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Date : 20040126

Dossier : T-306-02

                                                                                                      Référence : 2004 CF 113

ENTRE :

                                              SAIPEM LUXEMBOURG S.A.

                                                                                                                        demanderesse

                                                                       et

                    L'AGENCE DES DOUANES ET DU REVENU DU CANADA

                                                                                                                          défenderesse

                                            MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE ROULEAU

[1]                Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire de la mise en demeure de l'Agence des douanes et du revenu du Canada (l'ADRC) faite à Saipem Luxembourg S.A. concernant la communication de renseignements et de documents étrangers. L'avis, daté du 6 décembre 2001, demandait à la demanderesse de produire, en conformité avec le paragraphe 231.6(4) de la Loi de l'impôt sur le revenu, L.R.C. 1985, ch. 1 (5e suppl.), modifiée (la Loi), ce qui suit :


[traduction] [...] des renseignements, et l'ensemble des factures, correspondance, ententes, contrats avec modifications, états financiers, livres comptables, rapports, notes de service, échéanciers, documents de travail, procès-verbaux, télex, télécopies ou autres documents concernant les années d'imposition de Saipem Luxembourg S.A. se terminant le 31 juillet 2000 et le 31 juillet 1999.

[2]                La demanderesse demande l'annulation de la mise en demeure parce qu'elle est déraisonnable, et ce, pour les motifs suivants :

A)         La mise en demeure, telle qu'elle est rédigée, n'est clairement pas pertinente à l'administration ou à l'application de la Loi. La demanderesse est non-résidente du Canada et n'avait pas d'établissement stable au Canada au cours de la période pertinente.

B)         Subsidiairement, la mise en demeure, telle qu'elle est rédigée, est déraisonnable et constitue une vaste recherche à l'aveuglette et passe totalement outre aux procédures établies dans la convention fiscale conclue entre le Canada et le Grand-Duché de Luxembourg.


[3]                La demanderesse a été constituée en société au Luxembourg en 1998 et, aux fins de l'impôt, elle est résidente du Luxembourg. La demanderesse oeuvre dans le domaine de la construction de pipelines sous-marins.

[4]                La demanderesse possède et exploite différents navires, notamment le S7000, un navire unique et probablement le navire de transport de charges lourdes le plus puissant au monde; il a été conçu pour le travail en eau profonde et en eau hyper profonde.

[5]                Le 4 août 1998, la demanderesse a conclu un contrat de louage de services avec Saipem UK Limited (SUK), une société liée, pour terminer la phase 2 d'un contrat d'ingénierie conclu par Mobil Oil Canada Properties en rapport avec le Projet de l'île de Sable. Il s'agissait d'un contrat de 10,5 millions de livres du Royaume-Uni.

[6]                Le Projet énergétique extracôtier de l'île de Sable est situé en Nouvelle-Écosse ainsi que dans la région extracôtière de la Nouvelle-Écosse. Il comprend des installations côtières et extracôtières nécessaires à la production et au traitement de produits d'hydrocarbures qui seront éventuellement transportés sur le marché.


[7]                Les travaux relatifs au contrat de la phase 2 ont été effectués au Canada en septembre et octobre 1998. Ils ont duré 53 jours après quoi le navire a quitté les eaux canadiennes pour aller effectuer des travaux à contrat ailleurs dans le monde pour le compte d'autres parties. Il est allégué que la relation contractuelle entre SUK et la demanderesse en rapport avec les activités canadiennes a pris fin à ce moment-là.

[8]                Il est de plus allégué que, à l'automne 1998, SUK et les propriétaires du projet ont demandé à la demanderesse si le S7000 serait disponible pour effectuer des travaux dans le cadre de la phase 3 de leur projet dont la fin était prévue pour août 1999.

[9]                À la suite de cela, SUK et la demanderesse ont conclu un nouveau contrat, le 14 décembre 1998, en rapport avec l'achèvement des travaux de la phase 3.

