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Date : 20000908


Dossier : T-994-00



ENTRE :

     WARNER-LAMBERT CANADA INC.

     et WARNER-LAMBERT COMPANY,

     demanderesses,

     - et -

     LE MINISTRE DE LA SANTÉ,

     défendeur.

    

     MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE



LE JUGE HENEGHAN


[1]          Apotex Inc. souhaite participer à la demande de contrôle judiciaire présentée par Warner-Lambert Canada Inc. (W-L Canada) et Warner-Lambert Company (W-L Company) contre le ministre de la Santé (le ministre). Apotex Inc. a déposé un avis de requête tendant à obtenir une ordonnance la constituant comme partie à l'instance selon les alinéas 104(1)b) et 303(1)a) des Règles de la Cour fédérale (1998) (les Règles) ou, à titre subsidiaire, lui permettant d'intervenir selon le paragraphe 109(1) des Règles.

[2]          W-L Canada et W-L Company ont demandé le contrôle judiciaire d'une décision du ministre, en date du 24 mai 2000, fondée sur le paragraphe 3(1) du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité), DORS/93-133 modifié (le Règlement). Dans cette décision, le ministre a décidé :

     1)      que la liste de brevets du brevet canadien n1297023 (le brevet 023) et du brevet canadien n1297024 (le brevet 024), présentée par la demanderesse W-L Canada avec une présentation supplémentaire de drogue nouvelle (PSDN), ne sera pas ajoutée au registre des brevets tenu par le ministre en application du paragraphe 3(1) du Règlement;
     2)      que les brevets 023 et 024 seront retirés du registre des brevets à l'égard des comprimés oraux de 5, 10, 20 et 40 mg de chlorhydrate de quinapril et des comprimés oraux de 10/12,5 mg, 20/12,5 mg et 20/25 mg de chlorhydrate/hydrochlorothiazide de quinapril de W-L Canada.

[3]          Par leur demande de contrôle judiciaire, les demanderesses cherchent à obtenir le redressement suivant :

     1)      une déclaration que le ministre a erré en droit en rendant sa décision;
     2)      une ordonnance annulant la décision;
     3)      une ordonnance interdisant au ministre de retirer les brevets 023 et 024 du registre des brevets à l'égard des comprimés oraux de 5, 10, 20 et 40 mg de chlorhydrate de quinapril et des comprimés oraux de 10/12,5 mg, 20/12,5 mg et 20/25 mg de chlorhydrate/hydrochlorothiazide de quinapril de W-L Canada;
     4)      à titre subsidiaire, au lieu de l'ordonnance prévue en 3), si à la date du jugement sur la présente demande les brevets 023 et 024 avaient été retirés du registre des brevets à l'égard des comprimés oraux de 5, 10, 20 et 40 mg de chlorhydrate de quinapril et des comprimés oraux de 10/12,5 mg, 20/12,5 mg et 20/25 mg de chlorhydrate/hydrochlorothiazide de quinapril de W-L Canada, une ordonnance enjoignant au ministre de rétablir les brevets 023 et 024 dans le registre des brevets à l'égard de ces produits;
     5)      une ordonnance enjoignant au ministre, sur délivrance d'un avis de conformité à l'égard de la PSDN, d'ajouter au registre des brevets la liste de brevets pour les brevets 023 et 024 présentée avec la PSDN;
     6)      une suspension provisoire, en vertu de l'article 18.2 de la Loi sur la Cour fédérale, de la décision du ministre de retirer les brevets 023 et 024 du registre des brevets à l'égard des comprimés oraux de 5, 10, 20 et 40 mg de chlorhydrate de quinapril et des comprimés oraux de 10/12,5 mg, 20/12,5 mg et 20/25 mg de chlorhydrate/hydrochlorothiazide de quinapril de W-L Canada;
     7)      les dépens de la présente demande;
     8)      toute autre ordonnance que l'honorable Cour jugera appropriée.

