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Date : 20210819


Dossier : IMM‑278‑21

Référence : 2021 CF 854

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Vancouver (Colombie‑Britannique), le 19 août 2021

En présence de monsieur le juge Pentney

ENTRE :

LI FENG

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1] La demanderesse, Li Feng, sollicite le contrôle judiciaire de la décision du 5 janvier 2021 par laquelle un agent d’immigration [l’agent] a rejeté sa demande de permis de travail présentée au titre du Programme des travailleurs étrangers temporaires. Elle soutient qu’en tirant ses conclusions, l’agent n’a pas tenu compte des éléments de preuve qu’elle avait fournis en réponse à ses questions précises. En outre, elle s’oppose fortement aux allusions à une fraude faites par l’agent et à sa conclusion de fausse déclaration.

[2] Je ne suis pas convaincu que la décision de l’agent est déraisonnable étant donné les incohérences et les écarts observés dans les renseignements fournis par la demanderesse à l’appui de sa demande de permis de travail.

[3] La demanderesse, une citoyenne de la Chine, est titulaire de divers diplômes et certificats dans les domaines de l’ingénierie et de la construction. Il ne fait aucun doute qu’elle est hautement qualifiée et expérimentée. Son fils est arrivé au Canada en tant qu’étudiant en 2014 et depuis, elle est venue le visiter au pays à divers moments. La demanderesse affirme que durant ses séjours au Canada, elle a travaillé pour son employeur chinois, la China Petroleum Pipeline Engineering Corporation [CPPE]. Elle a aussi travaillé durant un moment pour Aujla Orchards, une entreprise canadienne.

[4] En juillet 2020, à l’issue d’une étude d’impact sur le marché du travail, la demanderesse a présenté sa demande de permis de travail en vue de travailler comme responsable de chantier pour un employeur canadien éventuel. Le 10 août 2020, l’agent a envoyé à la demanderesse une lettre d’équité procédurale dans laquelle il soulevait trois questions concernant sa demande de permis de travail : (i) la question du poste de travailleuse agricole qu’elle avait occupé auprès d’Aujla Orchards de septembre 2016 à avril 2018; (ii) la question de savoir comment elle avait pu reprendre son poste à temps plein auprès de CPPE en avril 2018 alors qu’elle n’était retournée en Chine qu’en août 2018; (iii) la question de savoir comment elle pouvait avoir travaillé comme directrice de projet à temps plein depuis 2018 alors qu’elle avait passé moins de six mois en Chine durant cette période.

[5] La demanderesse a fourni une réponse à la lettre d’équité procédurale, dans laquelle elle répondait aux deuxième et troisième questions, mais ne fournissait aucun renseignement concernant la première question soulevée par l’agent. Elle a en outre fourni une lettre de CPPE, datée du 21 août 2020, décrivant ses antécédents de travail.

[6] Le 5 janvier 2021, l’agent a rejeté la demande de permis de travail de la demanderesse et a déclaré cette dernière interdite de territoire durant une période de cinq ans pour fausse déclaration. L’essentiel du raisonnement de l’agent est exposé dans les notes versées au Système mondial de gestion des cas [le SMGC]. Selon ces notes, les incohérences observées dans les renseignements fournis par la demanderesse ont amené l’agent à conclure qu’elle avait présenté des documents frauduleux qui auraient pu causer une erreur dans l’application de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la LIPR].

[7] La question déterminante est celle de savoir si l’analyse faite par l’agent des renseignements concernant les antécédents de travail de la demanderesse est déraisonnable. La norme de contrôle qui s’applique est celle de la décision raisonnable (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov] aux para 17 et 69; Singh c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 691 au para 4).

[8] En outre, une question préliminaire est soulevée. Le défendeur s’oppose à l’affidavit déposé par la demanderesse auprès de la Cour pour les raisons suivantes : il contient de nouveaux renseignements qui n’avaient pas été soumis au décideur; certains paragraphes sont argumentatifs et, de ce fait, inappropriés; il n’est pas accompagné d’un constat d’assermentation en bonne et due forme. La demanderesse soutient que les nouveaux renseignements devraient être admis par la Cour, au titre des exceptions reconnues dans l’arrêt Bernard c Canada (Agence du revenu), 2015 CAF 263 aux para 19‑25), puisqu’ils démontrent que la conclusion de fraude tirée par l’agent n’est pas justifiée. La demanderesse affirme que la conclusion selon laquelle elle aurait commis une fraude est dénuée de fondement et que les renseignements supplémentaires fournis le démontrent. De plus, la demanderesse demande à la Cour d’exercer son pouvoir discrétionnaire pour excuser l’absence de constat d’assermentation en bonne et due forme; elle se trouvait en Chine au moment où elle a souscrit l’affidavit et il était impossible d’en obtenir une version adéquate avant la date limite de dépôt.

