citoyenneté canadienne.

[44]            Par conséquent, et sous réserve des arguments des demandeurs relativement à l'égalité qu'il reste à examiner, les petits-enfants de David Giesbrecht n'avaient pas droit d'acquérir la citoyenneté canadienne par le biais de leur grand-père.

[45]            Dans ces circonstances, je ne vois aucun avantage à annuler la décision sur ce fondement, puisque, en droit, le résultat serait inévitablement le même : voir Mobil Oil Canada Ltd. c. Office Canada-Terre-Neuve des hydrocarbures extracôtiers, [1994] 1 R.C.S 202, à la page 228, et Yassine c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1994), 172 N.R. 308 (CAF).

La décision de refuser la citoyenneté aux demandeurs au motif que leur grand-père paternel est né hors du mariage porte-t-elle atteinte à leur droit à l'égalité de traitement garanti par l'article 15 de la Charte canadienne des droits et libertés?


[46]            Par avis de question constitutionnelle, les demandeurs contestent la validité, l'applicabilité ou l'effet constitutionnel des alinéas 3(1)d), 3(1)e) et 5(2)b) de la Loi sur la citoyenneté, L.R.C., ch. C-29 (la Loi sur la citoyenneté de 1977). Ils soutiennent que ces dispositions violent l'article 15 de la Charte canadienne des droits et libertés, en ce sens qu'elles perpétuent les effets discriminatoires de la Loi sur la citoyenneté de 1947 et de la Loi sur la citoyenneté, S.R., ch. 33, art. 1 (la Loi sur la citoyenneté de 1970), qui réservaient aux personnes nées hors du mariage un traitement différent de celui dont bénéficiaient les personnes nées dans les liens du mariage.

[47]            Selon les demandeurs, la Loi sur la citoyenneté actuelle restreint leur droit à la citoyenneté. Les lois antérieures établissaient des distinctions fondées sur le sexe et l'état matrimonial des parents d'un demandeur, ces distinctions discriminatoires se perpétuant dans la législation actuelle en matière de citoyenneté.

[48]            Le cadre d'analyse à appliquer pour évaluer si des dispositions législatives violent l'article 15 de la Charte a été défini par la Cour suprême du Canada dans Law c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1999] 1 R.C.S. 497. L'application de ce cadre aux faits en l'espèce, au dire des demandeurs, mène à la conclusion que la loi actuelle a pour effet de leur refuser la citoyenneté d'une manière qui dénote des opinions stéréotypées fondées sur leurs caractéristiques personnelles, encourageant ainsi l'opinion que les personnes nées hors du mariage sont moins dignes d'être reconnues en tant que membres de la société canadienne.

[49]            Les demandeurs affirment que cette distinction ne constitue pas une limite raisonnable dans une société libre et démocratique et qu'elle ne peut être sauvegardée par les dispositions de l'article premier de la Charte.


Dispositions législatives pertinentes

[50]            Les demandeurs contestent la constitutionnalité des alinéas 3(1)d), 3(1)e) et 5(2)b) de la Loi sur la citoyenneté de 1977. Ces dispositions sont rédigées comme suit :

3. (1) Sous réserve des autres dispositions de la présente loi, a qualité de citoyen toute personne:

d) ayant cette qualité au 14 février 1977;

e) habile, au 14 février 1977, à devenir citoyen aux termes de l'alinéa 5(1)b) de l'ancienne loi.

5.(2) Le ministre attribue en outre la citoyenneté :

b) sur demande qui lui est présentée par la personne qui y est autorisée par règlement et avant le 15 février 1979 ou dans le délai ultérieur qu'il autorise, à la personne qui, née à l'étranger avant le 15 février 1977 d'une mère ayant à ce moment-là qualité de citoyen, n'était pas admissible à la citoyenneté aux termes du sous-alinéa 5(l)b)(i) de l'ancienne loi.

s. 3(1) Subject to this Act, a person is a citizen if

(d) the person was a citizen immediately before February 15, 1977; or

(e) the person was entitled, immediately before February 15, 1977, to become a citizen under paragraph 5(1)(b) of the former Act.

5(2)(b) The Minister shall grant citizenship to any person who

(b) was born outside of Canada, before February 15, 1977, of a mother who was a citizen at the time of his birth, and was not entitled, immediately before before February 15, 1977, to become a citizen under subparagraph 5(1)(b)(i) of the former Act, if, before before February 15, 1979, or within such extended period as the Minister may authorize, an application for citizenship is made to the Minister by a person authorized by regulation to make the application.

