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Date: 20010622

Dossier : IMM-4428-99

                                                                                              Référence neutre : 2001 CFPI 698

ENTRE :                                                                         

                                                                REN HUI LIN

demandeur

- et -

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L' IMMIGRATION

défendeur

                                               MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE HANSEN

[1]                 Le demandeur, Ren Hui Lin, un citoyen de la République Populaire de Chine (RPC) âgé de 30 ans, conteste la décision de la Section du statut de réfugié (SSR) en date du 11 août 1999 lui refusant le statut de réfugié au sens de la Convention. Il revendiquait le statut de réfugié en se basant sur une crainte fondée de persécution pour appartenance à un groupe social, soit celui des hommes qui contreviennent à la politique chinoise en matière de planification familiale.


[2]                 Le demandeur et sa conjointe de fait ont eu deux enfants, après quoi M. Lin a obtenu un faux certificat de stérilisation qu'il a déposé auprès du bureau de planification familiale (BPF). Il a agi ainsi parce que son épouse a une constitution fragile et était incapable de subir une stérilisation, et que, dans de telles circonstances, la politique du BPF aurait exigé qu'il subisse lui-même l'intervention. Étant au courant de certaines situations où des hommes, ayant subi la stérilisation, en avaient conservé de graves séquelles, il craignait que les complications qui pourraient en découler ne l'empêchent de travailler et de pourvoir aux besoins de sa famille. En conséquence, le demandeur et son épouse ont planifié l'obtention et le dépôt d'un faux certificat de stérilisation.

[3]                 Leur ruse a été mise à jour lorsque l'épouse du demandeur est devenue enceinte pour une troisième fois et qu'elle a été obligée de subir un avortement. Le demandeur indique que, après l'avortement, son épouse a obtenu son congé de l'hôpital le vendredi après-midi et que le lundi suivant, les autorités, ayant été mises au courant de l'inexactitude de son certificat de stérilisation, se sont présentées à son lieu de travail dans le but, craignait-il, de l'arrêter et de le forcer à subir une stérilisation. Il s'est alors enfui à bicyclette dans un village voisin, empêchant ainsi les autorités de l'appréhender. Selon son témoignage, les autorités sont ensuite allées à sa résidence et y ont brisé la charpente du toit et détruit ses meubles. Son épouse et ses enfants, bien qu'ils n'aient pas été blessés, se sont réfugiés auprès des parents de l'épouse.


[4]                 Le demandeur dit avoir reçu l'aide de sa famille pour des travaux de réparation à sa maison et que douze jours après sa poursuite par les autorités, il a quitté le pays à l'aide de documents trafiqués. Il est arrivé à l'aéroport international Pearson à Toronto en Ontario le 9 juillet 1998 et a demandé le statut de réfugié le 14 juillet 1998.

[5]                 Dans sa décision, le tribunal a reconnu qu'il pouvait exister des cas où des individus pourraient faire face à une possibilité raisonnable de persécution s'ils contrevenaient à la politique de planification familiale de la RPC, mais il a conclu que ce n'était pas le cas du demandeur. Le jugement mentionne que le récit du demandeur [traduction] « contenait tout simplement trop d'éléments pour être vrai » . Plus particulièrement, le tribunal a qualifié de « dramatique » la description par le demandeur des dommages à sa résidence, de « sensationnelles » la visite des autorités et sa fuite subséquente » , et de fausse sa prétention quant au dépôt d'un faux certificat de stérilisation; il a dit :

[traduction]... considérant la prépondérance des probabilités et l'invraisemblance de ce qui précède, le demandeur avait en fait subi la stérilisation peu de temps après la naissance de son deuxième enfant. Le tribunal ne croit pas à l'existence d'un faux certificat de stérilisation. Donc, le tribunal conclut, dans les circonstances, que le demandeur n'a pas été forcé par les autorités à se soumettre à la stérilisation. Le tribunal conclut que le demandeur tente maintenant simplement d'utiliser la politique de planification familiale de son pays pour en venir à ses fins par le biais du processus de détermination du statut de réfugié...

Motifs du tribunal, pages 5 et 6.


[6]                 Dans sa demande de contrôle judiciaire de cette décision, le demandeur dit que le tribunal a commis une erreur de droit en interprétant mal les faits et en tirant des conclusions déraisonnables. Le demandeur fait également état de problèmes d'interprétation pendant le déroulement de l'audience qui auraient enfreint les principes de justice naturelle et, je paraphrase, qui auraient entaché sa crédibilité et compromis la capacité du tribunal de mener son enquête et de rendre une décision quant à sa demande.

[7]                 D'abord, en ce qui concerne les problèmes d'interprétation, le mémoire supplémentaire du demandeur mentionne six cas où des difficultés reliées à l'interprétation pourraient avoir porté préjudice au demandeur. De plus, un deuxième interprète a révisé les enregistrements de l'audience et y a trouvé des erreurs qui, bien qu'elles n'aient pas été reliées à des questions spécifiques ou essentielles au coeur de l'enquête, sont des erreurs qui, en minant la crédibilité du demandeur, auraient bien pu vicier la décision finale.

[8]                 Bien qu'il existe une jurisprudence considérable de la Cour fédérale concernant l'interprétation dans le contexte de la SSR, il est peut-être plus rapide de renvoyer directement à l'arrêt Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817, dans lequel, sous la rubrique « Les droits de participation » , Madame le juge L'Heureux-Dubé dit au nom de la Cour suprême du Canada, au paragraphe 30 :

   Au coeur de cette analyse, il faut se demander si, compte tenu de toutes les circonstances, les personnes dont les intérêts étaient en jeu ont eu une occasion valable de présenter leur position pleinement et équitablement.


