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Date : 20030103

Dossier : T-1967-01

Ottawa (Ontario), le 3 janvier 2003

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE LEMIEUX

ENTRE

RONALD G. MAHEU

                                                                                                                                        demandeur

et

IMS HEALTH CANADA et

LE COMMISSAIRE À LA PROTECTION

DE LA VIE PRIVÉE DU CANADA

                                                                                                                                        défendeurs

ORDONNANCE

POUR LES MOTIFS prononcés en ce jour;

LA COUR ORDONNE :

L'appel interjeté contre l'ordonnance que le protonotaire Hargrave a rendue le 14 mai 2002 est accueillie avec dépens.

« François Lemieux »

Juge

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, trad. a., LL.L.


Date : 20030103

Dossier : T-1967-01

Référence neutre : 2003 CFPI 1

ENTRE

RONALD G. MAHEU

                                                                                                                                        demandeur

et

IMS HEALTH CANADA et

LE COMMISSAIRE À LA PROTECTION

DE LA VIE PRIVÉE DU CANADA

                                                                                                                                        défendeurs

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE LEMIEUX

A.         INTRODUCTION

[1]                 Ronald Maheu (le demandeur) interjette appel contre l'ordonnance par laquelle le protonotaire Hargrave lui a enjoint, le 14 mai 2002, conformément à l'alinéa 416(1)g) des Règles de la Cour fédérale (1998) (les Règles), de fournir un cautionnement pour les dépens d'un montant de 12 000 $. Le demandeur affirme en outre être indigent au sens de l'article 417 des Règles, question qui, dit-il, a été soulevée, mais que le protonotaire n'a pas tranchée.


[2]                 L'alinéa 416(1)g) et l'article 417 des Règles sont ainsi libellés :

416. (1) Lorsque, par suite d'une requête du défendeur, il paraît évident à la Cour que l'une des situations visées aux alinéas a) à h) existe, elle peut ordonner au demandeur de fournir le cautionnement pour les dépens qui pourraient être adjugés au défendeur :

[...]

g) il y a lieu de croire que l'action est frivole ou vexatoire et que le demandeur ne détient pas au Canada des actifs suffisants pour payer les dépens s'il lui est ordonné de le faire;

416. (1) Where, on the motion of a defendant, it appears to the Court that

...

(g) there is reason to believe that the action is frivolous and vexatious and the plaintiff would have insufficient assets in Canada available to pay the costs of the defendant, if ordered to do so, or

. . .

the Court may order the plaintiff to give security for the defendant's costs.

417. La Cour peut refuser d'ordonner la fourniture d'un cautionnement pour les dépens dans les situations visées aux alinéas 416(1)a) à g) si le demandeur fait la preuve de son indigence et si elle est convaincue du bien-fondé de la cause.

[non souligné dans l'original]

417. The Court may refuse to order that security for costs be given under any of paragraphs 416(1)(a) to (g) if a plaintiff demonstrates impecuniosity and the Court is of the opinion that the case has merit. [emphasis mine]

[3]                 L'ordonnance du protonotaire est en partie ainsi libellée :

[TRADUCTION] 1. Il sera donné suite à la demande. Toutefois, même si la demande ne satisfait pas au critère applicable à la radiation, et ce, pour plusieurs raisons, notamment en ce sens qu'il n'est pas clair, évident et hors de tout doute qu'il s'agit en fait d'une procédure abusive ou d'une procédure frivole et vexatoire qui n'a aucune chance de succès, il semble y avoir lieu de croire que la demande est frivole et vexatoire, soit une norme moins rigoureuse. La défenderesse a donc droit à un cautionnement pour les dépens de la part du demandeur, qui est un failli non réhabilité.

[non souligné dans l'original]

[4]                 Le protonotaire Hargrave a également prononcé des motifs écrits, sur lesquels nous reviendrons.


[5]                 À l'audience qui a eu lieu devant le protonotaire, le Commissaire à la protection de la vie privée (le Commissaire) est intervenu pour présenter des arguments au sujet de la nouvelle législation fédérale, à savoir la Loi sur la protection des renseignements personnels et les documents électroniques, L.C. 2000, ch. 5 (la Loi), qui sous-tend l'instance engagée par M. Maheu. Le Commissaire a également présenté de longues observations devant la Cour, en affirmant que le protonotaire Hargrave avait commis une erreur en interprétant la nouvelle loi.

B.         HISTORIQUE

[6]                 Le 2 novembre 2001, le demandeur, conformément à l'article 14 de la Loi, a demandé à la Cour d'examiner le rapport du 21 septembre 2001 dans lequel le Commissaire avait conclu que les renseignements sur les médicaments d'ordonnance - qu'il s'agisse d'une ordonnance individuelle ou de tendances relevées dans un certain nombre d'ordonnances - ne constituaient pas des [TRADUCTION] « renseignements personnels concernant le médecin » pour l'application de la Loi.


[7]                 Le rapport du 21 septembre 2001 du Commissaire a été rédigé à la suite d'une plainte déposée par M. Maheu, qui est également président de Pharma Communications Group Inc. (Pharma Communications). M. Maheu affirmait que les pratiques d'IMS Health Canada (IMS) en matière de collecte de renseignements allaient à l'encontre de la Loi. IMS a été avisée de la plainte par le Commissaire. IMS s'occupe de la collecte et de l'analyse de données relatives aux médicaments d'ordonnance et de renseignements statistiques se rapportant à des questions de soins de santé, qu'elle utilise ensuite pour élaborer des banques de données et d'autres formes de gestion de l'information pour ses clients dans le secteur gouvernemental et industriel. Il est reconnu que Pharma Communications exploite le même genre d'entreprise qu'IMS.

