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Date : 20210812


Dossier : IMM-6222-19

Référence : 2021 CF 836

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 12 août 2021

En présence de monsieur le juge Gleeson

ENTRE :

HARPREET SINGH

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET

DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Aperçu

[1] Le demandeur, M. Singh, est citoyen de l’Inde et est de confession sikhe. Il s’est marié au Canada. Son épouse, citoyenne de l’Afghanistan et résidente permanente du Canada, est de confession islamique. Ils ont une jeune fille qui est citoyenne canadienne.

[2] M. Singh a présenté une demande d’asile au motif que son mariage interconfessionnel l’expose à un risque de persécution ou de préjudice de la part de « membres de [sa] collectivité » qui désapprouvent son mariage avec une femme musulmane. Devant la Section de la protection des réfugiés [la SPR], l’épouse de M. Singh a déclaré que son mari était aussi exposé à un risque de persécution ou de préjudice de la part des membres de la famille de son ancien fiancé qui, selon elle, sont originaires d’Afghanistan et vivent maintenant en Inde, et sont furieux à propos de la rupture des fiançailles.

[3] La SPR a conclu que M. Singh n’avait pas la qualité de réfugié au sens de la Convention ni celle de personne à protéger, car il disposait de possibilités de refuge intérieur [PRI] viables à Delhi et à Mumbai.

[4] Dans sa décision du 24 septembre 2019, la Section d’appel des réfugiés [la SAR] a confirmé les conclusions de la SPR après avoir conclu que la question déterminante était l’existence de PRI viables.

[5] M. Singh sollicite maintenant le contrôle judiciaire de la décision de la SAR aux termes du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la LIPR]. Il soutient que la SAR a commis une erreur en n’examinant la persécution que du point de vue du mariage interconfessionnel et en ne tenant pas compte de la persécution des musulmans de façon plus générale.

[6] Ayant examiné les observations des parties, je ne suis pas convaincu que la SAR a commis une erreur justifiant l’intervention de la Cour. La demande est rejetée pour les motifs qui suivent.

II. Intitulé

[7] L’avocat du défendeur fait remarquer que la demande indique que le défendeur est le ministre de l’Immigration, des Réfugiés et de la Citoyenneté du Canada, soit le nom qui est communément utilisé pour désigner son client. Cependant, dans la LIPR, le ministre est appelé ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration et devrait être désigné ainsi dans l’intitulé (Règles des cours fédérales en matière de citoyenneté, d’immigration et de protection des réfugiés, DORS/93/22, art 5(2), et LIPR, art 4(1)). L’intitulé est modifié en conséquence (Règles des Cours fédérales, DORS/98-106, art 76).

III. Décision faisant l’objet du contrôle

[8] La SAR a conclu que la question déterminante était l’existence de PRI viables en Inde et que M. Singh n’avait pas présenté d’éléments de preuve suffisants permettant de vérifier son affirmation selon laquelle il s’exposerait à un risque dans l’une ou l’autre des PRI proposées (Delhi ou Mumbai). Elle a souligné que la preuve selon laquelle la famille élargie de M. Singh aurait maltraité les parents de celui-ci en raison de son mariage interconfessionnel se limitait au propre témoignage de M. Singh, dans lequel il soutenait que certains membres de sa famille auraient menacé de lui causer un préjudice. Elle a ajouté que M. Singh n’avait ni nommé les individus qui auraient menacé de lui causer un préjudice, ni fourni d’éléments de preuve démontrant que ceux-ci pourraient mettre leurs menaces à exécution. Elle a conclu que l’affirmation selon laquelle la famille élargie de M. Singh serait capable de le retrouver dans les PRI s’il devait obtenir des documents officiels était vague et hypothétique.

[9] La SAR a examiné le risque auquel M. Singh serait confronté en raison de son mariage interconfessionnel compte tenu de l’existence d’un sentiment antimusulman dans un segment de la société indienne. Elle a conclu que la preuve documentaire indiquait que la violence motivée par un mariage interconfessionnel est le plus souvent perpétrée par des membres de la famille et qu’à l’extérieur des régions rurales il est peu probable qu’un tel mariage intéresse des personnes qui ne font pas partie de la famille. La SAR a conclu que la preuve ne démontrait pas, comme l’a fait valoir M. Singh, que le pays présentait, de manière générale, des risques pour les musulmans ou que toute personne associée à des musulmans risquait d’être persécutée par des acteurs étatiques ou non étatiques. La SAR a également conclu que l’affirmation selon laquelle M. Singh courrait un plus grand risque si son épouse et sa fille s’installaient en Inde n’était pas pertinente en l’espèce parce que, selon la preuve, son épouse et sa fille ne s’installeraient pas en Inde de façon permanente.

[10] La SAR a conclu que M. Singh disposait de PRI viables à Delhi et à Mumbai et que sa demande d’asile fondée sur les articles 96 et 97 de la LIPR ne pouvait donc pas être accueillie.

IV. Question en litige et norme de contrôle

[11] La demande soulève une seule question : la SAR a-t-elle commis une erreur dans son examen et son analyse de la preuve?