[9]                 Le dossier du demandeur offre un preuve convaincante que, dans cette affaire, la crédibilité du demandeur a été entachée par des problèmes d'interprétation lors de l'audience. Ces problèmes sont évidents à la face même du dossier, ont été notés lors de l'audience et ont été confirmés par l'opinion du deuxième interprète. En conséquence, il se peut que le tribunal ait, quant à la crédibilité du demandeur, tiré des conclusions négatives qui ont vicié sa perception de la preuve et entraîné sa décision négative. Dans les circonstances, et étant donné l'intérêt évident du demandeur dans le résultat final de cette affaire, il ne serait pas raisonnable que la Cour n'intervienne pas.

[10]            Quant aux erreurs de fait soulevées par le demandeur, cette Cour est d'avis que le tribunal a tiré des conclusions qui n'étaient pas fondées sur la preuve. Il n'y avait absolument aucune preuve que le demandeur avait déjà été stérilisé; le tribunal n'a pas demandé au demandeur de subir un examen médical, mais a pourtant conclu qu'il avait été stérilisé après la naissance de son deuxième enfant. Cette décision ne trouvait aucun fondement dans la preuve présentée au tribunal.

[11]            Le tribunal a également conclu que les autorités auraient attendu le demandeur à l'hôpital le 26 juin 1998 lorsqu'il est allé chercher son épouse après son avortement forcé. Le tribunal a jugé invraisemblable le récit du demandeur concernant la visite des autorités à son travail le 29 juin 1998. Bien que le demandeur ait témoigné que le BPF ne travaille pas les week-ends, ce qui expliquerait son retard à essayer de l'appréhender, le tribunal a conclu, à la page 7 du dossier de la Cour, que le récit du demandeur :[traduction] « contenait tout simplement trop d'éléments pour être vrai » . À mon avis, il est déraisonnable et tout à fait arbitraire d'en être arrivé à une telle conclusion.


[12]            Enfin, le tribunal a attribué au demandeur des paroles qualifiant les événements de « dramatiques » et « sensationnels » , et les autorités responsables comme ayant [traduction] « un comportement brutal et fanatique dans leur application de la politique de planification familiale » . Une étude minutieuse de la transcription montre que le demandeur n'a aucunement utilisé un tel langage. En fait, la preuve documentaire dont disposait le tribunal renforce le témoignage du demandeur suivant lequel les autorités ont démoli son toit. Cette Cour conclut que dans les circonstances, le tribunal a nécessairement ignoré la preuve objective qui lui était présentée.

[13]            L'arrêt de la Cour d'appel fédérale Aguebor c. Le Ministre de l'Emploi et de l'Immigration, [1993] A.C.F. no 732, est souvent cité pour avoir établi la règle suivante :

Il ne fait pas de doute que le tribunal spécialisé qu'est la Section du statut de réfugié a pleine compétence pour apprécier la plausibilité d'un témoignage. Qui, en effet, mieux que lui, est en mesure de jauger la crédibilité d'un récit, et de tirer les inférences qui s'imposent? Dans la mesure où les inférences que le tribunal tire ne sont pas déraisonnables au point d'attirer notre intervention, ses conclusions sont à l'abri du contrôle judiciaire.

[14]            Dans la présente affaire, les conclusions quant à la plausibilité du témoignage vont à l'encontre de la preuve documentaire présentée au tribunal et ne sont aucunement fondées sur la preuve. De plus, les fioritures de la décision donnent du poids à la prétention du demandeur que des problèmes d'interprétation ont influencé l'opinion du tribunal en ce qui concerne sa crédibilité.


[15]            Pour ces motifs, la demande de contrôle judiciaire est accueillie et l'affaire est renvoyée à un tribunal différemment constitué pour que celui-ci procède à une nouvelle audition.

[16]            Ni l'une ni l'autre des parties n'a soumis de question pour certification.

                                                                            « Dolores M. Hansen »          

Juge

OTTAWA (ONTARIO)

Le 22 juin 2001

Traduction certifiée conforme

Caroline Raymond, LL.L.


COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                         IMM-4428-99

INTITULÉ :                                                        Ren Hui Lin c. MCI

LIEU DE L'AUDIENCE :                                Toronto (Ontario)

DATE DE L'AUDIENCE :                              Le 28 novembre 2001

MOTIFS DE L'ORDONNANCE :              Madame le juge Dolores M. Hansen

DATE DES MOTIFS :                                     Le 22 juin 2001

COMPARUTIONS :

Yehuda Levinson                                                  POUR LE DEMANDEUR

Marianne Zoric                                        POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Levinson and Associates                                      POUR LE DEMANDEUR

Toronto (Ontario)

Morris Rosenberg                                                 POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général

du Canada


Date : 20010602

Dossier : IMM-4428-99

Référence neutre : 2001 CFPI 698

OTTAWA (ONTARIO), le 22 juin 2001

EN PRÉSENCE de Madame le juge Dolores M. Hansen

ENTRE :

REN HUI LIN

demandeur

-et-

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

ORDONNANCE

SUR demande de contrôle judiciaire de la décision de la Section du statut de réfugié du 11 août 1999, refusant au demandeur le statut de réfugié au sens de la Convention;

ET AYANT lu la documentation soumise et entendu les prétentions des parties;

ET pour les motifs de l'ordonnance déposés aujourd'hui;

LA COUR ORDONNE QUE :

1.                    La demande de contrôle judiciaire soit accueillie, que la décision du 11 août 1999 soit annulée et que l'affaire soit renvoyée à un tribunal différemment constitué pour que celui-ci procède à une nouvelle audition.


2.                    Aucune question ne sera certifiée.

« Dolores M. Hansen »

Juge

Traduction certifiée conforme

Caroline Raymond, LL.L.

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