[8]                 M. Maheu a déclaré qu'IMS achetait auprès de pharmacies canadiennes un certain nombre de renseignements tirés d'ordonnances, et ce, à l'insu ou sans le consentement du médecin prescripteur. Il est affirmé que ces renseignements comprennent le numéro du magasin, l'identification numérique du médicament, le nom du médicament, la force du médicament, le fabricant, le prix de vente, les nouvelles ordonnances ou les renouvellements, les raisons de l'utilisation d'un médicament, les raisons pour lesquelles on demande de ne pas remplacer le médicament prescrit par un autre médicament, le prénom et le nom de famille du prescripteur, le numéro de téléphone, le sexe du patient et sa date de naissance.

[9]                 Par contre, dans l'affidavit qu'il a déposé à l'appui de sa demande, M. Maheu déclare que Pharma Communications obtient ses données directement du médecin prescripteur, données qu'elle utilise avec le consentement du médecin.


[10]            Après avoir mené enquête, le Commissaire a conclu que les renseignements qu'IMS recueille et communique ne sont pas des renseignements personnels concernant des médecins et qu'ils ne sont donc pas protégés par la Loi. La plainte a été rejetée pour le motif qu'elle n'était pas fondée. Le Commissaire a ajouté ce qui suit :

[TRADUCTION] À mon avis, il est dans l'intérêt public de connaître cette conclusion et elle sera donc rendue publique.

[11]            M. Maheu a ensuite demandé à la Cour, conformément à l'article 14 de la Loi, d'examiner la décision du Commissaire.

C.         LES MOTIFS DU PROTONOTAIRE

[12]            Le protonotaire Hargrave a été saisi d'une requête qu'IMS avait présentée en vue d'obtenir d'autres réparations : premièrement, la radiation, pour le motif qu'il y avait abus de procédure, de la demande de contrôle de M. Maheu ou, subsidiairement, la délivrance d'une ordonnance enjoignant à M. Maheu de fournir un cautionnement en vertu de l'alinéa 416(1)g) des Règles. IMS a soutenu que M. Maheu avait présenté sa demande pour un motif illégitime, à savoir qu'il tentait d'abuser de la procédure de la Cour en utilisant les procédures d'examen de la Loi pour promouvoir ses intérêts commerciaux et les intérêts commerciaux de sa société plutôt que pour protéger la collecte, l'utilisation ou la communication de renseignements personnels, ce qui constitue l'objet de la Loi.


[13]            Le protonotaire Hargrave a conclu que Pharma Communications et IMS étaient des concurrents - elles s'occupaient toutes deux de la vente à des fabricants de produits de prescription de renseignements fondés sur des ordonnances rédigées par les médecins. M. Maheu n'a jamais contesté ce fait.

[14]            Le protonotaire a exposé la requête dont il était saisi; voici ce qu'il a statué :

[2] Selon la défenderesse, cette demande est fondamentalement axée sur le fait que le demandeur abuse de la procédure de la Cour fédérale en sollicitant ce qui semble être un examen, en vertu de la Loi sur la protection des renseignements personnels et les documents électroniques, [...], des mesures qu'IMS a prises en recueillant et en communiquant des renseignements, examen qui constitue, selon IMS, [TRADUCTION] « une tentative à peine voilée visant la poursuite des intérêts commerciaux de Pharma Communications » . IMS soutient que la demande devrait être radiée parce qu'elle constitue un abus de la procédure de la Cour fédérale : je n'irais pas jusqu'à radier l'instance, mais il s'agit d'un abus justifiant la fourniture d'un cautionnement pour dépens en faveur de la défenderesse, conformément à l'alinéa 416(1)g) des Règles.

[non souligné dans l'original]


[15]            Le protonotaire a noté que l'instance dont la Cour fédérale était saisie n'était pas l'unique litige opposant les parties et il a mentionné une action devant les cours de l'Ontario (un litige commercial découlant d'un contrat de licence en vertu duquel IMS fournissait des données à Pharma Communications) et une injonction délivrée contre M. Maheu, lui interdisant d'adresser des envois à des médecins au Québec. Le protonotaire a dit que le litige dont les tribunaux de l'Ontario avaient été saisis « influ[ait] d'une façon indirecte sur le litige dont la Cour fédérale [était] ici saisie, car il étay[ait] la prétention d'IMS selon laquelle une question commerciale [était] à l'origine du litige devant la Cour fédérale » . Il a examiné les documents d'IMS et il a conclu que l'instance engagée devant la Cour fédérale « port[ait] la marque d'un litige commercial » ; toutefois, il a noté qu' « il n'exist[ait] apparemment aucune décision portant sur la question de savoir si la portée et l'objet de la Loi s'étendent à pareil litige » [non souligné dans l'original].

[16]            Le protonotaire a exprimé son avis au sujet de la Loi et de la position prise par IMS :

[8] En ce qui concerne la Loi, l'article 3 prévoit notamment que la Loi a pour objet « [...] de fixer [...] des règles régissant la collecte, l'utilisation et la communication de renseignements personnels [...] » . La Loi établit un code visant à protéger les renseignements personnels, c'est-à-dire les renseignements concernant un individu identifiable (à l'exclusion du nom et d'autres renseignements indiquant son identité). Elle énonce les règles qui s'appliquent aux organisations privées qui recueillent, utilisent ou communiquent des renseignements personnels dans le cadre d'activités commerciales. IMS soulève ici deux points : en premier lieu, le demandeur n'est pas lui-même un fournisseur de soins de santé; en second lieu, IMS ne recueille pas de renseignements au sujet de M. Maheu. IMS soutient plutôt que M. Maheu utilise la Loi afin d'obtenir un avantage concurrentiel pour sa société et que cela constitue en soi un abus de la procédure de la Cour.

