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             Date : 20010530

    Dossier : T-462-01

      Référence neutre : 2001 CFPI 558

ENTRE :

RITA SUNBERG agissant pour son propre compte et en sa

qualité de CHEF DE LA BANDE DE LA NATION DES KWAKIUTL

et DAVID J. HUNT, WILFRED HUNT, RENE HUNT

et ALEXANDER WILSON agissant pour leur propre compte

et en leur qualité de

CONSEILLERS DE LA BANDE DE LA NATION DES KWAKIUTL

demandeurs

                      

et

FRED ANDERSON, LUCILLE BROTCHIE,

DAVID T. HUNT JACOBSON, GEORGE HILL,

TOMMY D. HUNT, RUPERT WILSON PÈRE,

ELIZA BROTCHIE, ALBERT WILSON, DEANE CLARK

   défendeurs

                      

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE McKEOWN


[1]                 Les défendeurs sollicitent une injonction interlocutoire empêchant les demandeurs d'agir à titre de chef ou de conseillers de la bande de la nation des Kwakiutl, empêchant les demandeurs de s'ingérer dans leurs fonctions de chef ou de conseillers de la bande des Kwakiutl et interdisant aux demandeurs de procéder à une élection partielle à l'égard de trois postes de conseillers, celle-ci devant avoir lieu le vendredi 1er juin 2001, tant que la présente Cour n'aura pas statué sur la légitimité de l'élection qui a été tenue le 12 mars 2001. En outre, les défendeurs sollicitent une ordonnance déclarant qu'ils sont les seuls à être autorisés à exercer les fonctions habituelles de chef et de conseillers de la bande.

Points litigieux

[2]                 Il s'agit de savoir si les défendeurs ont démontré qu'il existe une question sérieuse à trancher, s'ils ont démontré qu'ils subiront un préjudice irréparable et si la prépondérance des inconvénients favorise l'octroi de l'injonction. En ce qui concerne la réparation déclaratoire, il s'agit de savoir si la présente Cour a compétence pour rendre une ordonnance déclaratoire et, dans l'affirmative, si les défendeurs ont démontré qu'en l'espèce, les circonstances justifient la délivrance de pareille ordonnance.

Les faits


[3]                 La bande de la nation des Kwakiutl est une petite bande indienne située à Fort Rupert, sur l'île de Vancouver, près de Port Hardy (Colombie-Britannique). La demanderesse Rita Sundberg a dûment été élue au poste de chef, et les demandeurs Wilfred Hunt et Alexander Wilson ont été élus au poste de conseillers lors d'une élection générale qui a eu lieu le 12 novembre 1999. Leur mandat doit prendre fin le 9 novembre 2001. À ce moment-là, Thomas L. Nelson a également été élu au poste de conseiller, mais il a démissionné au mois de mai 2000. Le demandeur Rene Hunt a été élu au poste de conseiller lors d'une élection spéciale qui a été tenue le 16 juin 2000. Le demandeur David J. Hunt a été élu au poste de conseiller en même temps que les défendeurs Fred Anderson et Lucille Brotchie, lors d'une élection générale qui a eu lieu le 26 mai 2000. Leur mandat doit expirer le 10 mai 2002. Aucun appel n'a été interjeté au sujet de ces trois élections. Il n'est pas contesté que les élections générales du mois de novembre 1999 et du mois de mai 2000 et l'élection spéciale du mois de juin 2000 ont validement été tenues.

[4]                 Les discussions se rapportant à la création de la Kwakiutl Economic Development Corporation (la société de développement) ont eu lieu lors d'une assemblée générale des membres de la bande, au mois de novembre 1999.

[5]                 À la suite de l'assemblée générale des membres de la bande, le conseil de la bande a retenu les services d'un avocat afin de constituer en personne morale la société de développement en vertu des lois de la Colombie-Britannique. Lors de l'assemblée générale des membres de la bande, il a été convenu que les actions de la société de développement seraient détenues en trois parts égales par les membres de la bande et que ces actions seraient détenues en fiducie pour l'ensemble des membres de la bande. Il a été décidé qu'Alfred Dallas « Hutch » Hunt, Julia Annie Nelson et le chef Sundberg détiendraient en fiducie les actions de la société de développement au nom des membres de la bande.


