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Date : 20060330

Dossier : DES-3-03

Référence : 2006 CF 410

Ottawa (Ontario), le 30 mars 2006

En présence de Monsieur le juge Simon Noël

ENTRE :

DANS L'AFFAIRE CONCERNANT un

certificat en vertu du paragraphe 77(1) de la Loi sur l'immigration

et la protection des réfugiés, signé par le Ministre de l'immigration

et le Solliciteur général du Canada (Ministres)

L.C. 2001, ch. 27 (LIPR);

DANS L'AFFAIRE CONCERNANT le dépôt de ce certificat  la

Cour fédérale du Canada en vertu du paragraphe 77(1)

et des articles 78 et 80 de la LIPR;

DANS L'AFFAIRE CONCERNANT

la modification des conditions de libération et de remise

en liberté de l'intéressé;

DANS L'AFFAIRE D'UNE DEMANDE DES MINISTRES

de procéder à une audience à huis clos hors la présence de

M. Charkaoui et de ses procureurs selon le paragraphe 78e)

de la LIPR et de l'objection de M. Charkaoui à la tenue

d'une telle audience;

ET DANS L'AFFAIRE CONCERNANT

M. Adil Charkaoui (M. Charkaoui).

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]                Le 17 février 2005, le soussigné libérait M. Charkaoui sous (16) « conditions préventives » (voir Charkaoui (Re), 2005 CF 248). Par la suite, il y a eu certaines modifications mineures à ces conditions. En date du 22 mars 2005, à la demande de M. Charkaoui, une ordonnance fut émise accordant entre autres la suspension de l'étude de la raisonnabilité du certificat permettant ainsi aux Ministres de disposer d'une demande de protection selon les paragraphes 79(1) et 112(1) de la LIPR. Tout récemment, le 24 février 2006, M. Charkaoui déposait une requête en annulation de la très grande majorité des conditions préventives, laquelle doit être entendue les 6 et 7 avril 2006.

[2]                En date du 13 mars 2006, les Ministres demandaient à la Cour de présider une audience à huis clos et hors la présence de M. Charkaoui et de ses procureurs dans le but d'examiner les renseignements en matière de sécurité à l'appui du certificat et du mandat d'arrestation ainsi que les autres éléments de preuve ou d'information. Les Ministres demandaient également à la Cour d'ordonner que ces renseignements et éléments de preuve demeurent dans les dossiers scellés de la Cour relatifs à la présente affaire et ne soient communiqués à aucune autre partie, sauf ordonnance contraire rendue par le soussigné, le tout selon les paragraphes 78e), f), g) et h) de la LIPR.

[3]                M. Charkaoui s'objecte à la demande des Ministres pour les raisons suivantes :

-           Le paragraphe 78e) de la LIPR est une exception au principe général de la publicité des procès et empêche la personne intéressée de contester la preuve du Ministère public;

-           M. Charkaoui a déjà contesté la validité constitutionnelle du paragraphe 78e) de la LIPR et la Cour suprême du Canada entendra l'affaire en juin 2006;

-           Sans vouloir admettre la légalité de la procédure ou encore d'y donner une certaine légitimité, M. Charkaoui ajoute qu'étant une exception au principe général de la publicité des procès, et portant atteinte au droit à une défense pleine et entière, la mise en application d'une telle audience doit être limité à l'examen de renseignements pertinents dont la communication pourrait porter atteinte à la sécurité nationale;

-           De plus, ces renseignements, objet de l'audition à huis clos, doivent être digne de foi, pertinents et nécessaires à la détermination des questions concernant la requête en annulation des conditions préventives de la libération de M. Charkaoui;

-           La demande des Ministres ne démontre à sa face même ni la pertinence des documents qui doivent être soumis à l'examen, ni leur lien avec les questions en litige, ni la nécessité de recourir à une audience à huis clos;

-           Les procureurs des Ministres ont l'obligation de dévoiler les renseignements pertinents et dans le but d'éliminer la possibilité de surprendre M. Charkaoui et ses procureurs, il devrait y avoir à tout le moins annonce des questions à être débattues et dévoilement des objectifs visés par la preuve devant être présentée à huis clos de façon à permettre à M. Charkaoui de présenter des arguments utiles quant à la demande d'audience à huis clos.

