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Date : 20050331

Dossier : T-1234-04

Référence : 2005 CF 433

Ottawa (Ontario), le 31 mars 2005

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE MOSLEY                            

ENTRE :                                                              

                                                               DAVID POWELL

                                                                             

                                                                                                                                          demandeur

                                                                             et

                                                                             

                                           PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

                                                                                                                                           défendeur

                                MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]         M. Powell a servi dans les Forces canadiennes pendant plus de vingt ans, dans l'infanterie, à titre de parachutiste et à titre d'instructeur d'exercice. Dans l'infanterie, il devait marcher et, parfois, courir sur de longues distances en étant fortement chargé. Dans le régiment aéroporté, il lui est arrivé souvent de sauter d'avions en vol et d'atterrir durement sur le sol. Il souffre maintenant de douleurs aux genoux qui affectent sa capacité de gagner sa vie. Le Tribunal des anciens combattants (révision et appel) a confirmé le refus d'une pension d'invalidité à M. Powell. Celui-ci demande le contrôle judiciaire de cette décision.


[2]         Après avoir quitté les Forces, M. Powell a commencé à travailler dans une mine. Cet emploi exigeait qu'il monte dans des échelles et en redescende et qu'il marche sur des pierres non consolidées. Éprouvant des difficultés avec ses genoux, il a demandé un traitement et a obtenu un diagnostic d'ostéoarthrose de niveau III dans son genou gauche et peut-être dans son genou droit. M. Powell attribuait cet état à son service militaire et a demandé une pension d'invalidité au ministère des Anciens combattants.

[3]         En mars 2003, le Ministère a refusé la pension à M. Powell pour sa blessure au genou. Cette décision a été maintenue à la suite d'un examen de l'admissibilité en septembre 2003 par une formation de deux membres du Tribunal des anciens combattants (révision et appel) (TACRA) et, de nouveau, en appel devant une formation de trois membres (le Tribunal d'appel) le 11 mai 2004.

[4]         En vertu de l'alinéa 21(2)a) de la Loi sur les pensions, L.R.C. 1985 chap. P-6, M. Powell avait droit à une pension pour invalidité résultant d'une blessure « consécutive ou rattachée directement » à son service militaire.

[5]         En confirmant la décision relative à l'examen de l'admissibilité, le Tribunal d'appel a statué que [traduction] « ...il n'existe pas de preuve documentée, médicale ou autre, de blessures importantes liées au service qui pourraient être considérées comme ayant résulté d'une invalidité au genou gauche » . M. Powell conteste cette conclusion et demande le réexamen de la question par un tribunal différent.

[6]         Les questions plaidées devant moi sont les suivantes :

1.          Le Tribunal d'appel a-t-il traité la preuve comme il se doit?

2.          Le Tribunal d'appel a-t-il appliqué le bon critère juridique?


3.          Existait-il une crainte raisonnable de partialité dans l'examen de la demande par le Tribunal d'appel?

ARGUMENTATION ET ANALYSE

Norme de contrôle

[7]         Avant de me pencher sur les questions en litige énumérées, je dois décider de la norme d'examen appropriée à appliquer à cette analyse. Le demandeur n'a pas traité directement de cette question dans ses observations écrites. Cependant, à l'audience, l'avocate du demandeur a plaidé que la norme de contrôle de la décision du Tribunal devrait être celle de la décision correcte car les erreurs qui auraient été commises par le Tribunal se rapportent directement à l'exercice de sa compétence : Moar c. Canada (Procureur général) (1995), 103 F.T.R. 314 (C.F. 1re inst.).

[8]         Le défendeur a plaidé que la norme devrait être celle de la décision manifestement déraisonnable, ou, comme le décrivent les termes de l'article 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales, le demandeur doit, pour que sa démarche soit couronnée de succès, établir que la décision du Tribunal est entachée d'une erreur de droit ou fondée sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments dont il dispose : Weare c. Canada (Procureur général) (1998), 153 F.T.R. 75 (C.F. 1re inst.); Hall c. Canada (Procureur général) (1998), 152 F.T.R. 58 (C.F. 1re inst.).


