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Date : 20050318

Dossier : T-194-05

Référence : 2005 CF 389

Ottawa (Ontario), le 18 mars 2005

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE BEAUDRY

ENTRE :

MARIA J. ENNS RUMAN

demanderesse

et

SA MAJESTÉLA REINE

défenderesse

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]         La Cour est saisie d'une requête présentée au nom de la défenderesse en vertu de l'article 369 des Règles de la Cour fédérale (1998) en vue d'obtenir une ordonnance radiant la déclaration ainsi qu'un jugement sommaire rejetant la réclamation en vertu des alinéas 221(1)c) et 221(1)f) et du paragraphe 213(2) des Règles de la Cour fédérale. La demanderesse a déposé un dossier de requête en réponse à la requête de la défenderesse le 22 février 2005.


LES FAITS

[2]         Le 19 juin 2000, le mari de la demanderesse, Robert A. Ruman, a introduit une action en dommages-intérêts devant la Cour fédérale pour se faire indemniser des dommages découlant d'une enquête connue sous le nom de « PROJET KAFFIR » et de la poursuite qui a suivi (T-1067-00).Voici la teneur de sa réclamation :     [TRADUCTION]

36.         Une indemnité pour les 10 000 heures-personnes dont j'ai été privées en raison des accusations de complot ou de ce procès. L'indemnité devra être versée au taux fixe de 30 $ l'heure-personne.

37.         Les heures-personnes perdues en l'espèce et l'argent qui m'est dû seront considérés comme impayés dans le cas d'une issue négative dans le présent dossier et ce, peu importe la raison invoquée, et ils seront considérés dus par le gouvernement du Canada et la population canadienne.

38.         Une indemnitésupplémentaire pour tous les frais engagés directement ou indirectement à cause de l'accusation de complot, y compris notamment le nombre équivalent d'heures consacrées par ma femme, Maria J. Ruman, pour la recherche et la préparation de l'ensemble des documents ainsi que pour la correspondance, la dactylographie, la photocopie de toutes les pièces, les frais informatiques, les fournitures, fournitures accessoires, frais d'instruction et le manque à gagner. L'indemnitédevra être calculée au taux de 20 $ l'heure-personne.

39.         Je demande que cette indemnitécorrige la situation de pauvreté causée par les accusations de complot tant pour moi-même que pour ma famille en ce qui concerne le logement, les transports, les revenus et l'égalitédes chances.

40.         Je souhaite que ma réputation et celle de ma famille soient lavées et qu'elles soient blanchies de tout ce qui a trait aux accusations de complot portées par le gouvernement du Canada et de la prétention selon laquelle je dois de l'argent au gouvernement.

41.         Une indemnité supplémentaire de 250 000 $ pour la violation ou la négation des droits qui me sont garantis par la Charte canadienne des droits et libertés.

42.        Une indemnité supplémentaire de 250 000 $ pour les délits dont j'ai été victime de la part du gouvernement du Canada.


43.        Le remboursement de tous les frais engagés au cours du présent procès qui pourraient m'être réclamés et dont je pourrais devenir passible.

44.        Les dépens de la présente action.

45.        Toute autre réparation que la Cour pourrait juger bon d'accorder dans les circonstances. [Pas de caractères gras dans l'original.]

[3]         Le 3 février 2005, la demanderesse a introduit une action contre la défenderesse. Elle allègue avoir subi des pertes pécunières depuis le 11 mars 1996 jusqu'à maintenant en raison du « PROJET KAFFIR » . Elle réclame ce qui suit :             [TRADUCTION]

              11.      Une indemnité de 300 000 $ pour perte pécunière.

12.        Une indemnité de 150 000 $ à titre de dommages-intérêts punitifs pour la violation de droits individuels garantis par la Charte canadienne des droits et libertés.

13.        Les dépens de la présente action.

14.        Les dépens suivant l'issue de la cause.

15.        Toute autre réparation que la Cour pourrait juger bon d'accorder dans les circonstances. [Caractère gras dans l'original.]

ANALYSE

[4]         Les questions en litige sont les suivantes :

a)         L'action de la demanderesse est-elle prescrite par la Limitations Act de l'Alberta?

b)          La déclaration est-elle vexatoire et constitue-t-elle un abus de procédure?


