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Date : 20210817


Dossier : IMM-7198-19

Référence : 2021 CF 776

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 17 août 2021

En présence de monsieur le juge Ahmed

ENTRE :

GABRIEL ANTONIO GONZALES MONTERO

GENESIS FERNANDA HERRERA RODRIGUEZ

STEVEN DAVID PORRAS HERRERA

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Contexte

[1] Mme Rodriguez et M. Montero affirment avoir été victimes d’une agression violente en août 2016 au Costa Rica, qui a traumatisé Mme Rodriguez. En raison de l’attaque d’août 2016 et des événements subséquents allégués, les demandeurs ont fui le Costa Rica et ont demandé l’asile au Canada. La Section de la protection des réfugiés (la SPR) et la Section d’appel des réfugiés (la SAR) ont toutes les deux rejeté leurs demandes, bien que la SAR ait admis que l’attaque d’août 2016 a eu lieu.

[2] Les demandeurs ont ensuite présenté une demande de résidence permanente fondée sur des considérations d’ordre humanitaire (la demande CH) au titre du paragraphe 25(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la LIPR). Un agent principal (l’agent) d’Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada a rejeté la demande CH des demandeurs.

[3] Les demandeurs sollicitent maintenant le contrôle judiciaire de la décision de l’agent. En particulier, ils affirment que l’agent a commis une erreur pour avoir omis de tenir raisonnablement compte des difficultés auxquelles Mme Rodriguez ferait face si elle devait retourner au Costa Rica, pour avoir omis de tenir raisonnablement compte de l’intérêt supérieur de l’enfant (l’ISE) et pour s’être déraisonnablement fondé sur les conclusions de la SPR et de la SAR.

[4] À mon avis, la décision de l’agent est déraisonnable. L’agent a commis une erreur en se fondant sur la possibilité d’obtenir des soins de santé et un soutien familial au Costa Rica plutôt que de tenir compte de la façon dont la santé mentale de Mme Rodriguez pourrait se détériorer si elle était renvoyée. De plus, l’agent a omis d’examiner comment le renvoi de Mme Rodriguez pourrait augmenter le risque de suicide, démontrant ainsi un manque de sensibilité quant à la preuve et aux répercussions de sa décision. Par conséquent, j’accueillerai la présente demande de contrôle judiciaire.

II. Faits

A. Les demandeurs

[5] Les demandeurs sont une famille de ressortissants du Costa Rica : Mme Genesis Fernanda Herrera Rodriguez, son époux, M. Gabriel Antonio Gonzalez Montero, et leur fils, M. Steven David Porras Herrera, né en 2011 (le demandeur mineur). Mme Rodriguez et M. Montero ont également une fille, Mme Abby Nalemi Gonzalez Herrera, née en 2017, qui est citoyenne canadienne et qui n’est pas partie à la présente demande.

[6] Mme Rodriguez a rencontré son conjoint précédent, M. Leslie Porras Gonzalez, vers l’âge de 16 ans. M. Gonzalez est le père biologique du demandeur mineur.

[7] M. Gonzalez était un conjoint violent. Il agressait Mme Rodriguez physiquement, même lorsqu’elle était enceinte du demandeur mineur. Leur relation a pris fin lorsque M. Gonzalez a été incarcéré en juillet 2011, peu après la naissance du demandeur mineur.

[8] La relation entre Mme Rodriguez et M. Montero a commencé en juin 2016. Mme Rodriguez est tombée enceinte peu de temps après.

[9] Le 6 août 2016, alors qu’ils rendaient visite à la mère de M. Montero, Mme Rodriguez et M. Montero ont été violemment attaqués par un groupe d’hommes après qu’ils les avaient vus préparer de grandes quantités de drogue. Mme Rodriguez et M. Montero ont tous les deux été battus au cours de l’attaque, et Mme Rodriguez a été victime de violentes agressions sexuelles de la part de chacun de ces hommes. Elle a reçu des soins médicaux pour les blessures provoquées par l’agression sexuelle et a ensuite perdu son enfant à la suite d’une fausse couche.

[10] Le 31 janvier 2017, les demandeurs ont fui le Costa Rica et ont demandé l’asile au Canada.

[11] Dans une décision datée du 1er juin 2017, la SPR a conclu que les demandeurs n’avaient pas la qualité de réfugié au sens de la Convention ni celle de personnes à protéger au sens des articles 96 et 97 de la LIPR. La SPR avait exprimé plusieurs réserves quant à la crédibilité des demandeurs, particulièrement en ce qui concerne M. Montero, et avait conclu que les demandeurs pouvaient se prévaloir de la protection de l’État au Costa Rica.