[9]         Comme l'a indiqué le juge Evans (tel était alors son titre) dans McTague c. Canada (Procureur général), [2000] 1 C.F. 647 (C.F. 1re inst.) au paragraphe 18, la compétence de la Cour pour annuler la décision d'un tribunal administratif fédéral pour le motif que celui-ci a commis une erreur de droit ne lui donne pas le pouvoir de revoir toute décision du tribunal qui se rapporte à une question de droit en lui appliquant la norme de la décision correcte. Cet argument est contraire à l'analyse pragmatique ou fonctionnelle exigée par la Cour suprême du Canada quand l'interprétation qu'un tribunal spécialisé donne à sa loi constitutive ou l'application qu'il en fait est contestée dans le cadre d'une procédure de contrôle judiciaire.

[10]       L'analyse de la norme de contrôle consiste essentiellement à établir dans quelle mesure le législateur voulait assujettir la décision administrative étudiée au contrôle judiciaire : Pushpanathan c. Canada (Ministre de la Citoyennetéet de l'Immigration), [1998] 1 R.C.S. 982, au paragraphe 26.

[11]       L'analyse requiert l'examen de quatre facteurs pour chaque question étudiée dans le cadre de la procédure de contrôle judiciaire : (1) l'existence d'une clause privative ou d'un droit d'appel prévu par la loi, (2) l'expertise du tribunal par rapport à celle de la cour de révision en ce qui touche la question étudiée, (3) le ou les objets de la législation dans son ensemble et des dispositions en cause en particulier, (4) la nature de la question en litige : question de droit, question de fait, ou question mixte de droit ou de fait : Barreau du Nouveau-Brunswick c. Ryan, [2003] 1 R.C.S. 247; Dr. Q. c. College of Physicians and Surgeons of British Columbia, [2003] 1 R.C.S. 226.


[12]       Le Tribunal des anciens combattants (révision et appel) (TACRA) est un tribunal indépendant constitué en vertu de l'article 4 de la Loi sur le Tribunal des anciens combattants (révision et appel), L.C. 1995, ch. 18 (Loi sur le Tacra). Il s'agit d'un régime à deux paliers d'examens et d'appels des décisions rendues par le ministre des Anciens combattants relativement aux pensions et aux prestations des anciens combattants, des membres des Forces canadiennes, de la Gendarmerie Royale du Canada et de leurs personnes à charge en vertu de la Loi sur les pensions.

[13]       Le Tribunal a compétence exclusive pour statuer sur tout appel et sur toute question ayant trait à cet appel conformément à l'article 26 de la Loi sur le Tacra. Dans des cas d'exception très limités, qui ne s'appliquent pas de façon pertinente en l'instance, le législateur n'a pas accordé de droit d'appel des décisions rendues par un comité d'appel du Tribunal. Il existe une clause privative prévoyant que la décision de la majorité des membres du comité d'appel est finale et exécutoire. Il s'agit de l'article 31 de la Loi sur le Tacra. Cela laisse croire que le législateur souhaitait que l'on considère avec beaucoup de révérence les décisions du Tribunal.

[14]       D'après les renseignements déposés dans le dossier certifié du tribunal, les membres du TACRA ont des antécédents, des occupations et des professions divers. Ils n'auraient, tout au moins au départ, aucune compétence particulière dans les questions sur lesquelles le Tribunal a statué. Toutefois, ils suivent une formation sur les questions médicales, la loi qu'ils appliquent et le processus de prise de décisions administratives qui suit la nomination. Le TACRA statue sur environ 10 000 demandes par année.

[15]       Les membres du Tribunal seraient par conséquent mieux à même que la Cour d'apprécier les faits qui sont au coeur de sa compétence spécialisée : pondérer des données médicales souvent conflictuelles ou non concluantes et statuer, à partir de celles-ci, si la blessure du demandeur a été occasionnée ou aggravée par le service militaire. Ce niveau de connaissance indiquerait que la norme de contrôle la plus rigoureuse devrait être appliquée à ces décisions.


