Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20050704

Dossier : T-959-05

Référence : 2005 CF 935

Montréal (Québec), le 4 juillet 2005

EN PRÉSENCE DE MADAME LA JUGE JOHANNE GAUTHIER

ENTRE :

                                       LA SUCCESSION DE FEU DAVID NADLER

                                                                                                                                    demanderesse

                                                                             et

                                        LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

                                                                             et

                                             CANADA-ISRAEL SECURITIES LTD.

                                                                             

                                                                                                                                          défendeurs

                                MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]                La demanderesse, la succession de feu David Louis Nadler, sollicite un sursis d'exécution de la demande péremptoire concernant la communication de renseignements et la production de documents, datée du 12 mai 2005 et adressée à la société Canada-Israel Securities Ltd. pour qu'elle remette à l'Agence du revenu du Canada :

a)         copie de toute la correspondance échangée entre David Louis Nadler et Canada-Israel Securities Ltd. de 1999 à 2005;


b)         copie de toute la correspondance entre Dow Dot Corporation Ltd. et Canada-Israel Securities Ltd. de 1999 à 2005;

jusqu'à ce qu'il soit statué au fond sur sa demande de contrôle judiciaire concernant cette demande péremptoire.

[2]                Les parties reconnaissent que, pour obtenir gain de cause, la demanderesse devait répondre au triple critère exposé dans l'arrêt RJR-Macdonald Inc. c. Canada (Procureur général), [1994] 1 R.C.S. 311.

[3]                Dans son dossier de requête, ainsi qu'à l'audience, la demanderesse a simplement renvoyé la Cour à son avis de demande, qui, d'après elle, expose les questions sérieuses qu'elle soulève. Les paragraphes pertinents de cet avis de demande sont ainsi formulés :

[traduction]

8.             La demanderesse sollicite une ordonnance annulant la demande péremptoire, notamment pour les raisons suivantes :

(i)             L'ARC n'a pas observé la procédure exposée dans la Loi de l'impôt sur le revenu pour la délivrance de la demande péremptoire;

(ii)            La demande péremptoire est vague, imprécise et lacunaire, notamment parce qu'elle ne précise pas quels renseignements particuliers sont recherchés par l'ARC, ni quel intérêt, le cas échéant, ces renseignements peuvent présenter pour l'administration de la Loi de l'impôt sur le revenu;


9.              La demande péremptoire n'est rien d'autre qu'une expédition de pêche entreprise par l'ARC et une tentative d'obtenir des renseignements sur la situation financière de feu David Nadler, même si ces renseignements n'intéressent pas l'administration et l'application de la Loi de l'impôt sur le revenu;

10.            En réalité, feu David Nadler n'était pas un résident du Canada depuis le 3 novembre 1999.

[4]                La demanderesse dit que, vu le seuil peu élevé à franchir à ce stade, la Cour doit conclure, au vu de ces allégations, qu'elle s'est acquittée de son obligation d'établir qu'il y a une question sérieuse à trancher.

[5]                Dans l'affidavit produit au soutien de sa requête, la demanderesse dit simplement aussi qu'elle subira un préjudice irréparable si Canada-Israel Securities Ltd. produit les documents et renseignements demandés avant qu'une décision ne soit rendue sur sa demande de contrôle judiciaire et cela, parce que la demande deviendrait théorique et vaine, privant ainsi la demanderesse de son droit d'être protégée contre les perquisitions et saisies abusives et de son droit au respect de sa vie privée. La demanderesse invoque la décision rendue dans l'affaire Capital Vision Inc. c. Ministre du Revenu national, [2000] A.C.F. n ° 954 (1re inst.) (QL), pour affirmer qu'elle n'est pas tenue de produire d'autres preuves ou d'autres arguments au soutien de sa position.


[6]                Le défendeur fait valoir que la demanderesse ne soulève pas une question sérieuse, parce que son argument relatif au caractère vague de la demande péremptoire et au fait que celle­-ci est une expédition de pêche est un argument frivole qui a été jugé tel par la Cour d'appel fédérale dans l'arrêt Bisaillon c. Canada, [1999] A.C.F. n ° 1477 (C.A.F.) (QL), et par le juge Lemieux dans la décision Lapointe c. Canada, [2003] A.C.F. n ° 176 (1re inst.) (QL).