[6]                 Le conseil d'administration de la société de développement est composé de trois personnes faisant partie du conseil de la bande, de trois personnes de la communauté et de deux personnes du monde des affaires. Les administrateurs actuels de la société de développement sont :

Anthony Peter Gill - représentant la communauté

Alfred Dallas Hunt - représentant la communauté

Helen Constance Wilson - représentant la communauté

James Cox - représentant le milieu d'affaires

Allan Okabe - représentant le milieu d'affaires

Alexander G. Wilson - représentant le conseil de la bande

Wilfred James Hunt - représentant le conseil de la bande

David J. Hunt - représentant le conseil de la bande

En sa qualité de chef de la bande de la nation des Kwakiutl, Rita Sundberg est membre d'office du conseil d'administration.

[7]                 Le 6 novembre 2000, une motion a été adoptée en vue d'empêcher la société de développement de continuer à exercer ses activités tant que certaines conditions ne seraient pas remplies. Selon la première condition, les conseillers en place devaient être destitués de leurs fonctions au sein de la société de développement. Selon une autre condition, les membres de la bande devaient décider qui ferait partie du conseil d'administration. Les membres de la bande ont été informés que les administrateurs ne pouvaient pas être destitués de leurs fonctions au moyen d'une motion des membres de la bande et que la motion n'était pas valide, mais que les administrateurs pouvaient être destitués de leurs fonctions par les actionnaires et qu'ils ne seraient pas réélus à l'assemblée générale annuelle suivante de la société de développement.


[8]                 Le 5 février 2001, une assemblée générale de la bande a été convoquée par le conseil de la bande. La motion de défiance concernant les demandeurs en leur qualité de chef et de conseillers a été faite, appuyée et adoptée. La motion de défiance était fondée sur le fait que le chef et le conseil n'avaient pas pris de mesures en vue de destituer de leurs fonctions les membres du conseil d'administration de la société de développement qui étaient en exercice tel qu'il était énoncé dans la motion qui avait été adoptée lors de l'assemblée du 6 novembre 2000. Les demandeurs soutiennent que la motion de défiance a été faite et appuyée après que l'assemblée générale de la bande eut perdu son quorum et eut été ajournée.

[9]                 Le 19 février 2001, le conseil de la bande a publié une note à l'intention des membres de la bande, en vue de les informer :

a) que la motion visant à la destitution des conseillers en fonction ou à leur démission avait été faite après que le quorum eut été perdu et qu'elle était donc irrégulière;

b) que la procédure qu'il convenait de suivre pour destituer les conseillers de leurs fonctions consistait à procéder à une élection régulière.


[10]            Les défendeurs Fred Anderson et Lucille Brotchie faisaient partie du conseil de la bande qui avait censément été « destitué » de ses fonctions lors de l'assemblée générale de la bande, le 5 février 2001, mais le 27 février 2001, ils se sont eux-mêmes désignés à titre de membres du conseil provisoire de la bande à l'exclusion et à la place du chef Sundberg et des autres conseillers. Ils ont délivré un avis de candidature le 2 mars 2001 en vue de convoquer tous les candidats à une réunion le 5 mars 2001 et de déclencher une élection générale le 12 mars 2001.

[11]            Le 12 mars 2001, les demandeurs ont informé les défendeurs qu'à leur avis, il n'y avait pas lieu de destituer le chef et les conseillers de leurs fonctions, que l'élection du 12 mars 2001 était nulle et non avenue et que le chef et les conseillers en exercice ne participeraient pas à l'élection du 12 mars 2001 et ne la reconnaîtraient pas.

[12]            Le 15 mars 2001, les demandeurs ont déposé un avis de demande en vue de solliciter le contrôle judiciaire de la décision des défendeurs Fred Anderson et Lucille Brotchie, tout en agissant censément à titre de conseil provisoire de la bande en vue de déclencher une élection aux fins de la nomination d'un nouveau chef et de nouveaux conseillers. La demanderesse, le chef Sundberg, a envoyé des lettres en date du 5 mars 2001 aux conseillers Lucille Brotchie et Fred Anderson, les destituant respectivement de leurs fonctions de membres du conseil de la bande.

