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Date : 20010827

Dossier : T-792-00

Référence neutre : 2001 CFPI 951

ENTRE :

                                                  EXPRESS HÂVRE ST-PIERRE LTÉE

                                                                                                 Partie demanderesse - intimée

                                                                          - et -

                                                                DENIS LEBLANC

                                                                                                Partie défenderesse - requérant

                                                                          - et -

                                                               ROBERT DEBLOIS

                                                                                          Partie défenderesse - mis en cause

                                   MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

LE JUGE TREMBLAY-LAMER:

[1]                Il s'agit d'une requête visant à obtenir l'exécution par équivalent de la décision de l'arbitre François G. Fortier rendue le 16 mars 1999 faisant droit à la plainte pour congédiement injuste déposée par le requérant Denis Leblanc en vertu de l'article 240 du Code canadien du travail, L.R.C. (1985), ch. L-2 (le "Code").


[2]                Plus particulièrement, le requérant désire obtenir l'exécution par équivalent de l'ordonnance de réintégration, c'est-à-dire que soient déterminés les montants qui lui sont dus par l'employeur intimé, Express Hâvre St-Pierre Ltée, pour ne pas avoir respecté l'ordonnance de réintégration.

FAITS

[3]                Le requérant était à l'emploi de l'intimé à titre de chauffeur jusqu'au 8 mai 1997, date à laquelle il fut congédié. Le requérant a par la suite déposé une plainte pour congédiement injuste qui a été jugée fondée par l'arbitre Fortier le 16 mars 1999.

[4]                Plus particulièrement, l'arbitre Fortier a annulé le congédiement du requérant, il a substitué le congédiement en suspension d'un mois jusqu'au 7 juin 1997, il a ordonné sa réintégration et il a ordonné à l'intimé de verser au requérant le salaire dont il a été privé depuis le 7 juin 1997 jusqu'à sa réintégration. L'arbitre Fortier a conservé juridiction pour déterminer les sommes dues advenant mésentente entre les parties à ce sujet.

[5]                Le poste de chauffeur du requérant aurait été aboli le ou vers le 1er avril 1999 à la suite d'une restructuration de la compagnie de l'intimé. Le requérant a formulé une nouvelle plainte de congédiement injuste le 21 juin 1999.


[6]                Les parties n'ont pu s'entendre quant aux sommes dues au requérant. Elles se sont donc présentées à nouveau devant l'arbitre Fortier qui a rendu une décision datée du 18 août 1999 fixant le quantum des dommages pour la période comprise entre le 7 juin 1997 et le 1er avril 1999, soit jusqu'à la date visée par la nouvelle plainte de congédiement injuste. L'intimé a payé les sommes déterminées par l'arbitre Fortier en date du 16 septembre 1999.

[7]                La nouvelle plainte de congédiement injuste a été entendue le 16 février 2000 par l'arbitre Robert Deblois. L'arbitre Deblois a conclu dans sa décision datée du 17 avril 2000 que le requérant avait été victime d'un congédiement injuste et il a donc ordonné le paiement d'une indemnité en faveur du requérant.

[8]                L'intimé a présenté une demande de contrôle judiciaire de la décision de l'arbitre Deblois qui a été accueilli par le juge Rouleau en date du 20 juin 2001 au motif que l'arbitre Deblois n'avait pas compétence pour se saisir de l'affaire et que le requérant pouvait demander l'exécution par équivalent de l'ordonnance de l'arbitre Fortier. Le juge Rouleau s'exprimait ainsi:

36            En l'espèce, la première ordonnance de l'arbitre [Fortier] a été déposée le 3 juin 1999 (p. 112 du dossier du défendeur), de sorte que le défendeur pouvait se prévaloir des recours en exécution forcée devant la Cour fédérale. Il aurait pu demander l'exécution en nature ou par équivalent, mais ne l'a pas fait.