[5]         Pour rendre sa décision, la Cour devrait être guidée par l'article 3 des Règles de la Cour fédérale, qui dispose que les Règles doivent être interprétées et appliquées de façon à permettre d'apporter une solution au litige qui soit juste et la plus expéditive et économique possible (Educational Testing Service c. Maple Leaf International Consulting, Inc., [2001] A.C.F. no 1590 (C.F. 1re inst.) (QL), aux paragraphes 6 et 7).

[6]         Dans l'arrêt Jim Scharf Holdings Ltd. c. Sulco Industries Ltd., [2000] A.C.F. no 1103 (C.A.F.) (QL), la Cour d'appel fédérale a jugé que, lorsque les éléments de preuve dans les affidavits sont contradictoires, il n'y a pas lieu de rendre un jugement sommaire.

[7]         Toutefois, il ressort nettement de la jurisprudence que la Cour saisie d'une requête en jugement sommaire peut tirer des conclusions de fait et de droit si les pièces versées au dossier le permettent et s'il est juste de le faire (paragraphe 216(3) des Règles). La simple existence d'une contradiction dans la preuve ne devrait pas empêcher la Cour de rendre un jugement sommaire. La Cour doit « se pencher de près » sur la preuve et tirer les conclusions chaque fois que la chose est possible (Granville Shipping Co. c. Pegasus Lines Ltd. S.A., [1996] 2 C.F.853 (C.F. 1re inst.)).


[8]         En l'espèce, la demanderesse soutient que l'affidavit de chacune des parties fait ressortir une contradiction dans la preuve et qu'une décision faisant droit à la requête en jugement sommaire avant qu'elle ait eu la possibilité de contre-interroger le déposant au sujet de son affidavit serait préjudiciable et injuste à son endroit (paragraphe 11, page 3 de son mémoire).

[9]         Je dois admettre que les affidavits déposés par les deux parties sont contradictoires. Les parties se contredisent sur deux points : a) le délai de prescription; b) l'abus de procédure et l'allégation que la demande est frivole et vexatoire.

a)         Le délai de prescription

[10]       La défenderesse soutient que la demanderesse était au courant depuis longtemps des faits à l'origine de sa demande ou qu'elle aurait dû ltre. En conséquence, elle allègue que l'action de la demanderesse a été introduite après l'expiration du délai de prescription et qu'on ne devrait pas lui permettre de poursuivre l'affaire.

[11]       Pour sa part, la demanderesse affirme qu'elle n'avait aucun moyen de connaître plus tôt l'ampleur des documents que la défenderesse avait en sa possession. Elle explique qu'elle n'a découvert le document à l'origine de sa demande que le 3 septembre 2004, après avoir personnellement versé à la défenderesse les frais de photocopie réclamés pour les documents requis dans le dossier T-1067-00. Il s'agit là d'une question de fait qui doit être abordée par le biais de témoignages de vive voix.


b)        L'abus de procédure et la demande frivole et vexatoire

[12]       La défenderesse allègue qu'il existe déjà deux instances mettant en cause la demanderesse en ce qui concerne le « PROJET KAFFIR » . Elle soutient qu'il ressort nettement de la comparaison de la déclaration déposée dans l'instance introduite devant la Cour du Banc de la Reine de l'Alberta et de la déclaration déposée dans le dossier T-1067-00 de la Cour fédérale que la réclamation de la demanderesse pour la perte pécuniaire qu'elle affirme avoir subie découle des même faits.

[13]       Bien que la demanderesse ne soit pas nommément désignée comme partie dans le dossier T-1067-00, son mari réclame des dommages-intérêts en son nom pour les pertes pécuniaires qu'elle aurait subies en raison du « PROJET KAFFIR » .

[14]       Selon la demanderesse, il est évident, à partir d'un examen approprié des deux déclarations, qu'une personne raisonnable ne pourrait pas en dégager ou en déduire quelque similitude que ce soit.


[15]       Elle va même plus loin et prétend que les multiples attaques portées par la défenderesse contre sa déclaration constituent un abus de procédure et lui causent une injustice étant donné qu'elle n'a pas eu l'occasion de répondre à la défense de la défenderesse. Elle allègue que la requête en radiation de sa déclaration ne devrait pas être instruite tant qu'elle n'aura pas eu l'occasion de déposer sa réponse.