[4]                Les Ministres présentent la position suivante :

-            Les auditions à huis clos dans le domaine de sécurité nationale ont déjà passé le test des Cours de justice;

-           Le libellé du paragraphe 78e) de la LIPR permet aux Ministres de demander une audition à huit clos et hors la présence de l'intéressé et de ses procureurs lorsque l'objet d'une telle demande est l'examen par le juge désigné de renseignements en matière de sécurité et d'autres éléments de preuve ou d'information et que leur communication porterait atteinte à la sécurité nationale ou à celle d'autrui;

-           Un autre objectif visé par une telle demande est d'amener le juge, lorsque l'examen des documents et de la preuve sera terminé, à rédiger un résumé de ceux-ci sans divulguer d'éléments pouvant porter atteinte à la sécurité nationale ou à la sécurité d'autrui, tout en informant suffisamment la personne intéressée.

           

[5]                M. Charkaoui a déjà présenté à cette Cour ainsi qu'à la Cour d'appel fédérale ses arguments concernant l'inconstitutionnalité de la procédure du certificat prévue aux articles 76 et suivants de la LIPR y compris l'article 78 qui permet l'audition à huit clos sur demande des Ministres. Dans un jugement Charkaoui (Re) 2003 CF 1419 daté du 5 décembre 2003, le soussigné a analysé la procédure de certificat mise de l'avant par la LIPR en tenant compte de l'argumentation portant sur l'inconstitutionnalité de ladite procédure. J'ai rejeté l'argumentation de M. Charkaoui et en conséquence, j'ai validé la procédure de certificat y incluant l'audition à huis clos pour fin d'examen des renseignements de sécurité nationale ou d'autres éléments de preuve (voir les paragraphes 98 à 107 de ladite décision).

[6]                La Cour d'appel fédérale a maintenu la décision du soussigné dans un jugement unanime datée du 10 décembre 2004 (voir Charkaoui (Re), 2004 CFA 421, aux para. 75 à 101). Ce jugement fait l'objet d'un appel à la Cour suprême et l'audition aura lieu en juin 2006.

[7]                M. Charkaoui ajoute que l'information protégée doit être pertinente aux questions en litige. En l'espèce, la question à l'étude est la demande d'annulation d'une partie importante des conditions préventives auxquelles la libération de M. Charkaoui est sujette. Je suis d'accord. Le but d'une audience à huis clos est de présenter au juge désigné de l'information pour fin d'examen afin que celui-ci en établisse la pertinence en fonction des questions en litige et prépare un résumé de la preuve dans le but d'informer suffisamment l'intéressé tout en ne divulguant aucun renseignement qui porterait atteinte à la sécurité nationale ou à la sécurité d'autrui.

[8]                Pour y arriver, le législateur a mis à la disposition des Ministres la procédure de demande. Il n'a pas assujetti celle-ci à un grand formalisme (voir le paragraphe 78e) de la LIPR). Ceci est conforme aux règles énoncées par le législateur pour l'application du paragraphe 78 et ses sous paragraphes de la LIPR :

78. Les règles suivantes s'appliquent à l'affaire :

a) le juge entend l'affaire;

b) le juge est tenu de garantir la confidentialité des renseignements justifiant le certificat et des autres éléments de preuve qui pourraient lui être communiqués et dont la divulgation porterait atteinte, selon lui, à la sécurité nationale ou à la sécurité d'autrui;

c) il procède, dans la mesure où les circonstances et les considérations d'équité et de justice naturelle le permettent, sans formalisme et selon la procédure expéditive;

d) il examine, dans les sept jours suivant le dépôt du certificat et à huis clos, les renseignements et autres éléments de preuve;

e) à chaque demande d'un ministre, il examine, en l'absence du résident permanent ou de l'étranger et de son conseil, tout ou partie des renseignements ou autres éléments de preuve dont la divulgation porterait atteinte, selon lui, à la sécurité nationale ou à la sécurité d'autrui;

f) ces renseignements ou éléments de preuve doivent être remis aux ministres et ne peuvent servir de fondement à l'affaire soit si le juge décide qu'ils ne sont pas pertinents ou, l'étant, devraient faire partie du résumé, soit en cas de retrait de la demande;

