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Date : 20040528

Dossier : IMM-4542-04

Référence : 2004 CF 790

Ottawa (Ontario), le 28 mai 2004

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE JOHN A. O'KEEFE

ENTRE :

                                                                  MAZA HAILU

                                                                                                                                       demanderesse

                                                                             et

                                          LE SOLLICITEUR GÉNÉRAL DU CANADA

                                                                                                                                             défendeur

                                MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

LE JUGE O'KEEFE

[1]                Il s'agit d'une requête déposée par Maza Hailu (la demanderesse) pour obtenir une ordonnance sursoyant à son renvoi du Canada en Éthiopie, renvoi prévu pour le 1er juin 2004 à 12 h 50.

[2]                La demanderesse est une citoyenne d'Éthiopie qui est arrivée au Canada le 3 juillet 2001. Elle a revendiqué le statut de réfugiée, mais sa demande a été rejetée. La demanderesse n'a pas sollicité le contrôle judiciaire de cette décision parce qu'elle n'avait pas les moyens de retenir les services d'un avocat.

[3]                La demanderesse est d'origine à la fois éthiopienne et érythréenne parce que son père est d'origine ethnique érythréenne et que sa mère est éthiopienne.

[4]                Le père de la demanderesse a été accusé d'espionnage et a été expulsé de l'Éthiopie en Érythrée. La demanderesse prétend que, peu après, elle aussi été expulsée en Érythrée.

[5]                Le père de la demanderesse a pris des dispositions pour que la demanderesse se rende au Kenya, d'où elle est finalement partie pour le Canada.

[6]                La demanderesse affirme que si elle était restée en Érythrée, elle aurait été enrôlée dans l'armée et obligée de se battre contre ses frères éthiopiens.


[7]                La première demande d'examen des risques avant renvoi de la demanderesse (demande d'ERAR) a été soumise le 12 décembre 2002. La demanderesse a prétendu que son renvoi en Éthiopie la mettrait en danger et qu'elle serait punie, sinon condamnée à mort, parce que son père était soupçonné d'espionnage pour le compte du gouvernement éthiopien et qu'elle était une femme dans un pays dont les antécédents en matière de respect des droits des femmes étaient peu reluisants. Cette première demande a été rejetée le 20 août 2003 et son renvoi du Canada a été fixé au 9 décembre 2003.

[8]                En décembre 2003, la demanderesse a été admise à l'hôpital, souffrant, selon le diagnostic ayant été établi, d'un : [traduction] « trouble affectif grave (dépression et psychose) et [d'un] trouble d'adaptation avec perturbation de l'humeur et du comportement » .

[9]                La demanderesse a reçu son congé de l'hôpital le 31 décembre 2003. Elle y a toutefois été admise de nouveau le 7 janvier 2004, recevant son congé le 26 janvier 2004.

[10]            Son psychiatre affirme que la question de l'expulsion est liée son état psychiatrique. Il affirme aussi qu'elle arriverait en Éthiopie en état de psychose et qu'elle demeurerait dans cet état pendant une longue période. Le psychiatre croit également qu'elle aurait des difficultés à obtenir des soins psychiatriques adéquats en Éthiopie. Il ajoute que la demanderesse l'a informé qu'elle avait été victime de violence physique et qu'elle avait reçu des menaces d'abus sexuels lors de la détention qui avait précédé sa fuite.

[11]            La demanderesse a soumis une autre demande d'ERAR le 10 février 2004, qui comprenait les rapports de son psychiatre et un certificat de naissance qui montrait qu'elle avait un père érythréen et une mère éthiopienne.


[12]            La demanderesse a été arrêtée et détenue lorsqu'elle a comparu à son audience avant renvoi, mais elle a été libérée sous condition à son contrôle des 48 heures.

[13]            Le 10 mai 2004, la demanderesse a soumis une demande fondée sur des considérations humanitaires (demande CH).

[14]            La deuxième demande d'ERAR de la demanderesse n'a pas encore été tranchée.

[15]            Il n'y a qu'un seul hôpital psychiatrique en Éthiopie pour traiter environ trois millions de personnes souffrant de troubles mentaux.

[16]            La demanderesse prétend qu'un renvoi en Éthiopie mettrait sa vie en danger. La demanderesse a perdu tout contact avec les membres de sa famille et ne sait pas s'ils sont toujours en vie.

