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Date : 20210825


Dossier : T‐499‐20

Référence : 2021 CF 877

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 25 août 2021

En présence de madame la juge Elliott

ENTRE :

DYMTRO FIRSOV

demandeur

et

CANADA (PROCUREUR GÉNÉRAL)

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Aperçu

[1] Le demandeur, Dymtro Firsov (le gendarme Firsov), est membre de la section de relève de la division V de la Gendarmerie royale du Canada (la GRC). Il conteste la décision d’appel en matière disciplinaire rendue par le délégataire du commissaire de la GRC, l’arbitre Miller (l’arbitre), le 26 mars 2020 (la décision).

[2] L’arbitre a rejeté l’appel interjeté contre une décision antérieure de l’autorité disciplinaire, dans laquelle l’inspecteur Warr (l’autorité disciplinaire) a conclu que le gendarme Firsov avait contrevenu à l’article 4.2 des Consignes du commissaire (déontologie) figurant au Règlement de la gendarmerie royale du Canada (2014) DORS/2014‐281 (le Code de déontologie) qui fait partie du processus disciplinaire interne de la GRC. L’article 4.2 porte sur la diligence et l’assistance à autrui.

[3] Le gendarme Firsov a fait valoir que la décision de l’autorité disciplinaire a été rendue d’une manière incompatible avec les principes de l’équité procédurale et qu’elle était manifestement déraisonnable.

[4] Le gendarme Firsov demande à la Cour d’annuler la décision et d’accueillir son appel contre la décision de l’autorité disciplinaire. Subsidiairement, il sollicite le renvoi de l’affaire à un autre arbitre pour un nouvel examen.

[5] Le défendeur, le Procureur général du Canada (PGC) soutient que la demande de contrôle judiciaire devrait être rejetée, puisque le gendarme Firsov n’a pas démontré que l’arbitre avait commis une erreur susceptible de révision quand il a refusé d’accueillir l’appel visant la décision de l’autorité disciplinaire.

[6] Les deux parties demandent les dépens. Elles ont convenu que les dépens devaient être fixés à 1 800 $, tout compris, et versés à la partie qui obtient gain de cause.

II. Les faits pertinents

[7] Le gendarme Firsov était chef intérimaire du détachement de Coral Harbour quand le chef du détachement s’est absenté pour suivre une formation, du 22 avril au 6 mai 2017. L’ancienne petite amie du gendarme Firsov, la gendarme Drouin, était affectée au détachement de Coral Harbour à l’époque. À ce moment‐là, le gendarme Firsov et la gendarme Drouin étaient les deux seuls gendarmes qui répondaient aux appels de service dans la communauté et qui effectuaient les enquêtes subséquentes.

[8] La gendarme Drouin est retournée à son unité d’attache le 7 mai 2017. C’est alors qu’elle a mentionné à son superviseur quatre éléments préoccupants sur le plan des opérations et de la sécurité des gendarmes relativement au gendarme Firsov.

[9] Le 19 mai 2017, une enquête a été déclenchée au sujet de quatre allégations où il était reproché au gendarme Firsov d’avoir contrevenu à l’article 4.2 du Code de déontologie, qui oblige les membres à « [faire] preuve de diligence dans l’exercice de leurs fonctions et de leurs responsabilités, notamment en prenant les mesures appropriées afin de prêter assistance à toute personne exposée à un danger réel, imminent ou potentiel ». Le gendarme Firsov a en même temps reçu une réaffectation temporaire qui l’empêchait de travailler ailleurs qu’au détachement d’Iqaluit.

[10] Les allégations nos 1 et 2 portaient sur une vérification de l’état de santé mentale qu’ont effectuée les gendarmes le 1er mai 2017 au domicile d’un homme qui avait quitté le centre médical et déclaré, devant sa conjointe et ses enfants, qu’il allait se suicider. Ces allégations ne font pas partie de la présente demande, car elles ont été jugées sans fondement par l’autorité disciplinaire.

[11] Au premier palier du processus disciplinaire de la GRC, l’autorité disciplinaire a conclu que le bien‐fondé des allégations nos 3 et 4 formulées contre le gendarme Firsov avait été établi selon la prépondérance des probabilités.

[12] L’autorité disciplinaire a jugé que le gendarme Firsov avait contrevenu au Code de déontologie lorsqu’il a omis d’offrir du renfort à un collègue durant un appel pour violence conjugale (allégation n3) et omis d’assurer un suivi approprié à un appel différent pour violence conjugale (allégation n4).

[13] L’allégation n3 est libellée ainsi :

[traduction]

Le ou vers le 2 mai 2017, à Coral Harbour (Nunavut) ou à proximité, alors qu’il était de garde sur appel pour assurer un renfort en cas de plainte, le gendarme Firsov a refusé de prêter assistance dans le cadre d’un appel pour violence conjugale (dossier SIRP 2017‐518925) à la gendarme Gabrielle Drouin, contrairement à la politique sur les renforts de la GRC, énoncée au chapitre 16.9 du Manuel des opérations. Il est donc reproché au gendarme Firsov d’avoir contrevenu à l’article 4.2 du Code de déontologie concernant la diligence et l’assistance.

[14] Cette allégation est contestée par le gendarme Firsov, qui estime qu’elle n’a pas été prouvée et qui s’oppose en même temps aux sanctions prises contre lui.

[15] L’allégation n4 est libellée ainsi :

[traduction]

Le ou vers le 5 mai 2017, à Coral Harbour (Nunavut) ou à proximité, dans l’exercice de ses fonctions, le gendarme Firsov a omis de s’acquitter adéquatement de son devoir en lien avec le dossier SIRP 2017‐534162. Il est donc reproché au gendarme Firsov d’avoir contrevenu à l’article 4.2 du Code de déontologie concernant la diligence et l’assistance à autrui.

[16] Le gendarme Firsov a accepté la décision relative à l’allégation n4, soit qu’il ne s’était pas présenté sur les lieux, mais il conteste la peine infligée au motif que son comportement ne justifiait pas une sanction aussi sévère.

III. La décision faisant l’objet du contrôle

[17] L’arbitre a précisé que, pour avoir gain de cause dans un appel interjeté à l’égard d’une décision de l’autorité disciplinaire, l’appelant doit établir selon la prépondérance des probabilités que la décision a) contrevient aux principes d’équité procédurale, b) est entachée d’une erreur de droit ou c) est manifestement déraisonnable. C’est ce qui est énoncé au paragraphe 33(1) des Consignes du commissaire (griefs et appels) qui fait partie du Règlement sur la Gendarmerie royale du Canada (2014), DORS/2014‐289 (les Consignes du commissaire sur les appels).

[18] L’arbitre a décrit l’historique procédural qui a mené à l’appel et les détails des allégations présentées contre le gendarme Firsov.

[19] Le gendarme Firsov a porté en appel la décision de l’autorité disciplinaire au motif que cette décision n’avait pas été rendue en conformité avec les principes d’équité procédurale applicables et qu’elle était manifestement déraisonnable.

[20] Après avoir souligné que le processus disciplinaire de la GRC est régi par les principes du droit administratif, l’arbitre a conclu que les questions relatives à l’équité procédurale doivent être tranchées au regard de la norme de la décision correcte.

[21] L’arbitre a cité l’arrêt Baker c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 RCS 817 [Baker] comme fondement du cadre servant à l’examen des questions rattachées à l’équité procédurale. Il a rappelé que l’importance d’une décision pour les personnes visées a une incidence significative sur la nature de l’obligation d’équité procédurale.

[22] L’arbitre a examiné l’incidence d’une décision sur le gendarme Firsov et constaté que son emploi n’avait jamais été en jeu, puisque l’autorité disciplinaire n’a pas le pouvoir d’envisager le renvoi ou de donner l’ordre de démissionner. L’arbitre a souligné que l’autorité disciplinaire était convaincue que les mesures disciplinaires qu’elle pouvait imposer suffisaient à sanctionner adéquatement la conduite reprochée.

[23] La décision fait état ensuite des quatre autres éléments qui, selon Baker, constituent l’équité procédurale : le droit de recevoir un préavis, le droit d’être entendu, le droit d’être jugé par un décideur impartial et le droit de recevoir une décision motivée.

