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Date : 20210810


Dossier : IMM‑461‑20

Référence : 2021 CF 827

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Fredericton (Nouveau‑Brunswick), le 10 août 2021

En présence de madame la juge McDonald

ENTRE :

YUANZHEN DAI

JIANFU YAN

XIANTONG YAN DAI

XIANQI YAN DAI

JUNYI YAN DAI

JUNYANG YAN DAI

JUNHUI YAN DAI

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1] La demanderesse, Yuanzhen Dai, son époux, Jianfu Yan, et leurs cinq enfants mineurs sollicitent le contrôle judiciaire de la décision par laquelle la Section d’appel des réfugiés (la SAR) a rejeté leurs demandes d’asile.

Le contexte

[2] Les demandeurs adultes, Jianfu Yan et Yuanzhen Dai, sont des citoyens de la province du Guangdong, en Chine. En 2000, M. Yan s’était rendu au Pérou pour le travail. En 2006, Mme Dai avait été le rejoindre au Pérou. Bien que les demandeurs adultes aient eu un statut temporaire au Pérou, ils avaient prévu avoir des difficultés à renouveler ce statut. Les cinq demandeurs mineurs sont nés au Pérou et ont la citoyenneté péruvienne.

[3] Les demandeurs affirment que, lors d’une visite en Chine en 2018, leurs cinq enfants avaient attiré l’attention des autorités de planification familiale et que deux avis de stérilisation avaient été émis. Les demandeurs allèguent craindre d’être soumis à la stérilisation forcée, conformément aux politiques de planification familiale, s’ils retournent en Chine. Ils s’étaient rendus au Canada, en passant par les États‑Unis, avec l’aide d’un passeur.

[4] Leurs demandes d’asile avaient été rejetées par la Section de la protection des réfugiés (la SPR), qui avait conclu que les explications de la demanderesse manquaient de crédibilité quant à leur statut au Pérou, à l’absence de passeports et à d’autres documents d’identité.

La décision de la SAR

[5] La SAR a examiné l’argument des demandeurs voulant que la SPR n’ait pas tenu compte de la preuve documentaire à l’appui. Les demandeurs ont fait valoir que la conclusion de la SPR, selon laquelle l’avis de stérilisation était un document frauduleux, était spéculative et n’était pas étayée par la preuve.

[6] En ce qui concerne l’avis de stérilisation, la SAR a fait remarquer que, pendant l’audience, la SPR n’avait pas posé de questions aux demandeurs sur les incohérences dans les documents. La SAR a conclu « qu’il ressort[ait] de la jurisprudence de la Cour fédérale que la SPR et la SAR [n’étaient] pas tenues de demander aux [demandeurs] d’expliquer une incohérence patente entre leurs documents et le contenu du cartable national de documentation sur la Chine ». La SAR a finalement jugé que l’avis de stérilisation n’était pas un document authentique.

[7] La SAR a noté que, dans le règlement applicable dans le Guangdong, il n’était pas question d’avortements ou de stérilisations obligatoires pour les familles où survenaient des grossesses ou des naissances non autorisées. La SAR a également souligné que le Guangdong ne figurait pas parmi les provinces qui exigeaient la prise de « mesures correctives ». Par conséquent, elle a conclu que « [r]ien dans le dossier ne permet[tait] de croire que Guangzhou, c’est à dire là où habitaient les [demandeurs], dans la province du Guangdong, s’[était] doté[e] d’un règlement local prévoyant des mesures coercitives de planification familiale ». La SAR a également noté que le rapport de 2017 du Home Office du Royaume‑Uni indiquait que la dernière répression illégale par les autorités locales ayant entraîné une stérilisation forcée avait eu lieu en 2010.

[8] La SAR a tenu compte des préoccupations liées à la crédibilité et a conclu qu’il n’y avait pas suffisamment d’éléments de preuve pour étayer l’allégation des demandeurs selon laquelle ils seraient soumis à la stérilisation à leur retour en Chine.

