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Date : 20050412

Dossier : IMM-8863-04

Référence : 2005 CF 479

Ottawa (Ontario), le 12 avril 2005

En présence de madame la jugeMactavish                         

ENTRE :

                                                       ANDREJS TIHOMIROVS

                                                                                                                                          demandeur

                                                                             et

                     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                           défendeur

                                MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]                Le 1er février 2002, Andrejs Tihomirovs a déposé une demande de résidence permanente en vertu des dispositions de la Loi sur l'immigration. Sa demande n'a été traitée qu'après l'entrée en vigueur de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, le 28 juin 2002.


[2]                Monsieur Tihomirovs est convaincu que si sa demande avait été traitée en vertu de la Loi sur l'immigration, elle aurait été accueillie. Il croit en outre qu'il ne réussira pas à satisfaire aux critères de la nouvelle loi. En conséquence, monsieur Tihomirovs a déposé une demande de contrôle judiciaire afin que la Cour prononce une ordonnance de mandamus, ou injonction permanente, enjoignant au ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration d'examiner sa demande en vertu des dispositions de l'ancienne loi.

[3]                Monsieur Tihomirovs demande aujourd'hui une ordonnance afin que sa demande de contrôle judiciaire soit instruite comme s'il s'agissait d'une action. Dans l'hypothèse où sa requête serait accueillie, monsieur Tihomirovs a l'intention de demander une autorisation de recours collectif au nom de tous les demandeurs de résidence permanente ayant le statut de travailleur qualifié, de travailleur autonome, d'entrepreneur ou d'investisseur, à l'exclusion des candidats des provinces et de ceux qui ont l'intention de s'installer au Québec, qui ont déposé leur demande entre le 1er janvier 2002 et le 28 juin 2002.            

Faits relatifs à la demande de résidence permanente de monsieur Tihomirovs

[4]                Monsieur Tihomirovs est un ingénieur civil résidant en Lettonie. Il souhaite venir s'installer au Canada avec sa famille. C'est ainsi qu'il a déposé une demande de résidence permanente le 1er février 2002, à titre de travailleur appartenant à la catégorie des travailleurs qualifiés (fédéral).

[5]                À l'époque où monsieur Tihomirovs a déposé sa demande de résidence permanente, il devait être évalué selon les critères énoncés dans le Règlement sur l'immigration de 1978, DORS/78-172. Monsieur Tihomirovs croit qu'il aurait obtenu une note de 74 points en vertu de ce régime. Un candidat devait alors recueillir 70 points pour qu'on fasse droit à sa demande.


[6]                Monsieur Tihomirovs ajoute qu'en vertu des nouveaux critères de sélection définis dans le Règlement sur l'immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227, il obtiendrait seulement 65 points. La note de passage est désormais fixée à 67 points; monsieur Tihomirovs est donc d'avis que, alors qu'il était admissible à l'immigration en vertu de l'ancien régime, il n'est plus admissible aujourd'hui.

[7]                Selon monsieur Tihomirovs, c'est le seul obstacle qui s'oppose à son immigration au Canada.

[8]                Monsieur Tihomirovs estime qu'environ 40 000 personnes sont dans la même situation.

Litige connexe

[9]                L'instauration de nouveaux critères de sélection pour les demandes de résidence permanente, dans le Règlement sur l'immigration et la protection des réfugiés, a entraîné bon nombre de litiges engagés par des individus dont la demande de résidence permanente était en instance le 28 juin 2002.


[10]            Le 21 février 2003, le juge Kelen a conclu que le ministre n'avait pas respecté son obligation implicite de prendre toutes les mesures raisonnables pour examiner en temps opportun les demandes de résidence permanente d'un groupe de 102 personnes. Ces personnes avaient déposé une demande de résidence permanente avant le 1er janvier 2002. (Les personnes ayant déposé leur demande de résidence permanente avant le 1er janvier 2002 seront appelées les demandeurs du « groupe A » , dans les présents motifs.)

[11]            En conséquence, le juge Kelen a délivré une ordonnance de mandamus enjoignant au défendeur d'examiner ces demandes conformément aux critères de sélection établis dans la Loi sur l'immigration, et de faire en sorte que cet examen soit terminé au plus tard le 31 mars 2003; voir : Dragan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) [2003] A.C.F. no 260; [2003] 4 C.F. 189.