[24] L’arbitre a examiné chacun des quatre éléments séparément. Il a jugé que les quatre avaient été respectés par l’autorité disciplinaire et conclu qu’il n’y avait pas eu manquement à l’équité procédurale.

[25] L’arbitre a conclu également que la décision de l’autorité disciplinaire, pour être considérée comme « manifestement déraisonnable » en vertu du paragraphe 33(1) des Consignes du commissaire sur les appels, devait renfermer une erreur manifeste et dominante; il a souligné par ailleurs que le décideur doit bénéficier d’une grande déférence.

[26] L’arbitre a passé en revue les conclusions tirées par l’autorité disciplinaire au sujet des allégations nos 3 et 4, puis conclu que les décisions étaient raisonnables, car elles entraient dans l’éventail recommandé dans le Guide des mesures disciplinaires.

[27] Pour ce qui est des mesures disciplinaires prises, l’arbitre s’est demandé si elles appartenaient aux issues possibles acceptables pouvant se justifier pour des contraventions à l’article 4.2 du Code de déontologie. L’arbitre s’est appuyé sur les facteurs énoncés dans le Guide des mesures disciplinaires afin d’évaluer la gravité du défaut, pour un gendarme, de faire preuve de diligence dans l’exercice de ses fonctions.

[28] L’arbitre a aussi renvoyé à l’article 4 et au paragraphe 3(1) du Code de déontologie dans son appréciation des mesures correctives et des mesures disciplinaires simples imposées. Il a conclu que ces mesures entraient dans l’éventail recommandé dans le Guide des mesures disciplinaires et qu’elles étaient donc raisonnables.

[29] L’appel du gendarme Firsov a été rejeté par l’arbitre.

IV. Les questions en litige et la norme de contrôle

[30] Le gendarme Firsov soulève deux questions :

  1. L’arbitre a‐t‐il omis de respecter les principes d’équité procédurale?

  2. La décision était‐elle raisonnable?

A. L’examen de l’équité procédurale

[31] La question relative à l’équité de la décision sur le plan procédural soulève celle de savoir s’il y a eu atteinte aux principes de justice naturelle dans le traitement réservé au gendarme Firsov.

[32] La présomption d’application de la norme de la décision raisonnable ne concerne pas l’examen d’un manquement à la justice naturelle : Vavilov au para 23.

[33] De fait, pour trancher la question de savoir si l’obligation d’équité procédurale a été respectée, il n’est pas nécessaire de procéder à l’analyse relative à la norme de contrôle, qui est néanmoins souvent appelée la « norme de la décision correcte ». En fin de compte, la cour de révision doit répondre à une question, celle de savoir si le demandeur connaissait la preuve à réfuter et s’il a eu la possibilité complète et équitable d’y répondre : Chemin de fer Canadien Pacifique Limitée c Canada (Procureur général), 2018 CAF 69 [CPR] au para 56.

[34] Il a été jugé que, dans le cas d’une instance disciplinaire de la GRC, le régime législatif entraîne un niveau très élevé d’équité procédurale en raison du paragraphe 45.16(9) de la Loi sur la Gendarmerie royale du Canada, LRC 1985, c R‐10 (la Loi sur la GRC), qui énonce que « la décision du commissaire portant sur un appel est définitive et exécutoire » : Smith c Canada (Procureur général), 2019 CF 770 [Smith] au para 40.

B. L’examen du caractère raisonnable

[35] Il existe désormais une présomption voulant que, hormis dans certaines situations exceptionnelles qui ne s’appliquent pas ici, la norme de la décision raisonnable soit la norme applicable à l’égard d’une décision administrative : Vavilov aux para 16 et 17.

[36] Il incombe à la partie qui conteste la décision d’en démontrer le caractère déraisonnable. Avant de pouvoir infirmer la décision pour ce motif, la cour de révision doit être convaincue qu’elle souffre de lacunes graves à un point tel qu’on ne peut pas dire qu’elle satisfait aux exigences de justification, d’intelligibilité et de transparence. Les lacunes ou insuffisances reprochées ne doivent pas être simplement superficielles ou accessoires par rapport au fond de la décision : Vavilov au para 100.

[37] La cour de révision doit se demander si la décision possède les caractéristiques d’une décision raisonnable, soit la justification, la transparence et l’intelligibilité, et si la décision est justifiée au regard des contraintes factuelles et juridiques pertinentes qui ont une incidence sur celle‐ci : Vavilov au para 99.

[38] La jurisprudence de la Cour et de la Cour d’appel fédérale a reconnu que les arbitres de la GRC possèdent une expertise particulière au chapitre du maintien de l’intégrité et du professionnalisme de la GRC. Par conséquent, leurs décisions liées à de telles questions doivent être traitées avec une grande retenue : Calandrini c Canada (Procureur général), 2018 CF 52 au para 97 et les décisions qui y sont citées.

[39] Une décision sera déraisonnable lorsque, lus dans leur ensemble, les motifs ne font pas état d’une analyse rationnelle ou montrent que la décision est fondée sur une analyse irrationnelle. La cour de révision doit être convaincue que le raisonnement du décideur « se tient » : Vavilov aux para 103 et 104.

V. Le droit à l’équité procédurale du gendarme Firsov n’a pas été violé

[40] Le gendarme Firsov soutient qu’il n’a pas eu bénéficié de l’équité procédurale en raison du parti pris de l’autorité disciplinaire.

[41] À l’appui de cette observation, le gendarme Firsov a mentionné deux faits : (1) une enquête relative à une fusillade dans laquelle il était impliqué s’est déroulée en même temps que l’enquête sur les infractions disciplinaires qui lui sont reprochées; (2) l’impression initiale que l’allégation n4 soulevait une question liée au rendement, et non pas de nature disciplinaire, a changé après que l’autorité disciplinaire a rencontré un conseiller en déontologie.

[42] Le critère permettant de savoir s’il existe une crainte raisonnable de partialité peut être exprimé ainsi : « à quelle conclusion en arriverait une personne bien renseignée qui étudierait la question en profondeur, de façon réaliste et pratique. Croirait‐elle que, selon toute vraisemblance, [le décideur], consciemment ou non, ne rendra pas une décision juste? » : Oleynik c Canada (Procureur général), 2020 CAF 5 au para 56 [Oleynik].

[43] Il incombe à la partie qui invoque une crainte raisonnable de partialité de démontrer qu’il est réellement vraisemblable ou probable que le décideur ait fait preuve de partialité. Il s’agit d’un critère strict. Les motifs invoqués pour prouver la crainte doivent être « sérieux ». Le seuil à franchir pour conclure à une crainte raisonnable de partialité est élevé, et le fardeau de la partie qui cherche à établir l’existence d’une crainte raisonnable est donc élevé : Oleynik au para 57.

[44] Pour les motifs exposés ci‐après, je conclus que l’arbitre n’a pas commis d’erreur quand il a jugé que le gendarme Firsov n’était pas parvenu à établir l’existence d’un manquement à l’équité procédurale. L’arbitre était d’avis que le gendarme Firsov connaissait la preuve à réfuter et qu’il avait eu la possibilité complète et équitable d’y répondre.

A. L’autorité disciplinaire n’était pas en conflit d’intérêts et n’a pas fait montre de partialité

[45] Ce motif du gendarme Firsov se fonde sur le fait que l’autorité disciplinaire a autorisé l’enquête sur la fusillade. Selon le gendarme Firsov, la participation de l’autorité disciplinaire à cette enquête alors qu’elle était chargée de juger si l’allégation en cause devait mener à une rencontre disciplinaire suscitait une crainte raisonnable de partialité. Il affirme que l’autorité disciplinaire éprouvait un sentiment de frustration démesuré à la perspective de s’occuper de son dossier.

