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Date : 20210809


Dossier : IMM-1051-20

Référence : 2021 CF 824

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 9 août 2021

En présence de madame la juge Kane

ENTRE :

MARTIN ALEXANDER WALU

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1] Le demandeur, Martin Alexander Walu [M. Walu], sollicite le contrôle judiciaire de la décision du 10 octobre 2019 d’une agente d’immigration [l’agente]. Au titre de l’article 96 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la Loi], ainsi que des articles 139, 145 et 147 du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227 [le Règlement], l’agente a rejeté la demande de résidence permanente au Canada présentée par M. Walu au titre de la catégorie des réfugiés au sens de la Convention outre-frontières ou de la catégorie des personnes protégées à titre humanitaire outre-frontières.

[2] M. Walu soutient que l’agente a tiré des conclusions déraisonnables quant à sa crédibilité, n’a pas tenu compte de son statut de réfugié reconnu par le Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés [HCR] et n’a pas évalué sa crainte de persécution ni son admissibilité au titre de la catégorie des réfugiés au sens de la Convention outre-frontières, de la catégorie des personnes de pays d’accueil ou de la catégorie des personnes de pays source.

[3] Pour les motifs qui suivent, la demande est rejetée. Les conclusions de l’agente quant à la crédibilité sont raisonnables et commandent la déférence.

[4] Je ne suis pas d’accord avec l’affirmation de M. Walu selon laquelle l’agente faisait preuve d’excès de zèle lorsqu’elle l’a rencontré en entrevue ou a examiné ses réponses à la loupe. La façon dont l’agente a mené l’entrevue concorde avec les lignes directrices applicables. Les questions de l’agente étaient claires. L’agente a répété les questions plusieurs fois. Elle a fait part de ses réserves concernant la crédibilité de M. Walu et les réponses de celui-ci. Bien que la nervosité puisse expliquer certaines réponses vagues ou confuses de M. Walu, dans l’ensemble, son témoignage comportait de nombreuses incohérences.

[5] Le statut de réfugié accordé à M. Walu par le HCR n’est pas un facteur déterminant quant à son statut de réfugié au Canada. L’agente devait déterminer la recevabilité de la demande d’asile de M. Walu. Pour ce faire, elle devait entre autres examiner les motifs pour lesquels il a quitté l’Érythrée et la totalité de l’exposé circonstancié de sa demande de protection. L’agente a raisonnablement conclu que M. Walu n’était pas admissible à l’asile après avoir jugé que son témoignage n’était pas crédible et déterminé qu’elle n’était pas convaincue qu’il existait une sérieuse possibilité que M. Walu craignait avec raison d’être persécuté. M. Walu sera déçu de cette décision, car sa sœur et lui étaient parrainés par des membres de leur famille au Canada. Cependant, la Cour ne voit aucun motif d’infirmer les conclusions de l’agente.

I. Contexte

[6] M. Walu soutient qu’en décembre 2014, il a été arrêté en Érythrée par des agents de l’État et accusé d’avoir collaboré avec le Mouvement démocratique de libération des Kunamas de l’Érythrée. Il soutient qu’il a été battu et emprisonné pendant trois mois dans de mauvaises conditions, et qu’il a été privé de nourriture, d’eau et d’accès à des soins médicaux.

[7] M. Walu dit qu’en juillet 2015, il s’est enfui de l’Érythrée pour se rendre au Soudan avec l’aide de passeurs. Il est arrivé au camp de réfugiés de Wad Sharife, mais s’est rendu quelques jours plus tard au camp de réfugiés de Shagarab.

[8] M. Walu indique qu’en février 2016, il a quitté le camp pour aller habiter avec sa famille à Khartoum. Il est retourné au camp de Shagarab pour s’inscrire à titre de réfugié reconnu par le HCR. Selon les dossiers du HCR, son inscription a été effectuée en janvier 2018.

[9] Dans l’affidavit présenté à l’appui de la présente demande, M. Walu affirme qu’il lui a été impossible de s’inscrire à titre de réfugié reconnu par le HCR à son arrivée au camp de réfugiés en 2016 en raison de l’insécurité qui régnait dans le camp et du fait qu’il existait une longue liste d’attente pour l’inscription.

[10] La sœur et le beau-frère de M. Walu, qui habitent en Alberta, ont reçu l’autorisation de parrainer M. Walu et une de ses sœurs au Canada à titre de réfugiés. M. Walu et sa sœur ont chacun présenté une demande d’asile vers le 5 avril 2018. Une agente les a rencontrés en entrevue ensemble le 2 octobre 2019 à Khartoum. L’entrevue a été réalisée en anglais et traduite en tigrina. M. Walu soutient désormais que le kunama est sa langue maternelle, mais qu’Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada n’a pas fourni de traduction dans cette langue.

II. Décision

[11] La lettre de décision de l’agente et les notes versées dans le Système mondial de gestion des cas (SMGC) constituent la décision et les motifs.

[12] Cette lettre mentionne que l’entrevue de M. Walu s’est déroulée en anglais et a été traduite en tigrina. Elle renvoie aux dispositions législatives pertinentes, dont le paragraphe 16(1) de la Loi concernant l’obligation de répondre véridiquement aux questions, l’article 96 de la Loi concernant la définition de réfugié au sens de la Convention, ainsi que les articles 139, 145 et 147 du Règlement concernant les exigences d’obtention d’un visa de résident permanent au titre de la catégorie des réfugiés au sens de la Convention outre-frontières, de la catégorie de personnes de pays d’accueil ou de la catégorie de personnes de pays source.

[13] L’agente n’était pas convaincue que M. Walu appartenait à l’une des catégories prescrites. L’agente souligne que M. Walu a affirmé au cours de son entrevue qu’il avait quitté l’Érythrée en 2015 et s’était inscrit auprès du HCR à son arrivée au Soudan, ce qui ne concorde pas avec les dossiers du HCR, selon lesquels il s’est inscrit en 2018. L’agente souligne que M. Walu a eu plusieurs occasions d’expliquer cette incohérence, mais ne l’a pas fait. L’agente mentionne également que M. Walu a modifié son récit à plusieurs reprises, qu’il n’a pas fourni de détails sur sa détention et les événements qui l’ont poussé à quitter l’Érythrée, et de façon plus générale, qu’il n’a pas dissipé les doutes de l’agente sur la raison pour laquelle il avait quitté l’Érythrée. L’agente n’était pas convaincue qu’il existait une possibilité sérieuse que M. Walu craignait avec raison d’être persécuté ni qu’il avait déjà été ou continuait d’être sérieusement et personnellement touché par une guerre civile, un conflit armé ou une violation grave des droits de la personne.