[51]            L'alinéa 3(1)b) de la Loi sur la citoyenneté de 1977 revêt également de l'importance dans la présente demande. Le refus d'accorder aux demandeurs la citoyenneté canadienne était fondé sur cette disposition. L'alinéa 3(1)b) prévoit :

3. (1) Sous réserve des autres dispositions de la présente loi, a qualité de citoyen toute personne :

b) née à l'étranger après le 14 février 1977 d'un père ou d'une mère ayant qualité de citoyen au moment de la naissance;

s. 3(1) Subject to this Act, a person is a citizen if

(b) the person was born outside of Canada after February 14, 1977 and at the time of his birth one of his parents, other than a parent who adopted him, was a citizen.


Analyse

[52]            Le paragraphe 15(1) de la Charte dispose :

15. (1) La loi ne fait acception de personne et s'applique également à tous, et tous ont droit à la même protection et au même bénéfice de la loi, indépendamment de toute discrimination, notamment des discriminations fondées sur la race, l'origine nationale ou ethnique, la couleur, la religion, le sexe, l'âge ou les déficiences mentales ou physiques.

15. (1) Every individual is equal before and under the law and has the right to the equal protection and equal benefit of the law without discrimination and, in particular, without discrimination based on race, national or ethnic origin, colour, religion, sex, age or mental or physical disability.

[53]            Avant d'aborder la question de savoir si les demandeurs se sont vu refuser l'égalité de bénéfice de la loi en violation de l'article 15 de la Charte, il faut examiner une question préliminaire. Ainsi, la Cour doit déterminer si le but recherché par les demandeurs dans la présente affaire correspond à une application rétrospective ou rétroactive de la Charte, compte tenu du fait que l'article 15 n'est entré en vigueur qu'en 1985.

[54]            Une loi « rétroactive » modifie les effets antérieurs d'une situation passée, alors qu'une loi « rétrospective » change les conséquences futures d'une situation antérieure : voir Ruth Sullivan, Sullivan & Dreidger on the Construction of Statutes (Markham : Butterworths Canada Ltd., 2002), à la page 548.


[55]            Le point de départ de l'analyse doit être la décision de la Cour suprême du Canada dans Benner c. Canada (Secrétaire d'État), [1997] 1 R.C.S. 358. Dans Benner, la Cour suprême a été invitée à se pencher sur la demande de citoyenneté canadienne d'un homme né en 1962, dans les liens du mariage, d'une mère canadienne et d'un père américain. En vertu de la Loi sur la citoyenneté de 1977, un enfant né d'une mère étrangère et d'un père canadien avait droit à la citoyenneté canadienne de plein droit, alors qu'un enfant né d'une mère canadienne et d'un père étranger devait faire l'objet d'une enquête de sécurité pour revendiquer la citoyenneté canadienne.

[56]            M. Benner a subi les inconvénients de cette distinction puisque, ayant été accusé de nombreux actes criminels, il a échoué à l'enquête de sécurité.

[57]            La Cour suprême a fait remarquer que la Charte ne peut être appliquée rétrospectivement. Dans son analyse en vue de déterminer si le but recherché par M. Benner était une application rétrospective de l'article 15 de la Charte, la Cour a affirmé que cela dépendait en fait de la façon dont la question était caractérisée. Autrement dit, la Cour devait décider si on lui demandait de revenir en arrière et de corriger un événement passé, survenu avant que la Charte crée le droit revendiqué, ou d'apprécier l'application actuelle d'un texte de loi qui a été édicté avant l'entrée en vigueur de la Charte.

[58]            Reconnaissant que cette distinction n'est pas toujours nette, la Cour a ensuite dit que, pour trancher cette question, un tribunal doit déterminer si l'élément le plus important de l'affaire est l'événement passé ou la condition en cours qui en résulte.

[59]            Cela dépendra en grande partie des faits du cas particulier à l'étude.      

[60]            Dans Benner, la Cour a conclu que c'était le statut d'enfant né à l'étranger avant 1977, d'une mère canadienne et d'un père américain, qui était en cause pour M. Benner. Il s'agissait d'une caractéristique immuable acquise à la naissance.

[61]            Même si M. Benner est né avant l'entrée en vigueur de l'article 15 de la Charte, son statut d'enfant né d'une mère canadienne et d'un père américain était un statut permanent. La question importante n'était pas de savoir à quel moment M. Benner avait acquis ce statut mais bien à quel moment ce statut lui a été reproché. Dans le cas de M. Benner, ce moment était celui où sa demande d'attestation de la citoyenneté a été examinée et rejetée. Cet événement s'est produit après l'entrée en vigueur de l'article 15 et était donc susceptible d'examen en regard de la Charte.