[16]       Premièrement, je ne crois pas que la requête présentée par la défenderesse en vue de faire radier la déclaration et d'obtenir un jugement sommaire constitue un abus de procédure. Le paragraphe 213(2) prévoit que le défendeur peut, après avoir signifié et déposé sa défense et avant que l'heure, la date et le lieu de l'instruction soient fixés, présenter une requête pour obtenir un jugement sommaire rejetant tout ou partie de la réclamation contenue dans la déclaration. Il n'y a rien dans cette disposition qui oblige la défenderesse à attendre que la réponse à la défense ait été déposée.

[17]       Deuxièmement, la jurisprudence suivante est instructive pour trancher la question de savoir si, comme l'affirme la défenderesse, la demande est frivole et vexatoire.

[18]       Dans le jugement Pfizer Inc. c. Apotex Inc., (1999), 172 F.T.R. 81 (C.F. 1re inst.), il a été décidé qu'un acte de procédure est frivole et vexatoire lorsqu'il est si manifestement futile qu'il n'a pas la moindre chance de réussir. Dans le jugement Steiner c. Canada, (1996), 122 F.T.R. 187 (C.F. 1re inst.), la Cour explique qu'est frivole l'acte de procédure qui ne présente aucun moyen rationnel fondé sur la preuve. Est vexatoire l'action introduite par malice, sans motif suffisant ou qui ne saurait déboucher sur un résultat pratique.


[19]       Suivant la décision Black c. NsC Diesel Power Inc. (syndic), (2000), 183 F.T.R. 301 (C.F. 1re inst.), les tentatives répétées faites par le demandeur pour faire trancher essentiellement le même litige en désignant les parties sous des noms légèrement différents ou en agissant en diverses qualités et en invoquant des dispositions législatives légèrement différentes constituent également un abus de procédure au sens de l'alinéa 221(1)f) des Règles.

[20]       Vu tout ce qui précède et compte tenu de la preuve portée à ma connaissance, je ne puis conclure que l'action de la demanderesse est frivole et vexatoire. Les chefs de dommages ne sont pas les mêmes mais les deux actions reposent sur les mêmes faits et, sauf en ce qui concerne la période visée, les deux actions reposent sur les mêmes éléments de preuve. Dans le dossier T-1067-00, M. Ruman réclame certains dommages-intérêts pour le compte de sa femme pour les pertes pécuniaires imputables au « PROJET KAFFIR » .

[21]       Dans le présent dossier, la demanderesse réclame des dommages-intérêts pour les autres pertes pécuniaires qu'elle aurait subies en raison du « PROJET KAFFIR » .

[22]       Tenir deux audiences distinctes constituerait un gaspillage des ressources judiciaires. La déclaration sera réunie à celle du dossier T-1067-00 conformément à l'article 105 des Règles (John E. Canning Ltd. c. Tripap Inc., [1999] A.C.F. no 715 (C.F. 1re inst.) (QL)).


ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE :

1.                 L'affaire sera poursuivie en tant qu'instance à gestion spéciale;

2.                 Le dossier T-194-05 et le dossier T-1067-00 seront réunis;

3.                 Les interrogatoires préalables devront tous avoir lieu d'ici le 30 juin 2005;

4.                 Les demandeurs devront déposer et signifier une demande d'audience d'ici le 30 juillet 2005;                

5.                 Toute autre directive sera donnée par le juge ou le protonotaire responsable de la gestion de l'instance;

6.                 La présente requête est rejetée avec dépens.

        « Michel Beaudry »        

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                                 T-194-05

INTITULÉ :                                                                MARIA J. ENNS RUMAN c.

SA MAJESTÉ LA REINE

REQUÊTE PRÉSENTÉE EN VERTU DE L'ARTICLE 369

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                                                LE JUGE BEAUDRY

PRONONCÉS PAR LE JUGE BEAUDRY

DATE DES MOTIFS :                                               Le 18 mars 2005

OBSERVATIONS ÉCRITES :

Maria J. Enns Ruman                                                     LA DEMANDERESSE

(pour son propre compte)

            Barry Benkendorf                                                          POUR LA DÉFENDERESSE

            AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

            Maria J. Enns Ruman                                                     LA DEMANDERESSE

            Edmonton (Alberta)                                                       (pour son propre compte)

            John H. Sims, c.r.                                                          POUR LA DÉFENDERESSE

            Sous-procureur général du Canada

            Edmonton (Alberta)                                                      

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