[10]            Les travaux de la phase 3 ont été effectués entre le 15 août 1999 et le 16 septembre 1999, période pendant laquelle le S7000 se trouvait dans les eaux canadiennes. Le navire a ensuite quitté les eaux canadiennes et aucuns autres travaux n'ont été effectués au Canada.

[11]            Le 17 août 1998, la demanderesse a demandé l'obtention de dispenses pour les articles 102 et 105 du Règlement de l'impôt sur le revenu. Par lettres datées du 17 septembre 1998, l'ADRC a accordé des dispenses en rapport avec ces deux règlements (dispense de retenue d'impôt).


[12]            La demanderesse prétend que la Convention Canada-Luxembourg en matière d'impôts sur le revenu prévoit que les autorités compétentes des deux États contractants échangent les renseignements nécessaires pour appliquer les dispositions de la Convention, et souligne qu'en aucun temps les représentants de l'ADRC n'ont communiqué avec les autorités fiscales du Luxembourg en rapport avec quelque question relative à ses activités.

[13]            La question en litige est de savoir si la demanderesse est tenue ou non de déclarer un revenu gagné au Canada si elle était considérée comme ayant un « établissement stable » en conformité avec l'article V de la Convention Canada-Luxembourg en matière d'impôts sur le revenu. L'expression « établissement stable » comprend notamment selon l'alinéa 2g) :

Un chantier de construction ou de montage dont la durée dépasse douze mois.

[14]            Il est allégué que les deux contrats impliquant l'utilisation du S7000 qui ont été exécutés par la demanderesse sont séparés et distincts, l'un ayant été exécuté en septembre et octobre 1998 et l'autre en août et septembre 1999.


[15]            Subsidiairement, la demanderesse propose à l'ADRC de faire trancher une question de fait et de droit en vertu des dispositions de l'article 173 de la Loi de l'impôt sur le revenu afin de savoir si la demanderesse avait oui ou non un établissement stable au Canada; elle prétend qu'il incombe à l'ADRC de procéder de la sorte avant de soumettre un contribuable non-Canadien à une vérification complète de ses affaires mondiales.

[16]            Le paragraphe 173(1) de la Loi de l'impôt sur le revenu est ainsi libellé :

173(1) Lorsque le ministre et un contribuable conviennent, par écrit, de faire trancher par la Cour canadienne de l'impôt une question de droit, de fait ou de droit et de fait, portant sur une cotisation ou une détermination, réelles ou projetées, découlant de l'application de la présente loi, cette cour se prononce sur cette question.

[17]            Enfin, la demanderesse prétend que la mise en demeure est d'une portée trop vaste compte tenu de l'envergure de ses activités mondiales.

[18]            La défenderesse conteste les prétentions de la demanderesse concernant la durée des activités au Canada et prétend qu'elle ne dispose d'aucun moyen de vérifier les renseignements soumis sans effectuer une vérification des livres et registres de la demanderesse.

[19]            La défenderesse prétend de plus que les représentants de l'ADRC n'ont pas communiqué avec les autorités fiscales du Luxembourg étant donné que le traité ne prévoit pas cette exigence et que l'ADRC n'est pas tenue d'appliquer des méthodes de collecte de renseignements supplémentaires avant d'émettre la mise en demeure.


[20]            L'ADRC a de plus avancé qu'une application du paragraphe 173(1) qui exige une convention par écrit concernant les faits ne peut être établie sans une vérification appropriée. L'ADRC n'est en mesure de vérifier aucun des faits avancés par la demanderesse sans accès à ses livres et registres.

[21]            L'article 231.6 de la Loi a été adopté en 1988 afin de fournir des règles permettant au ministre d'obtenir les renseignements ou documents étrangers qui sont nécessaires à la réalisation d'une évaluation appropriée aux fins de l'impôt canadien.

