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                                                                                                                     Date : 20011022

                                                                                                                 Dossier : T-320-01

                                                                                     Référence neutre : 2001 CFPI 1144

ENTRE

                                                            APOTEX INC.

                                                                                                                        demanderesse

                                                                    - et -

ELI LILLY AND COMPANY et

ELI LILLY CANADA INC.

                                                                                                                        défenderesses

                          MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

LE JUGE BLAIS

[1]         La Cour est saisie d'une requête lui demandant d'annuler l'ordonnance du protonotaire datée du 27 septembre 2001 et d'autoriser la demanderesse Apotex à déposer une déclaration modifiée sous le régime de la règle 75 des Règles de la Cour fédérale.

LES FAITS PERTINENTS

[2]         La présente instance a été introduite par une déclaration datée du 23 février 2001.


[3]         Dans sa déclaration, Apotex demande de recouvrer des dommages-intérêts ou des profits en vertu de l'article 8 du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité).

[4]         Par avis daté du 14 mars 2001, chacune des défenderesses a présenté une requête en radiation de la déclaration parce que celle-ci ne révélait aucune cause d'action valable.

[5]         Dans une ordonnance motivée rendue le 11 juin 2001, le juge Blanchard a rejeté chaque requête.

[6]         Il a exposé, au paragraphe 18 de sa décision :

Encore une fois, je tiens à faire remarquer que les points en litige sont d'une nature complexe et qu'il est préférable de les régler à l'instruction. La défenderesse Lilly U.S. n'a pas réussi à me convaincre « hors de tout doute » que la demande qui a été présentée à son encontre sera rejetée.

[7]         Après cette décision, les deux défenderesses ont déposé chacune leur défense. Les deux actes de procédure portaient la date du 28 juin 2001.

[8]         Au paragraphe 11 de sa défense, Eli Lilly Canada soutient ce qui suit :

[TRADUCTION] [par. 11] ... l'article 8 du Règlement est ultra vires et invalide.

[9]         Au paragraphe 12, la défenderesse fait valoir ce qui suit :


[TRADUCTION] [par. 12] Subsidiairement, pour le cas où l'article 8 serait considéré comme une disposition fédérale valide, la défenderesse nie que le texte entré en vigueur le 11 mars 1998, reproduit au paragraphe 17 de la déclaration, soit applicable.

[10]       La défenderesse énonce finalement ce qui suit au paragraphe 15 :

[TRADUCTION] Puisque aucune demande n'avait été soumise à la Section de première instance à la date d'entrée en vigueur de l'actuel article 8 du Règlement, c'est-à-dire le 12 mars 1998, la présente instance est régie par l'ancien article 8 ...

[11]       Après avoir pris connaissance de la position de la défenderesse au sujet de l'article 8, la demanderesse Apotex a présenté une requête, le 27 août 2001, dans laquelle elle sollicitait l'autorisation de déposer une déclaration modifiée où serait subsidiairement invoqué l'ancien article 8 du Règlement.

[12]       Dans une ordonnance rendue le 27 septembre 2001, le protonotaire a rejeté la requête d'Apotex après avoir conclu qu'il était [TRADUCTION] « tout à fait clair » selon lui qu'avant d'être modifié, l'article 8 ne s'appliquait que lorsque le ministre avait reporté la délivrance d'un ADC [TRADUCTION] « au-delà de l'expiration de tous les brevets » .


NORME D'EXAMEN

[13]       Dans l'arrêt Canada c. Aqua-Gem Investments Ltd., [1993] 2 C.F. 425, aux pages 462 et 463, la Cour d'appel fédérale a établi les normes que doit appliquer le juge des requêtes lorsqu'il examine la décision discrétionnaire d'un protonotaire :

Je souscris aussi en partie à l'avis du juge en chef au sujet de la norme de révision à appliquer par le juge des requêtes à l'égard des décisions discrétionnaires de protonotaire. Selon en particulier la conclusion tirée par lord Wright dans Evans v. Bartlam, [1937] A.C. 473 (H.L.) à la page 484, et par le juge Lacourcière, J.C.A., dans Stoicevski v. Casement (1983), 43 O.R. (2d) 436 (C. div.), le juge saisi de l'appel contre l'ordonnance discrétionnaire d'un protonotaire ne doit pas intervenir sauf dans les deux cas suivants:

a) l'ordonnance est entachée d'erreur flagrante, en ce sens que le protonotaire a exercé son pouvoir discrétionnaire en vertu d'un mauvais principe ou d'une mauvaise appréciation des faits,

b) l'ordonnance porte sur des questions ayant une influence déterminante sur l'issue du principal15.