37             Ceci entraîne des conséquences fâcheuses pour le défendeur. La seconde décision arbitrale [de l'arbitre Deblois] doit être complètement annulée, alors même qu'il semble bien qu'elle soit bien fondée, du moins quant à l'appréciation de la preuve et quant au fond du litige. Accorder la présente demande de contrôle judiciaire aura pour effet de retourner le dossier devant cette Cour qui sera saisie d'un nouveau recours en exécution forcée. Il a fort à parier que le résultat sera le même en bout de ligne.


38             Le second arbitre [Deblois] n'avait donc pas compétence pour se saisir de l'affaire. J'ajoute immédiatement que de nombreuses erreurs sont survenues dans ce dossier, tant de la part des décideurs que de la part des parties, de sorte que le défendeur ne devrait pas avoir à souffrir de payer des frais en raison de la procédure intentée par erreur devant le second arbitre [Deblois] et devant cette Cour.

39             La décision de l'arbitre François G. Fortier ayant été déposée au greffe de la Cour fédérale et cette ordonnance ayant valeur de jugement, j'accorde au défendeur Denis Leblanc jusqu'au 1er octobre 2001 pour poursuivre son recours en exécution forcée et je ne permets aucun recours à la demanderesse à l'encontre du défendeur Denis Leblanc jusqu'à ce que jugement soit rendu par cette Cour relativement à sa poursuite en exécution forcée.

[9]                Le requérant a donc déposé la présente requête afin d'obtenir l'exécution par équivalent de la décision de l'arbitre Fortier rendue le 16 mars 1999.

PRÉTENTIONS

           Requérant

[10]            Compte tenu des motifs exposés dans le jugement du juge Rouleau, le requérant veut faire exécuter la décision de l'arbitre Fortier du 16 mars 1999 afin d'obtenir le même résultat que ce que lui accordait l'arbitre Deblois qui a entendu la deuxième plainte de congédiement injuste.


[11]            Dans un cas très clair comme celui-ci, où il ressort que l'intimé a prétendu avoir aboli le poste du requérant pour éviter de se conformer à la décision de l'arbitre Fortier ordonnant sa réintégration, le requérant soumet que la Cour peut condamner l'intimé à exécuter la décision de l'arbitre Fortier par équivalent, soit à payer au requérant l'équivalent du salaire perdu, en vertu des dispositions relatives à l'exécution forcée des ordonnances prévues aux Règles de la Cour Fédérale, DORS/98-106 (les Règles).

           Intimé

[12]            Selon l'intimé, le requérant tente de faire revivre la décision de l'arbitre Deblois qui a été annulée par le juge Rouleau et de se servir du dispositif de cette décision pour exécuter une ordonnance de réintégration à laquelle il a renoncé au profit d'autres procédures judiciaires.

[13]            L'intimé souligne d'abord que toutes les démarches juridiques entreprises par le requérant dans le cadre de sa deuxième plainte de congédiement injuste sont postérieures au dépôt de la décision de l'arbitre Fortier rendue le 16 mars 1999 au greffe de cette Cour.

[14]            L'intimé prétend ensuite que le requérant a renoncé à toutes fins que de droit à l'ordonnance de réintégration du 16 mars 1999 en déposant une deuxième plainte de congédiement injuste et en limitant ainsi volontairement la juridiction de l'arbitre Fortier.

[15]            De plus, selon l'intimé, le fait que la deuxième plainte de congédiement injuste a été annulée ne peut faire revivre le droit de réintégration auquel le requérant a renoncé volontairement dans les faits et par actes juridiques.


[16]            L'intimé soutient également que l'exécution par équivalence recherchée par le requérant aurait pu être obtenue en s'adressant en temps opportun à l'arbitre Fortier en vertu de l'article 242 (4c) du Code.

[17]            L'intimée fait remarquer qu'il a satisfait entièrement à la décision de l'arbitre Fortier qui a exercé complètement sa juridiction dans le cadre imposé et choisi par le requérant suite au dépôt de sa seconde plainte de congédiement injuste et qu'aucune autre procédure ne peut être entreprise sur cette base.