[17]            La demanderesse a déposé une demande d'autorisation et de contrôle judiciaire de la décision de l'agent d'immigration d'exécuter la mesure de renvoi, décision datée du 10 mai 2004.


Question litigieuse

[18]            La Cour doit-elle surseoir au renvoi de la demanderesse?

Analyse et décision

[19]            Il est maintenant reconnu que l'agent d'immigration jouit d'un certain pouvoir discrétionnaire et qu'il peut, dans certaines circonstances, surseoir à un renvoi (voir Wang c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2001] A.C.F. no 295 (QL), 2001 CFPI 148).

[20]            Pour obtenir un sursis, le demandeur doit satisfaire aux exigences énoncées dans l'arrêt Toth c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1988), 86 N.R. 302 (C.A.F.), à la page 305 :

Notre Cour, tout comme d'autres tribunaux d'appel, a adopté le critère relatif à une injonction provisoire et énoncé par la Chambre des lords dans l'arrêt American Cyanamid Co. v. Ethicon Ltd., [1975] A.C. 396 [...] Ainsi que l'a déclaré le juge d'appel Kerans dans l'affaire Black précitée :

[traduction] Le critère à triples volets énoncé dans Cyanamid exige que, pour qu'une telle ordonnance soit accordée, le demandeur prouve premièrement qu'il a soulevé une question sérieuse à trancher; deuxièmement qu'il subirait un préjudice irréparable si l'ordonnance n'était pas accordée; et troisièmement que la balance des inconvénients, compte tenu de la situation globale des deux parties, favorise l'octroi de l'ordonnance.

Le demandeur doit satisfaire aux trois volets de ce critère.

[21]            Question sérieuse

Je suis convaincu que la demanderesse a soulevé une question sérieuse, laquelle consiste à déterminer si le défendeur est tenu, avant l'exécution de la mesure de renvoi, d'examiner de quelque manière que ce soit l'autre demande d'ERAR déposée en application de l'article 165 du Règlement sur l'immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227.

[22]            Préjudice irréparable

Si elle cessait en ce moment le traitement psychiatrique du Dr Armstrong, la demanderesse subirait, à mon avis, un préjudice irréparable. Selon le Dr Armstrong, si elle était renvoyée en ce moment, la demanderesse retomberait dans un état de dépression et de psychose.

[23]            Prépondérance des inconvénients

La prépondérance des inconvénients penche en faveur de la demanderesse. Elle ne constitue ni un danger pour la sécurité nationale ni un danger pour le public. Elle n'a pas de casier judiciaire. Le défendeur est tenu d'exécuter la mesure de renvoi dès que les circonstances le permettent, mais je crois qu'il peut le faire plus tard si la demande de contrôle judiciaire de la demanderesse est rejetée.

[24]            La Cour sursois au renvoi de la demanderesse du Canada jusqu'à ce que sa demande d'autorisation et de contrôle judiciaire soit rejetée et, si l'autorisation est accordée, jusqu'à ce que la Cour rende une décision définitive sur celle-ci.


ORDONNANCE

[25]            LA COUR ORDONNE qu'il soit sursis au renvoi de la demanderesse du Canada jusqu'à ce sa demande d'autorisation et de contrôle judiciaire soit rejetée et, si l'autorisation est accordée, jusqu'à ce que la Cour rende une décision définitive sur celle-ci.

« John A. O'Keefe »

Juge

Ottawa (Ontario)

Le 28 mai 2004

Traduction certifiée conforme

Julie Boulanger, LL.M.


                         COUR FÉDÉRALE

          AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                                 IMM-4542-04

INTITULÉ :                                                                MAZA HAILU

c.

LE SOLLICITEUR GÉNÉRAL DU CANADA

                             

REQUÊTE DE LA DEMANDERESSE ENTENDUE PAR TÉLÉCONFÉRENCE À OTTAWA

DATE DE L'AUDIENCE :                                        LE 28 MAI 2004

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                                                LE JUGE O'KEEFE

DATE DES MOTIFS :                                               LE 28 MAI 2004

COMPARUTIONS :

Odaro Omonuwa                                                          POUR LA DEMANDERESSE

Kim Shane                                                                    POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Odaro Omonuwa                                                          POUR LA DEMANDERESSE

Winnipeg (Manitoba)

Morris Rosenberg, c.r.                                       POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada       


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