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Date : 20210810


Dossier : IMM‑2613‑20

Référence : 2021 CF 828

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Fredericton (Nouveau‑Brunswick), le 10 août 2021

En présence de madame la juge McDonald

ENTRE :

GAGANDEEP SINGH

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET

DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1] Le demandeur, Gagandeep Singh, sollicite le contrôle judiciaire de la décision du 27 avril 2020 par laquelle un agent des visas (l’agent) l’a déclaré interdit de territoire au Canada pour fausses déclarations en application de l’alinéa 40(1)a) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (la LIPR). Pour les motifs qui suivent, la demande de contrôle judiciaire est accueillie.

Contexte

[2] Le demandeur, un citoyen de l’Inde, a présenté une demande de permis de travail ouvert afin de venir rejoindre sa femme au Canada. Il a répondu « Oui » à la question « Vous a‑t‑on déjà refusé un visa ou un permis, interdit l’entrée ou demandé de quitter le Canada ou tout autre pays ou territoire? ». Il a déclaré qu’il s’était déjà vu refuser un permis de travail canadien, mais il n’a pas divulgué une demande de visa de touriste américain présentée en 2015.

[3] Dans une lettre d’équité procédurale datée du 9 mars 2020, l’agent a informé le demandeur qu’il [traduction] « n’a[vait] pas déclaré que des visas pour d’autres pays ou territoires lui avaient été refusés », et il lui a demandé de fournir des copies des documents et des lettres de refus.

[4] Le demandeur a répondu le 11 mars 2020 et a déclaré qu’il avait commis une erreur en ne divulguant pas qu’un visa de touriste américain demandé en 2015 lui avait été refusé. Le demandeur affirme cependant que la personne qui lui a fait passer une entrevue à l’ambassade à New Delhi pour le visa de touriste l’avait informé que sa demande allait être renvoyée.

Décision faisant l’objet du contrôle

[5] Au cours de l’examen de la demande, l’agent a constaté que le demandeur avait négligé de divulguer ses antécédents en matière d’immigration aux États‑Unis. Il a affirmé ce qui suit :

[traduction]

[L]e demandeur a répondu à la lettre, mais il n’a pas réussi à dissiper mes doutes. À mon avis, selon la prépondérance des probabilités, le demandeur n’a pas été honnête dans son formulaire de demande et a négligé de divulguer qu’il avait des antécédents préjudiciables en matière d’immigration aux États‑Unis. Cette situation aurait pu entraîner une erreur dans l’administration de la Loi et du Règlement puisqu’un agent aurait pu être convaincu que le demandeur satisfaisait aux exigences de la Loi en ce qui a trait à l’existence d’un véritable motif pour vouloir séjourner au Canada de façon temporaire et qu’il respecterait les conditions d’entrée au Canada. Je suis donc d’avis que le demandeur est interdit de territoire au Canada en application de l’article 40 de la Loi.

[6] L’agent a rejeté la demande de permis de travail et a affirmé ce qui suit :

[traduction]

Je ne suis pas convaincu que vous avez répondu avec franchise à toutes les questions qui vous ont été posées.

Vous êtes interdit de territoire au Canada en application de l’alinéa 40(1)a) de la LIPR parce que vous avez fait directement ou indirectement une présentation erronée sur un fait important quant à un objet pertinent, ou une réticence sur ce fait, ce qui entraîne ou risque d’entraîner une erreur dans l’application de la LIPR. Conformément à l’alinéa 40(2)a), l’interdiction de territoire au Canada court pour les cinq années suivant la date de la présente lettre ou suivant la date d’exécution d’une mesure de renvoi précédente.

Questions en litige

[7] La demande de contrôle judiciaire en l’espèce soulève deux questions :

  1. L’affidavit du demandeur est‑il admissible?

  2. La décision de l’agent est‑elle raisonnable?

Norme de contrôle

[8] Le demandeur et le défendeur conviennent que la décision de l’agent est susceptible de contrôle selon la norme de la décision raisonnable. Dans l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65, la Cour suprême du Canada a déclaré que, pour appliquer la norme de la décision raisonnable, la cour de révision « doit […] se demander si la décision possède les caractéristiques d’une décision raisonnable, soit la justification, la transparence et l’intelligibilité, et si la décision est justifiée au regard des contraintes factuelles et juridiques pertinentes qui ont une incidence sur celle‑ci » (au para 99). La décision doit être fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle (Vavilov, au para 85). La décision sera déraisonnable si les motifs, lus en corrélation avec le dossier, ne permettent pas à la Cour de comprendre le raisonnement du décideur sur un point central (Vavilov, au para 103).