[16]       L'article 40 de la Loi sur le TACRA prévoit que toutes les instances devant le Tribunal sont traitées sans formalisme et en procédure expéditive, dans la mesure où les circonstances et les facteurs d'équité le permettent, ce qui laisse croire que le législateur entendait, en adoptant la loi, élaborer un mécanisme de règlement des questions en litige découlant des demandes de prestations accordées par l'État de manière juste, accessible et peu coûteuse.

[17]       L'article 3 de la Loi sur le Tacra prévoit que le Tribunal, en s'acquittant de ses responsabilités, doit interpréter les dispositions de la loi en tenant compte des obligations que le pays reconnaît avoir à l'égard des personnes qui l'ont servi. L'article 2 de la Loi sur les pensions est similaire.

[18]       En outre, à l'article 39 de la Loi sur le Tacra, le législateur a donné les instructions suivantes :

39. Le Tribunal applique, à l'égard du demandeur ou de l'appelant, les règles suivantes en matière de preuve :

a) il tire des circonstances et des éléments de preuve qui lui sont présentés les conclusions les plus favorables possible à celui-ci;

b) il accepte tout élément de preuve non contredit que lui présente celui-ci et qui lui semble vraisemblable en l'occurrence;

c) il tranche en sa faveur toute incertitude quant au bien-fondé de la demande.

39. In all proceedings under this Act, the Board shall

(a) draw from all the circumstances of the case and all the evidence presented to it every reasonable inference in favour of the demandeur or appellant;

(b) accept any uncontradicted evidence presented to it by the demandeur or appellant that it considers to be credible in the circumstances; and

(c) resolve in favour of the demandeur or appellant any doubt, in the weighing of evidence, as to whether the demandeur or appellant has established a case.

[19]          Au moyen de ces dispositions, le législateur a clairement indiqué au Tribunal de tendre à accepter les dossiers mis de l'avant par les demandeurs et les appelants dans les cas où le Tribunal peut tirer une conclusion raisonnable fondée sur la preuve ou trancher toute incertitude en leur faveur. Cela laisse croire qu'un tribunal de révision devrait accorder moins de déférence aux décisions rendues par le Tribunal d'appel.


[20]       Le quatrième et dernier facteur dont il faut tenir compte dans l'analyse pragmatique et fonctionnelle est la nature de la question à trancher. Selon moi, ce n'est qu'un lien de causalité, soit une simple question de fait, qui se trouve au coeur de cette question. Aucune preuve médicale conflictuelle soumise au Tribunal n'exigeait de compétence particulière ou de compétence spécialisée à évaluer. Il n'était nullement contesté que le genou de M. Powell était blessé. Son témoignage et celui de sa femme n'ont pas été contredits. La seule question que devait trancher le Tribunal consistait à établir si la blessure du demandeur a résulté de son service militaire.

[21]       Après avoir pondéré tous ces facteurs, je conclus que la décision du Tribunal dans ce dossier devrait être évaluée en fonction d'une norme de contrôle moindre que la norme comportant la plus grande déférence. Je dois établir si cette décision était raisonnable, autrement dit si elle peut résister à un examen approfondi, tel qu'il est décrit par le juge Iacobucci dans Canada (Directeur des enquêtes et recherches) c. Southam, [1997] 1 R.C.S. 748, au paragraphe 56 et dans l'arrêt Ryan, précité. Cela ne signifie pas que je n'ai qu'à décider si le Tribunal en est venu au bon résultat. Je dois plutôt examiner les motifs donnés par le Tribunal et décider s'il existe un angle d'analyse qui pourrait raisonnablement mener le tribunal de la preuve qui lui a été soumise à la conclusion à laquelle il est arrivé.

1.          Interprétation erronée de la preuve

[22]       M. Powell et sa femme ont témoigné à l'audience d'examen de l'admissibilité. Aucun témoignage de vive voix n'a été offert en appel, mais le Tribunal a été saisi, en plus du compte rendu de l'audience, ci-après, d'une lettre d'un spécialiste en orthopédie, le Dr J. Engel, portant la date du 18 avril 2000.