[12] Dans une décision datée du 15 mars 2018, la SAR a confirmé la décision de la SPR et a rejeté l’appel interjeté par les demandeurs. La SAR a reconnu que l’attaque d’août 2016 avait eu lieu, mais elle a conclu que les demandeurs n’avaient pas établi l’existence d’un lien entre l’attaque et un motif de protection énoncé à l’article 96 de la LIPR.

[13] Le 3 juillet 2018 ou vers cette date, les demandeurs ont présenté leur demande CH.

B. Décision faisant l’objet du contrôle judiciaire

[14] Dans une décision datée du 30 septembre 2019, l’agent a refusé la demande CH des demandeurs. Ces derniers sollicitent maintenant le contrôle judiciaire de cette décision.

[15] À l’appui de leur demande CH, les demandeurs ont présenté un rapport du Dr Christopher Ross Kitamura, daté du 16 juillet 2018. Le Dr Kitamura a établi un diagnostic de trouble de stress post-traumatique et de trouble dépressif majeur chez Mme Rodriguez, précisant qu’elle a été maltraitée par son beau-père et par M. Gonzalez, et qu’elle a été agressée sexuellement en août 2016. En outre, le Dr Kitamura a conclu que Mme Rodriguez risquait de voir réapparaître des idées d’automutilation ou des idées suicidaires, y compris des tentatives de suicide éventuelles, si elle retournait au Costa Rica.

[16] Pour rejeter la demande CH des demandeurs, l’agent s’est fondé sur les conclusions suivantes :

  1. Les demandeurs n’ont pas réfuté les conclusions de la SPR et de la SAR quant à leur crainte de persécution au Costa Rica.

  2. L’établissement des demandeurs au Canada ne justifiait pas la prise de mesures spéciales à l’appui de leur demande CH. L’agent a souligné que les demandeurs ont amélioré leurs compétences en anglais, qu’ils ont fréquenté une église et qu’ils ont noué des relations d’amitié pendant leur séjour au Canada, mais il a conclu que ces facteurs n’étaient pas déterminants.

  3. La santé mentale de Mme Rodriguez pourrait se détériorer si elle retournait au Costa Rica, ce qui aurait une incidence sur sa capacité à exercer son rôle parental. Toutefois, Mme Rodriguez serait probablement capable d’obtenir une aide psychologique et un soutien familial au Costa Rica.

  4. L’ISE ne justifiait pas la prise de mesures spéciales à l’appui de la demande CH, car le demandeur mineur et Abby pourraient se réintégrer au Costa Rica, sans qu’il soit porté atteinte à leurs intérêts.

III. Cadre législatif

[17] Selon le paragraphe 25(1) de la LIPR, le ministre peut exercer son pouvoir discrétionnaire pour accorder une exemption des exigences de la LIPR à certains étrangers, s’il estime que des considérations d’ordre humanitaire le justifient, compte tenu de l’ISE :

Séjour pour motif d’ordre humanitaire à la demande de l’étranger

Humanitarian and compassionate considerations — request of foreign national

25(1) Sous réserve du paragraphe (1.2), le ministre doit, sur demande d’un étranger se trouvant au Canada qui demande le statut de résident permanent et qui soit est interdit de territoire — sauf si c’est en raison d’un cas visé aux articles 34, 35 ou 37 —, soit ne se conforme pas à la présente loi, et peut, sur demande d’un étranger se trouvant hors du Canada — sauf s’il est interdit de territoire au titre des articles 34, 35 ou 37 — qui demande un visa de résident permanent, étudier le cas de cet étranger; il peut lui octroyer le statut de résident permanent ou lever tout ou partie des critères et obligations applicables, s’il estime que des considérations d’ordre humanitaire relatives à l’étranger le justifient, compte tenu de l’intérêt supérieur de l’enfant directement touché.

25 (1) Subject to subsection (1.2), the Minister must, on request of a foreign national in Canada who applies for permanent resident status and who is inadmissible — other than under section 34, 35 or 37 — or who does not meet the requirements of this Act, and may, on request of a foreign national outside Canada — other than a foreign national who is inadmissible under section 34, 35 or 37 — who applies for a permanent resident visa, examine the circumstances concerning the foreign national and may grant the foreign national permanent resident status or an exemption from any applicable criteria or obligations of this Act if the Minister is of the opinion that it is justified by humanitarian and compassionate considerations relating to the foreign national, taking into account the best interests of a child directly affected.

