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Date : 20210817


Dossier : IMM-4844-20

Référence : 2021 CF 845

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 17 août 2021

En présence de madame la juge Elliott

ENTRE :

ABDELRAHMAN WAEL IKHDAIR

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Aperçu

[1] Le demandeur, M. Abdelrahman Wael Ikhdair, sollicite le contrôle judiciaire de l’examen des risques avant renvoi (l’ERAR) défavorable effectué le 31 mars 2020 par un agent principal. Il demande que la décision soit annulée et que l’affaire soit renvoyée pour nouvelle décision. Le défendeur sollicite le rejet de la demande.

[2] Pour les motifs qui suivent, la demande est rejetée.

II. Faits pertinents

[3] Citoyen de la Palestine, le demandeur est arrivé au Canada en février 2015 à titre de résident permanent parrainé par son épouse de l’époque. En octobre 2018, après avoir plaidé coupable, il a été déclaré coupable d’agression sexuelle sur une enfant, une infraction visée à l’article 271 du Code criminel, LRC 1985, c C-46. Il a ensuite été jugé interdit de territoire au Canada pour grande criminalité conformément à l’alinéa 36(1)a) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la LIPR].

[4] Le 27 juin 2019, le demandeur a présenté une demande d’ERAR. Compte tenu de son interdiction de territoire, il n’était admissible qu’à un examen des risques prévus à l’article 97 de la LIPR.

III. Décision faisant l’objet du contrôle

[5] Dans sa décision, l’agent a reconnu que le demandeur n’était admissible qu’à un examen des risques visés à l’article 97 en raison de son interdiction de territoire pour grande criminalité découlant d’une condamnation au Canada pour une infraction punissable d’un emprisonnement d’au moins dix ans en application de l’alinéa 36(1)a) de la LIPR.

[6] L’agent a reconnu la crainte de représailles exprimée par le demandeur pour son travail à titre d’informateur pour l’armée israélienne. Il a également noté que le demandeur était inquiet à l’idée de laisser derrière sa petite amie enceinte, mais a conclu qu’il s’agissait d’un motif de réparation excédant la portée d’un ERAR.

[7] L’agent a conclu que le demandeur n’avait pas établi avec précision les éléments importants de sa demande, tels que des dates précises concernant sa demande ou comment il avait pu identifier ses recruteurs israéliens. L’agent a également constaté que le demandeur n’avait pas défini le type de renseignements qu’il divulguait aux forces armées israéliennes, les personnes qu’il espionnait ou la manière dont il avait réussi à divulguer des renseignements à des capitaines de l’armée israélienne.

[8] Après avoir fait remarquer que le demandeur n’avait pas indiqué de fratrie dans son formulaire ERAR, l’agent a conclu qu’il n’avait pas établi l’identité du frère qui l’avait informé des rumeurs selon lesquelles le demandeur était l’informateur dont les renseignements avaient permis d’arrêter son voisin. Dans sa décision, l’agent a également commenté l’incohérence liée au fait que le demandeur avait pu entrer au Canada en utilisant son visa de résident permanent, alors qu’il prétendait que l’armée israélienne avait gardé son visa canadien après qu’il a mis un terme à ses relations avec elle, soit environ cinq mois avant son départ pour le Canada.

[9] L’agent a conclu que le demandeur n’avait pas fourni une preuve probante suffisante pour établir, selon la prépondérance des probabilités, qu’il est personnellement exposé à un risque prospectif. L’agent a souligné que les éléments de preuve présentés à l’égard du risque auquel il serait exposé en Palestine portaient principalement sur la situation générale du pays, ce qui n’est pas visé par l’article 97 de la LIPR. La demande d’ERAR a donc été rejetée.

IV. Question en litige et norme de contrôle

[10] La seule question en litige est celle de savoir si la décision de l’agent était raisonnable.

[11] Dans l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 (Vavilov), la Cour suprême du Canada a examiné en profondeur le droit applicable au contrôle judiciaire des décisions administratives. La Cour suprême a confirmé l’existence d’une présomption selon laquelle la norme de la décision raisonnable est la norme de contrôle applicable à l’examen des décisions administratives, sous réserve de certaines exceptions, dont aucune ne s’applique aux faits de la présente affaire : Vavilov, au para 23.

[12] La Cour suprême a déclaré très clairement que, lorsqu’une cour applique la norme de la décision raisonnable dans un contrôle judiciaire, elle doit s’abstenir de trancher à nouveau la question en litige. La cour doit examiner seulement la question de savoir si la décision, y compris le raisonnement suivi et le résultat obtenu, est déraisonnable : Vavilov, au para 83.

[13] Les conditions essentielles d’une décision raisonnable ont été reformulées de la façon suivante : la décision doit être fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle qui est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti. Il est important de noter que la norme de la décision raisonnable exige d’une cour de révision qu’elle fasse preuve de retenue envers une telle décision : Vavilov, au para 85.

[14] Il est important de noter que la Cour suprême nous a rappelé qu’une cour de révision doit se souvenir que les motifs écrits fournis par un organisme administratif ne doivent pas être jugés au regard d’une norme de perfection. Si les motifs de la décision ne font pas référence à tous les arguments, dispositions législatives, précédents ou autres détails que le juge siégeant en révision aurait voulu y lire, cela, en soi, ne constitue pas un fondement justifiant d’infirmer la décision. Une cour de révision ne peut pas non plus s’attendre à ce que le décideur administratif tire une conclusion explicite sur chaque élément constitutif du raisonnement, si subordonné soit‑il, qui a mené à sa conclusion finale : Vavilov, aux para 91 et 128.