[23]       M. Powell a décrit les exigences physiques des fonctions d'instructeur d'exercice et de parachutiste et a témoigné avoir eu des problèmes avec ses genoux tout au long de son service, en particulier après ses sauts. Mme Powell a confirmé que M. Powell a éprouvé ces malaises et a décrit les traitements qu'elle lui a donnés à la maison pour soigner ces maux. Elle a ajouté qu'elle lui a souvent dit d'aller voir un médecin.

[24]       Il existait une mince preuve dans les renseignements sur les états de service de M. Powell d'une plainte concernant des problèmes avec ses genoux et ses chevilles, mais cette preuve était peu concluante et, à la face même du dossier, elle n'était pas clairement liée à l'exécution de ses fonctions. M. Powell a témoigné qu'il ne voulait pas être considéré comme un plaignard et que c'est pour ce motif qu'il n'a pas signalé ses maux de genoux lorsqu'ils sont survenus.

[25]       Il plaide toutefois que le Tribunal aurait dû accepter son témoignage et celui de son épouse ou qu'il aurait dû dire pourquoi il ne les jugeait pas crédibles. Il prétend que le Tribunal n'a tranché aucune incertitude en sa faveur comme il devait le faire en vertu de l'article 2 de la Loi sur les pensions et des articles 3 et 39 de la Loi sur le Tacra. Il s'agit d'une erreur susceptible de révision : Moar c. Canada (Procureur général), précité; Brychka c. Canada (Procureur général) (1998), 141 F.T.R. 258 (C.F. 1re inst.); MacDonald c. Canada (Procureur général) (1999), 164 F.T.R. 42 (C.F. 1re inst.); Wood c. Canada (Procureur général) (2001), 199 F.T.R. 133 (C.F. 1re inst.); King c. Canada (Tribunal des anciens combattants (révision et appel)) (2001), 205 F.T.R. 204 (C.F. 1re inst.); Bradley c. Canada (Procureur général) (2001), 208 F.T.R. 267 (C.F. 1re inst.); Bernier c. Canada (Procureur général) (2003), 230 F.T.R. 89 (C.F. 1re inst.).


[26]       De plus, M. Powell soutient que l'avis médical du Dr Engel a été donné en réponse à une demande du TACRA. Il prétend que le rapport établissait un lien causal clair entre le parachutisme et l'état des genoux constaté par le Dr Engel. Il fait valoir que le Tribunal avait la possibilité d'accepter le rapport, de le rejeter en invoquant les motifs pour lesquels il ne le trouverait pas crédible, ou, en vertu de l'article 38 de la Loi sur le Tacra, de demander un avis médical indépendant. N'ayant pris aucune de ces mesures, le Tribunal a commis une erreur de droit et a outrepassé sa compétence.

[27]       Le défendeur plaide que bien que le Tribunal n'ait pas expressément rejeté le témoignage de M. Powell, il revenait à celui-ci de prouver le bien-fondé de sa demande. Bien que la preuve non contredite devrait être acceptée, en l'absence de constatation de manque de crédibilité, le lien de causalité entre l'état des genoux du demandeur et le service doit être établi par le demandeur : Weare, précité; Hall, précité; Elliot c. Canada (Procureur général) (2003), 307 N.R. 344 (C.A.F.); Nisbet c. Canada (Procureur général), 2004 CF 1106.

[28]       Le défendeur soutient que le Tribunal n'a trouvé aucune preuve de difficultés continues ni aucun avis médical pour appuyer le lien entre l'état de santé du demandeur et certains facteurs liés au service. Il a étudié l'avis du Dr Engel et a conclu qu'il n'appuyait pas l'affirmation selon laquelle l'ostéoarthrose a été causée par le service militaire. L'opinion n'était que pure spéculation fondée sur les propos de M. Powell au médecin : Hall, précité, Elliot, précité; Nisbet, précité.

[29]       Le rapport du Dr Engel en date du 18 avril 2000 énonce notamment ce qui suit :

[traduction] Comme il est indiqué, cet homme était auparavant un parachutiste sautant de nombreux avions. Ce type de blessure engrenée pourrait donner lieu à de l'ostéoarthrose du genou... Je crois que le facteur contributif principal au problème de genou serait le parachutisme accompagné de blessures engrenées aux condyles.