g) si le juge décide qu'ils sont pertinents, mais que leur divulgation porterait atteinte à la sécurité nationale ou à celle d'autrui, ils ne peuvent faire partie du résumé, mais peuvent servir de fondement à l'affaire;

h) le juge fournit au résident permanent ou à l'étranger, afin de lui permettre d'être suffisamment informé des circonstances ayant donné lieu au certificat, un résumé de la preuve ne comportant aucun élément dont la divulgation porterait atteinte, selon lui, à la sécurité nationale ou à la sécurité d'autrui;

i) il donne au résident permanent ou à l'étranger la possibilité d'être entendu sur l'interdiction de territoire le visant;

j) il peut recevoir et admettre en preuve tout élément qu'il estime utile - même inadmissible en justice - et peut fonder sa décision sur celui-ci.

78. The following provisions govern the determination:

(a) the judge shall hear the matter;

(b) the judge shall ensure the confidentiality of the information on which the certificate is based and of any other evidence that may be provided to the judge if, in the opinion of the judge, its disclosure would be injurious to national security or to the safety of any person;

(c) the judge shall deal with all matters as informally and expeditiously as the circumstances and considerations of fairness and natural justice permit;

(d) the judge shall examine the information and any other evidence in private within seven days after the referral of the certificate for determination;

(e) on each request of the Minister or the Minister of Public Safety and Emergency Preparedness made at any time during the proceedings, the judge shall hear all or part of the information or evidence in the absence of the permanent resident or the foreign national named in the certificate and their counsel if, in the opinion of the judge, its disclosure would be injurious to national security or to the safety of any person;

(f) the information or evidence described in paragraph ( e) shall be returned to the Minister and the Minister of Public Safety and Emergency Preparedness and shall not be considered by the judge in deciding whether the certificate is reasonable if either the matter is withdrawn or if the judge determines that the information or evidence is not relevant or, if it is relevant, that it should be part of the summary;

(g) the information or evidence described in paragraph (e) shall not be included in the summary but may be considered by the judge in deciding whether the certificate is reasonable if the judge determines that the information or evidence is relevant but that its disclosure would be injurious to national security or to the safety of any person;

(h) the judge shall provide the permanent resident or the foreign national with a summary of the information or evidence that enables them to be reasonably informed of the circumstances giving rise to the certificate, but that does not include anything that in the opinion of the judge would be injurious to national security or to the safety of any person if disclosed;

(i) the judge shall provide the permanent resident or the foreign national with an opportunity to be heard regarding their inadmissibility; and

(j) the judge may receive into evidence anything that, in the opinion of the judge, is appropriate, even if it is inadmissible in a court of law, and may base the decision on that evidence.

(je souligne)

Il ne faudrait pas que la procédure de demande prévue à cet article soit inutilement formaliste, ce qui pourrait alourdir le processus. Ce n'est pas ce que le législateur a prévu à l'article 78. Au contraire, si ce dernier avait voulu imposer des règles procédurales plus exigeantes, il l'aurait spécifié.

[9]                À ce sujet, M. Charkaoui ajoute que la demande devrait faire ressortir la pertinence des renseignements protégés en fonction de la question en litige ainsi que la nécessité de recourir à un examen à huis clos. Une telle demande est problématique en soi. Comment assurer la confidentialité des renseignements ou autres éléments de preuve tout en démontrant leurs pertinences à la question en litige? Faire une démonstration de la pertinence de la preuve en tenant compte de la question en litige nécessiterait la divulgation de faits ou d'éléments de la preuve qui doivent dans certains cas demeurer confidentiels pour des motifs de sécurité. Cela va à l'encontre de l'obligation du juge désigné de s'assurer qu'aucun renseignement pouvant porter atteinte à la sécurité nationale ou à la sécurité d'autrui ne soit communiqué.

[10]            La solution mise de l'avant par le législateur dans une telle situation est d'imposer au juge l'obligation d'évaluer la pertinence des renseignements, de remettre aux Ministres les renseignements non pertinents et de préparer un résumé de la preuve pertinente dans le but de d'informer suffisamment l'intéressé tout en s'assurant qu'aucun élément pouvant porter atteinte à la sécurité nationale ou à la sécurité d'autrui ne sera dévoilé (voir les paragraphes 78b), e), f), g) et h) de la LIPR).