[7]                Comme c'était le cas dans l'arrêt Bisaillon, précité, la personne de qui on sollicite des renseignements ne soulève ici aucune objection selon laquelle il lui est impossible de s'exécuter parce que la demande péremptoire est trop vague ou trop imprécise. Au contraire, il appert du dossier de requête de la demanderesse que celle-ci a été informée que Canada-Israel Securities Ltd. était maintenant en état de communiquer au défendeur les documents et renseignements demandés.

[8]                Je suis convaincue, au vu de la preuve produite par le défendeur (l'affidavit de John Drozd), que sa demande se rapportait à une personne nommément désignée et que, s'agissant de la première série de pièces de correspondance, la requête « s'inscrit carrément et ostensiblement dans un processus de recouvrement de la créance fiscale que le ministère détient contre » feu David Nadler (arrêt Bisaillon, précité, au paragraphe 6).


[9]                Le paragraphe 231.2(1) de la Loi de l'impôt sur le revenu, L.R.C. 1985 (5e supplément), ch. 1 (la Loi), se réfère expressément au recouvrement de toute somme payable en vertu de la Loi. La Loi n'exige pas que la tierce partie à qui il est demandé de communiquer les renseignements soit informée de l'objet de la demande péremptoire. Celle-ci indique comme il se doit le nom du contribuable concerné, précise la disposition législative applicable et donne une description des renseignements requis, ce qui suffit à Canada-Israel Securities Ltd. pour être en mesure de préparer sa réponse.

[10]            Je ne vois donc aucune raison de ne pas adopter le raisonnement et la conclusion exposés par la Cour d'appel fédérale dans l'arrêt Bisaillon, du moins pour ce qui concerne la demande de production de la correspondance échangée entre feu David Nadler et Canada-Israel Securities Ltd.

[11]            La demanderesse n'a pu indiquer à la Cour aucune raison pour laquelle la Cour devrait dire qu'une question sérieuse est soulevée par le fait que la demande péremptoire a été émise à l'égard d'un non-résident.

[12]            Comme je l'ai déjà indiqué dans mon ordonnance se rapportant à d'autres demandes péremptoires émises en vue du recouvrement de cette créance fiscale (T-993-05 et T-992-05), j'ai examiné les dispositions et l'économie de la Loi et je ne puis voir pourquoi un contribuable serait en mesure d'échapper à l'application de l'article 231.2 simplement parce qu'il a quitté le Canada après être devenu débiteur fiscal. Comme je l'ai dit, la demanderesse n'a apporté sur ce point aucun élément, même après que la Cour l'eut expressément priée de développer davantage ses arguments.

[13]            Ce n'est évidemment pas la première fois que ce genre de demande péremptoire est émis (voir par exemple l'arrêt Tower c. Canada (Ministre du Revenu national-MRN), [2004] 1 R.C.F. 183; [2003] A.C.F. n ° 1153 (C.A.F.) (QL)).

[14]            J'arrive à la conclusion que la demanderesse ne soulève aucune question sérieuse au regard de la demande de production de la correspondance échangée entre feu David Nadler et Canada-Israel Securities Ltd.

[15]            Durant l'audience et suite à un point soulevé par la Cour, la demanderesse a fait valoir que l'objet de la demande péremptoire concernant Dow Dot Corporation Limited n'était pas aussi clair. Je suis d'accord. Je ne suis pas convaincue que j'ai devant moi une preuve suffisante m'autorisant à dire que ces renseignements ou documents peuvent intéresser le recouvrement de l'obligation fiscale de feu David Nadler.


[16]            Dans son mémoire, le défendeur fait valoir que Dow Dot Corporation est l'objet d'une enquête en tant que prête-nom du contribuable. C'est là un argument plausible et logique, mais il n'y a aucune mention du genre dans l'affidavit de M. Drozd. M. Drozd écrit simplement qu'une transaction entre le contribuable et cette société a eu lieu avant son départ du Canada et que l'Agence n'a pas la liste des administrateurs et actionnaires de cette société. Il est bien possible que cela signifie implicitement que Dow Dot Corporation est l'objet d'une enquête en tant que prête-nom, mais, sur ce point, je ne suis pas disposée à dire que l'argument de la demanderesse est frivole.