[14] Les notes versées dans le SMGC indiquent, dans le résumé, que la demande de M. Walu a été rejetée pour les motifs suivants :

[traduction]

Le demandeur principal ne semblait pas sincère et son histoire n’était pas crédible. En raison de l’absence de détails fournis à l’entrevue et des disparités relevées entre les renseignements au dossier et ceux fournis à l’entrevue, je ne suis pas convaincue que les faits décrits par le demandeur principal à l’entrevue et figurant dans le dossier au sujet des motifs pour lesquels il a quitté l’Érythrée sont crédibles.

III. Norme de contrôle

[15] Les parties conviennent que la norme de contrôle applicable est celle de la décision raisonnable (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 aux para 16, 23 [Vavilov]).

[16] Conformément à l’arrêt Vavilov, la Cour devrait d’abord examiner les motifs donnés avec une attention respectueuse et chercher à comprendre le fil du raisonnement suivi par le décideur pour en arriver à sa conclusion. Une décision est raisonnable lorsqu’elle est fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle et est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti (Vavilov, aux para 85, 102, 105-110). La Cour ne juge pas les motifs au regard d’une norme de perfection (Vavilov, au para 99).

[17] Dans l’arrêt Vavilov, au paragraphe 100, la Cour suprême du Canada a souligné qu’une décision ne devrait pas être infirmée sauf si elle « souffre de lacunes graves à un point tel qu’on ne peut pas dire qu’elle satisfait aux exigences de justification, d’intelligibilité et de transparence » et que « [l]a cour de justice doit plutôt être convaincue que la lacune ou la déficience qu’invoque la partie contestant la décision est suffisamment capitale ou importante pour rendre cette dernière déraisonnable ».

[18] En outre, il est de droit constant que les décideurs qui entendent le témoignage et examinent les éléments de preuve sont les mieux placés pour apprécier la crédibilité : Aguebor c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] ACF no 732 (QL) au para 4, 160 NR 315 (CA). Il faut faire preuve d’une grande retenue à l’égard de leurs conclusions quant à la crédibilité : Lubana c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CFPI 116 au para 7, 228 FTR 43; Lin c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 1052 au para 13, [2008] ACF no 1329 (QL); Fatih c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 857 au para 65, 415 FTR 82.

[19] Dans la décision Rahal c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 319, ACF no 369 (QL) [Rahal], aux paragraphes 41 à 46, la juge Mary Gleason (maintenant juge à la Cour d’appel fédérale) a résumé les principes fondamentaux de la jurisprudence relative à l’évaluation de la crédibilité et a répété que le décideur est le mieux placé pour tirer des conclusions à cet égard. La juge Gleason a expliqué que le rôle de la Cour dans l’examen des conclusions relatives à la crédibilité est très limité, car « le tribunal a eu l’occasion d’entendre les témoins, d’observer leur comportement et de relever toutes les nuances et contradictions factuelles contenues dans la preuve. Ajoutons à cela que, dans bien des cas, le tribunal possède une expertise reconnue dans le domaine qui fait défaut à la cour de révision ».


IV. Question préliminaire : affidavit inapproprié déposé en preuve

A. Affidavit de M. Walu

[20] Le défendeur s’oppose à plusieurs paragraphes de l’affidavit de M. Walu. Il souligne que cet affidavit comprend des renseignements qui n’ont pas été portés à la connaissance de l’agente, et qu’en conséquence, la Cour ne peut s’appuyer sur ces renseignements pour effectuer le contrôle judiciaire (Association des universités et collèges du Canada c Canadian Copyright Licensing Agency, 2012 CAF 22 au para 19 [Access Copyright]). Le défendeur renvoie au paragraphe 4, qui précise que M. Walu appartient à la minorité ethnique kunama, ainsi qu’aux paragraphes 9 à 12, selon lesquels l’insécurité du camp de réfugiés aurait poussé M. Walu à quitter le camp et à retourner s’y inscrire plus tard. Le défendeur renvoie également au paragraphe 19, selon lequel la technique d’entrevue employée par l’agente ne lui aurait pas donné l’occasion de fournir certains renseignements. Le défendeur soutient qu’il faudrait radier ces paragraphes ou ne leur accorder aucun poids.

[21] M. Walu conteste l’affirmation selon laquelle les renseignements fournis au paragraphe 4 sont nouveaux. Il soutient que ces renseignements figuraient à l’annexe 2 de sa demande d’asile. Il fait aussi valoir que des renseignements semblables à ceux fournis aux paragraphes 9 à 12 sont énoncés dans les documents sur les conditions qui prévalent au Soudan. Il ajoute que sa demande écrite précise qu’il habitait à Khartoum depuis 2016.

[22] M. Walu fait valoir qu’en raison des méthodes d’entrevue agressives de l’agente, il n’a pas eu l’occasion d’expliquer pourquoi il avait quitté le camp. Il ajoute que les mêmes renseignements sur l’insécurité du camp ressortent des notes versées dans le SMGC, mais qu’ils n’ont pas été énoncés clairement en raison de la méthode d’entrevue utilisée.

[23] M. Walu soutient qu’il n’aurait pas pu fournir à l’agente les renseignements donnés au paragraphe 19, car ils concernent le déroulement de l’entrevue. Il explique qu’il avait peur de dire qu’il ne comprenait pas l’agente, que l’interprétation [traduction] « ne fonctionnait pas » pour lui, et qu’il était nerveux, car l’agente considérait qu’il n’était pas sincère. Il déclare qu’il n’a pas confirmé qu’il comprenait l’interprétation.

[24] Il est bien établi que lorsque la Cour effectue un contrôle judiciaire, elle ne peut pas s’appuyer sur des éléments de preuve qui n’ont pas été soumis au décideur, sauf si ces éléments font partie des exceptions énoncées dans l’arrêt Access Copyright. Parmi ces exceptions, mentionnons les éléments de preuve concernant une allégation de manquement à l’équité procédurale ou une erreur de compétence, ou les éléments de preuve fournissant des renseignements généraux susceptibles d’aider la cour de révision à comprendre les questions qui se rapportent au contrôle judiciaire.

