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Date : 20050311

Dossier : T-537-03

Référence : 2005 CF 351

Ottawa (Ontario), le 11 mars 2005

EN PRÉSENCE DE MADAME LA JUGE SNIDER

ENTRE :

CAROLE GAUDES

demanderesse

et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

LA JUGE SNIDER

[1]         La demanderesse, Mme Carole Gaudes, présente une requête par le biais d'un appel interjeté à l'encontre de l'ordonnance rendue par le protonotaire Tabib le 30 septembre 2004. Dans cette ordonnance, le protonotaire a accueilli l'objection du défendeur à la demande de communication de documents présentée par la demanderesse en vertu de l'article 317 des Règles de la Cour fédérale (1998) (les Règles).


L'historique

[2]         Mme Carole Gaudes a travaillé pendant plus de 20 ans comme employée civile à la Gendarmerie royale du Canada (GRC). Elle a travaillé comme technicienne de l'identité judiciaire au groupe Technicien des laboratoires judiciaires et Technicien de l'identité judiciaire (le groupe FLT-FIT). Depuis les années 70, la rémunération du groupe FLT-FIT a été fixée et ajustée en conformité avec celle d'un groupe de fonctionnaires syndiqués connus sous le nom de groupe commis aux écritures et règlements, niveau 5 (groupe CR-5). Prenant effet en 1998, suite à une décision en matière dquité salariale, le groupe CR-5 s'est vu accorder des rajustements rétroactifs et futurs à sa rémunération. Le groupe FLT-FIT n'a reçu que les rajustements de rémunération futurs. Les employés de ce groupe aimeraient recevoir également les paiements rétroactifs. En vue de participer à cette lutte, Mme Gaudes est la demanderesse dans une demande de contrôle judiciaire.

[3]         Les décisions en matière de rémunération comme la décision en l'espèce sont prises par le Conseil du Trésor du Canada, lequel est l'employeur des fonctionnaires fédéraux. Dans l'avis de demande de contrôle judiciaire initial, déposé le 7 avril 2003, on demandait le contrôle de la décision du Commissaire de la GRC par laquelle celui-ci a refusé de présenter des observations au Conseil du Trésor. En plus d'un certiorari annulant la « décision » , la demanderesse a également demandé un jugement déclaratoire ainsi qu'une ordonnance de mandamus ayant pour objectif ultime de demander au Conseil du Trésor d'autoriser et de mettre en oeuvre la rémunération rétroactive quant au groupe FLT-FIT. L'avis de demande a été modifié le 24 février 2004. Dans l'avis de demande modifié, en ce qui concerne le bien-fondé de sa demande, la demanderesse demande maintenant ce qui suit :


1.       Une déclaration que le groupe FLT-FIT a droit à des rajustements de salaire;

2.       Une déclaration que le Conseil du Trésor doit autoriser la mise en oeuvre et le paiement des rajustements de salaire quant au groupe FLT-FIT;

3.       Une déclaration que le président du Conseil du Trésor ou le Secrétariat agissant pour le compte du Président du Conseil du Trésor, n'avait ni la compétence, ni le pouvoir de prendre une décision concernant les rajustements de salaire ou, subsidiairement, que le président n'avait ni la compétence, ni l'autorité pour déléguer au Secrétariat toute décision concernant les rajustements de salaire, de telle sorte que les décisions du Secrétariat sont invalides ou illégales;

4.       Une ordonnance annulant les décisions du Secrétariat.

[4]         Dans une lettre datée du 21 juin 2004, le défendeur a confirmé par courriel vocal un avis que le [Traduction] « défendeur n'adoptera pas la position que le Secrétariat du Conseil du Trésor a pris une décision en septembre 2000 aux fins de l'article 18.1 de la Loi sur la Cour fédérale concernant l'admissibilité du groupe FLT-FIT quant aux paiements d'équité salariale rétroactifs » . Comme l'a déclaré le défendeur, il en a résulté que la demanderesse n'avait pas à demander la réparation demandée aux paragraphes 3 et 4 de la déclaration modifiée. Malgré cet avis, la réponse de la demanderesse, dans une lettre datée du 29 juillet 2004, a été qu'il y avait que le Secrétariat avait rendu une décision en septembre 2000 selon laquelle le groupe FLT-FIT n'avait pas droit aux paiements rétroactifs et qu'il avait en outre décidé de ne pas soumettre l'affaire au Conseil du Trésor pour que celui-ci prenne une décision et donne son autorisation.