[30]       Il n'est peut-être pas étonnant que le Dr Engel conclue que le facteur contributif principal de la blessure résidait dans les antécédents du patient comme parachutiste pour l'armée. Comme il a été indiqué précédemment, aucun avis médical contradictoire n'a été déposé en preuve. Le Tribunal n'a pas non plus demandé, comme le prévoit la loi, un examen médical et un diagnostic indépendants du demandeur.

[31]       Dans ses motifs, le Tribunal, après avoir cité le rapport du Dr Engel, déclare que la [traduction] « seule preuve médicale documentée est un carnet de visites médicales daté du 14 novembre 1976 » , qui traitait d'une blessure au genou droit et à la cheville droite non liée aux fonctions militaires de M. Powell. Il ajoute : [traduction] « ...il n'existe pas de preuve documentée d'une blessure au genou gauche causée par des sauts en parachute ou par des activités de service militaire. » Cela laisse à penser que le Tribunal n'était prêt à accepter l'opinion du Dr Engel concernant la cause de la blessure que si elle pouvait être corroborée par une inscription dans le carnet de service de M. Powell.

[32]       Relativement au témoignage de M. Powell lui-même au sujet de ses maux de genoux pendant son service militaire, les motifs du Tribunal énoncent qu'il [traduction] « n'y a pas de preuve documentée, médicale ou autre, de blessures importantes liées au service qui pourraient être considérées comme ayant entraîné l'invalidité actuelle au genou gauche » . Cela laisse croire que le témoignage de M. Powell lui-même n'a pas été accepté par le Tribunal en l'absence d'une certaine corroboration de ses états de service. Aucune mention n'est faite du témoignage de Mme Powell qui appuie le compte rendu de son mari.


[33]       L'explication donnée par M. Powell du manque de documentation, selon laquelle il ne voulait pas être perçu comme un plaignard, n'a vraisemblablement reçu aucun crédit de la part du Tribunal, car il ne l'a pas mentionnée dans ses motifs. De prime abord, l'explication semblerait raisonnable. Il n'est pas nécessaire de posséder une grande culture militaire pour comprendre que les membres fiers des Forces armées ne veulent pas être perçus comme des plaignards ou des fainéants.

[34]       Appliquant la norme de contrôle décrite précédemment, je ne puis trouver une voie d'analyse dans les motifs du Tribunal qui pourrait raisonnablement mener à la conclusion tirée par le Tribunal. Je ne vois pas comment le Tribunal aurait pu suivre l'orientation indiquée (à l'alinéa 39a)) pour tirer de la preuve produite toute conclusion raisonnable en faveur du demandeur et en arriver quand même à sa conclusion. De plus, le Tribunal a pour directive (à l'alinéa 39b)) d'accepter tout élément de preuve non contredit du demandeur qu'il juge vraisemblable. Si le Tribunal estimait que les éléments de preuve non contredits présentés par M. et Mme Powell n'étaient pas vraisemblables, le Tribunal aurait dû l'énoncer clairement et en expliquer les motifs.

[35]       Les motifs du Tribunal m'amènent à croire qu'il aurait accepté la demande du demandeur seulement si elle avait été appuyée par une inscription dans son carnet de services médicaux indiquant qu'il avait déclaré une blessure à son genou pendant qu'il était dans les Forces armées. Bien qu'il incombait toujours au demandeur de prouver le bien-fondé de sa demande, la preuve non contredite qu'il a produite, appuyée de l'avis médical du Dr Engel, était à mon avis suffisante, selon la prépondérance de la preuve, pour s'acquitter de cette charge. Si le Tribunal n'a pas accepté que la preuve a été faite, il était tenu d'en expliquer clairement les motifs.


[36]       Selon moi, la décision du Tribunal ne résiste pas à un examen assez approfondi et je ne peux pas conclure que la décision était raisonnable. Pour ce seul motif, je statuerai en faveur du demandeur et je renverrai la présente affaire devant un autre tribunal afin qu'il statue à nouveau sur l'affaire. Je crois néanmoins qu'il convient de traiter des autres questions plaidées devant moi.