[25] Je ne suis pas d’accord avec l’affirmation de M. Walu selon laquelle les renseignements fournis au paragraphe 4 figuraient à l’annexe 2 de sa demande d’asile. L’annexe 2 précise qu’il était soupçonné d’avoir collaboré avec le Mouvement démocratique de libération des Kunamas de l’Érythrée, mais n’indique pas qu’il appartient à la minorité ethnique kunama.

[26] Un examen minutieux des notes versées au SMGC n’étaye pas l’allégation de M. Walu selon laquelle les déclarations faites aux paragraphes 9 à 12 ressortent des notes versées dans le SMGC. M. Walu a mentionné à l’annexe 2 que les camps étaient [traduction] « trop près de l’Érythrée pour s’y sentir bien » et que les personnes qui se déplaçaient dans les environs risquaient d’être capturées par des agents du gouvernement de l’Érythrée. Il n’a pas précisé à l’annexe 2 ni au cours de son entrevue qu’il avait tardé à s’inscrire auprès du HCR en raison de l’insécurité qui régnait dans le camp. Ce renseignement semble avoir été fourni dans l’objectif de renverser l’évaluation de la crédibilité effectuée par l’agente au sujet de ses réponses incohérentes concernant la période où il était au camp et les raisons pour lesquelles il avait attendu en 2018 pour s’inscrire auprès du HCR. Cependant, pour déterminer si les conclusions de l’agente sur la crédibilité sont raisonnables, la Cour peut s’appuyer uniquement sur le dossier mis à la disposition de l’agente et sur les motifs, qui comprennent les notes versées au SMGC au sujet des questions que l’agente a posées a répétition et les réponses de M. Walu.

[27] Bien que M. Walu soutienne que la technique d’entrevue employée par l’agente était inappropriée, il n’allègue pas expressément qu’il y a eu un manquement à l’équité procédurale. Peu importe, les renseignements fournis dans son affidavit n’indiquent pas qu’il y a eu un manquement à l’équité. Cependant, la Cour a tenu compte des renseignements fournis au paragraphe 19, à titre de renseignements contextuels, pour mieux comprendre les questions soulevées par M. Walu relativement à sa demande.

B. L’affidavit de l’agente

[28] M. Walu s’oppose à l’affidavit de l’agente, déposé par le défendeur en réponse à son affidavit, particulièrement en ce qui concerne ses allégations relatives aux méthodes d’entrevue utilisées par l’agente. M. Walu soutient qu’il convient de faire preuve de prudence à l’égard des souvenirs de l’agente concernant son comportement à l’entrevue, car l’affidavit de l’agente a été signé 20 mois après l’entrevue. Il fait valoir que l’agente complète irrégulièrement les motifs de sa décision en affirmant qu’il n’était pas coopératif.

[29] M. Walu soutient également que la déclaration de l’agente selon laquelle il répondait facilement aux questions ne se rapportant pas à sa fuite ou à son inscription auprès du HCR est trompeuse, car ces questions ont été posées à la fois à lui et à sa sœur. Il indique que c’est peut-être sa sœur qui a répondu aux questions. Il fait valoir qu’il n’est pas plausible que l’agente se rappelle maintenant qui a répondu à ces questions.

[30] Bien qu’un décideur ne puisse généralement pas compléter ses motifs d’une décision au moyen d’un affidavit déposé en preuve, en l’espèce, l’agente répondait aux affirmations de M. Walu. Je souligne également que M. Walu n’a pas contre-interrogé l’agente dans l’objectif de vérifier les souvenirs de celle-ci quant à son comportement, quant à sa compréhension ou quant à la question de savoir qui a répondu aux questions de base.

[31] Quoi qu’il en soit, la Cour n’a pas à tenir compte de l’affidavit de l’agente, car les notes versées au SMGC indiquent clairement que malgré la rigueur avec laquelle l’agente a questionné M. Walu, elle a respecté les lignes directrices sur la réalisation d’entrevues auprès des réfugiés (comme je l’indique plus loin), a confirmé que M. Walu comprenait l’interprète, a répété les questions plusieurs fois, a informé M. Walu de ses réserves concernant sa crédibilité plusieurs fois et l’a informé de ses préoccupations concernant ses réponses incohérentes.

V. Observations du demandeur

[32] M. Walu soutient que les conclusions de l’agente concernant sa crédibilité ne sont pas raisonnables et ont poussé l’agente à ne pas examiner le bien-fondé de sa demande. Il fait valoir qu’il avait de la difficulté à comprendre l’interprétation et qu’il était manifestement confus, comme l’illustre le fait que l’agente a dû répéter les questions plusieurs fois. Il affirme également qu’en raison des quatre ans qui se sont écoulés entre les événements et l’entrevue, les détails n’étaient pas frais dans sa mémoire.

[33] M. Walu soutient aussi que l’agente cherchait la confrontation et faisait preuve d’un excès de zèle, contrevenant ainsi aux lignes directrices applicables en ce qui concerne la réalisation d’entrevues auprès de réfugiés. Entre autres, il souligne que l’agente n’a pas tenu compte de la possibilité que le traumatisme causé par sa détention et la torture qu’il a subie puisse expliquer pourquoi il avait de la difficulté à fournir des détails et à décrire le fil des événements.

[34] M. Walu souligne que les lignes directrices d’Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada énoncent ceci :

1) le demandeur devrait se voir accorder le bénéfice du doute;

  • 2) l’agent devrait être bien informé lorsqu’il évalue la crédibilité;

  • 3) l’agent devrait relever clairement les secteurs où la crédibilité est en doute;

  • 4) l’agent devrait informer le demandeur de ses réserves concernant la crédibilité;

  • 5) l’agent ne devrait pas faire preuve d’empressement à trouver des contradictions et ne devrait pas être vigilant à outrance en examinant l’histoire du demandeur à la loupe, particulièrement lorsqu’on a recours à un interprète;

  • 6) l’agent devrait éviter d’utiliser le comportement comme une mesure de crédibilité.