[46] Le gendarme Firsov n’a pas invoqué la partialité parmi ses motifs d’appel. Dans sa déclaration d’appel à l’intention de l’arbitre, il a affirmé que l’incident relatif à la fusillade plaçait l’autorité disciplinaire en conflit d’intérêts. Il aurait été préférable d’alléguer la crainte de partialité dans l’appel, mais la mention d’un conflit d’intérêts suffit à en faire un motif d’appel. La Cour d’appel a déclaré que « [c]’est au moyen du concept de la crainte raisonnable de partialité que la règle de la common law sur l'équité procédurale traite les conflits d'intérêts présumés » : Oleynik au para 54.

[47] En précisant la réparation recherchée en appel, le gendarme Firsov a demandé que l’autorité disciplinaire soit déclarée être en situation de conflit d’intérêts du fait qu’il s’agissait de son officier hiérarchique et qu’il était chargé d’enquêter sur la fusillade. Selon le gendarme Firsov, c’est pour cette raison que l’autorité disciplinaire lui a imposé [traduction] « des mesures déraisonnablement sévères ».

[48] L’arbitre s’est penché sur la question du conflit d’intérêts quand il s’est demandé si l’autorité disciplinaire était un décideur impartial. Compte tenu d’Oleynik, précité, je suis convaincue que cette question repose à la fois sur des notions de partialité et de conflit d’intérêts.

[49] Le dossier présenté à l’arbitre montre que l’autorité disciplinaire n’a pas pris part à l’enquête sur la fusillade. Sa participation s’est limitée à enjoindre au Service de police d’Ottawa (le SPO) de faire enquête. Le SPO a conclu par la suite que le gendarme Firsov n’avait commis aucune faute.

[50] Une des contraintes juridiques auxquelles est soumis l’arbitre se retrouve au paragraphe 40(1) de la Loi sur la GRC :

Enquête

40 (1) Lorsqu’il apparaît à l’autorité disciplinaire d’un membre que celui‐ci a contrevenu à l’une des dispositions du Code de déontologie, elle tient ou fait tenir l’enquête qu’elle estime nécessaire pour lui permettre d’établir s’il y a réellement contravention.

Investigation

40 (1) If it appears to a conduct authority in respect of a member that the member has contravened a provision of the Code of Conduct, the conduct authority shall make or cause to be made any investigation that the conduct authority considers necessary to enable the conduct authority to determine whether the member has contravened or is contravening the provision.

[51] On peut voir que le paragraphe 40(1) permet expressément à l’autorité disciplinaire de prendre les mesures mêmes qui, d’après le gendarme Firsov, seraient contraires à l’équité procédurale. L’autorité disciplinaire peut en même temps tenir une enquête et trancher la question de savoir si le membre a contrevenu au Code de déontologie.

[52] Dans la présente affaire, le dossier montre, ce qui n’est pas contesté, que c’est le sergent Duvall, du détachement d’Iqaluit, qui a mené l’enquête sur les allégations visant le gendarme Firsov.

[53] Il n’y a rien dans le dossier, et plus particulièrement rien de déterminant, qui montre que l’autorité disciplinaire ait fait quoi que ce soit d’autre que d’autoriser la tenue d’une enquête sur la fusillade dans le cours normal de ses fonctions. Puisque cette intervention est permise par le législateur, elle ne peut constituer le fondement d’une allégation d’iniquité procédurale.

[54] Compte tenu de cette conclusion, je vais commenter seulement brièvement l’arrêt ontarien Rutigliano v Commissioner, OPP, 2011 ONSC 98 [Rutigliano] qui est cité par le gendarme Firsov. Celui‐ci fait valoir que l’autorité disciplinaire, au moment où avait lieu l’enquête sur une infraction possible au Code de déontologie, connaissait le gendarme Firsov et des aspects de son dossier comme membre de la GRC, dont la fusillade à Igloolik. Le gendarme Firsov affirme que cette participation à une enquête se déroulant en même temps que celle qui portait sur sa conduite empêche l’autorité disciplinaire de statuer sur les infractions déontologiques qui lui sont reprochées.

[55] Je soulignerai d’abord que la « participation » de l’autorité disciplinaire aux enquêtes sur la fusillade et les allégations disciplinaires était limitée. L’autorité disciplinaire a autorisé le SPO et un sergent du détachement à mener ces enquêtes séparées. Encore une fois, cette situation est envisagée au paragraphe 40(1) de la Loi sur la GRC.

[56] En outre, je ne suis pas persuadée que Rutigliano soit utile pour le gendarme Firsov.

[57] Les faits dans Rutigliano étaient très différents de ceux qui nous occupent ici. En l’occurrence, dans le cadre d’une audience antérieure à laquelle avait participé M. Rutigliano, l’arbitre avait fait des commentaires sur sa réputation et sa conduite. La Cour divisionnaire de l’Ontario a jugé qu’une personne bien renseignée parviendrait à la conclusion que l’information préexistante, qui n’avait aucune incidence sur les questions à trancher, avait une importance telle que ces facteurs pourraient influer sur la décision de l’arbitre et susciteraient une crainte de partialité, qu’elle soit réelle ou pas.

[58] Dans la présente affaire, rien ne porte à croire que l’autorité disciplinaire ait formulé quelque commentaire négatif que ce soit sur un aspect de la réputation ou de la conduite du gendarme Firsov quand elle a autorisé la tenue de l’enquête sur la fusillade ou sur les infractions alléguées. L’autorité disciplinaire n’a émis aucun commentaire négatif au sujet d’un aspect de la réputation du gendarme Firsov quand elle a examiné les quatre infractions qui étaient reprochées à ce dernier. Les commentaires au sujet de la conduite du gendarme Firsov ont été formulés comme il se doit dans le cadre de l’analyse de sa culpabilité, ou pas, au regard de chacune des allégations.

[59] Étant donné que les faits déterminants ayant justifié la récusation de l’arbitre dans l’affaire Rutigliano ne sont pas présents ici, je conclus que cette décision ne s’applique pas.

[60] L’arrêt Smith, qui concerne également une affaire disciplinaire au sein de la GRC, est plus pertinent. Le juge Favel y a déclaré que l’arbitre avait eu raison de conclure qu’il n’y avait aucune crainte raisonnable de partialité découlant de l’enquête menée par l’autorité disciplinaire sur un autre membre de la GRC qui était liée aux mêmes faits.

[61] Le juge Favel a souligné que des changements édictés en 2014 ont permis que les manquements au Code de déontologie soient traités au niveau du groupe, du secteur ou de la direction générale et a conclu « [qu’il] est clair que les modifications procédurales avaient pour objectif de faciliter la conclusion rapide des audiences disciplinaires au sein des groupes de la GRC. Il serait incompatible avec un tel objectif d’exiger qu’un agent différent mène une enquête sur chaque personne soupçonnée d’avoir enfreint le Code de déontologie dans une situation précise » : Smith au para 52.

[62] La conclusion énoncée dans Smith est conforme aux dispositions du paragraphe 40(1) de la Loi sur la GRC.

[63] Dans le même ordre d’idées, le gendarme Firsov allègue qu’il y a eu manquement à l’équité procédurale, parce que l’autorité disciplinaire connaissait des éléments de son dossier à la GRC. Cette observation peut aussi être réfutée sur la base du raisonnement décrit dans Smith. De plus, elle est de nature hypothétique et fondée sur une vague allégation qui n’est soutenue par aucune preuve.

[64] L’arbitre a conclu qu’il n’y avait pas de preuve que l’autorité disciplinaire avait fait preuve de partialité. Il a mentionné également que deux des infractions alléguées contre le gendarme Firsov avaient été rejetées. Selon le gendarme Firsov, ce fait n’est pas pertinent et constitue une conclusion déraisonnable dans les circonstances.

[65] Je ne suis pas d’accord. Je conviens avec le PGC que le dossier ne contient aucun élément qui permet de croire que l’autorité disciplinaire a agi avec partialité. En fait, la conclusion que l’autorité disciplinaire a tirée avant la rencontre disciplinaire, soit que deux des allégations n’étaient pas fondées, indiquerait le contraire.

[66] Le gendarme Firsov fait valoir en dernier lieu que l’arbitre n’a pas appliqué le bon critère au sujet de la partialité. Cette allégation accorde préséance à la forme plutôt qu’au fond.

