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Date : 20210826


Dossier : T-627-20

Référence : 2021 CF 889

Ottawa (Ontario), le 26 août 2021

En présence de monsieur le juge Sébastien Grammond

ENTRE :

LYNE BRASSARD

demanderesse

et

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

(IMMIGRATION, RÉFUGIÉS ET CITOYENNETÉ CANADA ET EMPLOI ET DÉVELOPPEMENT SOCIAL CANADA)

défendeur

ORDONNANCE ET MOTIFS

[1] La demanderesse interjette appel d’une ordonnance rendue par la protonotaire Sylvie M. Molgat le 30 juin 2021. Par cette ordonnance, la protonotaire Molgat ordonnait que soit tenu un examen de l’état de l’instance.

[2] Je rejette l’appel de la demanderesse. Eu égard au défaut de la demanderesse de déposer ses documents dans les délais impartis, la décision de la protonotaire était tout à fait raisonnable.

I. Contexte

[3] La demanderesse a intenté une action simplifiée contre le défendeur. Le défendeur a déposé une défense puis la demanderesse, une réplique. La demanderesse a ensuite présenté une requête visant à obtenir la tenue d’une séance de conciliation. Estimant qu’une telle séance ne pourrait être bénéfique qu’après l’échange des documents des parties, le protonotaire Kevin R. Aalto a rejeté la requête et a ordonné que l’instance se poursuive à titre d’instance à gestion spéciale, comme le prévoit la règle 384 des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106. Le protonotaire Aalto priait également les parties de fournir leurs disponibilités pour une conférence de gestion de l’instance. Le juge en chef a ensuite nommé la protonotaire Molgat à titre de juge responsable de la gestion de l’instance.

[4] Le 28 janvier 2021, la protonotaire Molgat a fixé la tenue de la conférence de gestion de l’instance au lundi 22 mars 2021. Le 19 février 2021, elle a également déterminé un échéancier des étapes suivantes de l’instance, notamment l’échange des documents des parties le 15 mars 2021 et l’échange des interrogatoires préalables le 15 avril 2021.

[5] Le vendredi 19 mars 2021, en soirée, la demanderesse a transmis un courriel au greffe de la Cour, affirmant qu’un important engagement l’empêchait de participer à la conférence de gestion de l’instance du lundi suivant et sollicitant le report de la conférence à une date dans les semaines suivantes.

[6] La conférence de gestion de l’instance s’est tout de même tenue le 22 mars 2021, en l’absence de la demanderesse. L’ordonnance rendue par la protonotaire Molgat se borne à constater le défaut de la demanderesse de produire ses documents dans les délais impartis et à fixer un nouvel échéancier. Ainsi, la date de dépôt des documents était fixée au 1er avril 2021 et la date d’échange des interrogatoires, au 26 avril 2021.

[7] La demanderesse a transmis au défendeur une liste de ses documents le 30 mars 2021. Elle a également transmis un interrogatoire préalable le 20 avril 2021. Cependant, elle n’a jamais transmis une copie de ses documents.

[8] Le 3 mai 2021, la protonotaire Molgat a émis une directive demandant aux parties de fournir leurs disponibilités pour la tenue d’une conférence de gestion de l’instance au cours des semaines suivantes. N’ayant pas reçu de réponse de la demanderesse dans le délai imparti, la protonotaire a, le 6 mai 2021, émis une nouvelle directive demandant à nouveau à la demanderesse de fournir des disponibilités. De plus, constatant le défaut de la demanderesse de transmettre ses documents, la protonotaire a suspendu les échéances relatives aux étapes subséquentes de l’instance.

[9] Le 2 juin 2021, constatant que la demanderesse n’avait toujours pas transmis ses documents au défendeur, la protonotaire a émis une ordonnance fixant un nouvel échéancier. Quant à la question des documents, cet échéancier prévoyait ceci :

La demanderesse devra, au plus tard le 15 juin 2021, produire et signifier au défendeur des copies (copie papier ou électronique) de ses documents, à défaut de quoi la Cour pourra ordonner que soit tenu un examen de l’état de l’instance en vertu de la règle 385(2) des Règles des Cours fédérales.

[10] Le 30 juin 2021, constatant que la demanderesse n’avait toujours pas transmis ses documents, la protonotaire a rendu l’ordonnance qui fait l’objet du présent appel. La demanderesse a présenté sa requête en appel le 5 juillet 2021, à l’intérieur du délai de 10 jours prévu à la règle 51(2).

II. Moyens d’appel

[11] Dans son avis de requête, la demanderesse identifie trois moyens d’appel. Premièrement, la protonotaire Molgat aurait violé les droits procéduraux de la demanderesse en tenant la conférence de gestion de l’instance du 22 mars 2021 en son absence et en ne lui fournissant pas les informations techniques nécessaires pour y participer. Deuxièmement, la demanderesse affirme avoir été tenue dans l’ignorance quant au rôle de la protonotaire Molgat. Troisièmement, la protonotaire Molgat effectuerait une « micro-gestion » de l’instance et aurait violé les droits de la demanderesse.

[12] La requête est appuyée d’un affidavit de la demanderesse, qui fait était de diverses conversations avec le personnel du greffe ou du Service administratif des tribunaux judiciaires. La demanderesse affirme qu’elle recevait plus rapidement des réponses du greffe avant que l’instance ne soit placée en gestion spéciale. Elle affirme également qu’elle a déposé une plainte contre la protonotaire Molgat, sans donner plus de précisions à cet égard.

[13] L’argumentaire de la demanderesse reprend les éléments mentionnés dans l’affidavit. La demanderesse affirme également être insatisfaite du service qu’elle reçoit du greffe de la Cour. Elle se plaint du manque d’information quant à la gestion spéciale de l’instance et à la tenue de la conférence de gestion de l’instance du 22 mars 2021. Elle s’oppose à ce que la protonotaire Molgat demeure juge responsable de la gestion spéciale de l’instance.