[9] Je suis d’accord avec le défendeur sur le fait que les nouveaux renseignements ne sont pas admissibles. Ils ne sont visés par aucune des exceptions reconnues et il n’existe aucune raison de principe justifiant de les admettre. Les renseignements en question auraient dû être soumis au décideur; autoriser qu’ils soient présentés à la Cour « éloignerait l’attention de la Cour de la décision visée par l’examen et l’approcherait d’un examen de novo sur le fond » (Henri c Canada (Procureur général), 2016 CAF 38 au para 41). Je ne tiendrai pas compte des paragraphes contestés de l’affidavit de la demanderesse ni des renseignements qui figurent à la pièce B.

[10] En ce qui concerne le fondement de l’argument de la demanderesse, je ne suis pas convaincu que la décision de l’agent est déraisonnable. La demanderesse soutient qu’elle a fourni des réponses véridiques et convenables aux questions soulevées dans la lettre d’équité procédurale concernant son emploi auprès de CPPE. Elle affirme que l’agent a, à tort, présumé qu’elle devait se trouver en Chine pour travailler pour l’entreprise, mais qu’il ressort clairement de ses explications et de celles de l’entreprise qu’elle pouvait travailler à distance.

[11] Le problème que posent les observations de la demanderesse est que l’endroit où elle se trouvait pendant qu’elle travaillait n’était pas la préoccupation première de l’agent, ni la raison du rejet de sa demande et de la conclusion de fausse déclaration. L’agent s’est plutôt concentré sur les incohérences observées dans les renseignements fournis par la demanderesse concernant ses antécédents de travail. Dans sa demande de permis de travail, ainsi que dans le curriculum vitæ qu’elle y a joint, la demanderesse énonce les faits suivants concernant les portions pertinentes de ses antécédents de travail :

  • Mars 2003 – juillet 2014Directrice de projet, CPPE (Chine)

  • Septembre 2016 – avril 2018Travailleuse agricole, Aujla Orchards (Canada)

  • Avril 2018 – aujourd’huiDirectrice de projet, CPPE (Chine)

[12] Ces faits sont cohérents avec l’exposé circonstancié de la demanderesse selon lequel elle avait dû venir au Canada en 2014 pour être avec son fils qui étudiait ici en tant qu’étudiant étranger. Ils sont également cohérents avec la lettre de CPPE, datée du 23 juillet 2020, qui décrit ses antécédents de travail auprès de l’entreprise.

[13] Comme il a déjà été mentionné, l’agent avait certaines questions concernant les antécédents de travail de la demanderesse, lesquelles étaient énoncées dans la lettre d’équité procédurale. La réponse de la demanderesse à cette lettre fournissait davantage de renseignements sur son travail à distance, ce sur quoi sont axées ses observations. Cependant, la réponse de la demanderesse, de même que la lettre de CPPE datée du 21 août 2020, contenaient également des renseignements qui contredisaient ses antécédents de travail fournis antérieurement. Plus précisément, la demanderesse a déclaré qu’elle avait travaillé [traduction] « à la pièce » pour CPPE de septembre 2016 à avril 2018 et qu’elle avait été payée pour chaque projet réalisé. La lettre de CPPE dit la même chose.

[14] L’agent a conclu que la demanderesse avait fourni des renseignements frauduleux, soulignant les incohérences et les contradictions concernant ses antécédents de travail auprès de CPPE, ainsi que le défaut de fournir des renseignements confirmant son emploi auprès d’Aujla Orchards.

[15] La demanderesse soutient que la conclusion de l’agent est déraisonnable puisque les préoccupations quant aux fonctions qu’elle avait occupées auprès de CPPE entre 2016 et 2018 n’étaient pas mentionnées dans la lettre d’équité procédurale. Je ne suis pas d’accord. La lettre soulevait certaines préoccupations, et la demanderesse a fourni des renseignements dans le but de répondre aux questions précises. Cependant, sa réponse a donné lieu à d’autres préoccupations, pour des raisons évidentes. La lettre d’équité ne soulevait aucune question concernant son travail pour CPPE durant la période visée; c’est plutôt sa réponse à la lettre qui a donné lieu à cette question.