[67] L’arbitre ne peut être blâmé pour ne pas avoir décrit le critère applicable à un point que n’avait pas soulevé le gendarme Firsov dans sa déclaration d’appel.

[68] Lorsqu’il a procédé à son analyse relative à l’impartialité dans le contexte de l’allégation de conflit d’intérêts, l’arbitre a pris en considération tous les facteurs énoncés dans l’arrêt Baker, les a expliqués puis a tiré des conclusions raisonnables. Il a ainsi essentiellement réglé la question de la partialité et tous les autres points relatifs à l’iniquité procédurale soulevés par le gendarme Firsov.

B. Le droit d’être entendu a été respecté

[69] Le gendarme Firsov a affirmé dans sa déclaration d’appel qu’il n’a pas été entendu.

[70] Il a souligné deux faits à l’appui de cette observation : (1) aucune enquête approfondie n’a été ordonnée, et ce, malgré le fait qu’il a présenté des éléments de preuve montrant que la gendarme Drouin avait menti; (2) sa réponse à la question posée par l’autorité disciplinaire au sujet de la différence entre le travail d’un policier dans le Nord et celui d’un policier dans le Sud a été interrompue par l’autorité disciplinaire.

[71] Le gendarme Firsov a demandé réparation pour les mensonges allégués de la gendarme Drouin en sollicitant une enquête approfondie sur l’allégation n3. Il justifiait sa demande sur le fait que [traduction] « les renseignements [qu’il avait] fournis avant et durant l’audience disciplinaire, s’ils avaient été dûment examinés, auraient montré que l’allégation no 3 ne serait pas corroborée selon la prépondérance des probabilités ».

[72] Dans sa déclaration d’appel, le gendarme Firsov a déclaré que son droit d’être entendu avait été brimé, parce que l’autorité disciplinaire n’avait pas dûment pris en considération ses arguments, dont de nouveaux éléments de preuve. À son avis, si ses observations avaient été prises en compte, le témoignage de la gendarme Drouin aurait été analysé de nouveau et une enquête aurait été ordonnée du fait que la gendarme Drouin avait donné de fausses informations.

[73] D’après le gendarme Firsov, c’était sa parole contre celle de la gendarme Drouin, et l’autorité disciplinaire a accordé foi à la gendarme Drouin, c’est pourquoi il estimait ne pas avoir été écouté, même s’il avait pu s’exprimer.

[74] Je ne suis pas convaincue que l’arbitre a commis une erreur en rejetant cette observation.

[75] On ne peut conclure qu’il y a partialité ou qu’une partie n’a pas été entendue quand un juge des faits privilégie une version des événements plutôt qu’une autre. Selon le gendarme Firsov, en somme, le droit d’être entendu comporterait le droit qu’une question soit tranchée en sa faveur. Cela reviendrait à demander à l’arbitre d’apprécier à nouveau la preuve présentée à l’autorité disciplinaire et de tirer une conclusion différente.

[76] L’arbitre applique la norme de l’erreur manifeste et dominante à la décision rendue par l’autorité disciplinaire. L’erreur manifeste et dominante « est une erreur qui est évidente et apparente, dont l’effet est de vicier l’intégrité des motifs » : Maximova c Canada (Procureur général) 2017 CAF 230 au para 5. L’application de cette norme de contrôle appelle un degré élevé de retenue qui érige un obstacle extrêmement difficile à surmonter : Smith c Canada (Procureur général), 2021 CAF 73 au para 55.

[77] Autrement dit, la norme de l’erreur manifeste et dominante oblige l’arbitre à faire preuve de déférence envers la décision de l’autorité disciplinaire, à moins que le gendarme Firsov ne puisse montrer qu’une erreur évidente et apparente d’une ampleur telle a été commise qu’elle a pour effet de vicier l’intégrité des motifs.

[78] L’arbitre n’a pas été convaincu qu’une telle erreur avait été prouvée. Je ne le suis pas non plus. Le gendarme Firsov n’a pas établi que l’arbitre ou l’autorité disciplinaire se sont appuyés sur des conclusions erronées pour rendre leurs décisions.

[79] Le gendarme Firsov affirme en outre qu’il n’a pas eu le droit d’être entendu, parce que sa réponse à la question posée par l’autorité disciplinaire sur les différences entre le travail des policiers dans le Nord et dans le Sud n’a pas fait l’objet de discussions. Il ajoute que l’autorité disciplinaire [traduction] « n’a clairement pas reçu la réponse qu’elle voulait, parce que la mesure disciplinaire s’est quand même appliquée et que je ne suis pas admissible à une promotion ».

[80] Le gendarme Firsov a répondu à la question posée par l’autorité disciplinaire et a donc bénéficié du droit d’être entendu. Son affirmation selon laquelle la prise de mesures disciplinaires découle du fait que l’autorité disciplinaire n’a pas reçu la réponse qu’elle voulait demeure complètement hypothétique et n’est aucunement corroborée par le dossier.

[81] Relativement à l’allégation n3, l’autorité disciplinaire énumère dans ses motifs plusieurs circonstances aggravantes et atténuantes qui ont été prises en considération. Après ces facteurs, elle reconnaît que la mesure disciplinaire choisie, soit une pénalité équivalant à 4 jours de solde, figure à l’extrémité supérieure de l’éventail normal. Une explication, qu’il n’est pas nécessaire de répéter dans les présents motifs, a été donnée.

[82] L’autorité disciplinaire a eu l’avantage d’observer et d’écouter le gendarme Firsov présenter ses arguments. L’arbitre a précisé les règles de droit applicables, souligné que l’autorité disciplinaire avait respecté le processus disciplinaire, puis passé en revue les faits consignés au dossier. Les motifs sur lesquels s’est fondée l’autorité disciplinaire ont été clairement énoncés par l’arbitre.

[83] L’arbitre a reconnu son obligation de déférence et l’a appliquée de façon appropriée en choisissant de faire preuve de déférence envers les conclusions de l’autorité disciplinaire.

[84] Les décideurs administratifs ne sont pas tenus de faire référence à tous les arguments, dispositions législatives, précédents ou autres détails que le juge siégeant en révision aurait voulu y lire, mais ce fait ne rend pas invalides les motifs ou même l’issue de l’affaire à la lumière d’une analyse du caractère raisonnable : Vavilov au para 301.

[85] Compte tenu de ce qui précède, je conclus que l’arbitre n’a pas commis d’erreur en rejetant l’observation suivant laquelle le gendarme Firsov n’avait pas été entendu par l’autorité disciplinaire.

C. La consultation du conseiller en déontologie ne permet pas de conclure à l’existence d’un parti pris

[86] Après une discussion avec le conseiller en déontologie, l’autorité disciplinaire a écrit à la main le commentaire suivant : [traduction] « après avoir consulté le conseiller en déontologie, je suis convaincu que l’allégation no 4 est fondée ». Le gendarme Firsov y voit là un exemple de partialité opérationnelle. Il se plaint également de ne pas avoir été présent à la rencontre et de ne pas en avoir été avisé.

[87] Le gendarme Firsov a formulé son inquiétude en ces termes : [traduction] « La rencontre semble avoir radicalement modifié la conclusion de l’autorité disciplinaire ». L’issue de la rencontre constitue, à ses yeux, [traduction] « la preuve claire d’une partialité opérationnelle ».

[88] Le gendarme Firsov estime qu’il n’a pas eu le droit de réagir à la position adoptée par l’autorité disciplinaire ni à la preuve présentée contre lui – il s’agirait d’une décision prise derrière des portes closes en son absence, ce qui viole manifestement ses droits à l’équité procédurale.

[89] Le commentaire manuscrit n’a pas fait partie de la décision de l’autorité disciplinaire. Il s’agit d’une note prise par l’autorité disciplinaire à l’étape préliminaire quand elle devait décider s’il existait ou non une preuve établie à première vue contre le gendarme Firsov.

[90] Dans le dossier certifié du tribunal, la page suivante renferme les motifs de cette conclusion : [traduction] « Le gendarme Firsov était le sous‐officier en charge par intérim. Il ne s’est pas déplacé. Il aurait dû vérifier l’information. Quelqu’un avait besoin d’aide, mais le gendarme Firsov n’a rien fait. C’était lui l’officier supérieur en service ».