[9] La SAR a examiné les amendes potentielles (frais d’indemnisation sociale) qui pourraient être imposées aux demandeurs. Elle s’est appuyée sur un document du Tribunal d’examen du statut de réfugié (Refugee Review Tribunal) de l’Australie pour conclure que, « bien que les frais imposés puissent être jugés substantiels, ils ont pour but de couvrir les coûts supplémentaires que la société doit assumer, comme l’éducation et les soins de santé. La SAR constate par ailleurs que l’imposition d’une amende pour les naissances non autorisées est une loi d’application générale. Elle ne peut donc pas être considérée comme persécutoire ni servir de fondement à une demande d’asile. »

[10] La SAR a examiné l’argument des demandeurs selon lequel les demandeurs mineurs seraient exposés à un risque d’être victimes de violence au Pérou s’ils y retournaient sans leurs parents. Elle a souligné que les observations des demandeurs à ce sujet étaient « de nature […] générale », et qu’un examen de la preuve documentaire indiquait qu’il existait des systèmes administrés par l’État visant à protéger et à aider les enfants. La SAR a conclu que les demandeurs n’avaient pas établi que les demandeurs mineurs seraient exposés à un risque s’ils retournaient au Pérou.

Les questions en litige

[11] Les demandeurs soulèvent trois questions concernant le caractère raisonnable de la décision de la SAR :

  • a) La preuve relative aux conditions dans le pays a‑t‑elle été examinée?

  • b) Les frais d’indemnisation sociale équivalent‑ils à de la persécution?

  • c) Les risques pour les mineurs ont‑ils été raisonnablement appréciés?

La norme de contrôle

[12] La norme de contrôle applicable est la décision raisonnable. Comme il est énoncé au paragraphe 99 de l’arrêt Vavilov c Canada (Citoyenneté et Immigration), « [la cour de révision] doit […] se demander si la décision possède les caractéristiques d’une décision raisonnable, soit la justification, la transparence et l’intelligibilité, et si la décision est justifiée au regard des contraintes factuelles et juridiques pertinentes qui ont une incidence sur celle‑ci […] »

Analyse

A. La preuve relative aux conditions dans le pays a‑t‑elle été examinée?

[13] Les demandeurs font valoir que la SAR a commis une erreur dans son analyse des renseignements sur les conditions dans le pays en ce qui concerne l’application du règlement sur la planification familiale. Ils affirment que la SAR n’a pas entièrement tenu compte du rapport de 2017 du Home Office du Royaume‑Uni lorsqu’elle a conclu, au paragraphe 11 de la décision, qu’il n’y avait pas de risque réel de stérilisation forcée pour les femmes qui retournaient en Chine. Les demandeurs soutiennent que l’analyse de la SAR était sélective et qu’elle n’était pas étayée par la preuve.

[14] Le dossier montre que la SAR a bel et bien tenu compte des nombreux éléments de preuve sur les conditions dans le pays, mais a conclu qu’ils n’appuyaient pas les arguments des demandeurs selon lesquels des stérilisations forcées avaient lieu dans leur province d’origine du Guangdong. La SAR a plutôt jugé que les frais d’indemnisation sociale étaient la pénalité prévue pour le non‑respect de la politique sur la planification familiale.

[15] En ce qui concerne l’avis de stérilisation, les demandeurs contestent les motifs pour lesquels la SAR a conclu que le document n’était pas authentique. Toutefois, outre un désaccord avec l’appréciation du document par la SAR, les demandeurs n’ont renvoyé à aucun élément de preuve démontrant que l’appréciation de la SAR était déraisonnable.

[16] À mon avis, la SAR a effectué une appréciation approfondie des éléments de preuve documentaire relatifs au règlement de planification familiale et aux stérilisations forcées dans la province des demandeurs en Chine. Les demandeurs ne reconnaissent pas l’impact que les conclusions quant à la crédibilité ont sur leur demande. En réalité, leurs arguments reviennent à un désaccord avec l’appréciation par la SAR de la preuve liée aux conditions dans le pays et avec le poids accordé à celle‑ci. Ce n’est pas un fondement sur lequel la Cour peut intervenir.