[22]            Dans la décision Merko c. Canada (Ministre du Revenu national - M.R.N.) [1991] 1 C.F. 239, notre collègue le juge Cullen a déclaré ce qui suit :

Il ressort clairement de l'énoncé de la disposition législative (précitée) que le législateur a eu l'intention de donner à Revenu Canada des pouvoirs importants, étendus et d'une grande portée pour obtenir « des renseignements ou des documents étrangers » . Dans la définition qu'il donne « d'un renseignement ou document étranger » , l'article 231.6 prévoit qu'il s'agit « d'un renseignement accessible, ou d'un document situé, en dehors du Canada » . Afin d'obtenir ces renseignements ou ces documents, Revenu Canada n'a qu'à démontrer qu'ils peuvent « être pris en compte pour l'application ou l'exécution de la présente loi » .

[23]            Par conséquent, le critère approprié à appliquer n'est pas de savoir si les renseignements demandés seront utiles pour déterminer la dette fiscale canadienne de la demanderesse, mais plutôt de savoir si les renseignements seront utiles pour l'application de la Loi.


[24]            En l'espèce, la défenderesse cherche à obtenir des renseignements afin d'effectuer une vérification générale des affaires de la demanderesse pour les années d'imposition 1999 et 2000 afin de déterminer sa dette fiscale canadienne. Il est bien établi que l'un des objets visés par une vérification fiscale est la vérification de renseignements. Le fait que certains renseignements aient été fournis par le contribuable ou qu'ils peuvent être obtenus ailleurs n'est pas pertinent.

[25]            L'ADRC est tenue de vérifier la dette fiscale de la demanderesse, ce qui requiert obligatoirement la production des livres et des registres de la demanderesse. Si, après avoir été examinés, ils n'ont aucune incidence sur la dette fiscale canadienne et si certains renseignements recueillis lors de la vérification se révèlent non pertinents, ils doivent être traités en conséquence, mais, avant qu'une telle détermination ne soit faite, les livres et les registres doivent être accessibles.

[26]            En conclusion, nous n'avons qu'à lire l'extrait suivant du sommaire de la décision Merko c. Canada (Ministre du Revenu national - M.R.N.), précitée :

[traduction] Le législateur, à l'article 231.6, a eu l'intention de donner au ministre des pouvoirs d'une grande portée pour obtenir des renseignements étrangers. Le ministre n'a qu'à démontrer que ces renseignements peuvent être pris en compte pour l'application ou l'exécution de la Loi. Le contribuable est protégé du recours abusif à cette disposition législative par la possibilité de contester la mise en demeure par requête à un juge. La mise en demeure n'était pas déraisonnable et elle ne constituait pas un abus de procédure.


[27]            Comme l'a affirmé la Cour suprême du Canada dans l'arrêt McKinlay Transport Ltd. c. Canada, [1990] 2 C.T.C. 103, la mise en demeure de communication de renseignements, bien que formulée d'une manière large, ne constitue pas un abus de procédure.

[28]            La demande est rejetée.

                                                                                                                       « Paul Rouleau »                 

Juge

OTTAWA (ONTARIO)

Le 26 janvier 2004

Traduction certifiée conforme

Claude Leclerc, LL.B., trad. a.


                                                       COUR FÉDÉRALE

                                        AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                     T-306-02

INTITULÉ :                                                    SAIPEM LUXEMBOURG S.A.

et

L'AGENCE DES DOUANES ET

DU REVENU DU CANADA

LIEU DE L'AUDIENCE :                              MONTRÉAL (QUÉBEC)

DATE DE L'AUDIENCE :                            LE 26 JANVIER 2004

MOTIFS DE L'ORDONNANCE :              LE JUGE ROULEAU

DATE DES MOTIFS:                                    LE 26 JANVIER 2004

COMPARUTIONS :

Wilfrid Lefebvre                                                POUR LA DEMANDERESSE

Peter J. Leslie                                                    POUR LA DÉFENDERESSE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Ogilvy Renault               POUR LA DEMANDERESSE

Montréal (Québec)

Morris Rosenberg                                              POUR LA DÉFENDERESSE

Sous-procureur général du Canada

Montréal (Québec)


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