[17]            Cela ne veut pas dire cependant que la demanderesse a droit sur cette base à un sursis d'exécution et cela, parce que je ne suis pas convaincue que je dispose d'une preuve suffisante établissant que, pour ces documents particuliers, elle risque de subir un préjudice irréparable si un sursis d'exécution n'est pas accordé.

[18]            La demanderesse n'a d'ailleurs produit aucune preuve établissant de quelle manière elle est liée ou associée à Dow Dot Corporation, si tant est qu'elle le soit. Elle ne dit pas pourquoi ou comment son propre droit à la vie privée, par exemple, serait transgressé par cette demande.

[19]            Dans la décision Capital Vision Inc., précitée, la juge Dawson s'est fondée sur la décision du juge Létourneau d'accorder un sursis provisoire pendant que l'appel interjeté à l'encontre de la décision Bisaillon était pendant (Bisaillon c. Canada, [1999] A.C.F. n ° 898) (C.A.F.) (QL)). Le juge Létourneau avait estimé qu'il y aurait préjudice irréparable parce que le contribuable qui avait sollicité le sursis et interjeté appel risquait fort de constater une atteinte à sa vie privée si les renseignements étaient communiqués avant que la décision en appel ne soit rendue. Le juge Noël a suivi ce raisonnement dans l'arrêt Bining c. Canada, [2003] A.C.F. n ° 1013 (C.A.F.) (QL).

[20]            Ainsi que l'explique la juge Sharlow dans l'arrêt Apotex Inc. c. Wellcome Foundation Limited, [2004] A.C.F. n ° 713 (C.A.F.) (QL), les sursis en question n'ont pas été accordés dans le seul dessein de protéger un droit d'appel, et les arrêts Bisaillon et Bining ne devraient pas être interprétés comme des précédents établissant un tel principe.

[21]            Nombreuses d'ailleurs sont les décisions où des sursis d'exécution ont été refusés dans un autre contexte avant que la décision ne soit rendue dans une demande de contrôle judiciaire ou dans un appel.

[22]            Je suis convaincue que la demanderesse n'a pas établi qu'elle subira un préjudice irréparable si la demande péremptoire de produire la correspondance échangée entre Dow Dot Corporation et Canada-Israel Securities Ltd. n'est pas suspendue.

[23]            Je dois aussi ajouter que, même si je considérais que le prétendu préjudice irréparable de la demanderesse au regard de la première demande (la correspondance échangée avec feu David Nadler) suffisait à remplir la deuxième condition du triple critère, je refuserais quand même le sursis d'exécution parce que, compte tenu de l'ensemble des circonstances, y compris le fait que, selon moi, la demande de contrôle judiciaire présentée par la demanderesse pour cette demande est frivole, je ne suis pas convaincue que la balance des inconvénients favorise la demanderesse.

[24]            Je dois donc rejeter la requête, avec dépens.

                                                                ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE :

La requête est rejetée avec dépens.

                  « Johanne Gauthier »                

                                Juge

Traduction certifiée conforme

Christian Laroche, LL.B.


                                                             COUR FÉDÉRALE

                                              AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                        T-959-05

INTITULÉ :                                       LA SUCCESSION DE FEU DAVID NADLER

c.

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

et

CANADA-ISRAEL SECURITIES LTD.

LIEU DE L'AUDIENCE :                MONTRÉAL (QUÉBEC)

DATE DE L'AUDIENCE :              

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                      LA JUGE GAUTHIER

DATE DES MOTIFS :                     LE 4 JUILLET 2005

COMPARUTIONS :

Konstantinos Voggas                                            POUR LA DEMANDERESSE

Louis Sébastien                                                     POUR LE DÉFENDEUR,

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

Stéphane Eljarrat                                                  POUR LA DÉFENDERESSE,

CANADA-ISRAEL SECURITIES LTD.

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Sweibel Novek                                                     POUR LA DEMANDERESSE

Montréal (Québec)

John H. Sims, c.r.                                                 POUR LE DÉFENDEUR,

Sous-procureur général du Canada                       LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

Montréal (Québec)

Davies Ward Phillips & Vineberg                          POUR LA DÉFENDERESSE,

Montréal (Québec)                                               CANADA-ISRAEL SECURITIES LTD.


 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.