[91] À l’appui de sa position, le gendarme Firsov invoque Dickhout v The Police Complaint Commissioner, 2011 BCSC 880 [Dickhout], un arrêt rendu par la Cour suprême de la Colombie‐Britannique le 30 juin 2011. Dans cette affaire, un policier de la société des transports de la Colombie‐Britannique avait blessé une personne en utilisant une arme à impulsions durant son arrestation.

[92] La conclusion sur laquelle s’appuie le gendarme Firsov pour alléguer qu’il y a eu partialité opérationnelle provient non pas de Dickhout, mais bien d’une décision connexe non publiée rendue ultérieurement dans le cadre du processus disciplinaire et dont un extrait est repris dans Dickhout. Cette décision a entraîné la récusation de l’autorité disciplinaire en poste, parce qu’elle avait, de sa propre initiative et après avoir communiqué avec lui, rencontré un formateur à la retraite spécialiste de l’emploi de la force dans le but de recueillir de l’information au sujet de la question qui résidait au cœur de l’affaire.

[93] Dans Dickhout, on a jugé que l’autorité disciplinaire avait outrepassé son rôle de décideur impartial en obtenant des renseignements supplémentaires pour les besoins de l’audience disciplinaire.

[94] Les faits dans le cas du gendarme Firsov ne sont pas du tout similaires à ceux de l’arrêt Dickhout. En l’espèce, l’autorité disciplinaire n’a pas cherché ni obtenu des éléments de preuve supplémentaires et externes dont elle entendait se servir à la rencontre disciplinaire.

[95] Le gendarme Firsov n’a rien présenté à la Cour, autre que son allégation, pour appuyer sa prétention selon laquelle il était en droit de faire partie de la consultation interne entre l’autorité disciplinaire et le conseiller en déontologie ou qu’il aurait dû avoir la possibilité de réagir à la position adoptée par le conseiller en déontologie. Aucune doctrine ni jurisprudence sur ce droit de participation n’a été portée à l’attention de la Cour par le gendarme Firsov.

[96] Compte tenu de tous les motifs exposés plus haut, je conclus que le gendarme Firsov ne s’est pas acquitté du fardeau qui lui incombait, c'est‐à‐dire prouver que la consultation auprès du conseiller en déontologie avait créé une apparence de partialité ou un parti pris réel chez l’autorité disciplinaire.

D. Conclusion

[97] Il existe une présomption suivant laquelle un décideur agira avec impartialité : Zündel c Citron, [2000] ACF no 679 au para 37. Pour réfuter cette présomption, il faut établir une réelle probabilité de partialité; un simple soupçon ne sera pas suffisant : R c S (RD), [1997] 3 RCS 484.

[98] Le gendarme Firsov n’a présenté aucune preuve de la partialité du décideur. Il a essentiellement exprimé des hypothèses et des soupçons.

[99] L’arbitre a souligné que l’autorité disciplinaire avait abordé chacun des quatre éléments qui constituent l’équité procédurale. Il a conclu ce qui suit :

[traduction]

  1. Le gendarme Firsov a été dûment informé de la preuve à réfuter. Il a reçu l’avis de rencontre disciplinaire faisant état des quatre allégations et des détails relatifs à chacune. Il a présenté des observations, oralement et par écrit, et aucune décision n’a été rendue avant qu’il ait pu répondre.

  2. Le gendarme Firsov a été entendu. L’autorité disciplinaire a précisé qu’elle avait examiné l’information contenue dans les documents d’enquête et avait pris connaissance des observations écrites déposées par le gendarme Firsov le 29 septembre 2017 ainsi que de ses arguments présentés oralement à la rencontre disciplinaire du 2 octobre 2017.

  3. Le résumé fourni par l’autorité disciplinaire montre que le gendarme Firsov a présenté des observations sur le bien‐fondé des allégations et qu’elles ont été entendues.

  4. Le droit de recevoir une décision et des motifs a été respecté le 12 octobre 2017, quand une copie du rapport de décision a été signifiée au gendarme Firsov par l’autorité disciplinaire. Ce rapport mentionnait que le bien‐fondé des allégations 3 et 4 avait été établi et précisait les points que l’autorité disciplinaire a pris en considération pour tirer cette conclusion.

  5. Quant au droit à un décideur impartial, l’arbitre a indiqué que la question était de savoir si l’autorité disciplinaire était impartiale. Après avoir rappelé qu’un officier supérieur peut être saisi de plusieurs problèmes impliquant des gendarmes différents en même temps, l’arbitre a conclu de son examen du dossier en l’espèce que rien ne lui permettait de croire que l’autorité disciplinaire avait agi d’une manière qui pouvait sembler partiale.

[100] Je suis d’avis que l’arbitre a tiré une conclusion raisonnable des faits, après avoir examiné la preuve et la déclaration d’appel du gendarme Firsov, conclusion selon laquelle [traduction] « l’autorité disciplinaire a respecté le processus disciplinaire et effectué une analyse raisonnée qui a donné lieu à une décision transparente ».

[101] En conséquence, pour les motifs exposés ci‐dessus, je conclus que les allégations relatives à la partialité et au conflit d’intérêts formulées contre l’autorité disciplinaire en raison de ses interactions antérieures avec le gendarme Firsov et de sa rencontre avec le conseiller en déontologie n’ont pas été prouvées par le gendarme Firsov. Ces allégations ne sont pas corroborées par des éléments de preuve qui satisfont au critère strict établi pour permettre à la Cour de conclure à l’existence d’une crainte raisonnable de partialité.

[102] En résumé, le gendarme Firsov connaissait la preuve qu’il devait réfuter, il a été entendu et a pu présenter ses arguments à un décideur impartial, par écrit et en personne. Il a reçu une décision et des motifs d’un décideur impartial.

[103] Je suis d’avis que l’arbitre a eu raison de conclure que le gendarme Firsov n’avait pas démontré qu’il y avait eu manquement à l’équité procédurale.

VI. La décision est raisonnable

A. Les conclusions relatives à l’allégation n3 étaient raisonnables

[104] Le gendarme Firsov soutient qu’il était déraisonnable pour l’arbitre de conclure qu’il avait refusé de se présenter en renfort lors d’une plainte de violence conjugale et, ce faisant, qu’il avait contrevenu à la politique sur la violence conjugale. Selon lui, ni l’une ni l’autre conclusion n’est corroborée par les faits.

[105] Cette observation repose sur le fait que le gendarme Firsov n’était plus en service quand il a reçu l’appel. La querelle entre les deux conjoints était terminée. La plaignante avait été éloignée de son agresseur, elle était en sécurité et hébergée chez un membre de sa famille. Le gendarme Firsov a été avisé que l’altercation était mineure et que l’alcool n’était pas en cause.

[106] Le gendarme Firsov a décidé qu’il s’occuperait de l’agresseur à son retour au travail. Il souligne qu’il pouvait en décider ainsi vu qu’il était l’officier de grade supérieur. Entre‐temps, la gendarme Drouin était censée rencontrer la plaignante pour prendre sa déposition.

[107] Le gendarme Firsov précise que la gendarme Drouin n’est pas intervenue durant une dispute familiale – elle devait recueillir une déposition après la dispute familiale. À son avis, cette distinction est cruciale. La politique sur la violence conjugale n’oblige pas la présence de deux membres pour prendre une déposition à la suite d’une intervention pour violence conjugale.

[108] L’arbitre a souligné encore une fois que la question à trancher était de savoir si la décision était manifestement déraisonnable, c’est‐à‐dire si elle contenait une erreur manifeste et dominante, et qu’il devait faire preuve de déférence à l’égard du décideur.

[109] L’arbitre a déterminé correctement, et donc raisonnablement, la norme de contrôle qu’il devait appliquer à la décision de l’autorité disciplinaire. La Cour a déjà énoncé que, lors du contrôle judiciaire, le délégataire du commissaire – l’arbitre – doit aussi bénéficier d’un degré élevé de retenue : Kalkat c Canada (Procureur général), 2017 CF 794 au para 52.