                                                                                                                           [non souligné dans l'original]

[17]            Le protonotaire a refusé de radier la demande de M. Maheu en disant ce qui suit :

[14] En l'espèce, la portée de la Loi n'a pas encore été déterminée. Utiliser la Loi en vue d'obtenir un avantage commercial concurrentiel semblerait constituer un abus, ou être vexatoire ou frivole, mais en l'absence de décisions concernant la portée de la Loi, je ne radierai pas l'acte de procédure ici en cause, et ce, pour deux raisons.

                                                                                                                           [non souligné dans l'original]


[18]            En se fondant sur la décision que la Cour d'appel fédérale a rendue dans l'affaire David Bull Laboratories (Canada) Inc. c. Pharmacia Inc., [1995] 1 C.F. 588, le protonotaire a statué que les demandes de contrôle judiciaire devraient uniquement être rejetées sommairement lorsque la demande est « manifestement irréguli[ère] au point de n'avoir aucune chance d'être accueilli[e] [et qu'il s'agissait] d'une mesure qui, en fait, ne p[ouvait] être prise qu'exceptionnellement » . Quant au deuxième motif, le protonotaire s'est également fondé sur la jurisprudence de la Cour fédérale; il a statué que les questions de droit sérieuses ne devraient pas être tranchées dans le cadre d'une requête sommaire à moins d'être clairement futiles.

[19]            En examinant la question de la réparation de rechange, à savoir la fourniture d'un cautionnement, le protonotaire Hargrave a signalé le libellé de l'alinéa 416(1)g) des Règles : « Lorsque [...] il parait évident à la Cour [qu']il y a lieu de croire que l'action est frivole ou vexatoire » et il a dit que ces termes indiquaient une norme moins rigoureuse que le critère de la question claire et évidente qui s'applique à la radiation d'une action.

[20]            En se fondant sur un certain nombre d'affaires dans le domaine de la faillite, où les tribunaux canadiens ne permettaient pas que la Loi sur la faillite et l'insolvabilité soit utilisée à des fins indirectes irrégulières, le protonotaire a dit ce qui suit :

[19] En l'espèce, les documents semblent indiquer qu'il y a lieu de croire que l'instance est frivole et vexatoire en ce sens qu'il n'est pas juste et honnête d'utiliser la procédure de la Cour afin d'étendre l'application de la Loi à des fins fort probablement irrégulières, à savoir l'obtention d'un avantage commercial. [non souligné dans l'original]

[21]            Le protonotaire était d'avis, compte tenu de l'interprétation qu'il convenait clairement de donner à l'alinéa 416(1)g) des Règles, qu'IMS n'avait pas à démontrer que la demande du demandeur était de fait frivole et vexatoire.

[22]            Le protonotaire a examiné la règle de l'Ontario qui s'applique au cautionnement pour les dépens, laquelle est libellée en des termes similaires, cette règle renforçant son avis. Il a dit que « [l]a seule différence importante est qu'en Ontario, il doit exister de « bonnes raisons » de croire que l'instance est frivole et vexatoire » . Le protonotaire a examiné la décision Hallum c. Canadian Memorial Chiropractic College (1989), 70 O.R. (2d) 119, où le juge Doherty a fait remarquer qu'en demandant un cautionnement pour les dépens, la défenderesse [TRADUCTION] « [...] devait uniquement démontrer qu'il existait de bonnes raisons de croire que l'action était frivole ou vexatoire. Elle n'était pas tenue de démontrer que l'action était de fait frivole » [non souligné dans l'original].

[23]            Le protonotaire a conclu ce qui suit :

[22] En l'espèce, il semble objectivement qu'il y ait lieu de croire que le demandeur utilise la Loi à des fins indirectes irrégulières plutôt qu'aux fins énoncées à l'article 3 de la Loi. Comme il en a été fait mention, la Loi vise à réglementer la collecte, l'utilisation et la communication de renseignements personnels générés dans le cadre d'activités commerciales. Dans ce cas-ci, les propres renseignements personnels du demandeur ne sont aucunement en cause.

[23] En l'espèce, IMS a réussi à établir qu'il y a lieu de croire que la demande est frivole et vexatoire, soit une norme moins stricte que celle qui s'applique à la radiation d'un acte de procédure, mais une norme clairement suffisante aux fins du cautionnement pour dépens.

                                                                                                                           [non souligné dans l'original]


D.         LES ARGUMENTS

(1)         Arguments du demandeur

[24]            L'avocat de l'appelant (demandeur) a soutenu que le protonotaire avait clairement commis quatre erreurs. Premièrement, il avait mal interprété les faits lorsqu'il avait conclu qu'en présentant sa demande de contrôle de la décision du Commissaire, M. Maheu cherchait à obtenir un avantage commercial. L'avocat affirme que le noeud du litige opposant les parties est de savoir si la façon dont IMS recueillait les renseignements auprès des médecins est conforme à la Loi. L'avocat demande simplement à la Cour d'interpréter la Loi et, s'il a gain de cause, il demande l'une des réparations prescrites par le législateur, y compris une ordonnance de la Cour portant qu'IMS doit modifier les pratiques suivies. Il s'agit d'un recours d'ordre public qui ne peut pas être considéré comme donnant lieu à un avantage commercial, d'autant plus lorsqu'il est reconnu que la Loi s'applique au secteur privé et prescrit des règles régissant l'activité commerciale relativement à la collecte, à l'utilisation et à la communication de renseignements personnels.