[4]          Apotex est une société ontarienne qui fabrique des produits pharmaceutiques génériques. Elle est une concurrente des demanderesses. Elle prétend avoir un intérêt direct dans la décision du ministre au sujet des brevets de W-L Canada et être directement touchée par cette décision. Les brevets de W-L Canada portent sur des comprimés oraux de chlorhydrate de quinapril et de chlorhydrate/hydrochlorothiazide de quinapril. Apotex soutient avoir un intérêt fondamental dans la décision du ministre au sujet de ces brevets, parce qu'elle est en voie de développer une version générique de chlorhydrate de quinapril au sujet de laquelle elle déposera, dans un proche avenir, une présentation abrégée de drogue nouvelle (PADN) en vue d'obtenir un avis de conformité relatif à son produit, l'Apo-quinapril. Apotex dit que, dans sa PADN, elle comparera son produit au quinapril actuellement vendu par W-L Canada sous le nom commercial Accupril.

[5]          Si on lui permet de participer à la demande de contrôle judiciaire, Apotex a l'intention de s'opposer à la demande, en d'autres termes d'appuyer la position du ministre.

[6]          La requête présentée par Apotex en vue de participer à l'instance comporte des conséquences pratiques. D'abord, si W-L Canada ne réussit pas à faire inscrire les brevets 023 et 024 au registre des brevets, Apotex a la voie libre en vue d'entreprendre la production de sa version de chlorhydrate de quinapril et n'aurait pas à se conformer aux paragraphes 5(1) et (3) du Règlement au sujet de ce médicament.

[7]          La participation d'Apotex à l'instance présente une autre conséquence pratique. Si elle est constituée comme partie, Apotex aura accès à tous les documents et à toute l'information qui sont couverts par l'ordonnance de non-divulgation prononcée le 23 juin 2000.

[8]          W-L Canada et W-L Company s'opposent à la requête présentée par Apotex. Les demanderesses soutiennent qu'Apotex définit de manière inexacte la question à trancher dans la demande de contrôle judiciaire. Les demanderesses font valoir que la question à trancher dans la demande de contrôle judiciaire est une question d'interprétation des lois, à savoir le sens des paragraphes 4(1), 4(2) et 4(7) du Règlement. Les demanderesses soutiennent qu'Apotex n'a pas indiqué pourquoi il serait nécessaire qu'elle soit partie à l'instance, ni défini ce qu'elle peut apporter à la demande de contrôle judiciaire que ne sauraient apporter les parties elles-mêmes, soit W-L Canada, W-L Company et le ministre. En outre, elles plaident qu'Apotex n'a pas d'intérêt propre lui permettant de présenter la demande de contrôle judiciaire et ne devrait donc être constituée comme partie.

[9]          Les demanderesses s'opposent également à la requête en intervention d'Apotex. Elles invoquent la règle 109 et font valoir qu'Apotex n'a pas indiqué les éléments de preuve ou les arguments qu'elle présenterait à l'audience sur la demande de contrôle judiciaire. Selon les demanderesses, les parties actuelles, notamment le ministre, ont déposé suffisamment d'éléments de preuve par affidavit pour établir les faits sur le fondement desquels il est possible de juger la demande de contrôle judiciaire. Selon les affidavits déposés par W-L Canada et W-L Company à propos de l'avis de requête, les demanderesses et le défendeur ont convenu qu'il n'y aura pas de contre-interrogatoire sur les affidavits déposés jusqu'à maintenant et qu'ils sont prêts à procéder à l'instruction de la demande de contrôle judiciaire conformément aux Règles.

[10]          Apotex soutient qu'il est nécessaire qu'elle soit partie à l'instance parce qu'elle présentera une position différente de celle des parties et une position moins neutre que la position qui sera, peut-on prévoir, prise par le ministre.

[11]          Apotex présente sa requête selon les alinéas 104(1)b) et 303(1)a) et selon le paragraphe 109(1) des Règles. L'alinéa 104(1)b) pose la règle générale sur la jonction de parties et l'alinéa 303(1)a) traite des parties à la demande. Ces règles sont ainsi conçues :

104. (1) At any time, the Court may :

[...]

(b) order that a person who ought to have been joined as a party or whose presence before the Court is necessary to ensure that all matters in dispute in the proceeding may be effectually and completely determined be added as a party, but no person shall be added as a plaintiff or applicant without his or her consent, signified in writing or in such other manner as the Court may order.

104. (1) La Cour peut, à tout moment, ordonner :


[...]

b) que soit constituée comme partie à l'instance toute personne qui aurait dû l'être ou dont la présence devant la Cour est nécessaire pour assurer une instruction complète et le règlement des questions en litige dans l'instance; toutefois, nul ne peut être constitué codemandeur sans son consentement, lequel est notifié par écrit ou de telle autre manière que la Cour ordonne.