[110] L’arbitre a mentionné qu’il pouvait y avoir matière à débat quant à la question de savoir si les gestes du gendarme Firsov constituaient une inconduite ou auraient dû être traités dans le contexte du processus de gestion du rendement. L’arbitre a conclu toutefois qu’il ne devait pas substituer la décision qu’il estime préférable à la décision de l’autorité disciplinaire. Il était plutôt chargé d’évaluer si la décision de l’autorité disciplinaire appartenait aux issues possibles acceptables.

[111] Le gendarme Firsov a fourni un résumé de ses gestes et de son raisonnement pour justifier les décisions qu’il a prises. L’autorité disciplinaire a accepté sa déclaration, fondée sur le Guide des mesures disciplinaires, c’est‐à‐dire que les membres se retrouvent souvent dans des situations où ils doivent prendre des décisions rapidement en fonction de l’information disponible et qu’une « erreur » commise à la suite d’un raisonnement solide ne constitue pas une inconduite.

[112] En évaluant l’argument suivant lequel la querelle conjugale avait pris fin, l’arbitre s’est dit troublé par le fait que le gendarme Firsov ait omis de répondre à la plainte, même après avoir reçu un appel téléphonique de la gendarme Drouin concernant des voies de fait contre un membre de la famille et sachant que la gendarme Drouin s’était résolue à intervenir seule après avoir insisté pour qu’il l’accompagne. L’arbitre a souligné que ce point était particulièrement problématique, puisque le gendarme Firsov supervisait la gendarme Drouin.

[113] L’arbitre a considéré le fait que, dans l’exercice de leurs fonctions, les membres de la GRC se font rappeler constamment le danger inhérent aux interventions dans le cadre de plaintes pour violence conjugale. Il a conclu que, même si le gendarme Firsov n’était pas d’accord avec la décision de la gendarme Drouin d’intervenir seule, [traduction] « le simple fait que la gendarme se rende sur les lieux seule, indépendamment de ce que [le gendarme Firsov] pouvait penser au sujet de la plainte, est profondément troublant » (en caractères gras dans l’original).

[114] La nécessité pour les gendarmes de pouvoir se fier les uns aux autres pour obtenir du soutien ou garantir leur sécurité a été jugée particulièrement importante, voire vitale, aux yeux de l’arbitre, dans les petites collectivités situées en région éloignée.

[115] Le gendarme Firsov a fait valoir que la gendarme Drouin ne s’est pas rendue sur les lieux d’une querelle conjugale seule puisqu’elle recueillait une déposition après les événements. Cette information a été prise en considération par l’autorité disciplinaire, puis plus tard par l’arbitre. L’autorité disciplinaire a accepté l’explication des événements donnée par le gendarme Firsov et le fait qu’il n’ait pas expressément refusé d’aller en renfort, mais elle a jugé que l’allégation n3, selon la prépondérance des probabilités, avait été établie.

[116] Les deux décideurs ont jugé préoccupante la décision du gendarme Firsov de laisser la gendarme Drouin répondre à la plainte seule. Dans leurs conclusions respectives, ils ont souligné tous deux l’importance pour les gendarmes de se soutenir mutuellement dans les petites collectivités situées en région éloignée.

[117] L’autorité disciplinaire avait consulté la section 16.9 du Manuel des opérations, où est énoncée la politique sur les renforts. Il y est précisé que les appels impliquant de la violence ou un risque de violence et les querelles conjugales requièrent l’intervention de plusieurs gendarmes. La mention du risque de violence laisse croire qu’il n’est pas nécessaire que la querelle soit en cours pour que la présence de plus d’un membre soit justifiée.

[118] Après avoir pris connaissance de la politique sur les renforts, l’autorité disciplinaire a conclu, en ce qui concerne l’allégation n3, que [traduction] « ce genre d’appel doit faire l’objet d’une réponse immédiate, conformément à la politique, et [qu’un] délai de trois heures est inacceptable ». Étant donné que le gendarme Firsov ne s’est pas rendu sur les lieux, l’autorité disciplinaire a conclu qu’il avait commis à première vue une infraction à l’article 4.2 du Code de déontologie. Elle a conclu que, si elle était prouvée, cette infraction pourrait justifier la prise de mesures visées au paragraphe 42(1) de la Loi sur la GRC.

[119] Tout comme l’arbitre devait user de retenue face à la décision de l’autorité disciplinaire, la Cour doit faire preuve de déférence ici à l’égard de la décision de l’arbitre. Je ne vois rien qui me laisse penser que l’arbitre a commis une erreur en jugeant que la décision de l’autorité disciplinaire relative à l’allégation n3 était raisonnable.

[120] L’évaluation faite par l’arbitre dans la décision en ce qui concerne l’allégation n3 et la justification qui y est énoncée sont transparentes, intelligibles et justifiées, comme l’exige l’arrêt Vavilov aux para 15 et 86. Les motifs « se tiennent ».

[121] Les contraintes factuelles et juridiques pertinentes imposées par le Code de déontologie et par les autres documents qui sont mentionnés dans la décision ont été examinées et appliquées, et elles sont fondées sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle. Je n’ai pu discerner aucune lacune ou insuffisance décisives. Par conséquent, je suis tenue de faire preuve de déférence envers cette décision : Vavilov au para 85.

[122] Pour les motifs qui précèdent, je suis d’avis que la conclusion de l’arbitre quant au bien‐fondé de l’allégation n3 est raisonnable.

B. Les conclusions relatives à l’allégation n4 étaient raisonnables

[123] Le gendarme Firsov fait valoir que la négligence dans le devoir n’est pas une infraction disciplinaire de responsabilité absolue. Selon lui, la décision est déraisonnable, parce qu’elle ne tient pas dûment compte de son explication relativement à l’allégation n4. Il admet qu’il a fait une erreur, mais affirme qu’il n’y a pas de raison d’assimiler un [traduction] « simple facteur de rendement » à une inconduite.

[124] L’erreur du gendarme Firsov vient du fait qu’il croyait que les appels reçus étaient un canular. Il en était ainsi, parce qu’on ne l’avait pas informé que la plaignante avait déclaré s’être fait étrangler ou avoir de la difficulté à respirer et parce qu’il n’avait pas reçu la bonne adresse de la plaignante.

[125] Le gendarme Firsov, qui était dans cette collectivité depuis trois semaines seulement à ce moment‐là, a raconté qu’il ne savait pas non plus que l’agresseur, qui n’était pas identifié, était un contrevenant [traduction] « violent et prolifique ».

[126] Le gendarme Firsov a souligné à l’autorité disciplinaire qu’il avait bien tenté de faire enquête. Il avait communiqué avec la gendarme Drouin pour obtenir le numéro de téléphone de l’occupant à l’adresse qui lui avait été donnée. Il avait par la suite communiqué avec l’occupant en question et, quand il avait appris que cette personne n’avait pas besoin d’aide, il lui avait fourni un code qu’elle pouvait utiliser si elle était dans l’incapacité de parler franchement. Elle n’avait pas prononcé ce mot de code.

[127] L’autorité disciplinaire a déclaré que les directives données par le gendarme Firsov à la gendarme Drouin étaient adéquates – en ce qui concerne la déposition. Il lui a également donné de très bons conseils en lui recommandant de ne pas se rendre à la résidence seule, parce qu’ils devraient le faire ensemble.

[128] L’autorité disciplinaire a souligné toutefois qu’il ne s’agissait pas d’un appel de routine. On a appris que, d’après les procédures opérationnelles réglementaires de la Station de transmissions opérationnelles, l’appel aurait reçu la la cote [traduction] « PRIORITÉ 2 – Urgent – Dépêcher des gendarmes aussitôt que possible » (caractères gras dans l’original).

[129] Le gendarme Firsov estime que l’arbitre a porté un jugement déraisonnable sur sa conduite, qu’il a évaluée avec du recul. Il fait valoir, en s’appuyant sur l’arrêt Allen v Alberta (Law Enforcement Review Board), 2013 ABCA 187 [Allen], que de simples erreurs de jugement ne devraient pas constituer des infractions disciplinaires; il doit y avoir un degré important de culpabilité morale.