[13]            Le 11 avril 2001, le chef Sundberg a envoyé 28 lettres d'expulsion par suite du non-paiement de loyers ou de versements hypothécaires. Les défendeurs affirment que ces avis d'expulsion avaient été envoyés par représailles parce qu'ils avaient participé à l'élection. Les défendeurs font également d'autres allégations à l'égard de l'inconduite du chef Sundberg.


Analyse

[14]            À mon avis, les défendeurs n'ont pas établi qu'un préjudice irréparable serait causé si le chef Sundberg et les conseillers demandeurs continuaient à exercer leurs fonctions. On a allégué la mauvaise gestion sans donner de détails à ce sujet, ainsi que la mauvaise conduite personnelle du chef. Toutefois, rien ne montre que les actifs de la bande aient été dissipés ou qu'il y ait eu détournement des fonds de la bande. Le conseil, sous la direction du chef Sundberg, a réduit le déficit de la bande de plusieurs centaines de milliers de dollars. Les chèques et les soldes sont en règle. La société de développement est gérée par un conseil d'administration. Le chef Sundberg est membre d'office et n'a pas le droit de vote. La société de développement fait préparer chaque année des états financiers vérifiés.

[15]            En outre, le 11 avril 2001, le ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien (le MAINC) a confirmé que, selon ses dossiers, les demandeurs étaient chef et conseillers en exercice et que l'élection qui avait eu lieu le 12 mars 2001, qui n'avait pas été déclenchée par le chef et le conseil en exercice, n'entraînait pas la destitution du chef et du conseil. Le MAINC ne traiterait donc qu'avec les demandeurs à titre de conseil inscrit au dossier. Si je destitue le chef et les conseillers de leurs fonctions, il n'y aura pas de conseil de la bande qui puisse traiter avec le MAINC et cela aurait probablement pour effet de désorganiser le financement assuré par le MAINC, puisque ce sont les demandeurs qui sont inscrits au dossier à titre de conseil de la bande. Les défendeurs ne subissent pas de préjudice irréparable.


[16]            La prépondérance des inconvénients favorise les demandeurs. Il est dans l'intérêt de la bande que l'élection spéciale visant à remplir les vacances ait lieu le vendredi 1er juin 2001, puisque, à l'heure actuelle, il y a quatre conseillers seulement et que les décisions du conseil de la bande doivent être approuvées par quatre conseillers. Chaque réunion du conseil exige la présence de tous les conseillers et toutes les décisions doivent être prises à l'unanimité. Lorsqu'il y a une vacance, que ce soit à la suite d'une démission ou d'une destitution, et qu'il reste plus de trois mois avant l'expiration du mandat, une élection spéciale est tenue afin de remplir les vacances pour le reste de la durée du mandat. La prépondérance des inconvénients favorise le maintien du statu quo tant qu'une nouvelle élection ne sera pas déclenchée, au mois de novembre, ou tant que la demande de contrôle judiciaire relative à la légitimité de l'élection qui a été tenue le 12 mars 2001 n'aura pas été entendue.

[17]            Il me semble que la présente affaire est visée par les remarques suivantes, tirées d'un passage du Canadian Encyclopaedic Digest (C.E.D.), lesquelles ont été approuvées par Monsieur le juge McNair dans la décision McIvor c. bande indienne de Sandy Bay, [1989] 1 C.N.L.R. 95, page 97 (C.F. 1re inst.), où le paragraphe 35 de 18 C.E.D. (West. 3rd), pages 78-29 [sic] a été cité :

[TRADUCTION] Une injonction interlocutoire, particulièrement lorsque les faits sont contestés, est un redressement draconien et la compétence l'accordant devrait être exercée avec prudence. Lorsqu'il existe des doutes sur les droits du demandeur, le tribunal devrait prendre en considération la répartition des inconvénients des parties et le caractère du préjudice que le défendeur subira si l'injonction est accordée et s'il gagne sa cause, ainsi que celui que pourrait subir le demandeur si l'injonction est refusée et s'il est finalement gagnant. Le demandeur doit démontrer que cette répartition des inconvénients est en sa faveur. Dans l'éventualité où les inconvénients semblent être divisés entre les parties, l'injonction sera rejetée.