                  

15. Il y a lieu de noter que la formulation employée par lord Wright, « the final issue of the case » , n'a pas du tout le même sens que « the final issue in the case » . Il a voulu dire par là « influence déterminante sur l'issue du principal » et non « influence déterminante sur le litige principal selon le mérite de la cause » .

[14]       Je conclus sans hésitation que l'interprétation de l'article 8 du Règlement, qu'il s'agisse de la version antérieure à 1998 ou de la version modifiée postérieure, constitue une question ayant une influence déterminante sur l'issue du principal. La Cour doit donc intervenir et exercer de novo son pouvoir discrétionnaire.


[15]       Il ressort clairement de la décision du protonotaire, en outre, qu'elle comportait la détermination d'une question de droit et l'interprétation d'une disposition législative.

[TRADUCTION] Il est tout à fait clair, en conclusion, qu'il n'y a pas lieu de faire droit à la requête de la demanderesse relativement à la modification envisagée. Pour commencer, la demanderesse n'a allégué aucun fait substantiel pouvant étayer une cause d'action fondée sur l'ancien article 8 du Règlement. Elle n'allègue pas qu'elle a subi un préjudice parce que le ministre a reporté la délivrance de l'avis de conformité « au-delà de la date d'expiration de tous les brevets » . Elle se contente plutôt d'affirmer, au paragraphe 18 du projet de déclaration modifiée, que le recours prévu par la loi est ouvert par suite de tout report de la délivrance d'un ADC attribuable à l'institution d'une demande d'interdiction. C'est clairement une mauvaise interprétation de la disposition.

À mon avis, l'attribution d'une responsabilité sous le régime de l'ancien article 8 du Règlement ne laisse place à aucune ambiguïté. Je fais miennes les observations du juge Mahoney dans la décision Bayer AG c. Canada (Ministre de la Santé nationale et du Bien-Être social) (1993), 51 C.P.R. (3d) 329, à la p. 337 au sujet des restrictions auxquelles le recours prévu à l'article 8 est assujetti :

En particulier, la demande ne donne pas lieu à l'imputation d'une responsabilité d'un préjudice qui serait imposée par l'engagement que tout tribunal exigerait avant de prononcer une injonction interlocutoire. La responsabilité du préjudice que crée l'art. 8 du Règlement ne concerne que le préjudice subi par suite du report de la délivrance de l'avis de conformité au-delà de la date d'expiration du brevet. [Non en gras dans l'original]

Vu les faits en l'espèce, il se peut que l'ancien article 8 puisse servir de bouclier aux défenderesses mais il ne peut certainement pas servir d'épée à la demanderesse. Les modifications proposées ne révélant aucune cause d'action valable, il me faut en conséquence refuser l'autorisation de modifier la déclaration.

[16]       La règle 75 des Règles de la Cour fédérale prévoit ce qui suit :



75. (1) Sous réserve du paragraphe (2) et de la règle 76, la Cour peut à tout moment, sur requête, autoriser une partie à modifier un document, aux conditions qui permettent de protéger les droits de toutes les parties.Conditions

75(2)

(2) L'autorisation visée au paragraphe (1) ne peut être accordée pendant ou après une audience que si, selon le cas :

a) l'objet de la modification est de faire concorder le document avec les questions en litige à l'audience;

b) une nouvelle audience est ordonnée;

c) les autres parties se voient accorder l'occasion de prendre les mesures préparatoires nécessaires pour donner suite aux prétentions nouvelles ou révisées.

75. (1) Subject to subsection (2) and rule 76, the Court may, on motion, at any time, allow a party to amend a document, on such terms as will protect the rights of all parties.