[12] La norme de la décision raisonnable est présumée s’appliquer au contrôle judiciaire par la Cour de la décision de la SAR concernant les PRI (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 au para 10 [Vavilov]; Akinkunmi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 742 au para 13). Une décision raisonnable doit être fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle et est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti (Vavilov, au para 85; Société canadienne des postes c Syndicat des travailleuses et travailleurs des postes, 2019 CSC 67 au para 32). Il incombe à la partie qui conteste une décision de prouver que celle-ci comporte une lacune ou une déficience suffisamment capitale ou importante pour la rendre déraisonnable (Vavilov, au para 100).

V. Analyse

[13] M. Singh soutient que l’examen et l’analyse de la preuve effectués par la SAR sont déraisonnables à deux égards. Premièrement, la SAR n’aurait pas reconnu que M. Singh prétendait être exposé à un risque de persécution pour deux motifs : 1) son mariage interconfessionnel; 2) la situation générale des musulmans en Inde. M. Singh soutient que la SAR n’a examiné que le risque découlant de son mariage interconfessionnel. Deuxièmement, la SAR aurait omis d’examiner le risque auquel il serait exposé si son épouse et sa fille, des musulmanes visibles et reconnaissables, venaient le visiter en Inde.

[14] Dans ses observations écrites, M. Singh affirme également que la SAR n’aurait pas dû effectuer sa propre analyse des questions. Ce dernier point semble traduire une mauvaise compréhension initiale du rôle de la SAR et n’a pas été repris dans les observations orales (Canada (Citoyenneté et Immigration) c Huruglica, 2016 CAF 93 aux para 37 et 103).

A. La SAR s’est bel et bien penchée sur la situation générale et l’envergure du sentiment antimusulman en Inde

[15] En répondant aux questions soulevées dans le cadre de l’appel, la SAR ne s’est pas contentée d’examiner le risque de persécution découlant du mariage de M. Singh. La SAR s’est bel et bien penchée sur la situation générale des musulmans en Inde et, ce faisant, a examiné précisément les éléments de preuve documentaire que M. Singh lui avait soumis à l’égard de cette question.

[16] La SAR a reconnu la position de M. Singh selon laquelle la situation générale des musulmans en Inde « est désespérée et que toute association avec des musulmans ou, comme dans le cas de l’appelant, un mariage avec une personne musulmane, est susceptible de mener à la persécution », mais a conclu que les éléments de preuve documentaire présentés ne venaient pas appuyer cette affirmation. Elle a aussi conclu que les éléments de preuve liés à la situation en Inde n’avaient pas démontré que « le pays présente, de manière générale, des risques pour les musulmans ou que toute personne associée à des musulmans risque d’être persécutée par des acteurs étatiques ou non étatiques ». M. Singh ne conteste pas l’interprétation des éléments de preuve documentaire faite par la SAR. Il n’affirme pas non plus que les conclusions tirées sont déraisonnables.

[17] Je suis convaincu que la SAR a reconnu et abordé le risque de persécution signalé découlant de l’association de M. Singh avec une personne de confession musulmane.

B. La SAR a traité de manière raisonnable la preuve concernant le risque lié à une éventuelle visite de l’épouse et de l’enfant de M. Singh en Inde

[18] M. Singh soutient que la SAR a commis une erreur en omettant d’évaluer le risque qui découlerait de son association avec des personnes de confession musulmane si son épouse et son enfant venaient le visiter, une possibilité qui a été envisagée dans la preuve. Je ne suis pas d’accord.

[19] La SAR avait conclu préalablement que l’association de M. Singh avec des personnes de confession musulmane n’engendrait pas de risque de persécution de la part d’acteurs étatiques ou non étatiques. Je ne vois pas en quoi le fait que cette association ait lieu dans le contexte d’une visite changerait cette conclusion, que M. Singh n’a pas contestée. Je note également que la SAR était consciente de la possibilité d’une visite puisqu’elle avait mentionné que le demandeur avait « déclaré que son épouse lui rendrait probablement visite en Inde ».

[20] L’omission de la SAR d’aborder explicitement la possibilité d’une visite ne mine pas sa logique globale et, à mon avis, n’a pas d’incidence sur le caractère raisonnable de la décision (Vavilov, au para 102).

VI. Conclusion

[21] La décision de la SAR est raisonnable. La demande est rejetée.

[22] Les parties n’ont proposé aucune question de portée générale à certifier et l’affaire n’en soulève aucune.


JUGEMENT DANS LE DOSSIER IMM-6222-19

LA COUR STATUE :

  1. L’intitulé est modifié de manière à désigner le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration comme le défendeur approprié.

  2. La demande est rejetée.

  3. Aucune question n’est certifiée.

« Patrick Gleeson »

Juge

Traduction certifiée conforme

Julie Blain McIntosh


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-6222-19

 

INTITULÉ :

HARPREET SINGH c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

AUDIENCE TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 13 JUILLET 2021

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE GLEESON

 

DATE DES MOTIFS :

LE 12 AOÛT 2021

 

COMPARUTIONS :

Raj Atwal

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Robert Gibson

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Kang & Company

Avocats

Vancouver (Colombie-Britannique)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Procureur général du Canada

Vancouver (Colombie-Britannique)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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