[18] Citant, entre autres, l’arrêt Kanthasamy c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CSC 61 (Kanthasamy), le juge Little a expliqué l’objet des demandes fondées sur des considérations d’ordre humanitaires et les facteurs pertinents dans la décision Rainholz c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 121 (Rainholz) :

[14] Les considérations d’ordre humanitaire renvoient à « des faits établis par la preuve, de nature à inciter tout homme raisonnable [sic] d’une société civilisée à soulager les malheurs d’une autre personne – dans la mesure où ses malheurs “justifient l’octroi d’un redressement spécial” aux fins des dispositions de la [LIPR] ». L’objet de la disposition relative aux considérations d’ordre humanitaire a pour objet d’accorder un redressement en equity dans de telles circonstances.

[15] Selon l’interprétation retenue du paragraphe 25(1), l’agent doit évaluer les difficultés auxquelles le ou les demandeurs se heurteront lorsqu’ils quitteront le Canada. Bien qu’ils ne soient pas employés dans la loi elle-même, la jurisprudence d’appel a confirmé que les adjectifs « inhabituelles »,« injustifiées »et « excessives » décrivaient les difficultés susceptibles de justifier une dispense au titre de cette disposition. Ces termes utilisés pour décrire les difficultés sont instructifs, mais pas décisifs, ce qui permet ainsi au paragraphe 25(1) de remplir avec souplesse ses objectifs en equity.

[16] Les demandeurs peuvent soulever une large variété de facteurs pour établir des difficultés dans le cadre d’une demande CH. Les facteurs couramment invoqués comprennent notamment l’établissement au Canada; les attaches au Canada; des considérations liées à la santé; les conséquences découlant d’une séparation d’avec des parents, et l’ISE. La décision prise au titre du paragraphe 25(1) est globale et les considérations pertinentes doivent être soupesées de manière cumulative pour trancher la question de savoir s’il est justifié dans les circonstances d’accorder la mesure.

[17] Le pouvoir discrétionnaire prévu au paragraphe 25(1) doit s’exercer de manière raisonnable. Les agents appelés à se prononcer sur l’existence de considérations d’ordre humanitaire doit véritablement examiner tous les faits et les facteurs pertinents portés à sa connaissance et leur accorder du poids.

[18] Le fardeau d’établir qu’une dispense CH est justifiée incombe aux demandeurs. C’est à leurs risques et péril qu’ils omettent de soumettre des éléments de preuve ou de produire des renseignements pertinents à l’appui d’une demande CH.

[Renvois omis; non souligné dans l’original.]

IV. Question en litige et norme de contrôle

[19] Dans le présent contrôle judiciaire, la Cour est appelée à se prononcer sur la seule question de savoir si la décision de l’agent est raisonnable.

[20] Les parties s’entendent pour dire que la norme de contrôle applicable est celle de la décision raisonnable, ce à quoi je souscris (Rainholz, au para 23, citant l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 (Vavilov)).

[21] La norme de la décision raisonnable est une norme de contrôle empreinte de déférence, mais qui est rigoureuse (Vavilov, aux para 12-13). La cour de révision doit déterminer si la décision faisant l’objet du contrôle, y compris à la fois sa justification et son résultat, est transparente, intelligible et justifiée (Vavilov, au para 15). Une décision raisonnable en est une qui est fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle et qui est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti (Vavilov, au para 85). La question de savoir si une décision est raisonnable dépend du contexte administratif pertinent, du dossier dont le décideur administratif est saisi et des répercussions de la décision sur les personnes qui sont touchées par ses conséquences (Vavilov, aux para 88-90, 94, 133-135).

[22] Pour qu’une décision soit jugée déraisonnable, le demandeur doit établir qu’elle comporte des lacunes qui sont suffisamment capitales ou importantes (Vavilov, au para 100). La cour de révision doit s’abstenir d’apprécier à nouveau la preuve examinée par le décideur, et elle ne doit pas modifier les conclusions de fait, à moins de circonstances exceptionnelles (Vavilov, au para 125).