[25]            Deuxièmement, le protonotaire a eu tort de conclure que le but recherché par M. Maheu était indirect. L'avocat affirme que M. Maheu voulait simplement obtenir une décision au sujet de la question de savoir si les pratiques d'IMS étaient conformes à la Loi. M. Maheu ne nie pas avoir un intérêt commercial dans la demande. La Loi devrait pouvoir être invoquée par une personne qui a un intérêt commercial dans l'utilisation, légitime ou non, de renseignements personnels et elle devrait également pouvoir être invoquée à l'encontre d'une partie qui a un intérêt commercial dans l'utilisation, légitime ou non, de renseignements personnels.

[26]            Troisièmement, le protonotaire a commis une erreur de principe et il a tenu compte d'une considération non pertinente lorsqu'il a conclu que, puisque la demande ne se rapportait pas à des renseignements personnels concernant M. Maheu lui-même, ce fait était dans une certaine mesure pertinent lorsqu'il s'agissait de conclure que la demande avait été présentée à des fins irrégulières. L'appelant (demandeur) affirme que la Loi n'exige pas que la personne qui dépose une plainte auprès du Commissaire limite sa plainte aux questions se rapportant à des renseignements personnels la concernant.


[27]            Quatrièmement, la demande ne constituait pas un abus de procédure. Le protonotaire a refusé de radier la demande pour le motif qu'elle était abusive, mais il a ordonné qu'un cautionnement pour les dépens soit fourni selon une norme moins rigoureuse. L'avocat de l'appelant (demandeur) affirme qu'il s'agit d'une erreur de principe puisque, logiquement, une demande ne peut pas à la fois être abusive et sembler être abusive. L'avocat a en outre déclaré que le protonotaire avait commis une erreur en statuant que l'omission d'IMS, dans sa requête en radiation, n'empêchait pas l'application de l'alinéa 416(1)g) des Règles pour le motif que cela [TRADUCTION] « n'entrerait presque jamais en jeu dans le contexte d'une action, puisque l'action serait d'abord radiée » . Le protonotaire a commis une erreur parce que l'abus de procédure ne constitue qu'un type de procédure frivole et vexatoire, ce qui permet d'appliquer la Règle dans d'autres cas.

(2)         Les arguments de l'intimée IMS

[28]            L'avocat d'IMS rétorque en soutenant que, selon l'interprétation qu'il convient de donner à l'alinéa 416(1)g) des Règles, l'obligation qui lui incombait devant le protonotaire ne consistait pas à démontrer que la demande était en fait frivole ou vexatoire, mais uniquement qu'il paraissait évident qu'il y avait lieu de croire qu'elle l'était.


[29]            Rien ne permet de modifier la décision du protonotaire, est-il soutenu, étant donné que le demandeur ne s'est pas acquitté de l'obligation qui lui incombe selon le critère énoncé dans l'arrêt Aqua-Gem. Il existait un bon nombre d'éléments de preuve permettant au protonotaire de conclure que de fait la demande était l'une des façons dont M. Maheu et sa société, Pharma Communications, avaient cherché à obtenir un avantage commercial par rapport à IMS, en particulier en contestant publiquement les pratiques commerciales d'IMS. En outre, il existait bon nombre d'éléments de preuve à l'appui de la prétention selon laquelle le but que le demandeur recherchait en présentant sa demande était de promouvoir les intérêts commerciaux de sa société, soit un but incompatible avec l'objet de la Loi. L'avocat d'IMS souligne que le demandeur lui-même admet qu'IMS ne recueille pas, n'utilise pas ou ne communique pas des renseignements personnels le concernant et qu'il n'a jamais nié qu'il avait un intérêt commercial dans la demande.

[30]            IMS affirme que le protonotaire Hargrave n'a pas commis d'erreur en tenant compte du fait que des renseignements personnels concernant le demandeur lui-même n'étaient pas en cause dans la demande lorsqu'il s'agissait de conclure qu'il semblait y avoir lieu de croire que la demande avait été présentée à des fins irrégulières.

[31]            L'avocat d'IMS déclare avoir souscrit devant le protonotaire à la position prise par le Commissaire, à savoir qu'une plainte déposée en vertu de la Loi n'a pas à se rapporter à des renseignements personnels concernant le plaignant. Toutefois, il affirme que le fait que des renseignements concernant M. Maheu lui-même n'étaient pas en cause dans la demande est clairement pertinent lorsqu'il s'agit de déterminer le but dans lequel la demande a été présentée. Il affirme que ce fait, auquel viennent s'ajouter les autres faits énoncés dans les affidavits qu'IMS a déposés, étaye clairement la conclusion que le protonotaire a tirée au sujet du but visé par le demandeur.

[32]            Enfin, l'avocat affirme que la décision du protonotaire est une décision de nature discrétionnaire à l'égard de laquelle il faut faire preuve d'une certaine retenue et que je ne devrais pas intervenir même si je ne partageais pas le même avis.


(3)         Les arguments du Commissaire à la protection de la vie privée

[33]            L'avocat du Commissaire a comparu devant la Cour pour l'aider à interpréter la Loi, étant donné que c'était la première fois que la Cour avait l'occasion de le faire.