[62]            La Cour a en outre rejeté l'argument selon lequel M. Benner tentait d'invoquer, à son propre profit, la violation des droits d'une autre personne. À cet égard, le juge Marceau de la Cour d'appel fédérale avait estimé que ce n'était pas le sexe de l'enfant qui était important, mais que c'était plutôt le sexe du parent canadien qui était le facteur déterminant. Au contraire, la Cour suprême du Canada a jugé que M. Benner lui-même était la cible principale de la discrimination fondée sur le sexe. En arrivant à cette conclusion, la Cour a pris soin de souligner que cela ne créait pas un principe général de « discrimination par association » , en faisant remarquer que le lien entre un enfant et son père ou sa mère avait un caractère particulièrement unique et intime.

[63]            La Cour a ensuite ajouté ce qui suit :


[85] Lorsque l'accès à des avantages tels que la citoyenneté est restreint pour un motif aussi intimement lié à un demandeur et aussi indépendant de sa volonté que le sexe de celui de ses parents qui est canadien, le demandeur peut, à mon avis, invoquer la protection de l'art. 15. Comme l'a souligné le juge Linden, dans sa dissidence en Cour d'appel fédérale, à la p. 277, « [d]ans ce cas, la discrimination contre la mère est injustement portée sur l'enfant. Pareille discrimination est certainement aussi injuste que si elle vise l'enfant directement » .

[64]            Dans Augier c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2004] A.C.F. no 761, le juge Mosley a été invité à examiner la demande d'une personne née en 1966, hors du Canada, d'un père canadien et d'une mère étrangère. En concluant que M. Augier avait droit à la protection de l'article 15 de la Charte, le juge Mosely a fait remarquer que la loi en cause établissait une distinction formelle entre M. Augier et d'autres personnes en raison de l'état matrimonial de ses parents au moment de sa naissance, en combinaison avec le sexe du parent canadien. De l'avis du juge Mosley, la loi traitait M. Augier comme s'il était moins digne de la citoyenneté canadienne parce qu'il était né hors du mariage.

[65]            Contrairement aux situations analysées dans Benner et Augier, je suis d'avis qu'en l'espèce, les demandeurs tentent en effet de s'appuyer sur la violation des droits d'une autre personne pour leur propre profit. Dans Benner et Augier, les demandeurs étaient eux-mêmes présumés être moins dignes de la citoyenneté canadienne eu égard aux circonstances de leur naissance, alors qu'en l'espèce, les demandeurs ne constituent pas la cible principale de la discrimination autorisée par l'ancienne loi.

[66]            La cible principale des dispositions législatives discriminatoires relativement au droit à la citoyenneté en l'espèce était le grand-père des enfants, David Giesbrecht. C'est lui qui était présumé être moins digne de la citoyenneté canadienne du fait qu'il était né hors du mariage, et non les demandeurs eux-mêmes.

[67]            Les demandeurs doivent s'appuyer sur les lois en vigueur au moment où les demandes d'attestation de citoyenneté ont été rejetées, à savoir en 2004 : voir Mack c. Canada (Attorney General) (2002), 60 O.R. (3d) 737 (C.A. Ont.).

[68]            Dans cette affaire, les demandeurs se sont vu refuser la citoyenneté canadienne en vertu de l'alinéa 3(1)b) de la Loi sur la citoyenneté actuelle.

[69]            Contrairement aux dispositions législatives en cause dans Benner et Augier, l'alinéa 3(1)b) n'établit aucune distinction fondée sur l'état matrimonial des parents d'un demandeur. Dans ce cas, les demandeurs se sont vu refuser les certificats de citoyenneté, non pas parce que leur grand-père était né hors du mariage, mais parce qu'ils étaient nés hors du Canada et que ni l'un ni l'autre de leurs parents n'était citoyen canadien.

[70]            Même si je ne cherche d'aucune manière à minimiser la discrimination à laquelle les personnes nées hors du mariage se sont heurtées au cours de la première moitié du siècle dernier, le fait est que les demandeurs cherchent à obtenir en l'espèce le redressement d'un tort commis dans le passé, lequel s'est produit bien avant l'entrée en vigueur de l'article 15 de la Charte.

[71]            En effet, les dispositions de la Loi de naturalisation de 1914 constituent la source réelle de la discrimination en cause en l'espèce. Elles ont empêché David Giesbrecht de devenir un sujet britannique. Cela a eu pour effet de lui donner le statut d'étranger lorsque la Loi sur la citoyenneté de 1947 est entrée en vigueur et de lui refuser ainsi la citoyenneté canadienne.