[35] M. Walu soutient qu’il n’a jamais hésité lorsqu’il a déclaré qu’il était arrivé au camp de réfugiés en 2015, qu’il y était resté jusqu’en février 2016, puis qu’il avait quitté le camp pour aller habiter avec des membres de sa famille.

[36] M. Walu fait valoir que la question de savoir s’il est arrivé au camp avant ou après sa sœur n’est pas pertinente pour sa propre demande. Il affirme maintenant qu’il a déclaré qu’il était [traduction] « dans le camp » en 2015, et non qu’il s’était inscrit en 2015. Il explique qu’il avait attendu avant de s’inscrire, car il habitait avec des membres de sa famille et devait retourner au camp pour s’inscrire, mais n’a jamais indiqué qu’il avait continué de vivre dans le camp de réfugiés.

[37] En ce qui concerne sa carte d’inscription jaune, M. Walu affirme que cette carte confirme sa déclaration selon laquelle il est retourné au camp pour s’inscrire à la fin de l’année 2017; bien que l’inscription du HCR soit datée du 16 janvier 2018, on peut lire au verso de la carte que le Soudan a effectué la vérification à la fin de l’année 2017. Il soutient qu’on ne devrait pas s’attendre à ce qu’il fasse la distinction entre la vérification et l’inscription.

[38] Quant à son allégation de persécution en Érythrée, M. Walu affirme qu’il a répondu aux questions de l’agente et a précisé qu’il avait été arrêté en 2014, mais ignorait pourquoi. Il soutient qu’on ne devrait pas s’attendre à ce qu’il sache pourquoi il était soupçonné d’être affilié au Mouvement démocratique de libération des Kunamas de l’Érythrée. Il fait valoir que l’agente aurait dû se pencher sur les événements au lieu de s’appuyer sur son manque d’émotion lorsqu’elle a tiré une conclusion défavorable quant à sa crédibilité.

[39] M. Walu soutient également que l’agente n’a pas expliqué pourquoi elle avait conclu que son récit n’était pas simple, ce qui va à l’encontre de la décision Ghirmatsion c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 519 au para 65 [Ghirmatsion].

[40] M. Walu affirme aussi que l’agente a eu tort de ne pas tenir compte du fait qu’il était reconnu comme un réfugié par le HCR et de ne pas expliquer pourquoi elle ne souscrivait pas à la décision de cet organisme (Ghirmatsion, au para 58; Haile c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 375 au para 24; Rubaye c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 665 aux para 27-30).

[41] M. Walu fait valoir que l’agente s’est concentrée uniquement sur la date de son inscription, qui n’est pas pertinente, et non sur le fait qu’il s’était inscrit en 2018, ce qui a fait en sorte que l’agente n’a pas examiné adéquatement le bien-fondé de sa demande.

[42] M. Walu ajoute que même si l’agente avait des réserves concernant sa crédibilité, elle a eu tort de ne pas tenir compte du risque auquel il serait exposé s’il retournait en Érythrée en raison de sa sortie illégale de l’Érythrée (Weldesilassie c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 521 aux para 56-57 [Weldesilassie]). Il soutient que le traitement réservé en Érythrée aux personnes qui quittent le pays sans visa de sortie valide est bien documenté dans les documents sur les conditions qui prévalent au pays.

[43] M. Walu fait désormais valoir qu’il a dit à l’agente qu’il était d’ethnicité kunama, ce qui faisait en sorte qu’il était ciblé par les agents du renseignement gouvernementaux. Il soutient que l’agente aurait dû déterminer s’il est kunama et si les personnes de cette ethnie sont ciblées par le gouvernement de l’Érythrée.

[44] M. Walu fait aussi valoir que l’agente a eu tort de ne pas évaluer son admissibilité au titre de la catégorie des personnes de pays d’accueil. Il soutient que l’agente a simplement conclu qu’il ne serait pas touché par un conflit armé ou une guerre civile.

VI. Observations du défendeur

[45] Le défendeur soutient que les conclusions de l’agente concernant la crédibilité sont raisonnables. Il ajoute que le manque de crédibilité de M. Walu a eu une incidence sur tous les aspects de sa demande.

[46] Le défendeur souligne que M. Walu a été informé qu’il serait rencontré en entrevue et qu’il devrait être sincère. Il fait valoir que l’agente ne cherchait pas la confrontation et ne faisait pas preuve d’un excès de zèle. La méthode utilisée par l’agente respectait les lignes directrices applicables sur la réalisation d’une entrevue. Le défendeur souligne que M. Walu a accepté la langue d’interprétation, que l’agente a confirmé que M. Walu comprenait l’interprète et que M. Walu n’a soulevé aucune préoccupation au cours de l’entrevue ni immédiatement après. Les notes versées au SMGC confirment que l’agente a répété les questions pour M. Walu, a clairement exprimé ses réserves concernant la crédibilité et a donné à M. Walu maintes occasions de fournir des explications, ce qu’il n’a pas fait.

[47] Le défendeur soutient que M. Walu a fourni des réponses incohérentes sur plusieurs questions importantes, y compris les motifs pour lesquels il a quitté l’Érythrée, la date de son arrivée au Soudan, la date de son inscription auprès du HCR, la période pendant laquelle il a vécu dans le camp de réfugiés et la date de son départ. Le défendeur fait valoir que le récit de M. Walu a changé au cours de l’entrevue.

[48] Le défendeur soutient que l’agente a tiré une conclusion raisonnable au sujet de l’explication de M. Walu sur le manque de détails concernant sa détention en Érythrée. Il précise que l’agente a répété trois fois ses questions sur ce qu’il s’était produit pendant sa détention, que les réponses de M. Walu manquaient de détails et qu’il n’a manifesté aucune émotion lorsqu’il a répondu aux questions.

[49] Le défendeur souligne que les entrées dans le SMGC indiquent clairement que l’agente savait que M. Walu était reconnu comme un réfugié par le HCR. Cependant, le statut reconnu à un demandeur par le HCR n’est pas un facteur déterminant du statut de réfugié au Canada. Le défendeur soutient que lorsque la crédibilité est en cause, l’agent n’est pas tenu d’expliquer pourquoi le statut conféré par le HCR ne joue pas en faveur de l’octroi du statut de réfugié (Gebrewldi c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2017 CF 621 [Gebrewldi] au para 5 et Abreham c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 908 au para 22 [Abreham]).