Analyse

A. L’affidavit du demandeur est‑il admissible?

[9] Le demandeur cherche à faire admettre en preuve un affidavit daté du 19 septembre 2020. Le défendeur s’oppose à ce que la Cour tienne compte de cet affidavit étant donné qu’il s’agit d’un élément dont l’agent ne disposait pas au moment où il a rendu sa décision en avril 2020.

[10] Dans ces circonstances, je conviens qu’il n’est pas approprié pour la Cour de tenir compte de cet élément de preuve étant donné que l’agent n’en disposait pas. En tout état de cause, pour les motifs exposés ci‑dessous, il n’est pas nécessaire que la Cour prenne en considération le contenu de cet affidavit pour trancher la demande de contrôle judiciaire en l’espèce.

B. La décision est-elle raisonnable?

[11] Le demandeur fait valoir que l’agent n’a ni pris en considération ni examiné l’explication qu’il a fournie dans sa réponse à la lettre d’équité procédurale. Plus précisément, l’agent n’a pas cherché à savoir si la non‑divulgation par le demandeur de ses antécédents relatifs à la demande de visa américain constituait une fausse déclaration faite de bonne foi.

[12] Les parties s’entendent en grande partie sur les principes de droit applicables en matière de fausses déclarations faites de bonne foi, qui ont été expliqués dans la décision Appiah c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 1043 au para 18 :

L’exception relative à l’erreur de bonne foi concernant une fausse déclaration est restreinte et ne peut […] excuser la non‑divulgation de renseignements importants que dans des circonstances extraordinaires où le demandeur croyait honnêtement et raisonnablement qu’il ne faisait pas de présentation erronée sur un fait important, qu’il était impossible pour le demandeur d’avoir connaissance de la déclaration inexacte et que le demandeur n’avait pas connaissance de la fausse déclaration […] Les tribunaux n’ont pas appliqué cette exception lorsque le demandeur était au courant des renseignements, mais affirmait ne pas savoir honnêtement et raisonnablement qu’ils étaient importants pour la demande; la connaissance de ces renseignements n’échappait pas à la volonté du demandeur et il est de son devoir de remplir la demande avec exactitude […]

[13] Dans sa demande initiale, le demandeur a répondu « Oui » à la question « Vous a‑t‑on déjà refusé un visa ou un permis, interdit l’entrée ou demandé de quitter le Canada ou tout autre pays ou territoire? ». Le fait qu’il a répondu « Oui » laisse penser qu’il n’avait pas l’intention d’induire qui que ce soit en erreur ou d’éviter de divulguer des renseignements.

[14] Dans sa réponse à la lettre d’équité procédurale, le demandeur a notamment déclaré ce qui suit :

[traduction]

La présente est une réponse à la lettre que j’ai reçue le 9 mars 2020 au sujet de vos préoccupations et de la possibilité que j’aie fait une fausse déclaration dans ma demande en cours parce que j’ai négligé de fournir des renseignements sur le visa que j’ai demandé aux autorités de l’immigration des États‑Unis et qui m’a été refusé.

[15] Le défendeur fait valoir que l’incohérence dans les termes utilisés par le demandeur dans sa réponse montre que ce dernier avait l’intention d’induire l’agent en erreur. Le demandeur a utilisé les termes [traduction] « rejeté », [traduction] « refusé » et [traduction] « renvoyé » pour parler du traitement de sa demande de visa américain. Le défendeur soutient que les propos hésitants du demandeur au sujet de la demande de visa américain indiquent qu’il savait qu’il avait fait une fausse déclaration et que, par conséquent, l’exception relative à l’erreur de bonne foi concernant une fausse déclaration ne s’applique pas.