[12]            Le juge Kelen n'a accordé aucune mesure corrective en ce qui concerne les demandes de résidence permanente déposées entre le 1er janvier 2002 et l'entrée en vigueur de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, le 28 juin 2002 (les demandes du « groupe B » ). Selon le juge Kelen, l'interprétation que l'on doit donner des dispositions transitoires de l'article 361 du Règlement sur l'immigration et la protection des réfugiés exige que les demandes de résidence permanente déposées après le 1er janvier 2002 soient examinées en vertu du nouveau régime législatif.


[13]            De nombreux autres litiges portant sur des questions semblables ont été traités dans le cadre du système de gestion des instances. La demande de contrôle judiciaire de monsieur Tihomirovs fait partie de ces instances. Au départ, la demande de monsieur Tihomirovs a été réunie à celle de 153 autres personnes désignées. Parmi elles, 133 demandeurs appartiennent au groupe A tandis que les 20 autres, dont monsieur Tihomirovs, appartiennent au groupe B.

[14]            Le 18 septembre 2003, le défendeur a annoncé que le Règlement sur l'immigration et la protection des réfugiés serait modifié de manière à ce que les demandes du groupe A soient examinées conformément aux critères de sélection établis dans le cadre de l'ancien régime.

[15]            Vers la fin de 2003, le défendeur a accepté de régler le litige introduit par les demandeurs du groupe A. Toutes les parties ont convenu de consentir à l'autorisation d'un recours collectif à l'égard de l'un des litiges du groupe A. Le recours collectif a été autorisé sur consentement le 10 novembre 2004 : Mohsen Rasolzadeh c. Sa Majesté la Reine et le ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration, IMM-2286-03. Le règlement a été approuvé par la Cour le 11 avril 2005.

[16]            Le 15 octobre 2004, la Cour a ordonné que les demandes du groupe B, y compris celle de monsieur Tihomirovs, soient dissociées des demandes du groupe A. La Cour a également ordonné que les demandes des 21 membres formant le groupe B soit instruites à titre de demandes de contrôle judiciaire distinctes, la date d'ouverture de l'instance à l'égard de chacune de ces demandes ayant été fixée au 19 juin 2002.


[17]            Monsieur Tihomirovs fait partie de ce groupe de 21 demandeurs appelé le groupe B et il se présente aujourd'hui pour agir en qualité de représentant du groupe, dans l'éventualité où la Cour autoriserait le recours collectif. À cette fin, il demande à la Cour d'ordonner que sa demande de contrôle judiciaire soit instruite comme une action de façon à ce qu'une requête puisse ensuite être présentée afin que l'instance soit autorisée à titre de recours collectif.             

Question en litige

[18]            La Cour est donc appelée à trancher la question suivante : dans les circonstances, la demande de contrôle judiciaire de monsieur Tihomirovs doit-elle être instruite comme une action? Par souci de commodité, ce processus sera appelé la « conversion » d'une demande de contrôle judiciaire en action, dans les présents motifs.

[19]            Pour répondre à cette question, il faut avant tout examiner selon quel critère la Cour appréciera une telle requête en conversion et, plus particulièrement, quelle valeur, le cas échéant, elle doit accorder à l'intention d'un demandeur de présenter une demande d'autorisation de recours collectif.

La procédure en conversion en général

[20]            La conversion d'une demande de contrôle judiciaire en action est régie par l'article 18.4 de la Loi sur les Cours fédérales, L.C. 1985, ch. F-7, art.1; 2002, ch. 8, art. 14, ainsi libellé :



18.4 (1) Sous réserve du paragraphe (2), la Cour fédérale statue à bref délai et selon une procédure sommaire sur les demandes et les renvois qui lui sont présentés dans le cadre des articles 18.1 à 18.3.

(2) Elle peut, si elle l'estime indiqué, ordonner qu'une demande de contrôle judiciaire soit instruite comme s'il s'agissait d'une action

18.4 (1) Subject to subsection (2), an application or reference to the Federal Court under any of sections 18.1 to 18.3 shall be heard and determined without delay and in a summary way.

(2) The Federal Court may, if it considers it appropriate, direct that an application for judicial review be treated and proceeded with as an action.