Limitation

75(2)

(2) No amendment shall be allowed under subsection (1) during or after a hearing unless

(a) the purpose is to make the document accord with the issues at the hearing;

(b) a new hearing is ordered; or

(c) the other parties are given an opportunity for any preparation necessary to meet any new or amended allegations.


[17]       Dans la décision Almecon Industries Ltd. c. Anchortek (1999), 85 C.P.R. (3d) 216 (C.F. 1re inst.), j'ai écrit, aux paragraphes 8 à 10 (à la page 218) :

[par. 8]     Le protonotaire adjoint Giles a eu tort de rejeter, pour absence de preuve à l'appui, les paragraphes proposés dans la déclaration modifiée.

[par. 9]     Je suis d'avis que les modifications proposées devraient être autorisées afin de cerner les véritables questions en litige, à la condition que cela n'inflige pas aux défenderesses une injustice que l'adjudication des dépens ne pourrait réparer et que les modifications servent les intérêts de la justice.

[par. 10]     Les défenderesses pourront procéder à des interrogatoires préalables relativement aux modifications proposées.

[18]       Il ne faut pas oublier la conclusion tirée par le juge Blanchard en l'espèce, dans sa décision du 11 juin 2001, selon laquelle :

... les points en litige sont d'une nature complexe et qu'il est préférable de les régler à l'instruction.


[19]       Le protonotaire, par contre, est d'avis que l'article 8 ne révèle aucune cause d'action. Il me faut également prendre en considération que la demanderesse, dans sa réponse, a le droit de répondre aux arguments avancés par les défenderesses sur la question de savoir si c'est la version de l'article 8 antérieure à 1998 qui s'applique ou la version modifiée en 1998. Il serait bizarre de présenter dans une réponse des arguments qui pourraient l'être avant.

[20]       S'agissant de l'interprétation de l'article 8 du Règlement, le juge Hugessen a écrit dans l'arrêt Merck Frost Inc. c. Canada (1994), 55 C.P.R. (3rd) 302, à la p. 316 (C.A.F.) :

L'article 8 est particulièrement obscur. Il paraît rendre la première personne responsable en dommages si le ministre se conformait à la période d'interdiction de 30 mois dans les cas où le paragraphe 7(2) prévoit expressément que l'interdiction aura pris fin. Heureusement, la Cour n'est pas appelée à l'interpréter dans cet appel. [Non en gras dans l'original]

[21]       Même s'il existe de la jurisprudence au sujet de l'article 8, j'estime qu'on n'y trouve pas encore un exposé clair de la véritable signification de cette disposition, dans sa version actuelle ou dans la version antérieure aux modifications de 1998.

[22]       Par conséquent, je conclus que l'autorisation d'Apotex à déposer une déclaration modifiée servirait les intérêts de la justice.


                                                     O R D O N N A N C E

LA COUR ORDONNE QUE l'ordonnance du protonotaire en date du 27 septembre 2001 soit annulée.

La demanderesse Apotex est autorisée, sous le régime de la règle 75 des Règles de la Cour fédérale, à déposer une déclaration modifiée conforme au document joint à l'annexe A de son avis de requête.

Avec dépens en faveur de la demanderesse.

Pierre Blais                          

Juge

OTTAWA (ONTARIO)

Le 22 octobre 2001

Traduction certifiée conforme

                                          

Ghislaine Poitras, LL.L.


COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

No DU GREFFE :                                           T-320-01

INTITULÉ DE LA CAUSE :                         Apotex Inc.

-et-

Eli Lilly and Company et al.

LIEU DE L'AUDIENCE :                              Ottawa (Ontario)

DATE DE L'AUDIENCE :                            Le 18 octobre 2001

MOTIFS DU JUGEMENT PAR :                Monsieur le juge Blais

DATE DES MOTIFS :                                   Le 22 octobre 2001

ONT COMPARU

M. Andrew R. Brodkin                          POUR LA DEMANDERESSE

M. Patrick S. Smith                                           POUR LES DÉFENDERESSES

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

Goodman s.a.r.l.                                                POUR LA DEMANDERESSE

Toronto (Ontario)

Gowling Lafleur Henderson s.a.r.l.                     POUR LES DÉFENDERESSES

Ottawa (Ontario)

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