[16] Il n’y a aucune iniquité dans ce cas puisque la demanderesse était au courant du contenu des nouveaux renseignements qu’elle a fournis, ainsi que de son obligation de fournir des renseignements exacts et complets en réponse à la lettre d’équité procédurale. Même si la demanderesse n’avait pas compris pleinement la portée des nouveaux renseignements, il n’était pas déraisonnable pour l’agent d’en tenir compte pour évaluer la demande de la demanderesse; en fait, l’agent était tenu de le faire.

[17] Le raisonnement de l’agent est amplement étayé par les éléments de preuve fournis par la demanderesse et versés au dossier, et les notes liées à la décision montrent que le raisonnement suivait les éléments du cadre juridique applicable à l’examen de demandes de permis de travail. Les deux parties reconnaissent l’analyse claire et logique du dossier réalisée par l’agent. Je souscris à leur évaluation.

[18] Selon le cadre relatif au contrôle judiciaire suivant la norme de la décision raisonnable établit dans l’arrêt Vavilov, le rôle d’une cour de révision consiste « à examiner les motifs qu’a donnés le décideur administratif et à déterminer si la décision est fondée sur un raisonnement intrinsèquement cohérent et est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles pertinentes » (Société canadienne des postes c Syndicat des travailleurs et travailleuses des postes, 2019 CSC 67 au para 2 [Société canadienne des postes]). Il incombe au demandeur de convaincre la cour de justice que « la lacune ou la déficience [invoquée] [...] est suffisamment capitale ou importante pour rendre [la décision] déraisonnable » (Vavilov, au para 100, cité avec approbation dans Société canadienne des postes, au para 33).

[19] À mon avis, la décision de l’agent doit être considérée comme raisonnable selon ce cadre; la demanderesse n’a démontré l’existence d’aucune lacune suffisamment capitale ou importante pour rendre la décision déraisonnable. La conclusion de l’agent selon laquelle les incohérences observées dans les renseignements de la demanderesse concernant ses antécédents de travail justifiaient une conclusion de fausse déclaration est étayée par le dossier et est expliquée dans la décision.

[20] En outre, la conclusion de fausse déclaration tirée par l’agent est cohérente avec la jurisprudence portant sur la nature et la portée du concept de fausse déclaration défini au paragraphe 40(1) de la LIPR. En résumé, il a été établi dans la jurisprudence que cette disposition s’applique tant aux déclarations délibérément fausses qu’aux déclarations inexactes faites innocemment (Chen c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 678 au para 10), que tout risque d’erreur dans l’application de la LIPR suffit à justifier une conclusion de fausse déclaration (Inocentes c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 1187 aux para 17 et 18) et qu’il incombe au demandeur de fournir des renseignements exacts dans une demande de statut au Canada (Cao c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2017 CF 260 au para 17).

[21] Compte tenu de ce qui précède, les allusions à une fraude faites par l’agent ne donnent pas lieu à une conséquence juridique plus grave pour la demanderesse, même s’il est évident que celle‑ci trouve ces allusions contestables. Il n’y a aucune raison de modifier cette conclusion, même si la demanderesse s’y oppose avec véhémence. Les incohérences flagrantes observées dans les renseignements fournis à l’agent par la demanderesse suffisent amplement à étayer la conclusion de fausse déclaration.

[22] Pour ces raisons, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

[23] Aucune des parties n’a proposé de question de portée générale à certifier, et l’affaire n’en soulève aucune.


JUGEMENT dans le dossier IMM‑278‑21

LA COUR ORDONNE :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  2. Il n’y a aucune question de portée générale à certifier.

« William F. Pentney »

Juge

Traduction certifiée conforme

Geneviève Bernier


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM‑278‑21

INTITULÉ :

LI FENG c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 18 AOÛT 2021

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE PENTNEY

DATE DU JUGEMENT ET DES MOTIFS :

LE 19 AOÛT 2021

COMPARUTIONS :

Malvin J. Harding

Pour la demanderesse

Thomas Bean

Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Malvin J. Harding

Avocat

Surrey (Colombie‑Britannique)

Pour la demanderesse

Procureur général du Canada

Vancouver (Colombie‑Britannique)

Pour le défendeur

 

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