 

V. Analyse

[23] L’agent a conclu que les difficultés auxquelles Mme Rodriguez ferait face si elle retournait au Costa Rica ne justifiaient pas la prise de mesures spéciales pour des motifs d’ordre humanitaire, parce qu’elle serait en mesure d’obtenir des soins de santé et un soutien familial :

[traduction]

L’avocat a soutenu qu’« un renvoi au Costa Rica portera gravement atteinte à Mme Herrera Rodriguez » […] Je reconnais que le conseil fait valoir que la santé mentale de Mme Rodriguez aura probablement aussi un effet négatif sur sa capacité à être parent et, par conséquent, sur ses enfants, Steven et Abby. Bien que je sois sensible à la situation de Mme Rodriguez, on ne m’a pas fourni suffisamment d’éléments de preuve objectifs établissant que Mme Rodriguez ne serait pas en mesure d’obtenir une aide psychologique dans son pays ou qu’elle se verrait refuser une telle aide. En outre, je tiens à souligner qu’il ressort de la preuve dont je suis saisi que la famille immédiate des demandeurs composée de leurs parents et grands-parents, sœurs, tantes, frères et oncles réside toujours au Costa Rica et qu’aucune preuve suffisante n’a été présentée pour me convaincre qu’elle serait peu disposée, voire incapable, d’aider Mme Rodriguez et les enfants si cela s’avérait nécessaire.

[24] Les éléments de preuve dont disposait l’agent au sujet des inquiétudes de Mme Rodriguez concernant la santé mentale figurent en grande partie dans le rapport de Dr Kitamura, où il a été constaté que Mme Rodriguez pourrait être exposée à un risque accru de suicide si elle retournait au Costa Rica :

[traduction]

Les répercussions probables du renvoi au Costa Rica, notamment la séparation d’avec sa fille, sur sa santé mentale sont négatives et peuvent comprendre la réapparition d’idées d’automutilation et de pensées suicidaires (dont éventuellement des tentatives de suicide), en raison du sentiment de désespoir et d’impuissance. Ses symptômes pourraient continuer à s’améliorer si elle bénéficie d’un appui constant dans un environnement sûr et sécuritaire, en compagnie de sa famille.

[25] Le Dr Kitamura a conclu que les problèmes de santé mentale de Mme Rodriguez découlaient principalement des mauvais traitements qu’elle avait subis de la part de son beau-père et de M. Gonzalez ainsi que de l’attaque du mois d’août 2016. La SAR a reconnu que l’attaque du mois d’août avait eu lieu.

[26] À mon avis, l’agent a commis deux erreurs susceptibles de révision lorsqu’il a conclu que les difficultés auxquelles Mme Rodriguez ferait face si elle retournait au Costa Rica ne justifiaient pas la prise de mesures spéciales à l’appui de sa demande CH.

A. La décision de l’agent n’est pas justifiée au regard de la loi applicable

[27] Dans l’arrêt Kanthasamy, la Cour suprême du Canada a confirmé que, lorsqu’un diagnostic en matière de santé mentale est accepté, le fait même qu’une personne verrait, selon toute vraisemblance, sa santé mentale se détériorer si elle était renvoyait dans son pays d’origine constitue une considération pertinente qui doit être retenue puis soupesée, peu importe la possibilité d’obtenir dans son pays des soins susceptibles d’améliorer son état (Kanthasamy, au para 48). La jurisprudence de la Cour suprême du Canada a reconnu ce principe de façon constante (voir la décision Esahak-Shammas c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 461 au para 26, et les décisions qui y sont citées).

[28] En l’espèce, la décision de l’agent contredit les directives que la Cour suprême du Canada a données dans l’arrêt Kanthasamy. L’agent n’a pas contesté le diagnostic de santé mentale posé à l’égard de Mme Rodriguez. Toutefois, plutôt que d’apprécier la question de savoir si la santé mentale de Mme Rodriguez pourrait se détériorer en raison de son renvoi au Costa Rica, l’agent s’est uniquement fondé sur la possibilité d’obtenir des soins de santé et l’appui de la famille au Costa Rica pour expliquer pourquoi la prise de mesures spéciales à l’appui de la demande CH n’était pas justifiée. Comme les demandeurs l’ont souligné, la question de savoir si Mme Rodriguez peut recevoir des soins au Costa Rica ne permet pas d’examiner sérieusement les difficultés auxquelles elle ferait face si elle était renvoyée sur les lieux de son traumatisme.

[29] Le facteur distinctif en l’espèce tient à ce que l’agent s’est fondé sur la possibilité d’obtenir un appui de la famille au Costa Rica en plus des soins de santé. Toutefois, cette conclusion ne change en rien le fait que l’agent n’a pas examiné la manière dont la santé mentale de Mme Rodriguez pourrait vraisemblablement se détériorer si elle devait être renvoyée au Costa Rica, une considération que l’agent devait retenir (Kanthasamy, au para 48). À mon avis, l’agent ne peut pas écarter cette exigence en se fondant uniquement sur la possibilité d’obtenir des soins au Costa Rica, qu’il s’agisse des soins de santé ou du soutien familial.