V. Analyse

[15] Dans les observations qu’il a présentées à l’agent, le demandeur a souligné que comme il était entré au Canada à titre de résident permanent dans le cadre du parrainage d’un époux, le risque auquel il était exposé n’avait jamais été examiné et, par conséquent, tous les éléments de preuve présentés pour examen étaient [traduction] « nouveaux ».

[16] Selon les éléments de preuve, à l’âge de 14 ou 15 ans, le demandeur a rencontré un homme israélien appelé Malik qui lui a trouvé un emploi en construction à Tibériade, en Israël. Malik lui a dit qu’il était capitaine au sein des services de renseignement d’Israël et que le demandeur pourrait gagner plus d’argent en travaillant comme informateur. Le demandeur soutient qu’il a travaillé comme informateur à faire de la surveillance de 2008 à 2015.

[17] Le demandeur a indiqué que le risque précis auquel il était personnellement exposé découlait du fait qu’en 2014, il avait fourni aux Israéliens de l’information concernant une attaque à venir. L’attaque a été déjouée. L’un des attaquants, qui avait parlé au demandeur de l’attaque prévue, a reçu une balle à la jambe et a été arrêté. Une fois au Canada, le demandeur affirme que son frère lui a dit que l’homme qui avait reçu une balle accusait le demandeur de collaborer avec Israël. C’est pour cette raison que le demandeur craint pour sa vie s’il est renvoyé en Palestine.

[18] Le demandeur fait valoir que l’agent n’a pas tenu compte des nombreuses sources indépendantes et de son récit personnel concernant le traitement réservé aux informateurs soupçonnés de travailler pour les forces israéliennes. Cependant, dans l’arrêt Vavilov, invoquant l’arrêt Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c Terre-Neuve-et-Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62, la Cour suprême indique que les décideurs administratifs sont présumés avoir tenu compte de tous les éléments de preuve dont ils disposaient et qu’ils ne sont pas tenus de tirer des conclusions explicites sur chaque élément constitutif du raisonnement qui a mené à leur conclusion finale : Vavilov, aux para 91 et 128.

[19] Il ressort de l’examen du dossier que la majorité des documents soumis à l’agent pour démontrer le risque auquel serait exposé le demandeur s’il est renvoyé en Palestine étaient des documents sur la situation générale du pays, des articles en ligne et des reportages exposant en détail les attitudes de la société envers les informateurs présumés ainsi que le risque très réel de torture et de meurtre auquel ils font face s’ils sont renvoyés au pays.

[20] Comme l’a souligné l’agent, les éléments de preuve présentés par le demandeur posent trois problèmes.

[21] Le premier est que, dans sa demande d’ERAR, le demandeur n’a pas rempli la section sur la déclaration au sujet des membres de la famille. Il n’a pas indiqué s’il avait de la fratrie ou d’autres proches. Il a pourtant soutenu que son frère l’avait informé que des Palestiniens avaient découvert qu’il avait été un informateur pour les Israéliens. Manifestement, cette déclaration est incompatible avec sa demande d’ERAR et a suscité, à juste titre, le doute chez l’agent quant à la crédibilité du demandeur.

[22] Le deuxième problème est que le demandeur est entré au Canada en utilisant son visa de résident permanent, mais qu’il a soutenu que les Israéliens gardaient son visa pour le forcer à continuer à travailler pour eux à titre d’informateur. Là encore, cette information contradictoire a suscité, à juste titre, le doute chez l’agent quant à la crédibilité du demandeur.

[23] Le troisième problème est que le dossier ne renferme aucun élément de preuve personnalisé démontrant un risque pour le demandeur. Par exemple, il ne contient aucun affidavit du frère ou de toute autre personne qui pourrait avoir connaissance de l’histoire qui circule selon laquelle le demandeur était un informateur.

[24] Les documents sur la situation générale du pays, les articles et les sites Web contiennent bel et bien de l’information au sujet de la persécution et du préjudice dont peuvent être victimes les informateurs. Les documents génériques attestant les attitudes de la société et le risque de torture et de meurtre auquel sont exposés les informateurs présumés n’étayent pas l’histoire du demandeur selon laquelle il était lui-même un informateur pour les Israéliens. Lorsque ce dernier problème est examiné conjointement aux autres problèmes relevés par l’agent concernant le frère et le visa, il n’y a tout simplement aucun élément de preuve à l’appui du risque allégué par le demandeur.

[25] Pour les motifs qui précèdent, la demande est rejetée.

[26] Il n’y a aucune question grave de portée générale à certifier.


JUGEMENT dans le dossier IMM-4844-20

LA COUR STATUE :

  1. La demande est rejetée.

  2. Il n’y a aucune question grave de portée générale à certifier.

« E. Susan Elliott »

Juge

Traduction certifiée conforme

Sophie Reid-Triantafyllos


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-4844-20

 

INTITULÉ :

ABDELRAHMAN WAEL IKHDAIR c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 16 AOÛT 2021

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE ELLIOTT

 

DATE DES MOTIFS :

LE 17 AOÛT 2021

 

COMPARUTIONS :

Alastair Clarke

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Brendan Friesen

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Clarke Immigration Law

Avocats

Winnipeg (Manitoba)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Procureur général du Canada

Winnipeg (Manitoba)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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