[50] Le défendeur soutient également que les conclusions de l’agente concernant la crédibilité sont déterminantes quant à l’admissibilité de M. Walu au titre de la catégorie des personnes de pays d’accueil. M. Walu n’a pas réussi à fournir des éléments de preuve crédibles à l’appui de son récit concernant sa fuite, et par conséquent, la présente demande n’est pas fondée.

VII. La décision de l’agente est raisonnable

[51] Les conclusions de l’agente concernant la crédibilité sont axées sur deux aspects du témoignage de M. Walu :

  • ses réponses incohérentes et contradictoires au sujet de la date de son inscription auprès du HCR et de la période qu’il a passée dans le camp de réfugiés;

  • le manque de détails et l’incohérence de sa demande écrite sur les motifs de son arrestation et de sa détention, son traitement en détention et sa sortie de l’Érythrée.

[52] En ce qui concerne l’allégation de M. Walu selon laquelle l’agente faisait preuve d’un excès de zèle et cherchait des incohérences au lieu de lui donner le bénéfice du doute, les notes versées au SMGC indiquent que l’agente a appliqué les lignes directrices pertinentes. Elle a posé les questions pertinentes clairement, a répété les questions au besoin, a relevé les réponses à l’origine de ses réserves concernant la crédibilité et a expliqué clairement ces réserves à M. Walu. L’agente n’a pas fait preuve d’empressement à trouver des contradictions; les contradictions sont plutôt ressorties des réponses de M. Walu.

[53] Comme je le mentionne plus haut, les conclusions quant à la crédibilité commandent la déférence, mais doivent être raisonnables. En l’espèce, l’agente a rencontré M. Walu en entrevue, a examiné son récit concernant sa sortie de l’Érythrée, la période qu’il a passée dans le camp de réfugiés et son inscription auprès du HCR. Son récit comportait des incohérences et des contradictions. Ses réponses aux questions de l’agente, souvent répétées, n’ont pas expliqué les contradictions de façon satisfaisante.

[54] M. Walu cherche désormais à expliquer ces contradictions. Cependant, le rôle de la Cour n’est pas de tirer de nouvelles conclusions sur la crédibilité, mais plutôt de déterminer si l’agente a tiré des conclusions raisonnables sur la crédibilité et a rendu une décision raisonnable.

[55] Dans la décision Rahal, aux paragraphes 41 à 46, la juge Gleason donne des exemples des éléments qui justifient des conclusions sur la crédibilité, dont les suivants :

• les contradictions relevées dans la preuve, en particulier dans le témoignage du demandeur d’asile, constituent un motif raisonnable de conclure à la non-crédibilité de ce demandeur, à condition toutefois qu’elles soient réelles, et non pas illusoires ou insignifiantes;

• le décideur peut prendre en considération le comportement du témoin, y compris ses hésitations, le manque de précision de ses propos et le fait qu’il ait modifié ou étoffé sa version, mais il est préférable que d’autres faits, de caractère objectif, viennent aussi justifier ses conclusions sur la crédibilité;

• le décideur doit exposer clairement ses conclusions sur la crédibilité et les motiver de manière suffisamment détaillée.

[56] Les conclusions de l’agente sur la crédibilité s’appuient sur ces indices bien établis et sont énoncées avec précision. Bien que l’agente ait observé le comportement de M. Walu – à savoir qu’il ne manifestait aucune émotion lorsqu’il a raconté la période passée en détention –, les conclusions de l’agente sur la crédibilité s’appuient principalement sur le manque de détails concernant sa détention, par opposition à sa demande écrite, qui est plus détaillée.

[57] Les notes versées dans le SMGC indiquent entre autres que :

• l’agente a vérifié que M. Walu et l’interprète se comprenaient mutuellement;

• l’agente a expliqué l’obligation de dire la vérité;

• M. Walu a été questionné séparément de sa sœur au sujet de sa demande;

• M. Walu a d’abord affirmé qu’il avait quitté l’Érythrée en 2015, mais était arrivé au Soudan après sa sœur. Lorsque l’agente a souligné que la sœur de M. Walu était arrivée en décembre 2015, M. Walu a affirmé qu’il était arrivé avant elle, en juin 2015;

• lorsqu’il s’est fait demander pour la première fois s’il s’était inscrit immédiatement auprès du HCR, il a répondu par l’affirmative;

• lorsqu’il s’est fait demander à répétition pourquoi les dossiers du HCR indiquaient qu’il s’était inscrit en 2018, M. Walu a répondu qu’il était [traduction] « dans le camp de réfugiés » de 2015 à 2017. Lorsqu’il s’est fait demander de nouveau pourquoi les dossiers du HCR indiquaient qu’il s’était inscrit en 2018, il a affirmé qu’il s’était inscrit plus tard à Shagarab. Lorsqu’on lui a demandé pourquoi il avait affirmé qu’il s’était inscrit dès son arrivée, il n’a pas répondu. Il a ensuite affirmé qu’il était arrivé à Shagarab pour la première fois en juillet 2015 après avoir passé quelques jours dans un autre camp. M. Walu n’a pas fourni d’explication lorsque l’agente lui a fait part une fois de plus de ses réserves concernant sa crédibilité;

• en ce qui concerne la carte d’inscription jaune délivrée en 2018, l’agente a demandé à M. Walu pourquoi il avait affirmé qu’il l’avait obtenue en 2015. M. Walu n’a pas répondu directement à la question, mais a indiqué qu’il s’était rendu à Shagarab en 2015 et ne s’était pas inscrit immédiatement, car il habitait avec des membres de sa famille;

• à la question de savoir pourquoi il avait quitté le camp en juillet 2016 (et non en février 2016, ce qui semble être une erreur de l’agente), M. Walu n’a rien répondu;