[34]            L'avocat a mis l'accent sur le paragraphe 22 des motifs du protonotaire, où il est dit ce qui suit :

Il semble objectivement qu'il y ait lieu de croire que le demandeur utilise la Loi à des fins indirectes irrégulières plutôt qu'aux fins énoncées à l'article 3 de la Loi.

L'avocat a dit qu'en tirant cette conclusion, le protonotaire Hargrave s'est fondé sur le fait que les renseignements personnels concernant le demandeur lui-même n'étaient de toute façon pas en cause. M. Maheu n'était pas un fournisseur de soins de santé, c'est-à-dire un médecin, et IMS ne recueillait pas de renseignements personnels à son sujet. Le Commissaire craignait qu'en faisant cette remarque, le protonotaire se prononçait sur le droit d'un demandeur de présenter une demande devant la Cour (ou de fait devant le Commissaire).


[35]            L'avocat a expliqué l'économie de la Loi quant au fond et quant à la forme. En ce qui concerne la forme, il a signalé la section II de la Loi, qui porte sur les recours et qui prévoit le dépôt de plaintes, une enquête par le Commissaire, un rapport et une demande devant la Cour permettant au plaignant de se faire entendre si le rapport ne lui plaît pas. En particulier, le paragraphe 11(1) prévoit que « [t]out intéressé peut déposer auprès du Commissaire une plainte contre une organisation qui contrevient à l'une des dispositions de la section 1 ou qui omet de mettre en oeuvre une recommandation énoncée dans l'annexe 1 » .

[36]            Le paragraphe 14(1) de la Loi prévoit qu' « [a]près avoir reçu le rapport du Commissaire, le plaignant peut demander que la Cour entende toute question qui a fait l'objet de la plainte - ou qui est mentionnée dans le rapport - » et dans certains articles de l'annexe I ou dans certains articles de cette annexe tels que modifiés ou clarifiés par la section I.

[37]            Je note que le Commissaire n'est pas tenu de préparer un rapport s'il est convaincu que « la plainte est futile, vexatoire ou entachée de mauvaise foi » [non souligné dans l'original]. Or, en l'espèce, le Commissaire a préparé un rapport.

[38]            L'avocat du Commissaire a souligné qu'en vertu de l'article 11 de la Loi, une personne peut déposer une plainte concernant les pratiques d'une organisation en matière d'information, et ce, peu importe que l'organisation recueille, utilise ou communique des renseignements personnels se rapportant à la plainte de la personne en cause.

[39]            L'avocat a soutenu que c'est ce qui ressort des articles 11 à 14 de la Loi et en particulier des articles 11 et 14 qui, affirme-t-il, n'exigent pas, comme condition d'une plainte ou d'un examen judiciaire, que les allégations du plaignant se rapportent à des renseignements personnels le concernant, et qu'il n'y a pas lieu de croire que pareille restriction est imposée par la Loi; en effet, l'avocat a souligné que si le législateur avait voulu limiter le droit de déposer une plainte aux personnes qui sont directement touchées par les allégations de violation de la Loi, il l'aurait expressément prévu, comme il l'a fait à l'article 18.1 de la Loi sur la Cour fédérale en limitant les demandes de contrôle judiciaire à quiconque est directement touché.

[40]            Selon l'avocat, il n'y a rien dans la Loi qui interdise à une personne qui représente une entreprise de déposer une plainte en alléguant qu'un concurrent viole la Loi; l'avocat affirme que, par conséquent, le fait même qu'une personne allègue qu'un concurrent s'est livré, en matière d'information, à des pratiques qui contreviennent à la Loi ne peut pas être invoqué en tant que tel à l'appui de la conclusion selon laquelle le plaignant [TRADUCTION] « utilise la Loi à des fins indirectes irrégulières » .


[41]            Au cours de l'argumentation orale, l'avocat du Commissaire a développé ses arguments écrits. Il a souligné la différence qui existe entre la Loi sur la protection des renseignements personnels fédérale et la Loi ici en cause. La Loi sur la protection des renseignements personnels fédérale vise uniquement la communication de renseignements personnels concernant une personne qui sont entre les mains du gouvernement fédéral. Par contre, la Loi ici en cause énonce les règles qui s'appliquent à la collecte, à l'utilisation et à la communication de renseignements personnels dans le secteur privé fédéral, où sont exercées des activités commerciales.


[42]            L'avocat a examiné l'annexe de la Loi et il a dit que cette annexe renferme les principes énoncés dans la Norme nationale du Canada intitulée Code type sur la protection des renseignements personnels (CAN/CSA-Q830-96) lorsque des renseignements sont recueillis et utilisés par des organisations privées du secteur privé fédéral. Ces principes comprennent (1) la responsabilité pour les renseignements personnels dont une organisation a la gestion et la responsabilité pour ce qui est du respect des principes énoncés; (2) la détermination des fins auxquelles les renseignements sont recueillis; (3) la connaissance et le consentement de la personne concernée aux fins de la collecte, de l'utilisation ou de la communication de renseignements personnels, sauf lorsque cela n'est pas approprié; (4) la collecte de renseignements personnels est limitée à ce qui est nécessaire aux fins mentionnées par l'organisation avec un corollaire, à savoir que les renseignements doivent être recueillis par des moyens justes et légitimes; (5) les renseignements personnels ne doivent pas être utilisés ou communiqués à des fins autres que celles pour lesquelles ils ont été recueillis sauf avec le consentement de la personne concernée ou conformément aux exigences de la loi; (6) les renseignements personnels doivent être aussi exacts, complets et à jour qu'il le faut pour les fins auxquelles ils doivent être utilisés; (7) les renseignements personnels doivent être protégés, sur le plan de la sécurité, par des garanties appropriées à leur nature délicate; et 8) la communication individuelle doit être effectuée sur demande, c'est-à-dire qu'une personne doit être informée de l'existence, de l'utilisation et de la communication des renseignements personnels la concernant et que cette personne doit avoir accès à ces renseignements.