Le juge McNair a ensuite dit ce qui suit, à la page 99 :

Quelle que soit la terminologie utilisée, le demandeur n'a pas du tout réussi, à mon avis, à satisfaire au fardeau qui lui incombe de démontrer que les inconvénients et le préjudice qu'il subirait probablement dans l'éventualité d'un refus de l'injonction interlocutoire sont plus grands que les inconvénients et le préjudice que les défendeurs subiraient si l'injonction est accordée.

[18]            En outre, aucun arrêt n'étaye la déclaration provisoire sollicitée par les défendeurs. Comme Monsieur le juge en chef adjoint Thurlow l'a dit dans la décision Richard V. Sankey c. ministre des Transports et Stanley E. Haskins, [1979] 1 C.F. 134 (1re inst.), à la page 2 :

À ma connaissance, aucun précédent ou règle de droit ne permet de rendre une décision provisoire qui, en fait, réaliserait intégralement le but de l'action principale sans qu'il y ait procès au fond. Si la demande était justifiée ou justifiable, la Cour pourrait à la rigueur intervenir dans ce cas pour rendre une injonction destinée à maintenir le status quo jusqu'à ce que le principal soit jugé, mais elle ne pourrait certainement pas statuer par voie de déclaration provisoire d'un droit. Le fait que la demande originaire serait probablement accueillie pourrait persuader la Cour à rendre une injonction, sans qu'elle préjuge le principal, que ce soit provisoirement ou définitivement.

Je souscris à l'avis selon lequel le statu quo devrait être maintenu en l'espèce; il s'agit d'une raison de plus pour refuser d'accorder l'injonction.

[19]            Il ne s'agit pas ici d'un cas comme celui qui s'est produit dans l'affaire Joe c. John [1991] 3 C.N.L.R. 63, où la Cour a rendu une ordonnance au sujet de l'accès par une partie aux fonds de la bande, compte tenu de ce qui était au mieux des intérêts de la bande. En l'espèce, les frais juridiques représentent le cinquième du montant qui était en cause dans l'affaire Joe c. John, précitée. En outre, le MAINC reconnaît les demandeurs à titre de chef et de conseillers inscrits au dossier.


[20]            Étant donné qu'un grand nombre des questions qui sont soulevées en l'espèce se poseront dans le cadre de la demande de contrôle judiciaire, j'ai tenté dans la mesure du possible d'éviter de faire des remarques sur des allégations et sur des moyens de défense précis.

[21]            À mon avis, la demande de contrôle judiciaire qui a été présentée par les demandeurs le 15 mars 2001 devrait être entendue à bref délai, la présente demande continuant à être traitée à titre d'instance à gestion spéciale. Les requêtes visant à l'obtention d'injonctions interlocutoires sont rejetées et la requête visant à l'obtention d'une ordonnance déclaratoire est également rejetée. Les dépens sont adjugés aux demandeurs (les défendeurs dans la présente requête).

« William P. McKeown »

Juge

Vancouver (Colombie-Britannique)

le 30 mai 2001

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, LL.L., Trad.a.


COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

NO DU DOSSIER :T-462-01

INTITULÉ DE LA CAUSE :Rita Sundberg et autres

c.

Fred Anderson et autres

LIEU DE L'AUDIENCE :Vancouver (Colombie-Britannique)

DATE DE L'AUDIENCE :le 28 mai 2001

MOTIFS DE L'ORDONNANCE PAR : Monsieur le juge McKeown

DATE DES MOTIFS :                         le 30 mai 2001

ONT COMPARU

Elizabeth Liu                          POUR LES DEMANDEURS

Jeffrey Jones                          POUR LES DÉFENDEURS

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

Basham Thompson & Liu                          POUR LES DEMANDEURS

Vancouver (Colombie-Britannique)

Jones Seaborn & Company                          POUR LES DÉFENDEURS

Port Hardy (Colombie-Britannique)

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