• en réponse à la déclaration de l’agente selon laquelle il était préoccupant que M. Walu ne réponde pas aux questions, M. Walu a affirmé qu’il était [traduction] « dans le camp » jusqu’en 2016. L’agente lui a demandé de nouveau pourquoi il s’était inscrit en 2018, soit deux ans après son départ du camp. M. Walu a répondu qu’il était retourné au camp pour s’inscrire. À la question de savoir pourquoi il avait attendu avant de s’inscrire, M. Walu a répondu qu’il avait perdu sa carte jaune et était retourné s’inscrire de nouveau. Il a ensuite affirmé qu’il avait obtenu sa carte jaune avant 2018. En réponse à l’affirmation de l’agente selon laquelle l’entrevue prendrait fin s’il n’était pas sincère, il a affirmé qu’il s’était inscrit en 2018;

• lorsqu’il a été interrogé à cet égard, M. Walu a affirmé qu’il était retourné au camp pour s’inscrire à la fin de l’année 2017. L’agente lui a demandé trois fois d’expliquer pourquoi il était important qu’il s’inscrive à ce moment-là, et elle lui a demandé si c’était en raison de sa demande d’immigration au Canada. Il a affirmé que c’était important pour sa vie au Soudan. Il n’a pas répondu à la question de l’agente visant à savoir pourquoi ce n’était pas important pour sa vie au Soudan en 2016 ou en 2017;

• en réponse à la question de l’agente portant sur les motifs pour lesquels il avait quitté l’Érythrée, M. Walu a affirmé qu’il avait été arrêté par des soldats, car ceux-ci pensaient qu’il était membre du Mouvement démocratique de libération des Kunamas de l’Érythrée. Il a déclaré qu’il ne savait pas pourquoi la police avait des soupçons à son sujet. Il n’a pas mentionné son ethnicité kunama. En réponse à la question de l’agente visant à savoir pourquoi il n’était pas tenu de faire son service militaire, il a affirmé qu’il était encore à l’école, mais il avait 19 ans à ce moment-là;

• l’agente a répété trois fois ses questions sur le traitement que M. Walu avait subi pendant sa détention. M. Walu a répondu qu’il avait reçu des coups sur les doigts et le nez, et qu’il se trouvait dans une cellule souterraine. L’agente a indiqué qu’elle avait des réserves concernant ce récit et qu’elle examinerait la demande écrite. M. Walu n’a rien répondu d’autre.

[58] M. Walu se demande pourquoi le témoignage de sa sœur a été accepté, mais pas le sien, compte tenu des circonstances semblables. Bien qu’ils aient tous deux raconté qu’ils avaient quitté l’Érythrée en 2015, mais s’étaient inscrits auprès du HCR uniquement en 2018 et avaient vécu avec des membres de leur famille pendant un certain temps avant de s’inscrire au camp de réfugiés, M. Walu a livré un témoignage incohérent et contradictoire, et n’a pas fourni d’explication que l’agente a jugée satisfaisante au sujet de ces contradictions. Sa sœur a livré un témoignage cohérent sur les motifs pour lesquels elle a quitté l’Érythrée, qui étaient différents de ceux de M. Walu, et sur la date de son inscription.

[59] Bien que M. Walu n’ait pas fait part de ses préoccupations au sujet de l’interprétation au cours de l’entrevue ou immédiatement après, il fait désormais valoir que l’interprète ne parlait pas sa langue maternelle et qu’aucun service d’interprétation n’était offert dans cette langue. Cependant, l’agente a confirmé que M. Walu comprenait l’interprète et que l’interprète le comprenait. Son allégation selon laquelle il est difficile de savoir si c’est lui ou sa sœur qui a confirmé qu’ils comprenaient l’interprète n’est pas convaincante; il n’affirme pas clairement que sa sœur a donné cette confirmation ni qu’elle a des compétences linguistiques différentes des siennes. Si M. Walu ne comprenait pas les questions ou si l’interprétation était problématique, il lui incombait de le préciser à ce moment-là – malgré la nervosité. Il a été informé qu’il serait rencontré en entrevue et qu’il devrait être sincère. Il avait préparé sa demande par écrit et aurait dû être en mesure de fournir les mêmes renseignements qu’elle contient.

[60] M. Walu s’appuie sur la décision Lubana c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CFPI 116, dans laquelle la Cour a souligné que les conclusions relatives à la crédibilité dans les affaires d’immigration ne peuvent se fonder sur un examen à la loupe d’incohérences mineures ou de questions secondaires à la demande. En l’espèce, l’agente ne s’est pas appuyée sur des incohérences mineures ou des questions secondaires. Les motifs pour lesquels M. Walu a quitté l’Érythrée et son inscription auprès du HCR étaient au cœur de sa demande d’asile au Canada.

[61] Bien que M. Walu ait été généralement cohérent en ce qui concerne la date de son arrivée au Soudan, la période pendant laquelle il a vécu dans le camp de réfugiés et la date de son départ de ce camp, il n’a pas été cohérent en ce qui concerne les motifs pour lesquels il s’était enfui de l’Érythrée et la date de son inscription. L’argument actuel de M. Walu, selon lequel il a peut-être confondu sa demande d’asile à son arrivée au Canada et son inscription auprès du HCR, n’est pas convaincant, car il connaissait manifestement l’importance d’avoir la carte jaune pour sa vie au Soudan. Il a aussi affirmé qu’il avait obtenu une carte jaune, mais l’avait perdue.

[62] Bien que l’agente ait commis une erreur lorsqu’elle a demandé à M. Walu pourquoi il était parti en juillet 2016 et non en février 2016, M. Walu n’a rien répondu au lieu de préciser qu’il était parti en février 2016 pour aller habiter avec des membres de sa famille.

[63] L’argument de M. Walu selon lequel il n’est pas pertinent de savoir à quel moment il s’est inscrit auprès du HCR et que seul le fait qu’il était reconnu comme un réfugié par le HCR importe, n’a rien à voir avec les réserves de l’agente sur sa crédibilité en raison de ses réponses contradictoires. Les notes du SMGC indiquent que l’agente tentait d’établir si M. Walu avait quitté l’Érythrée en 2015 comme il l’a déclaré, les motifs de son départ et son comportement relatif à sa démarche d’obtention de l’asile après son départ de l’Érythrée. L’agente lui a aussi demandé s’il s’était inscrit uniquement pour les besoins de sa demande de parrainage au Canada. La totalité du récit de M. Walu, y compris en ce qui concerne son inscription auprès du HCR, est pertinente en ce qui concerne sa demande d’asile.