[30] Pour faire valoir le contraire, le défendeur souligne des lacunes alléguées figurant dans le rapport du Dr Kitamura. Toutefois, l’agent n’a pas soulevé ces inquiétudes dans sa décision ni n’a contesté les constatations du Dr Kitamura. La décision de l’agent doit être appréciée au regard des motifs de ce dernier, et non au regard des motifs que le défendeur tente d’introduire après coup. Étant donné que l’agent n’a pas donné, dans les motifs, la justification pour laquelle il n’a pas pris en compte les difficultés auxquelles Mme Rodriguez ferait face si elle était renvoyée, et que cette justification ne saurait être déduite du dossier de l’instance, je conclus que la décision de l’agent est déraisonnable (Vavilov, au para 98).

B. La décision de l’agent n’est pas justifiée au regard des faits pertinents

[31] L’agent n’a pas tenu compte du fait que Mme Rodriguez pourrait être exposée à un risque accru de suicide si elle retournait au Costa Rica. En effet, le terme « suicide » ne figure nulle part dans la décision de l’agent.

[32] Dans l’arrêt Vavilov, la Cour suprême du Canada a confirmé la nécessité accrue d’une justification dans les décisions qui ont des conséquences particulièrement graves sur les personnes touchées par leurs résultats :

[133] […] Lorsque la décision a des répercussions sévères sur les droits et intérêts de l’individu visé, les motifs fournis à ce dernier doivent refléter ces enjeux. Le principe de la justification adaptée aux questions et préoccupations soulevées veut que le décideur explique pourquoi sa décision reflète le mieux l’intention du législateur, malgré les conséquences particulièrement graves pour l’individu concerné. Cela vaut notamment pour les décisions dont les conséquences menacent la vie, la liberté, la dignité ou les moyens de subsistance d’un individu.

[33] En l’espèce, les motifs de l’agent ne reflètent pas les enjeux de sa décision. Le Dr Kitamura a conclu que Mme Rodriguez pourrait perdre la vie en raison de son renvoi. L’agent n’a pas contesté cette constatation, et pourtant, il a omis d’expliquer pourquoi le refus de prendre des mesures spéciales à l’appui de la demande CH était justifié au regard de cette constatation. Compte tenu de la gravité des inquiétudes exprimées par le Dr Kitamura, je conclus que les motifs de l’agent révèlent un manque de sensibilité quant aux faits pertinents et aux répercussions de sa décision, ce qui rend la décision déraisonnable.

[34] Étant donné que j’ai conclu que la décision de l’agent est déraisonnable, il n’est pas nécessaire que j’examine les autres questions soulevées par les demandeurs.

VI. Conclusion

[35] Je conclus que la décision de l’agent est déraisonnable, parce qu’elle n’est pas justifiée au regard des faits pertinents et du droit applicable. La décision de l’agent contredit l’arrêt Kanthasamy, rendu par la Cour suprême du Canada, en ce sens que l’agent se fonde sur la possibilité d’obtenir des soins de santé et un appui de la famille au Costa Rica plutôt que d’examiner la manière dont la santé mentale de Mme Rodriguez pourrait se détériorer si elle était renvoyée. En outre, l’agent n’a pas tenu compte du fait que le renvoi de Mme Rodriguez l’exposerait à un risque accru de suicide, faisant ainsi preuve d’un manque de sensibilité quant à la preuve et aux répercussions de sa décision. Par conséquent, la présente demande de contrôle judiciaire est accueillie.

[36] Les parties n’ont pas proposé de question en vue de la certification, et la présente affaire n’en soulève aucune.


JUGEMENT dans le dossier IMM-7198-19

LA COUR STATUE :

  1. La demande de contrôle judiciaire est accueillie. La décision faisant l’objet du présent contrôle judiciaire est annulée et l’affaire est renvoyée à un autre décideur pour qu’il procède à un nouvel examen.

  2. Il n’y a aucune question à certifier.

« Shirzad A. »

Juge

Traduction certifiée conforme

Espérance Mabushi, M.A. Trad. Jur.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-7198-19

 

INTITULÉ :

GABRIEL ANTONIO GONZALES MONTERO, GENESIS FERNANDA HERRERA RODRIGUEZ ET STEVEN DAVID PORRAS HERRERA c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 28 JUIN 2021

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE AHMED

 

DATE DES MOTIFS ET DU JUGEMENT :

LE 17 AOÛT 2021

 

COMPARUTIONS :

Nicholas Woodward

 

POUR LES DEMANDEURS

 

Leanne Briscoe

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Battista Smith Migration Law Group

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR LES DEMANDEURS

 

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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