[17] La SAR a abondamment cité des éléments de preuve documentaire et a raisonnablement conclu que les demandeurs n’étaient pas exposés à un risque de stérilisation dans leur province du Guangdong. La SAR a aussi raisonnablement conclu que l’avis de stérilisation présenté par les demandeurs n’était pas un document authentique.

B. Les frais d’indemnisation sociale équivalent‑ils à de la persécution?

[18] Les demandeurs font valoir que la SAR a commis une erreur en ne tenant pas compte de la persécution infligée par les frais d’indemnisation sociale. Ils invoquent la décision Huang c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 1074, où la Cour a jugé que la Commission avait commis une erreur en ne prenant pas en considération l’affirmation des demandeurs selon laquelle les amendes étaient assimilables à de la persécution si elles correspondaient à six fois le revenu annuel des demandeurs (para 4).

[19] Cependant, un certain nombre d’autres décisions de la Cour ont conclu que l’imposition d’une amende ou de « frais d’indemnisation sociale » pour avoir enfreint des politiques sur la planification familiale en Chine n’équivalait pas à de la persécution au sens de la Convention. Voir, par exemple : Chen c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 225 au para 26; Wang c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 636 au para 27; Huang c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 120 au para 18; Li c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 610 au para 17.

[20] En fin de compte, ce sont les faits précis d’une affaire qui permettent de trancher cette question. En l’espèce, la SAR a clairement tenu compte de la possibilité qu’une amende soit imposée. Cependant, les demandeurs n’ont fourni aucune preuve démontrant que l’imposition de frais d’indemnisation sociale équivaudrait à de la persécution dans leur situation.

[21] L’examen de cette question par la SAR était raisonnable.

C. Les risques pour les mineurs ont‑ils été raisonnablement appréciés?

[22] Les demandeurs font valoir que la SAR a commis une erreur en ne tenant pas compte du fait que, si les demandeurs mineurs étaient renvoyés au Pérou, ils se retrouveraient sans parents et seraient donc exposés à des risques de violence, de mauvais traitements ou de travail forcé.

[23] À l’appui de ces arguments, les demandeurs affirment que le niveau d’éducation au Pérou est inférieur et que le taux de criminalité est élevé. La SAR a jugé qu’il n’y avait pas suffisamment d’éléments de preuve pour démontrer un risque personnel de préjudice ou de persécution. Elle a bel et bien examiné la preuve documentaire et a conclu qu’il existait au Pérou des systèmes administrés par l’État visant à protéger et à aider les enfants.

[24] Dans l’ensemble, les demandeurs ne se sont pas acquittés de leur fardeau d’établir un risque de persécution ou de préjudice au Pérou. La SAR a examiné la preuve relative aux conditions dans le pays et a jugé que les enfants ne seraient pas exposés à un risque personnel au Pérou. Cette conclusion était raisonnable.


JUGEMENT DANS LE DOSSIER IMM‑461‑20

LA COUR STATUE :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  2. Il n’y a aucune question de portée générale à certifier.

« Ann Marie McDonald »

Juge

Traduction certifiée conforme

Christian Laroche, LL.B., juriste‑traducteur


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM‑461‑20

 

INTITULÉ :

YUANZHEN DAI ET AL c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

tenue par vidéoconférence

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 4 mai 2021

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE MCDONALD

 

DATE DU JUGEMENT

ET DES MOTIFS :

Le 10 août 2021

 

COMPARUTIONS :

Shelly Levine

pour les demandeurs

Kevin Spykerman

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Levine Associates

Avocats

Toronto (Ontario)

pour le demandeur

Procureur général du Canada

Ministère de la Justice Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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