[64] L’agente avait aussi des réserves concernant la crédibilité de l’allégation de persécution de M. Walu, y compris sa sortie de l’Érythrée, les motifs de son arrestation et de sa détention, et son traitement en détention. Les notes du SMGC appuient la conclusion de l’agente selon laquelle les réponses de M. Walu manquaient de détails. L’agente a souligné que les documents écrits de M. Walu seraient examinés et qu’il y avait des disparités entre les deux versions.

[65] L’allégation de M. Walu selon laquelle on ne devrait pas s’attendre à ce qu’il se rappelle du fil des événements ou de détails concernant sa détention quatre ans plus tard compte tenu du traumatisme qu’il avait vécu n’est pas convaincante et ne fait pas en sorte que la conclusion de l’agente concernant le manque de détails de sa version est déraisonnable. Bien qu’un traumatisme puisse manifestement avoir une incidence sur la mémoire, M. Walu a réussi à décrire son arrestation et sa détention dans sa demande écrite. Comme M. Walu a été informé qu’il serait rencontré en entrevue et aurait accès à sa demande, l’agente pouvait raisonnablement s’attendre à ce qu’il donne la même version des événements.

[66] M. Walu a tort de s’appuyer sur la décision Ghirmatsion, au paragraphe 65, pour étayer son argument selon lequel l’agente a commis une erreur en fondant une conclusion quant à la crédibilité sur le fait qu’il n’a pas fourni de détails sur sa détention. Dans la décision Ghirmatsion, la juge Snider a souligné ceci :

[65] Je l’ai dit, la conclusion déterminante de l’agente en l’espèce avait trait à la crédibilité. L’une des deux conclusions tirées à ce sujet par l’agente était qu’elle ne croyait pas en la détention du demandeur, principalement suivant sa constatation générale que le demandeur n’avait pu donner sur cette détention des détails qu’elle aurait jugés satisfaisants. Or, absolument rien ne vient expliquer ce que l’agente a jugé manquer dans la description par le demandeur de sa détention ou dans les réponses qu’il a données sur le sujet. Il n’est pas fait état dans les notes du STIDI de questions sur la détention auxquelles le demandeur aurait été incapable de répondre. Rien ne justifie la constatation générale de l’agente.

[67] Contrairement à ce qui avait été le cas dans l’affaire Ghirmatsion, les notes versées dans le SMGC indiquent que l’agente a demandé plusieurs fois à M. Walu de préciser les motifs de son arrestation et ses conditions de détention, et que les réponses qu’il a données étaient vagues et ne concordaient pas avec la description fournie dans sa demande écrite.

[68] La conclusion de l’agente selon laquelle M. Walu n’a pas prouvé le bien-fondé de sa demande au moyen d’éléments de preuve crédibles sur la date et les motifs de son départ de l’Érythrée, son arrestation et sa détention, ainsi que la date de son arrivée au camp, la date de son départ du camp et la date de son inscription a miné tous les aspects de sa demande d’asile.

[69] Contrairement à l’argument de M. Walu selon lequel l’agente n’a pas tenu compte de son statut de réfugié accordé par le HCR et n’a pas expliqué pourquoi elle ne souscrivait pas à la décision de cet organisme, l’agente a examiné minutieusement le statut de réfugié accordé par le HCR. Les réponses incohérentes de M. Walu sur la date de son inscription et ses différentes versions en ce qui concerne la perte de sa carte d’inscription jaune, qu’il n’a manifestement jamais eue avant 2018, constituaient le fondement de l’une des principales conclusions de l’agente quant à la crédibilité. L’agente a admis que M. Walu avait finalement obtenu le statut de réfugié accordé par le HCR en 2018. Cependant, le statut reconnu à un demandeur par le HCR n’est pas un facteur d’admissibilité à l’asile au Canada. Si c’était le cas, il ne serait pas nécessaire que les agents évaluent l’admissibilité et les critères énoncés dans la Loi seraient redondants.

[70] M. Walu s’appuie sur la décision Weldesilassie, au paragraphe 33, où la juge Snider a souligné l’importance de la désignation de réfugié par le HCR et a conclu que l’agente aurait dû « expliquer dans son évaluation de la demande pourquoi elle ne souscrivait pas à la décision de cet organisme. L’agente n’était pas tenue de souscrire aveuglément à la désignation du HCR; elle avait toutefois l’obligation d’en tenir compte ». La juge Snider a ajouté ceci au paragraphe 34 :

L’erreur ainsi commise par l’agente constitue un motif suffisant pour infirmer la décision. Je le répète, toutefois, la reconnaissance par le HCR du statut de réfugié n’a pas un caractère déterminant; il incombait toujours à l’agente d’évaluer par elle-même la preuve dont elle était saisie, y compris la preuve concernant le statut de réfugié du HCR.

[Non souligné dans l’original.]

[71] Dans la décision Gebrewldi, au paragraphe 28, la juge Gagné a confirmé ce principe et a souligné ceci :

[28] En ce qui concerne le statut reconnu aux demandeurs par le HCR, la Cour a mentionné que ce statut n’est pas déterminant et qu’en fait, un agent est tenu d’effectuer sa propre évaluation de l’admissibilité d’un demandeur au statut de réfugié, conformément au droit canadien (B231 c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 1218, au paragraphe 58; Ghirmatsion c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 519, au paragraphe 57; Pushparasa c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 828, au paragraphe 27). Le Guide OP 5, « Réinstallation à partir de l’étranger » (lignes directrices), indique que les agents des visas devraient tenir compte de la désignation reconnue à un demandeur par le HCR au moment d’examiner sa demande de statut de réfugié au Canada (Pushparasa, précité, au paragraphe 26; Ghirmatsion, précité, au paragraphe 56). Toutefois, les « lignes directrices n’ont pas force de loi et ne constituent pas un code définitif ou rigide » (Pushparasa, précité, au paragraphe 27). Par conséquent, le statut reconnu à un demandeur par le HCR n’est pas un facteur déterminant dans le cadre d’une demande d’asile présentée au Canada.

[72] Dans la décision Gebrewldi, la Cour a conclu que l’agente n’avait pas commis d’erreur en n’expliquant pas pourquoi le statut accordé par le HCR n’était pas déterminant et qu’elle avait eu raison de mettre un frein à l’évaluation de la demande des demandeurs après avoir conclu que leur crédibilité ne pouvait pas être établie.