[43]            L'avocat souligne que ce code type figurant à l'annexe, sous réserve des exceptions prévues aux articles 7 à 9 de la Loi, a une portée beaucoup plus étendue que la simple communication de renseignements concernant une personne parce que, sauf ce qui se rapporte au paragraphe 4.9 de l'annexe, toutes les autres dispositions du code type traitent de systèmes et de méthodes et ne visent pas des renseignements précis.

[44]            L'avocat examine les dispositions correctives de la Loi qui, soutient-il, ne sont pas limitées à l'accès à des renseignements personnels. Ces dispositions se rapportent plutôt à des réparations générales existant en droit public qui visent à assurer l'observation des aspects réglementaires de la Loi.

[45]            L'avocat conclut en disant qu'il importe peu qu'un avantage commercial ou un intérêt privé soit en jeu. Décider le contraire serait limiter indûment la qualité reconnue à une personne en vertu de la Loi de déposer des plaintes et, après que le Commissaire a établi son rapport, d'interjeter appel devant la Cour.


E.          ANALYSE

(1)         La norme de contrôle

[46]            La norme de contrôle est bien connue; elle est énoncée dans l'arrêt Canada c. Aqua-Gem Investments Ltd., [1993] 2 C.F. 425, où Monsieur le juge MacGuigan a dit ce qui suit :

[95] [...] le juge saisi de l'appel contre l'ordonnance discrétionnaire d'un protonotaire ne doit pas intervenir sauf dans les deux cas suivants :

a)              l'ordonnance est entachée d'erreur flagrante, en ce sens que le protonotaire a exercé son pouvoir discrétionnaire en vertu d'un mauvais principe ou d'une mauvaise appréciation des faits,

b)              l'ordonnance porte sur des questions ayant une influence déterminante sur l'issue du principal.

Si l'ordonnance discrétionnaire est manifestement erronée parce que le protonotaire a commis une erreur de droit (concept qui, à mon avis, embrasse aussi la décision discrétionnaire fondée sur un mauvais principe ou sur une mauvaise appréciation des faits) ou si elle porte sur des questions ayant une influence déterminante sur l'issue du principal, le juge saisi du recours doit exercer son propre pouvoir discrétionnaire en reprenant l'affaire depuis le début.                                                                              [non souligné dans l'original]


[47]            Il est clair que la décision du protonotaire Hargrave d'obliger le demandeur à fournir un cautionnement pour les dépens est une décision discrétionnaire et qu'elle n'a pas une influence déterminante sur le litige, c'est-à-dire une influence déterminante sur l'issue du principal (voir la note 15 de l'arrêt Aqua-Gem, précité). S'il était établi que l'ordonnance relative au cautionnement pour les dépens mettrait fin aux actions de M. Maheu, c'est-à-dire qu'elle l'obligerait à abandonner la demande qu'il a présentée devant la Cour, ce résultat aurait pour effet de régler la demande et m'obligerait à examiner à nouveau l'affaire (voir John Wink Ltd. c. Sico Inc. (1987), 57 O.R. (2d) 705 (H.C.J.)). Eu égard aux circonstances, pour que le demandeur ait gain de cause, je dois conclure qu'en arrivant à sa décision, le protonotaire a commis une erreur flagrante au sens où le juge MacGuigan a employé ces termes, c'est-à-dire qu'il a commis une erreur de principe et de fait.

(2)         Examen

[48]            Je soulèverai ici un certain nombre de points. Premièrement, M. Maheu n'a pas contesté l'assertion d'IMS selon laquelle il ne détenait pas au Canada suffisamment d'actifs pour payer ses frais, si on lui ordonnait de le faire, soit le deuxième volet du critère prévu à l'alinéa 416(1)g) des Règles. Par conséquent, seul le premier volet de ce critère, à savoir s'il parait évident à la Cour qu'il y a lieu de croire que la demande est frivole et vexatoire, entre ici en ligne de compte.

[49]            Deuxièmement, M. Maheu n'a pas présenté de preuve au sujet du fait qu'il était indigent au sens de l'article 417 des Règles, soit une obligation qui lui incombait (voir Fortyn c. Canada, [2000] 4 C.F. 184 (1re inst.)). M. Maheu ne satisfait donc pas aux dispositions de l'article 417 des Règles.

[50]            Une fois ces conditions tirées, il reste uniquement à savoir si le protonotaire Hargrave a commis une erreur en ce qui concerne la conclusion qu'il a tirée au sujet du premier volet du critère prévu à l'alinéa 416(1)g) des Règles.

[51]            À mon avis, selon le critère préconisé dans l'arrêt Aqua-Gem, le protonotaire peut commettre une erreur de droit dans l'exercice de son pouvoir discrétionnaire s'il se fonde sur un mauvais principe, sur une mauvaise interprétation de la disposition habilitante ou sur une mauvaise appréciation des faits.