[16] À mon avis, la réponse du demandeur doit être prise en compte dans le contexte dans lequel elle a été fournie, à savoir en réponse à une lettre d’équité procédurale. Dans ce contexte, je ne considère pas que le fait que le demandeur a utilisé les termes [traduction] « rejeté », [traduction] « refusé » et [traduction] « renvoyé » démontre que le demandeur était subjectivement conscient qu’il avait fait une fausse déclaration sur ses antécédents dans la demande. Il est possible qu’il ait utilisé ces termes pour tenter de répondre aux problèmes relevés par l’agent. Pour reprendre ses propres termes, le demandeur avait [traduction] « le sentiment que la demande était seulement renvoyée, et non refusée ».

[17] Quoi qu’il en soit, il n’est pas nécessaire que la Cour détermine ce que le demandeur croyait « honnêtement et raisonnablement » en ce qui concerne son visa de touriste américain. La Cour n’a pas non plus à se prononcer sur l’interprétation des termes utilisés par le demandeur dans sa réponse à la lettre d’équité procédurale. La question consiste plutôt à savoir si l’agent a raisonnablement pris en considération la réponse du demandeur à la lettre d’équité procédurale. Sur ce point, l’agent a simplement conclu ce qui suit :

[traduction]

[L]e demandeur a répondu à la lettre, mais il n’a pas réussi à dissiper mes doutes. À mon avis, selon la prépondérance des probabilités, le demandeur n’a pas été honnête dans son formulaire de demande et a négligé de divulguer qu’il avait des antécédents préjudiciables en matière d’immigration aux États‑Unis.

[18] Le défi qui se pose à la Cour concerne le traitement laconique que l’agent a réservé à la réponse du demandeur. Dans le cadre du contrôle selon la norme de la décision raisonnable en l’espèce, il est difficile de déterminer si et dans quelle mesure l’agent a tenu compte de l’explication du demandeur. Bien que je reconnaisse que l’obligation de l’agent de fournir des motifs n’est pas lourde, il n’en demeure pas moins que, pour conclure que la décision de l’agent est intelligible, la Cour doit être en mesure de comprendre pourquoi le demandeur n’a pas réussi à « dissiper » les doutes de l’agent. En l’espèce, cependant, il est impossible de comprendre pourquoi l’agent a conclu que le demandeur avait [traduction] « négligé de divulguer qu’il avait des antécédents préjudiciables en matière d’immigration aux États‑Unis », alors qu’il a fourni une explication concernant la demande de visa américain dans sa réponse à la lettre d’équité procédurale.

[19] La Cour n’est donc pas en mesure de déterminer si l’agent a cherché à savoir si le demandeur croyait honnêtement et raisonnablement qu’il avait soumis une demande dans laquelle figuraient des renseignements véridiques. Qui plus est, même si l’agent n’était pas tenu de citer le critère appliqué ou même de reconnaître l’existence d’un critère, il était obligé d’évaluer les renseignements fournis étant donné qu’il avait demandé des renseignements supplémentaires dans la lettre d’équité procédurale. Compte tenu de la décision de l’agent, il est impossible de déterminer si l’explication du demandeur a été prise en compte de quelque manière que ce soit.

[20] Ce facteur rend la décision de l’agent déraisonnable. Par conséquent, la demande de contrôle judiciaire en l’espèce est accueillie.


JUGEMENT DANS LE DOSSIER IMM‑2613‑20

LA COUR STATUE :

1. La demande de contrôle judiciaire est accueillie. La décision de l’agent des visas est annulée et l’affaire est renvoyée à un autre agent pour nouvelle décision.

2. Aucune question de portée générale n’a été proposée par les parties, et la présente affaire n’en soulève aucune.

« Ann Marie McDonald »

Juge

Traduction certifiée conforme

Karine Lambert


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM‑2613‑20

 

INTITULÉ :

GAGANDEEP SINGH c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

AUDIENCE TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 18 mai 2021

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE MCDONALD

 

DATE DES MOTIFS :

Le 10 août 2021

 

COMPARUTIONS :

Chaobo Jiang

Tara McElroy

POUR LE DEMANDEUR

Brendan Friesen

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Zaifman Immigration Lawyers

Avocats

Winnipeg (Manitoba)

POUR LE DEMANDEUR

Procureur général du Canada

Ministère de la Justice

Bureau régional des Prairies

Winnipeg (Manitoba)

POUR LE DÉFENDEUR

 

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