[21]       Dans Canada (Procureur général) c. Macinnis, [1994] 2 C.F. 464, la Cour d'appel fédérale faisait remarquer ce qui suit : « [i]l ne faudrait pas perdre de vue l'intention clairement exprimée par le Parlement, qu'il soit statué le plus tôt possible sur les demandes de contrôle judiciaire, avec toute la célérité possible, et le moins possible d'obstacles et de retards du type de ceux qu'il est fréquent de rencontrer dans les procès » .

[22]       En conséquence, la Cour ajoute « qu'[e]n général, c'est seulement lorsque les faits, de quelque nature qu'ils soient, ne peuvent pas être évalués ou établis avec satisfaction au moyen d'un affidavit que l'on devrait envisager d'utiliser le paragraphe 18.4(2) de la Loi » .

[23]       L'année suivante, la Cour d'appel fédérale adopte un point de vue beaucoup plus large sur la portée du pouvoir discrétionnaire prévu au paragraphe 18.4(2) de la Loi sur les Cours fédérales, dans Drapeau c. Canada (Ministre de la Défense nationale) (1995) 179 N.R. 398. Dans cette affaire, la majorité a estimé que le juge des requêtes n'avait pas commis d'erreur en tenant compte du fait qu'il était souhaitable de prendre des mesures visant à prévenir une multiplicité de procédures à l'égard d'une requête en conversion.Selon la majorité, Macinnis ne limite pas le pouvoir discrétionnaire du juge des requêtes dans les cas où la conversion est demandée pour des motifs autres que des considérations en matière de preuve.


[24]       La majorité a également souligné que le paragraphe 18.4(2) de la Loi n'impose aucune restriction quant aux facteurs dont la Cour peut tenir compte dans une requête en conversion et que « parmi ces facteurs, figurent les commodités de l'accès à la justice et la prévention des coûts et délais inutiles » .

Conversion d'une demande pour ouvrir la voie à un recours collectif

[25]       Il convient de souligner qulpoque où la Cour d'appel fédérale a instruit les requêtes en conversion dans Macinnis et Drapeau, les Règles des Cours fédérales ne contenaient aucune disposition permettant de déposer un recours collectif. Ces recours sont désormais possibles, depuis l'ajout des articles 299.1 à 299.42, en 2002.

[26]       Dans Chen c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2004 CF 1573, on demandait au juge Russell de convertir une demande de contrôle judiciaire en action, notamment pour permettre aux demandeurs de présenter une demande d'autorisation de recours collectif. Le juge Russell résume ainsi la question dont il est saisi : « [le] problème [est] de savoir si une intention manifeste et soutenue visant à faire autoriser un recours collectif par les demandeurs devrait être un facteur pris en compte lorsque la Cour exerce son pouvoir discrétionnaire suivant le paragraphe 18.4(2) » .


[27]       Après avoir conclu que la conversion devait être autorisée, le juge Russell précise que Drapeau n'établit aucune limite quant aux facteurs dont la Cour peut tenir compte dans une requête en conversion :

            [9] Étant donné que dans l'arrêt Drapeau la Cour d'appel fédérale a délibérément attiré l'attention sur l'arrêt Macinnis et nous a dit de quelle façon l'arrêt Macinnis ne devrait pas être interprété, il me semble que je suis tenu de suivre l'arrêt Drapeau et que je dois tenir pour acquis aux fins de la présente requête que « le paragraphe 18.4(2) n'établit aucune limite quant aux facteurs qui peuvent à juste titre être pris en considération lorsqu'il s'agit de savoir s'il convient ou non de permettre qu'une demande de contrôle judiciaire soit instruite comme s'il s'agissait d'une action » et que « [p]armi ces facteurs, figurent certainement les commodités de l'accès à la justice et la prévention des coûts et délais inutiles » .         

[28]       Après avoir examiné les faits dont il était saisi, le juge Russel ajoute ce qui suit :

[53] Étant donné que les demandeurs ont toujours eu l'intention avouée de faire autoriser un recours collectif et étant donné, à mon avis, que les faits qui sous-tendent ces requêtes font qu'il est tout à fait raisonnable et approprié qu'ils le fassent (et il ne s'agit pas de prévoir ou de deviner le résultat d'une telle tentative), il me semble que cela équivaudrait à un déni des droits des demandeurs, et de ceux qu'ils tentent de représenter, que de les priver de la possibilité de faire autoriser un recours collectif en leur refusant la conversion suivant le paragraphe 18.4(2) à cette étape.