[130] Je suis d’avis qu’Allen ne conforte aucunement la position du gendarme Firsov selon laquelle les événements ne montrent pas qu’il a commis une faute de conduite.

[131] Dans Allen, c’est un manquement à la Charte qui avait donné lieu à la plainte disciplinaire. Il y a été conclu qu’une contravention à la Charte ne constituait pas en soi une infraction disciplinaire. Le gendarme Firsov est accusé ici d’avoir contrevenu au Code de déontologie, ce qui déclenche la prise de mesures disciplinaires par suite d’une enquête.

[132] L’arrêt Allen reconnaît aussi que la négligence peut, dans certains cas, constituer une infraction disciplinaire.

[133] L’arbitre a souligné ce qui suit relativement à l’allégation n4 :

[traduction]

  1. Le gendarme Firsov savait que le service téléphonique d’urgence avait reçu un appel d’une femme réclamant la présence de la police « sur‐le‐champ » et aussi que la plaignante avait rappelé pour savoir si l’aide demandée était sur le point d’arriver;

  2. Il était troublant de constater que le gendarme Firsov a essayé de régler ce genre de plainte par téléphone, surtout s’il pensait que l’appel provenait d’une personne ayant été victime de violence conjugale tout juste trois jours auparavant;

  3. Le gendarme Firsov a reçu un numéro de téléphone pour joindre la plaignante et a choisi de considérer que c’était un canular; il n’a pas rappelé la plaignante parce qu’il croyait qu’elle était ivre;

  4. Quand ils appellent la police, surtout au numéro d’urgence, les membres de la population s’attendent à recevoir de l’aide. La conduite du gendarme Firsov dénote un non‐respect flagrant de la norme de service à laquelle le public s’attend et que la GRC s’efforce d’appliquer.

[134] L’autorité disciplinaire a précisé ce qui suit : [traduction] « même si je ne crois pas que vous ayez eu une intention malveillante en ne vous rendant pas sur les lieux, vos actes n’atteignent même pas ce que je considère comme le strict minimum acceptable ».

[135] L’arbitre s’est reporté au commentaire formulé dans le Guide des mesures disciplinaires, selon lequel [traduction] « la réponse aux appels d’urgence constitue un aspect fondamental du travail du policier. Quand des citoyens appellent à l’aide, les policiers sont censés arriver aussitôt que possible » et [traduction] « il y a négligence quand la qualité de l’intervention est si médiocre qu’elle peut jeter le discrédit sur la GRC ».

[136] L’arbitre a jugé, comme l’avait fait l’autorité disciplinaire, que la conduite du gendarme Firsov dénotait un non‐respect flagrant de la norme de service à laquelle le public s’attend et que la GRC s’efforce d’appliquer.

[137] Tant l’autorité disciplinaire que l’arbitre ont examiné les arguments présentés par le gendarme Firsov, par exemple le fait que la Station de transmissions opérationnelles ne lui avait pas communiqué toute l’information. Ils ont conclu tous les deux que le gendarme Firsov possédait assez de renseignements à ce moment‐là pour déduire qu’une intervention en personne s’imposait.

[138] L’arbitre a pris connaissance des motifs de l’autorité disciplinaire et des observations formulées par le gendarme Firsov dans la déclaration d’appel, après quoi il a tiré la conclusion raisonnable que la décision de l’autorité disciplinaire devait être confirmée. La décision et les motifs afférents tiennent compte comme il se doit des contraintes factuelles et juridiques énoncées dans les documents versés au dossier et celles régissant le processus disciplinaire de la GRC.

[139] Pour ce qui est de l’allégation n4, je suis d’avis que les motifs de la décision « se tiennent ». Ils sont transparents, intelligibles et justifiés. Encore une fois, les contraintes factuelles et juridiques pertinentes énoncées dans le Code de déontologie et les autres documents qui sont mentionnés dans la décision ont été examinées et appliquées dans le cadre d’une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle. Je n’ai pu y discerner de lacune décisive. Par conséquent, je suis tenue de faire preuve de déférence envers la décision : Vavilov au para 85.

[140] Pour tous ces motifs, je suis d’avis que la conclusion de l’arbitre quant au bien‐fondé de l’allégation n4 est raisonnable.

VII. Les mesures disciplinaires sont raisonnables

[141] La décision a confirmé la décision de l’autorité disciplinaire d’imposer une réduction de 32 heures (4 jours) de la banque de congés annuels pour chacune des allégations nos 3 et  4 de même que l’inadmissibilité à une promotion pendant un an, l’obligation de prendre connaissance de la politique de la GRC et de suivre des cours en ligne sur la violence conjugale.

[142] Lorsqu’il a jugé ces mesures disciplinaires raisonnables, l’arbitre a fait les commentaires suivants :

[traduction]

  • § Les facteurs qui permettent d’évaluer la gravité d’un manquement à l’obligation de diligence dans l’exercice des fonctions sont énumérés aux pages 20 à 23. Le Guide des mesures disciplinaires indique à la page 21 que, dans les cas où il y a négligence claire sans conséquences graves, l’éventail normal des mesures recommandées varie entre la réprimande et une pénalité équivalant à 5 jours de solde;

  • § Le Code de déontologie permet à l’autorité disciplinaire d’imposer des mesures disciplinaires correctives en plus des mesures disciplinaires simples;

  • § Le paragraphe 3(1) donne une liste non exhaustive des mesures disciplinaires simples, dont l’obligation de suivre une formation et d’assister à des séances de consultation ou d’exercer une activité;

  • § L’article 4 accorde le pouvoir, notamment, d’imposer l’inadmissibilité à toute promotion pour une période d’au plus un an et une réduction de la banque de congés annuels d’au plus 80 heures.

[143] L’arbitre a jugé que les mesures ordonnées par l’autorité disciplinaire entraient dans l’éventail recommandé par le Guide des mesures disciplinaires et relevaient de la compétence de l’autorité disciplinaire. L’arbitre a donc conclu que les mesures imposées étaient raisonnables.

[144] Le gendarme Firsov soutient que les mesures disciplinaires sont clairement excessives. Il se reporte à la version annotée de 2014 du Code de déontologie, où il est énoncé selon lui que, dans les cas de négligence claire non aggravés par des conséquences sérieuses, l’éventail normal des mesures recommandées varie entre une réprimande et une pénalité équivalant à 5 jours de solde.

[145] Le dossier contient une réfutation, par l’autorité disciplinaire, des observations contenues dans la déclaration d’appel. Le dossier explique notamment pourquoi l’autorité disciplinaire a jugé que les mesures imposées entraient dans l’éventail normal des mesures :

[traduction]

Déclarer une personne inadmissible à une promotion constitue une décision difficile, mais j’ai perdu toute confiance à l’endroit du gendarme Firsov. Gendarme de rang supérieur à l’époque, il occupait le poste de caporal par intérim. Il n’est pas intervenu de manière appropriée. Le Nunavut est un endroit très dangereux. De fait, nous affichons l’indice de gravité de la criminalité le plus élevé de toutes les provinces et tous les territoires. Le détachement était formé de deux personnes, et laisser un gendarme seul dans une situation de violence conjugale est complètement inacceptable compte tenu du contexte au Nunavut.

[146] Aux dires du gendarme Firsov, aucune des allégations nos 3 ou 4 ne dénote une négligence claire. Chacune comportait des facteurs disculpatoires qui militaient en sa faveur. En s’appuyant sur l’éventail des mesures précité, le gendarme Firsov soutient que les sanctions disciplinaires liées à son comportement ne peuvent raisonnablement s’élever à 4 jours pour chaque allégation fondée.

[147] Le gendarme Firsov affirme également que l’article 4 du Code de déontologie permet à l’autorité disciplinaire d’imposer l’inadmissibilité à toute promotion pour une période d’au plus un an. Il s’ensuit qu’il a reçu la peine maximale pour cette forme de sanction. À son avis, cette issue est manifestement déraisonnable dans les circonstances.