[72]          En l'espèce, les demandeurs cherchent non seulement à donner à la Charte un effet rétrospectif mais également à lui donner un effet rétroactif. En d'autres termes, ils cherchent à changer les conséquences passées des dispositions législatives abrogées, de manière à conférer ex post facto la citoyenneté canadienne à David Giesbrecht. La Charte ne s'applique pas rétroactivement : voir Benner, au paragraphe 40, et Mack.

[73]            Comme la Cour d'appel de l'Ontario l'a mentionné dans Mack, les effets négatifs de la discrimination peuvent se faire sentir pendant des générations. Cela ne signifie pas toutefois que les descendants des victimes de discrimination par le passé ont droit à une réparation fondée sur l'article 15, lorsque cette réparation dépend d'une application rétroactive de la Charte.

[74]            Par conséquent, j'estime que l'article 15 de la Charte n'aide pas les demandeurs.

La décision de refuser la citoyenneté aux demandeurs au motif que leur grand-père paternel est né hors du mariage porte-t-elle atteinte à leur droit à l'égalité de traitement garanti par l'article 1b) de la Déclaration canadienne des droits?

[75]            L'alinéa 1b) de la Déclaration canadienne des droits dispose :

1. Il est par les présentes reconnu et déclaré que les droits de l'homme et les libertés fondamentales ci-après énoncés ont existé et continueront à exister pour tout individu au Canada quels que soient sa race, son origine nationale, sa couleur, sa religion ou son sexe:

b) le droit de l'individu à l'égalité devant la loi et à la protection de la loi ...

1. It is hereby recognized and declared that in Canada there have existed and continue to exist without discrimination by reason of race, national origin, colour, religion or sex, the following human rights and fundamental freedoms, namely,

(b) the right of the individual to equality before the law and the protection of the law...

[76]            Comme je l'ai mentionné à la section précédente, je suis d'avis que la discrimination en cause en l'espèce a pour origine le traitement défavorable réservé à ceux nés hors du mariage par la Loi de naturalisation de 1914.

[77]            Promulguée en 1960, la Déclaration canadienne des droits bénéficie d'un statut quasi constitutionnel et, en conséquence, elle peut avoir pour effet de rendre d'autres lois inopérantes, dans la mesure où celles-ci sont incompatibles avec ses dispositions, à moins qu'il ne soit déclaré expressément dans l'autre loi que celle-ci s'applique nonobstant la Déclaration canadienne des droits : Authorson c. Canada (Procureur général), [2003] 2 R.C.S. 40, au paragraphe 32.

[78]            Toutefois, la Loi de naturalisation de 1914 a été abrogée bien avant 1960. Par conséquent, encore une fois, pour accorder aux demandeurs la réparation demandée, l'application rétroactive de la Déclaration canadienne des droits serait nécessaire.

[79]            Il existe une forte présomption à l'encontre de l'application rétroactive et cette présomption n'est pas réfutée par le libellé de la Déclaration canadienne des droits. Par conséquent, je suis d'avis que la Déclaration canadienne des droits ne peut venir en aide aux demandeurs dans la présente affaire.


[80]            De plus, le but recherché par les demandeurs en l'espèce est le droit à l'égalité de bénéfice de la loi. Comme la Cour d'appel fédérale l'a clairement établi dans Bear c. Canada (Procureur général), [2003] A.C.F. no 96, autorisation de pourvoi refusée par [2003] S.C.C.A. no 115, contrairement à l'article 15 de la Charte, l'alinéa 1b) de la Déclaration canadienne des droits ne garantit pas le bénéfice égal de la loi, mais elle garantit simplement l'égalité dans l'application de la loi.

[81]            Par conséquent, j'estime que les demandeurs n'ont droit à aucune réparation en vertu des dispositions de la Déclaration canadienne des droits.

Conclusion

[82]            Pour ces motifs, la demande est rejetée.

                                                                ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE que la demande de contrôle judiciaire soit rejetée.

« Anne Mactavish »

Juge

Traduction certifiée conforme

Thanh-Tram Dang, B.C.L., LL.B


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                                T-543-04

INTITULÉ :                                                                 DEBBIE STEPHANIE GIESBRECHT VELETA et al.

c.

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

LIEU DE L'AUDIENCE :                                        TORONTO

DATE DE L'AUDIENCE :                                       LE 6 AVRIL 2005

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                                               LA JUGE MACTAVISH

DATE DES MOTIFS :                                              LE 27 AVRIL 2005

COMPARUTIONS :                                                 

Gregory J. Willoughby                                               POUR LES DEMANDEURS

Sean Stynes

Greg George                                                              POUR LE DÉFENDEUR

Allison Phillips

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Gregory J. Willoughby                                               POUR LES DEMANDEURS

Toronto (Ontario)

John H. Sims, c.r.                                                       POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

Ministère de la Justice

Toronto (Ontario)

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