[54] Je ne peux pas accorder ou même considérer le souhait des demandeurs de faire autoriser un recours collectif à titre de partie de la présente requête. Cependant, si je refuse de leur accorder la conversion, je rendrai en fait une décision refusant l'autorisation du recours collectif parce que, sans conversion, une telle autorisation n'est pas à leur disposition suivant les Règles actuelles.

[55] À mon avis, il s'agit d'une question fondamentale d'accès à la justice que l'arrêt Drapeau affirme être une considération valable lorsqu'on demande à la Cour d'exercer son pouvoir discrétionnaire suivant le paragraphe 18.4(2) de la Loi.

[29]       Pour des motifs que nous examinerons plus longuement dans ces pages, en ce qui concerne la question de l'autorisation du recours collectif, l'appel interjeté par le défendeur à l'encontre de la décision du juge Russell dans Chen a été rejeté par la Cour d'appel fédérale : Chen c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2005 CAF 56.


Arguments des parties

[30]       Selon monsieur Tihomirovs, son intention de faire autoriser un recours collectif constitue, à elle seule, un motif suffisant pour justifier la conversion de sa demande de contrôle judiciaire en action.

[31]       Subsidiairement, monsieur Tihomirovs soutient que la Cour doit déterminer si les questions soulevées par sa demande satisfont au critère en cinq volets établi à l'article 299.18 des Règles des Cours fédérales. Autrement dit, la Cour doit déterminer si l'on peut soutenir que la demande de monsieur Tihomirovs révèle une cause d'action valable, qu'il existe un groupe identifiable formé d'au moins deux personnes, que les réclamations des membres du groupe soulèvent des points de droit ou de fait collectifs, que le recours collectif est le meilleur moyen de régler les points de droit ou de fait collectifs et qu'un des membres du groupe peut agir comme représentant demandeur.

[32]       En d'autres termes, monsieur Tihomirovs affirme que la Cour doit être convaincue que son intention de poursuivre cette instance de manière à ce qu'elle soit instruite comme un recours collectif n'est ni frivole, ni vexatoire.


[33]       Tout en reconnaissant qu'il n'aura pas la tâche facile, puisque la décision du juge Russell dans Chen va directement à l'encontre de ses prétentions, l'avocat du défendeur souligne néanmoins que l'article 18 de la Loi sur les Cours fédérales indique clairement que cette question doit être examinée par voie de procédure sommaire.

[34]       Selon le défendeur, si la Cour autorise la conversion de la demande de contrôle judiciaire de monsieur Tihomirovs en action, et que la demande d'autorisation de recours collectif soit refusée par la suite, l'intention du législateur à cet égard aura été bafouée.

[35]       De plus, le défendeur fait valoir que dans Drapeau, monsieur Drapeau avait simultanément introduit une demande de contrôle judiciaire et une action. Même si le fait d'autoriser la conversion de la demande de contrôle judiciaire en action permettait d'instruire les deux causes ensemble, la Cour devait néanmoins instruire l'action de monsieur Drapeau, quelle que soit l'issue de la demande de conversion. Dans la présente instance, au contraire, si la demande d'autorisation du recours collectif est refusée, la Cour se retrouvera avec une action totalement inutile.


[36]       Le défendeur rappelle en outre le cheminement suivi, lors de l'adoption du recours collectif dans les Règles; il fait observer que dans le document de travail préparé par le comité chargé de l'élaboration des Règles, à l'origine, il était question que les dispositions relatives au recours collectif s'appliquent également aux demandes de contrôle judiciaire et aux actions. Au bout du compte, il fut décidé que ces dispositions ne s'appliqueraient qu'aux actions. Dans cette perspective, soutient le défendeur, permettre aux demandeurs de convertir leur demande de contrôle judiciaire en action dans le seul but de leur permettre de faire autoriser un recours collectif irait clairement à l'encontre de l'esprit des Règles.

[37]       En ce qui concerne le critère en cinq volets applicable à l'autorisation d'un recours collectif, le défendeur fait valoir que les questions soulevées par monsieur Tihomirovs ont déjà été tranchées par le juge Kelen dans Dragan et qu'en conséquence, la demande ne soulève aucune cause d'action raisonnable. Selon le défendeur, les nouveaux arguments que monsieur Tihomirovs prétend soulever et qui n'auraient pas été examinés dans Dragan ont effectivement été examinés par le juge Kelen ou ne sont pas appuyés par la preuve.