[148] Selon le PGC, le gendarme Firsov cherche à faire en sorte que les éléments de preuve soient appréciés à nouveau et qu’une autre décision soit substituée à la décision de l’autorité disciplinaire. Le fait que des sanctions choisies à la rencontre disciplinaire se situent à l’extrémité supérieure de l’éventail permis ne dénote pas une erreur, mais exprime plutôt l’issue jugée préférable.

[149] Le PGC affirme aussi qu’il n’était pas déraisonnable pour l’arbitre de conclure que les mesures disciplinaires imposées par l’autorité disciplinaire – même si elles diffèrent de ce que lui‐même aurait ordonné – faisaient partie des sanctions justifiables, transparentes et intelligibles. L’autorité disciplinaire cherchait à faire comprendre au gendarme Firsov l’importance de répondre adéquatement à la violence conjugale et aux risques qu’elle pose pour le public, les gendarmes et la GRC. Comme elle l’a fait à l’intérieur des paramètres permis par le régime et au regard des éléments qui lui avaient été dûment présentés, l’autorité disciplinaire pouvait imposer les sanctions qu’elle a choisies.

[150] Je conviens avec le PGC que le choix de mesures disciplinaires proches de l’extrémité supérieure de l’éventail recommandé ne dénote pas une erreur et qu’il exprime l’issue jugée préférable.

[151] La décision de l’autorité disciplinaire montre que celle‐ci a tenu compte du Guide des mesures disciplinaires ainsi que des facteurs atténuants et aggravants. Par exemple, l’autorité disciplinaire a conclu que, même s’il n’y a eu aucune conséquence grave, il reste que le gendarme Firsov a choisi de ne pas se présenter sur les lieux. Pour cette raison, elle a décidé d’imposer une réduction de 4 jours de la banque de congés annuels, en reconnaissant qu’il s’agissait d’une des plus lourdes sanctions possibles.

[152] L’autorité disciplinaire a expliqué qu’elle avait imposé d’autres mesures disciplinaires correctives, parce qu’elle sentait qu’il était important que le gendarme Firsov ne soit pas promu tant qu’il n’avait pas fait le nécessaire pour corriger ses gestes et s’assurer qu’ils ne se reproduisent pas. Les mesures supplémentaires imposées visaient à faire comprendre au gendarme Firsov l’importance d’intervenir de manière appropriée dans le contexte de plaintes en matière de violence conjugale.

[153] L’autorité disciplinaire a mentionné expressément deux facteurs aggravants pour ce qui est de l’allégation n4.

[154] L’autorité disciplinaire a jugé que le gendarme Firsov, même s’il a pris certaines mesures et qu’il n’a pas refusé expressément de s’occuper de la plainte, a eu un comportement [traduction] « nettement en‐deçà des attentes pour un gendarme possédant [ses] années de service ». Elle a conclu par ailleurs qu’il ne s’agissait pas [traduction] « d’un appel de routine, de sorte que des sanctions plus légères n’ont pas été envisagées ».

[155] L’arbitre s’est reporté à l’article 4.2 du Code de déontologie pour y trouver les facteurs qui permettent d’évaluer la gravité d’un manquement à l’obligation de diligence dans l’exercice des fonctions.

[156] L’arbitre a également souligné que l’article 4 du Code de déontologie permet à l’autorité disciplinaire d’ordonner des mesures correctives en sus des mesures simples. Il a mentionné que le paragraphe 3(1) renfermait une liste non exhaustive de mesures correctives et que l’article 4 accordait à l’autorité disciplinaire le pouvoir d’ordonner les sanctions qu’il a imposées.

[157] Je ne vois pas où l’arbitre a commis une erreur quand il a conclu que les mesures disciplinaires imposées étaient raisonnables. Il ne semble pas non plus que l’arbitre ait négligé un fait important ou une disposition législative déterminante.

[158] L’arbitre a jugé que les mesures imposées entraient dans l’éventail des sanctions recommandées dans le Guide sur les mesures disciplinaires. Par conséquent, les mesures disciplinaires imposées ont été considérées comme raisonnables. Les motifs sur lesquels repose cette conclusion sont justifiés, intelligibles et transparents. Le raisonnement « se tient » et ne comporte aucune lacune ou insuffisance décisives.

VIII. Résumé et conclusion

[159] Le gendarme Firsov n’a pas démontré qu’il y avait conflit d’intérêts ou qu’on pouvait reprocher à l’autorité disciplinaire d’avoir suscité une crainte raisonnable de partialité en raison du fait qu’elle avait donné pour instruction d’enclencher une enquête sur la fusillade ou qu’elle a consulté un conseiller en déontologie. Je suis convaincue qu’une personne bien renseignée, qui étudierait la question en profondeur, de façon réaliste et pratique, n’en arriverait pas à croire, selon toute vraisemblance, que l’arbitre, consciemment ou non, ne rendra pas une décision juste.

[160] Le gendarme Firsov ne s’est pas acquitté de son fardeau de démontrer que la décision était déraisonnable ou non conforme à l’équité procédurale, ni en ce qui concerne la confirmation de la décision de l’autorité disciplinaire par l’arbitre au sujet des allégations nos 3 et 4, ni pour ce qui est de la nature des sanctions disciplinaires imposées.

[161] Le gendarme Firsov était en fait simplement en désaccord avec l’appréciation de la preuve par l’arbitre et l’autorité disciplinaire. Dans ses plaidoiries, il demande essentiellement à la Cour d’apprécier à nouveau la preuve et de substituer son jugement à celui du décideur.

[162] Ce n’est pas là le rôle d’une cour de révision. Il est bien établi que le décideur administratif peut apprécier la preuve qui lui est soumise et qu’à moins de circonstances exceptionnelles, les cours de révision ne modifient pas ses conclusions de fait. Les cours de révision doivent également s’abstenir « d’apprécier à nouveau la preuve examinée par le décideur » : Vavilov au para 125.

[163] Je comprends l’argument du gendarme Firsov quant au fait que son dossier d’emploi ne soit plus maintenant sans tache. J’accepte qu’il soit persuadé que l’affaire découle des gestes posés par celle qu’il décrit comme une ex‐petite amie cherchant à se venger. Néanmoins, la Cour est appelée à décider du caractère raisonnable de la décision, ce qui inclut à la fois le raisonnement suivi et le résultat obtenu : Vavilov au para 83.

[164] Aussi bien l’autorité disciplinaire que l'arbitre ont examiné les arguments soulevés par le gendarme Firsov, notamment le fait que des renseignements ne lui avaient pas été acheminés par la Station de transmissions opérationnelles, et ont jugé que le gendarme avait en main suffisamment d’information à ce moment‐là pour justifier la nécessité de se rendre sur les lieux.

[165] Ils connaissaient tous les deux l’opinion du gendarme Firsov relativement à la gendarme Drouin.

[166] La décision a été rendue après examen des motifs de l’autorité disciplinaire et des observations du gendarme Firsov. Je n’ai pu discerner aucune « lacune décisive » dans la logique et le raisonnement sous‐tendant la décision. Les motifs énoncent clairement comment et pourquoi l’arbitre a jugé que la décision de l’autorité disciplinaire n’avait pas violé l’équité procédurale et n’était pas non plus manifestement déraisonnable.

[167] Pour l’ensemble des motifs qui précèdent, je conclus que la décision est raisonnable et que l’arbitre a jugé correctement qu’il n’y avait pas eu d’atteinte à l’équité procédurale de la part de l’autorité disciplinaire.

[168] La demande est rejetée et le montant de 1 800 $ est accordé au PGC au titre des dépens.


JUGEMENT dans le dossier T‐499‐20

LA COUR STATUE que :

1. La demande est rejetée et le montant de 1 800 $ est accordé au PGC au titre des dépens.

« E. Susan Elliott »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T‐499‐20

 

INTITULÉ :

DYMTRO FIRSOV c CANADA (PROCUREUR GÉNÉRAL)

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 3 FÉVRIER 2021

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE ELLIOTT

 

DATE DES MOTIFS :

LE 25 AOÛT 2021

 

COMPARUTIONS :

Marco Baldasaro

 

POUR LE DEMANDEUR

 

James Elford

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

McLennan Ross LLP

Avocats

Calgary (Alberta)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Procureur général du Canada

Edmonton (Alberta)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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