[5]         Le 21 mai 2004, la demanderesse a fait une demande de transmission de documents en vertu de l'article 317 des Règles de la Cour fédérale. Dans une lettre datée du 14 juin 2004, le défendeur, en vertu de l'article 318 des Règles, s'est opposé à la transmission du document demandé pour les motifs suivants :


_     La demande, faite si tardivement dans le processus de contrôle judiciaire, constitue un abus de procédure;

_     L'article 317 des Règles ne s'applique pas car aucune décision ne fait l'objet d'un contrôle, la demanderesse demande simplement une mesure de redressement déclaratoire;

_     Les documents demandés n'ont rien à voir avec les motifs cités à l'appui de la demande;

_     Les documents sont protégés par l'article 39 de la Loi sur la preuve au Canada (en tant que renseignements confidentiels du Conseil privé) ou par le privilège avocat-client.

[6]         Dans son ordonnance datée du 30 septembre 2004, la protonotaire a accueilli l'objection du défendeur à la demande de transmission présentée par la demanderesse. Voici ce qui ressort de sa décision :

1.          L'article 317 des Règles exige qu'il y ait « décision ou ordonnance » d'un tribunal.

2.          La position du défendeur qu'aucune décision n'a été rendue par le Secrétariat signifie qu'il n'y a aucune « décision ou ordonnance » devant faire l'objet d'un contrôle judiciaire et aucune application possible de l'article 317 des Règles.

3.          Les documents dont le Secrétariat était saisi lorsqu'il a rendu une prétendue décision ne pouvaient pas être pertinents au contrôle judiciaire tel qu'il est maintenant structuré.


[7]         Pour les motifs qui suivent, je ne suis pas persuadée que la protonotaire a commis une erreur en rejetant la demande de transmission de documents présentée par la demanderesse, laquelle demande était liée à la « décision » du Secrétariat du Conseil du Trésor (le Secrétariat).

Quelle est la norme de contrôle appropriée?

[8]         Premièrement, je souligne que la décision du protonotaire concerne une ordonnance de transmission de documents demandée. Il ne s'agit pas d'une question ayant une influence déterminante sur l'issue de l'affaire. Par conséquent, l'ordonnance du protonotaire rejetant la demande ne peut être annulée que si l'exercice de son pouvoir discrétionnaire était manifestement erroné en ce sens qu'il [Traduction] « aurait été fondé sur un mauvais principe ou sur une fausse appréciation des faits » (Canada c. Aqua-Gem Investments Ltd., [1993] 2 C.F. 425 (C.A.F.), page 454; 1029894 Ontario Inc. c. Dolomite Svenska Aktiebolag, [1999] A.C.F. No 1719, paragraphe 8 (C.F. 1re inst.)).

La protonotaire a-t-elle mal interprétéla preuve en concluant qu'aucune « décision » n'a étérendue?

[9]         Si je comprends bien les observations de la demanderesse, son argument est que la protonotaire a mal interprété les faits ou a commis deux erreurs. Premièrement, la protonotaire a commis une erreur en concluant qu'aucune décision n'a été rendue. La deuxième partie de l'argument de la demanderesse est qu'elle devrait avoir accès à ces documents en raison de leur pertinence.


[10]       La question fondamentale dans le cadre du présent appel est de savoir si la protonotaire a commis une erreur en concluant qu'aucune décision n'a été rendue par le Secrétariat. La protonotaire a traité ce point en détail dans sa décision. Elle a affirmé ce qui suit :

[Traduction]

Le principe et la question ultime que la Cour doit décider dans le cadre de la présente demande de contrôle judiciaire consiste à savoir si le Conseil du Trésor est légalement tenu d'appliquer au groupe FLT-FIT les rajustements de salaire rétroactifs apportés à la rémunération du groupe Fonction publique CR-5 [¼]

L'aspect essentiel de l'argument de la demanderesse a donc été centré sur le fait que, dans sa demande modifiée, la demanderesse demande précisément le contrôle judiciaire d'une prétendue décision rendue par le Secrétariat du Conseil du Trésor, au nom du président du Conseil du Trésor, de refuser de faire le rajustement de salaire. Le redressement demandée en rapport avec la décision du SCT a toutefois été renversé par l'avis récent du défendeur selon lequel il adopte maintenant la position qu'aucune décision n'a été prise par le SCT en rapport avec le rajustement de salaire. La demanderesse a d'abord accepté la position du défendeur et a avisé en conséquence, dans la lettre de l'avocat du 30 juin 2004, qu'elle retirerait la demande de redressement mentionné aux paragraphes 3 à 6 de sa demande demandant que la décision du SCT soit rejetée. Les positions révisées ont effectivement mené au résultat qu'il n'y a plus aucune décision du SCT qui fait l'objet d'un contrôle judiciaire et qu'il n'y a aucune application possible de l'article 317des Règles.