[18]            D'ailleurs, le procureur du requérant a confirmé, par lettre datée du 30 septembre 1999, de façon non équivoque au procureur de l'intimé que toutes sommes dues suites aux décisions du 16 mars et 18 août 1999 de l'arbitre Fortier avaient été dûment payées.

QUESTION EN LITIGE

           Est-ce que la Cour peut ordonner l'exécution par équivalent de la décision de l'arbitre Fortier rendue le 16 mars 1999 ?

ANALYSE

[19]            La décision de l'arbitre Fortier du 16 mars 1999 a été déposée au greffe de la Cour fédérale et cette ordonnance a valeur de jugement. En l'espèce, elle prévoyait la réintégration du requérant ainsi que le versement d'une indemnité pour la période comprise entre le 7 juin 1997 jusqu'à sa réintégration.

[20]            Les dispositions pertinentes quant à l'exécution forcée d'une ordonnance d'un office fédéral se retrouvent aux articles 423 et suivants des Règles. Plus particulièrement, l'alinéa 431b) des Règles prévoit ce qui suit:


431 Si une personne ne se conforme pas à l'ordonnance exigeant l'accomplissement d'un acte, la Cour peut, sur requête, sans préjudice de son pouvoir de la punir pour outrage au tribunal, ordonner:

[...]

b) que le contrevenant assume les frais de l'accomplissement de l'acte, déterminés de la manière ordonnée par la Cour, et qu'un bref d'exécution soit délivré contre lui pour le montant de ces frais et les dépens.

431 Where a person does not comply with an order to perform an act, without prejudice to the powers of the Court to punish the person for contempt, on motion, the Court may order that

[...]

               (b) the non-complying person pay the costs incurred in the performance of the act, ascertained in such a manner as the Court may direct, and that a writ of execution be issued against the non-complying person for those costs.


[21]            Pour ce qui est de l'indemnité, les parties n'ayant pu s'entendre sur les sommes dues au requérant, celles-ci sont retournées devant l'arbitre Fortier qui a rendu une décision datée du 18 août 1999 fixant le quantum des dommages pour la période comprise entre le 7 juin 1997 et le 1er avril 1999, soit jusqu'à la date visée par la nouvelle plainte de congédiement injuste.

[22]            Bien que l'intimé ait payé les sommes déterminées par l'arbitre, il n'a toutefois pas respecté l'ordonnance de réintégration. Contrairement à ce que l'intimé soutient à cet égard, le dépôt d'une deuxième plainte de congédiement injuste par le requérant ne peut être considéré comme une renonciation à l'ordonnance de réintégration laquelle demeurait néanmoins valide.

[23]            La Cour fédérale est une cour d'équité. Il est un principe d'équité bien établi que tout droit doit donner ouverture à un remède. Lorsque celui-ci n'est pas disponible, il est du devoir du juge d'en façonner un. En conséquence, je suis d'avis qu'en l'espèce, la Cour peut ordonner l'exécution par équivalent de l'ordonnance de réintégration prévue à la décision de l'arbitre Fortier rendue le 16 mars 1999, le calcul de l'indemnité compensatrice étant le seul moyen d'accomplir l'exécution de cette partie de la décision arbitrale.

[24]            Puisque les parties n'ont pas soumis de preuve et n'ont pas fait de représentations quant aux dommages reliés au refus de l'intimé de respecter l'ordonnance de réintégration, il faudra procéder par instance à gestion spéciale pour déterminer l'indemnité compensatrice.


                                        ORDONNANCE

[25]            La requête visant à obtenir l'exécution par équivalent de la décision de l'arbitre Fortier rendue le 16 mars 1999 est accordée et un juge sera nommé pour procéder, par instance à gestion spéciale, à la détermination de l'indemnité compensatrice. Le tout avec dépens.

                                                                 « Danièle Tremblay-Lamer »

JUGE

OTTAWA (ONTARIO)

Le 27 août 2001.

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