III. Analyse

[14] Il convient d’abord de cerner la portée d’un appel d’une décision d’un protonotaire en vertu de la règle 51. Lorsqu’une instance fait l’objet d’une gestion spéciale, le protonotaire est appelé à rendre des décisions décrites à la règle 385 à diverses étapes de l’instance. Chaque décision peut faire l’objet d’un appel distinct. Si une décision n’est pas portée en appel, il n’est pas possible de la remettre en cause lors de l’appel d’une décision subséquente : Onischuk c Canada (Agence du revenu), 2021 CF 486 au paragraphe 9.

[15] Le rôle du juge saisi d’un appel d’une décision rendue par un protonotaire est de déterminer si celui-ci a énoncé correctement la règle applicable et de d’assurer qu’il n’a pas commis d’erreur manifeste et déterminante dans son application : Corporation de soins de la santé Hospira c Kennedy Institute of Rheumatology, 2016 CAF 215, [2017] 1 RCF 331. L’exercice commande la retenue face à l’exercice raisonnable d’un pouvoir discrétionnaire de gestion de l’instance.

[16] De plus, l’appel d’une décision rendue par un protonotaire n’est pas le véhicule approprié pour présenter des plaintes concernant la qualité du service fourni par le personnel du greffe.

[17] L’analyse de l’appel doit donc se concentrer sur l’ordonnance rendue par la protonotaire Molgat le 30 juin 2021. Celle-ci était autorisée par la règle 385(2), qui se lit ainsi :

385 […] (2) Le juge responsable de la gestion de l’instance ou le protonotaire visé à l’alinéa 383c) peut, à tout moment, ordonner que soit tenu un examen de l’état de l’instance en conformité avec la présente partie.

385 […] (2) A case management judge or a prothonotary assigned under paragraph 383(c) may, at any time, order that a status review be held in accordance with this Part.

[18] Cette règle ne limite pas les motifs pour lesquels un protonotaire peut ordonner un examen de l’état de l’instance. Il était tout à fait raisonnable que la protonotaire Molgat se fonde sur le défaut de la demanderesse de transmettre ses documents, après avoir été rappelée à l’ordre plusieurs fois. J’ajouterais que la protonotaire a fait preuve de patience envers la demanderesse en repoussant à plusieurs reprises les échéances. Elle a également donné un avertissement clair, dans son ordonnance du 2 juin 2021, que le défaut de respecter l’échéance finale conduirait à un examen de l’état de l’instance.

[19] Dans le processus qui a conduit à l’ordonnance du 30 juin 2021, je ne décèle aucune violation des droits procéduraux de la demanderesse. Le dossier déposé par le défendeur démontre amplement que la demanderesse est demeurée en communication constante avec l’avocate du défendeur et le greffe de la Cour. La demanderesse savait qu’elle devait transmettre ses documents au défendeur, mais ne l’a pas fait. Dans son dossier de requête, elle ne donne aucune explication à cet égard.

[20] La demanderesse n’a pas interjeté appel de l’ordonnance rendue par la protonotaire au terme de la conférence de gestion de l’instance du 22 mars 2021. Il n’est pas possible de remettre en question cette ordonnance dans le cadre du présent appel. De toute manière, cette ordonnance se bornait à donner plus de temps à la demanderesse pour effectuer diverses démarches prévues par les Règles. J’ajouterai simplement que les explications que la demanderesse donne aujourd’hui pour justifier son absence diffèrent de celles qu’elle a données à l’époque.

[21] Dans le cadre du présent appel, je ne peux examiner la décision du juge en chef de désigner la protonotaire Molgat à titre de juge responsable de la gestion de l’instance. La règle 383 accorde au juge en chef, et à lui seul, le pouvoir de désigner un juge responsable de la gestion de l’instance. Il ne m’appartient pas de réviser ou de modifier sa décision.

[22] Enfin, les allégations de la demanderesse selon lesquelles la protonotaire Molgat aurait violé ses droits garantis par les articles 7 et 15 de la Charte canadienne des droits et libertés sont entièrement dénuées de fondement.

IV. Conclusion

[23] L’appel de l’ordonnance rendue le 30 juin 2021 par la protonotaire Molgat sera donc rejeté.

[24] Le défendeur réclame ses dépens et je ne vois aucune raison de m’écarter de la règle habituelle selon laquelle la partie perdante est condamnée aux dépens. J’estime qu’une somme forfaitaire de 250 $ est appropriée à ce titre.


ORDONNANCE dans le dossier T-627-20

LA COUR ORDONNE que :

1. L’appel de l’ordonnance rendue par la protonotaire Molgat le 30 juin 2021 est rejeté.

2. La demanderesse est condamnée à payer au défendeur la somme de 250 $ à titre de dépens, incluant taxes et débours.

« Sébastien Grammond »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


 

Dossier :

T-627-20

INTITULÉ :

LYNE BRASSARD c PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA (IMMIGRATION, RÉFUGIÉS ET CITOYENNETÉ CANADA ET EMPLOI ET DÉVELOPPEMENT SOCIAL CANADA)

REQUÊTE ÉCRITE EXAMINÉE À Ottawa (Ontario) CONFORMÉMENT À L’ARTICLE 369 DES RÈGLES

ORDONNANCE ET MOTIFS :

LE JUGE GRAMMOND

DATE DES MOTIFS :

LE 26 AOÛT 2021

COMPARUTIONS :

Lyne Brassard

(pour elle-même)

Pour la demanderesse

 

Amani Delbani

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

Pour le défendeur

 

 

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