Toutefois, après réflexion, la demanderesse a abandonné sa position du 30 juin 2004 et soutient que, comme la preuve démontre que le SCT a pris une décision, il n'est pas loisible au défendeur d'adopter la position qu'aucune décision n'a pas étérendue. Le demandeur soutient donc que la décision du SCT fait toujours l'objet de la présente demande de contrôle judiciaire.

La demanderesse prétend que le revirement du défendeur est purement une tentative de protéger des documents pertinents contre la transmission en vertu de l'article 317 des Règles. C'est peut-être vrai, mais quelque soit la motivation, l'effet final est de rendre théorique la demande, dans la mesure où elle se rapporte à la prétendue décision du SCT; il permet à la demande de procéder directement à la question essentielle de savoir si le Conseil du Trésor, en l'absence d'une décision par le SCT, est tenu dtendre les versements rétroactifs du rajustement de salaire au groupe FLT-FIT.

[. . .]

Je conclus que, en effet, aucune décision du SCT ne fait l'objet de la présente demande de contrôle judiciaire.


[11]       Y-a-t-il eu en l'espèce une décision qui sert de base à une demande de contrôle judiciaire? La demanderesse prétend que le Secrétariat doit avoir pris la décision d'accorder des hausses de salaire, à partir de maintenant et non pas rétroactivement, au groupe de rémunération de la demanderesse. Elle prétend qu'il ressort de la preuve que cette décision fut prise en 2000 et fut en bout de ligne confirmée dans un courriel en mars 2003.

[12]       Je suis d'accord avec la demanderesse qu'une certaine forme de décision a été prise par le Secrétariat - vraisemblablement en 2000. Cela ne clôt toutefois pas l'affaire. Comme l'a prétendu le défendeur dans les observations qu'il a faites dans le cadre de la requête initiale et comme il me l'a davantage précisé dans sa plaidoirie, le défendeur a reconnu que le Secrétariat n'avait pas compétence pour prendre une décision sur la question en litige. En d'autres mots, le Secrétariat ntait pas autorisé à prendre une décision quant à savoir si la demanderesse ainsi que les autres membres du groupe FLT-FIT avaient doit à des versements rétroactifs. Une décision prise sans autorisation n'est pas une décision. Le protonotaire a eu raison de conclure que [Traduction] « aucune décision du SCT ne fait l'objet du présent contrôle judiciaire » .

[13]       J'ai lu attentivement l'avis modifié et je suis convaincue que l'objet visé par la demande comporte deux volets. Premièrement, la demanderesse a demandé l'annulation de la décision du Secrétariat au motif que celui­-ci n'avait pas compétence pour prendre une décision quant au rajustement du salaire de la demanderesse et du salaire des autres membres du groupe FLT-FIT. Deuxièmement, elle sollicite une mesure de redressement à l'encontre du Conseil du Trésor lui-même. En ce qui concerne la première partie de la demande, le défendeur l'a reconnu entièrement, c'est-à-dire qu'il admet que le Secrétariat ntait pas autorisé à prendre la décision. Il reste seulement le jugement déclaratoire. Je ne vois aucune autre façon d'interpréter ce qui s'est produit dans la présente demande de contrôle judiciaire.


[14]       Compte tenu de la confusion qui a régné dans le cadre du présent contrôle judiciaire, je peux comprendre pourquoi la demanderesse ntait pas pleinement au courant de la position du défendeur. Ce n'est seulement que lorsque l'on a insisté lors de la plaidoirie que j'ai compris la situation. Néanmoins, le protonotaire semble avoir complètement compris la situation. Il n'y a aucune mauvaise appréciation des faits.

Le protonotaire a-t-il commis une erreur en refusant d'appliquer l'article 317 des Règles

si aucune « décision » n'a étérendue?

[15]       Même en l'absence d'une décision, la demanderesse continue de prétendre que les documents demandés doivent être transmis. Elle prétend que le protonotaire a commis une erreur. Dans cet argument, la demanderesse invoque la décision rendue par la Cour dans Friends of the West Country Association c. Canada (Ministre des Pêches et Océans), [1997] A.C.F. no 556 (C.F. 1re inst). Dans cette cause, le juge était saisi d'une requête présentée par la demanderesse dans une demande de contrôle judiciaire quant à la transmission de documents en vertu de l'article 1612 des Règles, lequel a précédé l'article 317 des Règles. La demanderesse a demandé la transmission de divers documents de politique liés à des « lettres d'avis » donnés par le ministère des Pêches et Océans. La Cour a ordonné la production des documents au motif que les documents satisfaisaient au critère à deux volets de l'article 1612 des Règles, c'est-à-dire qu'ils étaient en possession du ministère et qu'ils étaient pertinents.