[52]            L'exercice d'un pouvoir discrétionnaire peut être fondé sur un mauvais principe si « [...] si on s'est [...] fondé sur des considérations inappropriées ou étrangères à l'objet de la loi » (voir Maple Lodge Farms Ltd. c. Canada, [1982] 2 R.C.S. 2). Il peut y avoir mauvaise appréciation des faits lorsque le protonotaire oublie la preuve, qu'il n'en fait aucun cas ou qu'il l'apprécie mal, et ce, d'une façon qui influe sur sa décision (voir Housen c. Nikolaisen, 2002 CSC 33).

[53]            Je suis d'accord avec le protonotaire Hargrave pour dire que les mots « il parait évident à la Cour qu'[...] il y a lieu de croire que l'action est frivole ou vexatoire » donnent lieu à l'application d'une norme différente moins rigoureuse que celle qui s'applique à la radiation d'un acte de procédure.

[54]            Il s'agit en fait de savoir jusqu'à quel point les mots « il y a lieu de croire » atténuent la portée d'une norme de preuve. Le protonotaire n'en a pas parlé. J'estime que la norme de preuve exprimée à l'alinéa 416(1)g) n'est pas différente de la norme de preuve contenue dans l'expression « motifs raisonnables de croire » que le législateur a employée à plusieurs reprises et qui, dans l'arrêt Chiau c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2001] 2 C.F. 297, de la Cour d'appel fédérale, a été jugée comme une norme de preuve qui « sans être une prépondérance des probabilités, suggère néanmoins la croyance légitime à une possibilité sérieuse en raison de preuves dignes de foi » [non souligné dans l'original].

[55]            À mon avis, cette norme est confirmée par la version française de l'alinéa 416(1)g) ( « il paraît évident à la Cour [...] » ) et elle est conforme à l'objet de la règle tel qu'il a été exprimé dans l'arrêt Schmidt et al c. Toronto-Dominion Bank, [1995] 24 O.R. (3d) 1, lorsque la Cour d'appel de l'Ontario a interprété la règle de l'Ontario.

[56]            Dans l'arrêt Schmidt, précité, voici ce que la Cour d'appel de l'Ontario a dit :

[TRADUCTION] « Les mots « il existe de bonnes raisons de croire » modifient les mots « frivole et vexatoire » et indiquent une conclusion qui constitue presque une décision selon laquelle l'appel est frivole et vexatoire. Le juge qui entend une requête visant un cautionnement pour les dépens peut arriver à la conclusion provisoire selon laquelle l'appel semble être si dépourvu de fondement qu' « il existe de bonnes raisons de croire que l'appel est frivole et vexatoire » sans être convaincu que l'appel est totalement dépourvu de fondement. Comme il en a ci-dessus été fait mention, cette dernière conclusion plus définitive exigera habituellement une audition complète au fond de l'appel. À notre avis, l'alinéa 61.06(1)a) des Règles ne visait pas et ne vise pas à exiger que le juge qui entend une requête entreprenne un examen complet de l'appel au fond ou qu'il tire une conclusion définitive au sujet du bien-fondé de l'appel.


L'interprétation préconisée par le juge Carthy est également compatible avec l'objet sous-tendant la règle. L'alinéa 61.06(1)a) tente de fournir à l'intimé une certaine protection au cas où l'appel serait en fin de compte rejeté, sans refuser à l'appelant la possibilité de poursuivre l'appel. Étant donné qu'une ordonnance rendue en vertu de l'alinéa 61.06(1)a) ne règle pas l'appel, une interprétation de la règle qui exige que l'intimé démontre quelque chose de moins qu'une absence réelle de fondement établit l'équilibre qui convient entre les intérêts respectifs de l'intimé et de l'appelant.

En statuant que l'alinéa 61.06(1)a) exige uniquement qu'il soit conclu qu'il existe de bonnes raisons de croire que l'appel est frivole et vexatoire plutôt qu'une conclusion selon laquelle l'appel est réellement frivole et vexatoire, il ne faudrait pas qu'il soit considéré que nous ne souscrivons pas à la façon dont le juge Finlayson a défini les facteurs qui s'appliquent à cette appréciation. Le bien-fondé apparent de l'appel, la présence ou l'absence d'un motif oblique à l'origine de l'appel et la conduite de l'appelant dans la poursuite de l'appel seront pertinents lorsqu'il s'agira de déterminer s'il semble exister de bonnes raisons de croire que l'appel est frivole et vexatoire. Sans doute, dans certains cas précis, d'autres facteurs seront également pertinents. [non souligné dans l'original]

[57]            En ce qui concerne le protonotaire, je suis d'avis qu'il a commis une erreur de droit et qu'il a mal interprété la Loi en concluant qu'il y avait lieu de croire que la demande de contrôle de M. Maheu visait une fin irrégulière - que M. Maheu tendait de bénéficier d'un avantage commercial par rapport à IMS.

[58]            Cette conclusion était peut-être attribuable au fait que le protonotaire ne savait pas trop qui était le plaignant devant le Commissaire. Le plaignant n'était pas Pharma Communications comme l'a dit le protonotaire dans ses motifs. Dans son rapport du 21 septembre 2002, le Commissaire dit clairement que le plaignant était un particulier, Ronald Maheu, qui [TRADUCTION] « a[vait] le droit de demander une audience devant la Section de première instance de la Cour fédérale [...] » s'il était conclu que la plainte n'était pas fondée.


[59]            Je souscris à l'avis de l'avocat du demandeur et de l'avocat du Commissaire en ce qui concerne la perspective de la Loi. À cet égard, il importe peu, comme le protonotaire l'a statué, que les renseignements personnels concernant M. Maheu n'aient pas été en jeu dans la plainte que celui-ci avait déposée devant le Commissaire. Cette considération n'était pas pertinente.