[73] Dans la décision Abreham c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2020 CF 908 [Abreham], le juge Southcott a tiré une conclusion semblable au paragraphe 22 :

[22] Suivant mon application des principes définis dans ces précédents, je ne vois aucune raison de revenir sur la décision de l’agent. Les notes de ce dernier consignées dans le SMGC mentionnent le statut conféré par l’UNHCR aux demandeurs. Conformément à l’analyse menée dans Gebrewldi, il est évident que l’agent était conscient de ce statut. Les demandeurs soutiennent qu’il était en plus tenu d’expliquer pourquoi il n’a pas souscrit à la désignation (voir Ghirmatsion, au para 58). Cependant, je juge que cette explication se retrouve dans l’analyse effectuée par l’agent quant à la crédibilité.

[74] En l’espèce, l’agente a admis le statut de réfugié accordé à M. Walu par le HCR, mais n’était pas tenue de « souscrire aveuglément » à cette désignation. La conclusion de l’agente selon laquelle des éléments clés de la demande de M. Walu n’étaient pas crédibles était suffisante pour expliquer les raisons pour lesquelles le statut conféré par le HCR à M. Walu n’ouvrait pas la voie à une conclusion selon laquelle il respectait les critères d’octroi de l’asile au Canada.

[75] L’agente n’était pas tenue de se pencher davantage sur la question de savoir si M. Walu craignait avec raison d’être persécuté. Dans la décision Gebrewldi, au paragraphe 27, la juge Gagné s’est exprimée en ces termes :

S’il a été déterminé qu’il y avait un manque général de crédibilité, les documents sur la situation dans le pays ne peuvent pas constituer, à eux seuls, un motif suffisant pour rendre une décision favorable. Les demandeurs doivent tout de même démontrer qu’il existe un lien entre leur situation personnelle et la situation dans leur pays d’origine (Alakozai, précité, au paragraphe 35).

[76] La juge Gagné a tiré la conclusion suivante au paragraphe 35 de la décision Gebrewldi :

Ni le statut reconnu par le HCR aux demandeurs, ni les documents sur la situation dans le pays ne peuvent remplacer la preuve personnelle. Compte tenu des préoccupations importantes en matière de crédibilité soulevées par l’agente et du fondement même de la demande des demandeurs, je suis d’avis que la décision appartient aux issues possibles acceptables. Par conséquent, la décision de l’agente est raisonnable et je ne vois aucune raison de la modifier.


[77] De même, dans la décision Abreham, le juge Southcott en est venu à la conclusion suivante au paragraphe 23 :

Les demandeurs font également valoir que l’agent a eu tort de ne pas tenir compte de tous les motifs de persécution susceptibles de s’appliquer compte tenu des conditions en Érythrée, ni de la catégorie des personnes de pays d’accueil au titre de la Loi. Cependant, je conviens avec le défendeur qu’une demande de statut de réfugié au sens de la Convention ne peut aboutir simplement en raison des conditions défavorables qui règnent dans le pays d’origine au chapitre des droits de la personne. Les demandeurs d’asile doivent établir un lien entre leur situation et la persécution qui règne dans ce pays (voir p. ex., Krishnapillai c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CF 563, au para 14). Ayant conclu que la preuve des demandeurs liée à leurs circonstances personnelles n’était pas crédible, il était raisonnable de la part de l’agent de ne pas être convaincu qu’ils remplissaient les exigences de la catégorie des réfugiés au sens de la Convention outre-frontières.

[78] Dans l’affaire de M. Walu, son statut de réfugié accordé par le HCR n’est pas un facteur déterminant de sa demande d’asile au Canada. Sa demande d’asile ne peut pas s’appuyer sur les conditions générales qui prévalent en Érythrée en l’absence d’éléments de preuve personnels crédibles. Comme l’agente a conclu que le témoignage de M. Walu sur ce qu’il avait vécu en Érythrée n’était pas crédible, elle n’était pas tenue d’évaluer son admissibilité au titre de la catégorie des personnes de pays d’accueil ou de la catégorie des personnes de pays source.

[79] L’agente n’a pas commis une erreur du fait qu’elle n’a pas déterminé si M. Walu était d’ethnicité kunama ou si son ethnicité kunama ferait en sorte qu’il serait ciblé par le gouvernement de l’Érythrée. Contrairement à ce que fait valoir M. Walu, les notes versées dans le SMGC n’indiquent pas que M. Walu a déjà déclaré qu’il était d’ethnicité kunama ou qu’il était pris pour cible pour cette raison. Il a plutôt affirmé qu’il ignorait pourquoi il était soupçonné d’être affilié au Mouvement démocratique de libération des Kunamas de l’Érythrée. La décision Weldesilassie, aux paragraphes 56 et 57, sur laquelle s’appuie M. Walu, se distingue des faits en l’espèce, car dans cette affaire, l’agente avait accepté le motif pour lequel le demandeur s’était enfui de l’Érythrée, mais avait commis une erreur en omettant de tenir compte de la crainte de persécution fondée sur ce motif. L’agente a conclu que le témoignage de M. Walu sur le motif pour lequel il avait quitté l’Érythrée n’était pas crédible.

[80] En conclusion, la décision de l’agente présente les attributs d’une décision raisonnable. Les motifs de l’agente présentent une analyse cohérente et rationnelle, le dossier appuie les conclusions de l’agente sur la crédibilité et la décision est justifiée, transparente et intelligible.

 


JUGEMENT dans le dossier IMM-1051-20

LA COUR ORDONNE :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  2. Il n’y a aucune question à certifier.

« Catherine M. Kane »

Juge

Traduction certifiée conforme

Claude Leclerc


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-1051-20

 

INTITULÉ :

MARTIN ALEXANDER WALU c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 7 JUILLET 2021

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE KANE

 

DATE DU JUGEMENT ET DES MOTIFS :

LE 9 AOÛT 2021

 

COMPARUTIONS :

Rehka McNutt

 

Pour le demandeur

 

Maria Green

 

pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

D. Jean Munn, c.r.

Caron & Partners LLP

Calgary (Alberta)

 

Pour le demandeur

 

Maria Green

Procureur général du Canada

Edmonton (Alberta)

 

pour le défendeur

 

 

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