[16]       Le problème que pause l'application de cette jurisprudence aux faits dont le protonotaire et moi-même sommes saisis est que l'article 317 des Règles diffère de façon importante de l'article qui l'a précédé. L'article 1612 des Règles faisait mention de « pièces qui [ntaient pas en possession de la personne qui désirait s'en servir] mais qui [étaient] en possession de l'office fédéral » et exigeait que les pièces « [devaient] être pertinentes à la demande de contrôle judiciaire » . L'article 317 des Règles ajoute un autre élément à la demande de transmission de documents, c'est-à-dire qu'une partie ne peut demander que des documents « qui sont en la possession de l'office fédéral dont l'ordonnance fait l'objet de la demande » . Par conséquent, avant d'invoquer l'article 317 des Règles pour obtenir des documents, un tribunal doit avoir pris une décision.

[17]       De plus, je souligne que cette interprétation libérale de l'article 1612 des Règles n'est pas étayée par d'autres décisions. Par exemple, dans la décision rendue par la Cour d'appel fédérale dans Eli Lilly and Co. c. Nu-Pharm Inc., [1996] A.C.F. no 904, paragraphe 25 (C.A.F.), la Cour a déclaré ce qui suit :

Contrairement à ce que celle-ci prétend, les renseignements nécessaires ne pouvaient être obtenus par les intimées en vertu des Règles 1612 [. . .] Ces règles permettent à une partie d'obtenir les pièces qu'elle désire invoquer mais qu'elle n'a pas, lorsque celles-ci se trouvent en la possession d'un office fédéral [ . . .] Ces dispositions, à n'en pas douter, font référence à des « pièces » ayant été présentées devant l'office fédéral dont la décision fait l'objet d'une demande de contrôle judiciaire [ . . .] Je ne vois pas comment ces règles pourraient s'appliquer puisqu'aucune décision du ministre ne fait l'objet d'un examen en l'espèce. [Non souligné en l'espèce]

[18]       Il existe également une jurisprudence bien établie dans laquelle on a conclu que les seuls documents qui peuvent être transmis en vertu de l'article 317 des Règles ou en vertu de l'article qui l'a précédé, sont les documents dont le décideur était saisi (voir, par exemple, Hiebert c. Canada (Correction Service), [1999] A.C.F. no 957 (C.F. 1re inst.); Canada (Commission des droits de la personne) c. Pathak, [1995] 2 C.F. 455 (C.A.F.)). En l'espèce, où aucune décision n'a été rendue, le contenu de ces documents ne peut que faire l'objet de spéculation. En effet, c'est ce que reflète la longue liste de documents demandés.


[19]       Enfin, je souligne que la demanderesse a déjà déposé des affidavits qui comprennent un nombre considérable dléments de preuve à l'appui de sa position dans le présent contrôle judiciaire. D'autres documents peuvent être accessibles grâce à une demande d'accès à l'information.

Conclusion

[20]       En conclusion, je ne suis pas persuadée que le protonotaire a commis une erreur. La requête en appel sera rejetée avec dépens en faveur du défendeur.

ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE QUE :

1.             la requête soit rejetée avec dépens en faveur du défendeur.

2.             la demanderesse dispose de 20 jours à compter de la date de la présente ordonnance pour signifier et déposer son dossier de demanderesse.

   « Judith A. Snider »           

Juge

                                                                 

Traduction certifiée conforme

Claude Leclerc, LL.B., trad. a.


                                                       COUR FÉDÉRALE

                                       AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                    T-537-03

INTITULÉ :                                                     CAROLE GAUDES

c

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

LIEU DE L'AUDIENCE :                             WINNIPEG (MANITOBA)

DATE DE L'AUDIENCE :                           LE 7 MARS 2005

MOTIFS DE L'ORDONNANCE                

ET ORDONNANCE :                                   LA JUGE SNIDER

DATE DES MOTIFS :                                  LE 11 MARS 2005

COMPARUTIONS :

E. Beth Eva                                                     POUR LA DEMANDERESSE

Steven Raber

Anne M. Turley                                                POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Fillmore Riley                                                  POUR LA DEMANDERESSE

Avocats

Winnipeg (Manitoba)

John H. Sims, c.r.                                           POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

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