3.          Le critère juridique

[37]      

Le demandeur prétend que le TACRA a appliqué le mauvais critère juridique parce qu'il s'en est remis à l'absence de blessures « importantes » liées au service. La loi n'exige pas que les blessures liées au service soient importantes. Elles doivent seulement être consécutives ou rattachées directement au service militaire : alinéa 21(2)a) de la Loi sur les pensions; King, précité.

[38]       Le défendeur soutient que l'utilisation du mot « important » faisait ressortir le manque de lien de causalité entre le genou gauche atteint d'ostéoarthrose et le service militaire et non le critère de la Loi sur les pensions.

[39]       À mon avis, le contexte dans lequel le terme est utilisé par le Tribunal laisse croire que celui-ci écartait la preuve soumise par le demandeur relativement aux effets de blessures liées au service décrites comme « mineures » . Il établissait une distinction entre ces blessures et ce qu'il considérait suffisant pour occasionner son invalidité. Cependant, en ce faisant, je crois qu'il a mal compris et dénaturé le critère qu'il devait appliquer à la preuve. J'accepte par conséquent l'observation du demandeur selon laquelle le TACRA a appliqué le mauvais critère en exigeant la preuve de blessures liées au service qui sont importantes. Seules les blessures liées au service doivent être prouvées. Le fait d'exiger des blessures importantes liées au service relève trop la barre.


4.         Crainte raisonnable de partialité

[40]       À l'appui de sa prétention selon laquelle la décision du Tribunal a été viciée par une crainte raisonnable de partialité institutionnelle, M. Powell a présenté en preuve un document trouvé par son avocat à la suite d'une recherche sur Internet dans le site Web du TACRA. Le « Plan stratégique de 2003-2004 » comprenait un exposé exprimant des inquiétudes à l'égard des conséquences financières de l'approbation des réclamations qui entraînent des paiements d'invalidité à long terme et exigeant l'administration responsable des programmes d'appel. Sur la foi de cette déclaration, M. Powell a plaidé qu'une personne raisonnable et bien informée, confrontée à cette déclaration publique, aurait une crainte de partialité : Committee for Justice and Liberty c. Canada (Office national de l'énergie), [1978] 1 R.C.S. 369.

[41]       Le défendeur s'est opposé au dépôt de cette déclaration en preuve, car rien n'indiquait dans le dossier que les membres du Tribunal étaient au courant de cette déclaration ou l'avaient étudiée avant de rendre leur décision dans cette affaire. Comme il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire et non d'une audience de novo, seule la preuve ayant été soumise au décideur devrait être prise en compte. De plus, le défendeur ne prend pas la place du TACRA, mais est plutôt une « personne directement touchée par l'ordonnance demandée dans la requête » plutôt que le tribunal à l'égard duquel la demande est présentée, comme le prévoit l'alinéa 303(1)a) des Règles de la Cour fédérale de 1998. Ainsi, plaide le défendeur, il ne devrait pas être placé de manière à avoir à expliquer ou justifier la déclaration du tribunal.


[42]       Il existe une exception restreinte à la règle interdisant la preuve provenant de l'extérieur dans les cas où l'allégation est une allégation d'inéquité procédurale, mais la partie qui demande à invoquer la preuve doit quand même établir qu'elle est fiable et pertinente : Liidlii Kue First Nation c. Canada (Procureur général) (2000), 187 F.T.R. 161 (C.F. 1re inst..); United States Polo Association c. Polo Ralph Lauren Corporation (2000), 286 N.R. 282 (C.A.F.) aux paragraphes 10 et 11. En l'espèce, aucune preuve n'a été produite pour établir la fiabilité de la déclaration ou, de fait, qui est l'auteur de celle-ci. Le site Web lui-même renferme une mise en garde selon laquelle il n'atteste pas que le contenu a été préparé par le TACRA, en affiliation avec celui-ci ou avec son aval.