[11]            C'est la procédure voulue par le législateur dans de telles circonstances. Dans la décision Charkaoui (Re) précitée, le rôle du juge était expliqué de la façon suivante :

« À mon avis, le juge désigné constitue la preuve angulaire de la procédure de révision en ce qu'il a la double obligation de protéger les renseignements liés à la sécurité nationale ou à la criminalité et de remettre à la personne concernée un résumé de la preuve suffisamment révélateur des circonstances qui ont donné lieu au certificat et au mandat ayant mené à la détention. C'est ainsi qu'est établi l'équilibre entre les intérêts opposés. »

L'article 78 de la LIPR trouve application à toutes les étapes de la procédure du certificat de la détention ou encore de libération avec conditions.

[12]            Le juge désigné a une expertise certaine lors de l'examen de renseignements ou autres éléments de preuve et de la préparation d'un résumé de la preuve. Dans l'arrêt Sogi v. MCI (2004) CAF 212, au paragraphe 45, la Cour d'appel fédérale, sous la plume du juge M. Rothstein (maintenant juge à la Cour suprême du Canada), reconnaissait cette expertise :

« Les juges de la Cour fédérale possèdent une compétence spécialisée pour apprécier l'opportunité de divulguer des renseignements en matière de sécurité. (...) Le Parlement a empêché non seulement les membres des tribunaux administratifs, mais également les juges des cours supérieures provinciales, d'accomplir cette tâche. Il semble que, dans différents contextes législatifs, le Parlement estime que les juges de la Cour fédérale sont les mieux placés pour décider s'il y a lieu de divulguer des renseignements dont la communication pourrait porter atteinte à la sécurité nationale. »

[13]            Pour les motifs mentionnés à la présente, je ne peux pas retenir l'objection de M. Charkaoui et je dois donc la rejeter.

ORDONNANCE

POUR LES MOTIFS, LA COUR ORDONNE CE QUI SUIT :

            -           L'objection de M. Charkaoui est rejetée;

-           La demande des Ministres de tenir une audience à huis clos dans le but de permettre au juge désigné d'examiner des renseignements ou autres éléments de preuve dont la divulgation porterait atteinte à la sécurité nationale ou à la sécurité d'autrui est accordée.

« Simon Noël »

Juge


                                                             COUR FÉDÉRALE

                                              AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                        DES-3-03

INTITULÉ :                                      

DANSL=AFFAIRE CONCERNANT un

certificat en vertu du paragraphe 77(1) de la Loi sur l=immigration

et la protection des réfugiés, signé par le Ministre de l=immigration

et le Solliciteur général du Canada (Ministres)

L.C. 2001, ch. 27 (LIPR);

DANS L=AFFAIRE CONCERNANT le dépôt de ce certificat à la

Cour fédérale du Canada en vertu du paragraphe 77(1)

et des articles 78 et 80 de la LIPR;

DANSL=AFFAIRE CONCERNANT

la modification des conditions de libération et de remise

en liberté de l=intéressé;

DANS L=AFFAIRE D=UNE DEMANDE DESMINISTRES

de procéder à une audience à huis clos hors la présence de

M. Charkaoui et de ses procureurs selon le paragraphe 78e)

de la LIPR et de l=objection de M. Charkaoui à la tenue

d=une telle audience;

ET DANS L=AFFAIRE CONCERNANT

M. Adil Charkaoui (M. Charkaoui).

DATE DE L'AUDIENCE :    REQUÊTE ÉCRITE

MOTIFS DE :                                  L=Honorable Juge Simon Noël

DATE DESMOTIFS :                     Le 30 mars 2006

COMPARUTIONS:

Daniel Roussy

Luc Cadieux

POUR LE SOLLICITEUR GÉNÉRAL DU CANADA

Daniel Latulippe

POUR LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L=IMMIGRATION

Dominique Larochelle

POUR ADIL CHARKAOUI


AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER:                                                                                          

John H. Sims

Sous-procureur général du Canada

POUR LE SOLLICITEUR GÉNÉRAL DU CANADA ET LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L=IMMIGRATION

Des Lonchamps, Bourassa, Trudeau et Lafrance

Montréal (Québec)

POUR ADIL CHARKAOUI

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