[38]       Le défendeur soutient que les questions soulevées par la cause de monsieur Tihomirovs sont des questions de droit et qu'à ce titre, elles se prêtent parfaitement à un examen dans le cadre d'une demande de contrôle judiciaire. De plus, monsieur Tihomirovs peut obtenir les résultats qu'il souhaite pour les autres demandeurs affectés par les dispositions transitoires de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, si la Cour accepte de faire droit à sa demande et de rendre un jugement déclaratoire dans le contexte de la présente instance.

Analyse


[39]       Les recours collectifs visent à faciliter l'accès à la justice à ceux qui pourraient être incapables de revendiquer leurs droits dans le cadre du système judiciaire. Les recours collectifs permettent en outre de réaliser des économies au niveau du système judiciaire en donnant à la Cour la possibilité de rendre une décision dans une seule action, décision qui s'appliquera à de nombreuses autres réclamations portant sur des questions semblables : Western Canadian Shopping Centres Inc. c. Dutton, [2001] 2 R.C.S. 534.

[40]       Reconnaissant que Drapeau n'impose aucune limite quant aux facteurs que la Cour peut prendre en compte dans une requête en conversion, je suis d'accord avec le point de vue adopté par le juge Russell dans Chen, selon lequel l'intention d'un demandeur de faire autoriser une demande de recours collectif est un facteur pertinent dont la Cour peut tenir compte dans une requête en conversion d'une demande de contrôle judiciaire en action.


[41]       Je ne me pencherai pas sur les autres arguments soulevés par le défendeur, par exemple, que monsieur Tihomirovs aurait pu obtenir les résultats qu'il recherche pour lui-même et les autres au moyen d'une ordonnance déclaratoire délivrée dans le cadre de sa demande de contrôle judiciaire. L'évaluation de la meilleure procédure à suivre, compte tenu des circonstances, est l'un des éléments du critère en cinq volets applicable à l'autorisation d'un recours collectif. Je ne crois pas qu'il soit opportun de procéder à une évaluation préliminaire en vue de déterminer si la cause pourra satisfaire au critère en cinq volets, à cette étape des procédures. À mon avis, il serait plus approprié que cette tâche d'examen préliminaire ou de « gardien » soit réalisée lors de l'examen de la demande d'autorisation, où il sera possible de réaliser une analyse approfondie des cinq critères de l'article 299.18 des Règles[1].

[42]       Cela dit, il peut arriver dans certains cas qu'au vu de la demande de contrôle judiciaire, la demande soit de nature telle qu'elle ne convienne manifestement pas à une procédure de recours collectif; la Cour doit alors rejeter la requête en conversion. Sans me prononcer sur le bien-fondé de la demande de monsieur Tihomirovs, je peux affirmer qu'elle ne fait pas partie de cette catégorie.          

[43]       Comme le mentionne le juge Russell, refuser d'autoriser la conversion dans des circonstances comme celles de l'espèce équivaut à refuser à monsieur Tihomirovs l'autorisation de déposer un recours collectif; en effet, si sa demande n'est pas convertie en action, le demandeur ne sera plus en mesure de faire autoriser le recours collectif.

[44]       Je reconnais que cela soulève un problème d'accès à la justice. En l'espèce, je suis disposée à exercer mon pouvoir discrétionnaire et à ordonner que la demande de contrôle judiciaire de monsieur Tihomirovs soit instruite comme s'il s'agissait d'une action.


Conclusion

[45]       Pour ces motifs, la requête est accueillie. La demande de contrôle judiciaire de monsieur Tihomirovs devra être instruite comme s'il s'agissait d'une action. Monsieur Tihomirovs disposera d'un délai de 15 jours pour produire sa déclaration.

Certification

[46]       Le ministre propose à la Cour de certifier les questions suivantes :

1.             L'intention de faire autoriser un recours collectif est-elle un facteur pertinent à prendre en compte dans le cadre d'une requête déposée en vertu du paragraphe 18.4(2) de la Loi sur les Cours fédérales en vue de convertir une demande de contrôle judiciaire en action?