[60]            Le texte de la Loi vise à établir un code de conduite - un ensemble de règles - qui s'applique aux organisations qui recueillent, utilisent ou communiquent des renseignements personnels dans le cadre d'activités commerciales. Il s'agit d'une loi de réglementation de droit public établissant les modalités d'application de la loi au moyen de plaintes, de l'enquête menée par le Commissaire, d'un rapport et de la possibilité pour le plaignant d'interjeter appel de plein droit devant la présente Cour, qui peut rendre des ordonnances de la nature de réparations de droit public.

[61]            Selon cette perspective, le protonotaire a commis avec égards une erreur en concluant que M. Maheu avait présenté la demande devant la Cour dans un but irrégulier, à savoir en vue d'obtenir un avantage concurrentiel par rapport à IMS.


[62]            Bref, à mon avis, M. Maheu cherche à obtenir de la Cour, comme il peut à bon droit le faire, une décision au sujet de la question de savoir si les pratiques d'IMS sont conformes au droit pour ce qui est des techniques pertinentes de collecte et de rassemblement de renseignements personnels (voir en particulier le paragraphe 4.3.5 de l'annexe de la Loi).

[63]            Il importe peu que M. Maheu soit président de Pharma Communications, un concurrent d'IMS. Le législateur n'envisageait pas d'empêcher un concurrent d'avoir accès aux mécanismes d'application de la Loi compte tenu du fait que ce sont les concurrents exerçant des activités commerciales qui, avec les personnes dont les renseignements personnels sont recueillis, sont principalement touchés par ses règles. La qualité pour agir entre concurrents est bien reconnue dans les lois fédérales de réglementation et, dans ce cas-ci, le Commissaire peut remédier à tout abus en omettant d'établir un rapport s'il considère que la plainte est « futile, vexatoire ou entachée de mauvaise foi » .

[64]            Si j'exerce à nouveau le pouvoir discrétionnaire qui m'est conféré à l'alinéa 416(1)g) des Règles compte tenu de la preuve dont disposait le protonotaire, je conclus qu'IMS n'a pas le droit d'exiger un cautionnement pour dépens de M. Maheu à l'égard de la demande dont la Cour est saisie.

[65]            Les documents d'IMS ne révèlent pas que la demande dont la Cour est saisie a été présentée à des fins autres que l'assertion de droits légitimes de la part de M. Maheu. Les affaires de faillite invoquées par IMS ne sont donc pas applicables.

[66]            Il est clair que le litige devant les tribunaux de l'Ontario et l'injonction n'ont rien à voir avec la question de savoir si IMS se conforme à la Loi. La lettre du 18 février 2002 que M. Maheu a envoyée au directeur du marketing d'une société pharmaceutique était destinée à répondre à une question que celui-ci avait soulevée. L'approche adoptée, en ce qui concerne le Privacy Commissioner de l'Alberta, était un argument écrit portant sur la forme que la loi de réglementation devait prendre en Alberta. Enfin, l'approche adoptée dans le cas des médecins du Québec était une invitation qui était faite à ceux-ci de se retirer de certaines ententes à la suite de l'adoption de la législation par l'Assemblée nationale du Québec.

[67]            Si j'adopte le critère énoncé dans l'arrêt Chiau, précité - une croyance légitime à une possibilité sérieuse (à savoir que la demande de M. Maheu était vexatoire et frivole et qu'il y avait eu abus de procédure parce que la demande avait été présentée à des fins irrégulières) en raison de preuves dignes de foi, je ne suis pas convaincu qu'IMS ait établi qu'il soit nécessaire de fournir un cautionnement pour les dépens conformément à l'alinéa 416(1)g) des Règles.

[68]            Pour ces motifs, l'appel interjeté contre l'ordonnance rendue par le protonotaire Hargrave le 14 mai 2002 est accueilli avec dépens.

« François Lemieux »

Juge

OTTAWA (Ontario),

le 3 janvier 2003.

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, trad. a., LL.L.


COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                  T-1967-01

INTITULÉ :                                                 RONALD G. MAHEU

c.

IMS HEALTH CANADA et

LE COMMISSAIRE À LA PROTECTION DE LA VIE PRIVÉE DU CANADA

LIEU DE L'AUDIENCE :                         Toronto (Ontario)

DATE DE L'AUDIENCE :                       le 17 juin 2002

MOTIFS DE L'ORDONNANCE :         MONSIEUR LE JUGE LEMIEUX

DATE DES MOTIFS :                               le 3 janvier 2003

COMPARUTIONS :

M. Paul Bigioni                                                     POUR LE DEMANDEUR

M. T. Murray Rankin                                            POUR LA DÉFENDERESSE

(IMS HEALTH CANADA)

M. Dougald Brown                                               POUR LE DÉFENDEUR

(LE COMMISSAIRE À LA PROTECTION DE LA VIE PRIVÉE DU CANADA)

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

M. Paul Bigioni                                                     POUR LE DEMANDEUR

Markham (Ontario)

M. T. Murray Rankin                                            POUR LA DÉFENDERESSE

Arvay Finlay                                                          (IMS HEALTH CANADA)

Victoria (Colombie-Britannique)

M. Dougald Brown                                               POUR LE DÉFENDEUR

Nelligan O'Brien Payne                                       (LE COMMISSAIRE À LA

Ottawa (Ontario)                                                  PROTECTION DE LA VIE PRIVÉE DU CANADA)

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