[43]       J'ai autorisé que la déclaration soit introduite en preuve à l'audience, mais je ne peux pas conclure qu'une crainte raisonnable de partialité a été établie. Rien ne prouve que les membres du TACRA siégeant en appel dans le dossier de M. Powell (voire les membres du TACRA, tout simplement) ont participé à l'élaboration ou à l'approbation du Plan stratégique. Même s'ils en connaissaient l'existence, on ne m'a soumis absolument aucune preuve selon laquelle ils étaient d'accord avec ses conclusions et ses objectifs. Par conséquent, il ne satisfait pas aux exigences du critère énoncé dans l'arrêt Committee for Justice and Liberty, précité.

Conclusion

[44]       Pour les motifs énoncés précédemment, je conclus que la décision du Tribunal était fondée sur une erreur de droit quant au critère qu'il a appliqué pour établir si la blessure était causée par le service militaire du demandeur, et sur des conclusions de fait erronées tirées sans égard à la preuve soumise. Par conséquent, cette demande de contrôle judiciaire est accueillie et la question est renvoyée au Tribunal en vue d'un nouvel examen par un tribunal constitué différemment.


[45]       Le demandeur a réclamé que dans l'éventualité où sa demande serait accueillie, la Cour ordonne que l'on enjoigne au Tribunal d'accepter l'avis médical du Dr Engel daté du 18 avril 2000 ou, subsidiairement, d'énoncer les motifs pour lesquels cette preuve n'est pas digne de foi ou, à titre subsidiaire encore, de demander un avis médical indépendant conformément au paragraphe 28(1) de la Loi sur le Tacra.

[46]       Le demandeur a également demandé que la Cour ordonne au Tribunal d'accepter la preuve du demandeur et de sa femme ou, subsidiairement, d'énoncer les motifs pour lesquels la preuve n'est pas digne de foi.

[47]       Il apparaîtra des motifs que j'ai énoncés précédemment que le Tribunal devra revoir la preuve soumise par les Powell et le rapport du Dr Engel et soit accepter cette preuve, soit expliquer clairement pourquoi il ne l'accepte pas. Aucune autre directive de la Cour ne serait appropriée.

Dépens

[48]       Au cas où la présente demande serait accueillie, le demandeur a demandé que des dépens avocat-client lui soient adjugés.

[49]       Bien que l'article 400 des Règles confère au Tribunal un vaste pouvoir discrétionnaire d'adjudication des dépens, celui-ci n'est pas absolu. L'adjudication de dépens avocat-client est exceptionnelle : Mackin c. Nouveau-Brunswick (Ministre de la Justice), [2002] 1 R.C.S. 405. Il doit y avoir eu une inconduite pendant l'instance ou peu avant ou après celle-ci : Apotex Inc. c. Canada (Ministre de la Santé nationale et du Bien-être social) (2000), 265 N.R. 90 (C.A.F.).


[50]       Je constate que la décision revue en l'espèce était celle d'un tribunal indépendant exerçant son mandat et non directement du défendeur. Quoi qu'il en soit, bien que j'accepte que le demandeur devrait se voir adjuger ses dépens en tant que partie qui obtient gain de cause en l'instance, je ne vois pas de motifs exceptionnels ou d'inconduite de la part du défendeur qui justifieraient l'imposition des dépens avocat-client.

ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE que la présente demande soit accueillie avec dépens et que l'affaire soit renvoyée au Tribunal des anciens combattants (révision et appel) pour nouvel examen par un tribunal constitué différemment.

« Richard G. Mosley »

   Juge

Traduction certifiée conforme

Richard Jacques, LL.L.


                                                  COUR FÉDÉRALE

                      AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                T-1234-04

INTITULÉ :               DAVID POWELL

ET

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

                                                     

LIEU DE L'AUDIENCE :                              Winnipeg (Manitoba)

DATE DE L'AUDIENCE :                            Le 14 décembre 2004

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE PAR :                           Monsieur le Juge Mosley

DATE DES MOTIFS :                                   Le 31 mars 2005

COMPARUTIONS:

Myfanwy Bowman                                            POUR LE DEMANDEUR

Kevin Staska                                                     POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER:

MYFANWY BOWMAN                                             POUR LE DEMANDEUR

Tapper Cuddy

Avocats

Winnipeg (Manitoba)

JOHN H. SIMS, c.r.                                         POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

Winnipeg (Manitoba)


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