2.              Dans l'affirmative, quel est le critère applicable à la demande de conversion, dans les circonstances? La Cour doit-elle tenir compte des facteurs énumérés à l'article 299.18 des Règles des Cours fédérales, dans lequel est défini le critère applicable aux demandes d'autorisation de recours collectif?

[47]       Monsieur Tihomirovs convient que ces questions soulèvent un problème de portée générale et qu'elles devraient être certifiées.

[48]       Une ordonnance autorisant la conversion d'une demande de contrôle judiciaire en action est une décision de nature interlocutoire. Dans Geza c. Canada (Ministre de la Citoyennetéet de l'Immigration) (2001) 266 N.R. 158, la Cour d'appel fédérale a jugéque même s'il est possible d'interjeter appel d'une telle ordonnance interlocutoire, il faut au préalable que le juge des requêtes certifie une ou plusieurs questions.


[49]       Le juge Russell n'a certifié aucune question dans Chen. Néanmoins, le ministre a tenté de faire appel de la décision du juge Russel devant la Cour d'appel fédérale. Les demandeurs ont réussi à faire annuler l'appel au motif qu'il visait une demande de contrôle judiciaire dans une affaire d'immigration et qu'aucune question n'avait été certifiée par le juge Russell.

[50]       En conséquence, aucune décision d'appel à ce jour n'a permis de préciser la valeur que la Cour doit accorder, le cas échéant, à l'intention d'une partie de faire autoriser un recours collectif, lorsqu'elle tente de déterminer si elle doit ou non convertir une demande de contrôle judiciaire en action. De même, aucune décision d'appel n'a encore défini le critère à appliquer dans de telles circonstances.   

[51]       Dans ce contexte, les questions proposées par le ministre soulèvent des questions graves de portée générale qui transcendent l'intérêt des parties. De plus, la réponse à ces questions serait déterminante en appel. En conséquence, ces questions seront certifiées.

                                                                ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE ce qui suit :

1.          La demande de contrôle judiciaire IMM-8863-04 sera instruite comme s'il s'agissait d'une action, conformément au paragraphe 18.4(2) de la Loi sur les Cours fédérales.


2.          Monsieur Tihomirovs disposera d'un délai de 15 jours pour déposer une déclaration.

3.          Les questions de portée générale suivantes sont certifiées :

1.             L'intention de faire autoriser un recours collectif est-elle un facteur pertinent à prendre en compte dans le cadre d'une requête déposée en vertu du paragraphe 18.4(2) de la Loi sur les Cours fédérales en vue de convertir une demande de contrôle judiciaire en action?

2.              Dans l'affirmative, quel est le critère applicable à la demande de conversion, dans les circonstances? La Cour doit-elle tenir compte des facteurs énumérés à l'article 299.18 des Règles des Cours fédérales, dans lequel est défini le critère applicable aux demandes d'autorisation de recours collectif?

4.        Aucune ordonnance n'est rendue quant aux dépens.

              « Anne L. Mactavish »                   

     Juge

Traduction certifiée conforme

Richard Jacques, LL.L.


                                                             COUR FÉDÉRALE

                                                                             

                                              AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                        IMM-8863-04

INTITULÉ :                                       ANDREJS TIHOMIROVS

demandeur        et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET

DE L'IMMIGRATION

défendeur

LIEU DE L'AUDIENCE :                Toronto (Ontario)

DATE DE L'AUDIENCE :               Le 5 avril 2005

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                      LA JUGE MACTAVISH

DATE :                                               Le 12 avril 2005

COMPARUTIONS :

Dan Miller

Pour le demandeur

Kevin Lunney

Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Dan Miller

Avocat

Toronto (Ontario)

Pour le demandeur

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

Pour le défendeur



[1] Soulignons également que dans la plupart des cas en matière d'immigration, le demandeur doit, avant de présenter une requête en conversion, obtenir l'autorisation de déposer une demande de contrôle judiciaire, conformément à l'article 72 de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés. Cette exigence contribue à éliminer les demandes sans fondement. L'article 72 de la LIPR ne s'applique pas à la cause de monsieur Tihomirovs, toutefois, puisque la date de dépôt réputée de sa demande de contrôle judiciaire est le 19 juin 2002 - soit avant l'entrée en vigueur des dispositions de la LIPR exigeant une autorisation.


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