303. (1) Subject to subsection (2),an applicant shall name as arespondent every person

(a) directly affected by the order sought in the application, other than a tribunal in respect of which the application is brought; or

303. (1) Sous réserve du paragraphe (2), le demandeur désigne à titre de défendeur :

a) toute personne directement touchée par l'ordonnance recherchée, autre que l'office fédéral visé par la demande;

[12]          L'alinéa 104(1)b) pose la règle que toute personne dont la présence est nécessaire pour assurer une instruction complète et le règlement des questions en litige doit être constituée comme partie à l'instance. Il ne suffit pas qu'une personne puisse simplement présenter des éléments de preuve pertinents; voir Stevens c. Canada (Commissaire, Commission d'enquête) [1998] 4 C.F. 125. Apotex n'a pas démontré que sa présence est nécessaire pour assurer une instruction complète et le règlement des questions en litige entre les demanderesses et le ministre.

[13]          L'alinéa 303(1)a) des Règles dispose que le demandeur dans une instance de contrôle judiciaire doit désigner à titre de défendeur toute personne « directement touchée » par l'ordonnance recherchée. Toutefois, la présente demande de contrôle judiciaire est présentée sous la forme d'une question d'interprétation de certaines dispositions réglementaires prises en compte par le ministre dans une décision touchant les droits du titulaire actuel du brevet, soit W-L Company.

[14]          À mon avis, Apotex n'est pas « directement touchée » par la présente demande de contrôle judiciaire à un degré plus grand que tout autre fabricant de produits pharmaceutiques. La requête visant à obtenir une ordonnance constituant Apotex comme partie à la demande de contrôle judiciaire est donc rejetée.

[15]          Je passe maintenant à la requête présentée par Apotex en vue d'intervenir à l'instance, sur le fondement du paragraphe 109(1) des Règles, ainsi conçu :

109. (1) The Court may, on motion, grant leave to any person to intervene in a proceeding.

109. (1) La Cour peut, sur requête, autoriser toute personne à intervenir dans une instance.

[16]          Apotex n'a pas établi qu'elle a un intérêt actuel dans l'instance. D'après la preuve présentée, Apotex n'a pas encore pris de mesures en vue d'obtenir un avis de conformité au sujet du produit pharmaceutique qu'elle se propose de fabriquer. L'affidavit de M. Bernard Sherman expose, au paragraphe 9 :

[traduction] 9. Apotex est en voie de développer une version générique du chlorhydrate de quinapril. À ce propos, Apotex déposera, dans un proche avenir, une présentation abrégée de nouvelle drogue (PADN) auprès du ministre en vue d'obtenir un avis de conformité concernant son produit Apo-Quinapril et, dans sa PADN, comparera son produit au produit de quinapril actuellement vendu par Warner-Lambert sous le nom commercial Accupril.

[17]          Cet extrait de l'affidavit de M. Sherman exprime l'intention actuelle d'accomplir un acte dans l'avenir. Si Apotex accomplit effectivement les actes indiqués dans ce paragraphe, la situation en ce qui concerne son intérêt peut changer, mais à l'heure actuelle et en fonction de la preuve présentée, je ne suis pas persuadée qu'Apotex possède un intérêt dans l'instance suffisant pour qu'elle doive être constituée comme partie.

[18]          Dans Apotex Inc. c. Canada (Ministre de la Santé) [2000] A.C.F. n248, Madame le juge McGillis a fait un examen approfondi des questions qu'il faut considérer sur une requête en intervention. Voici la position qu'elle expose au paragraphe 11 :

Bref, lorsqu'une requête en intervention est présentée en vertu de la règle_109, il s'agit de savoir si la participation de la personne qui désire intervenir aidera la Cour à déterminer une question de fait et de droit se rapportant à l'instance. Étant donné le changement d'orientation manifesté par le libellé de la règle_109 des Règles de la Cour fédérale (1998), il convient de faire preuve de prudence à l'égard de l'approche adoptée dans la jurisprudence en ce qui concerne les interventions fondées sur les diverses dispositions des anciennes Règles de la Cour fédérale. Toutefois, certains facteurs énoncés dans les décisions antérieures sont encore pertinents dans une requête en intervention fondée sur la règle 109, lorsqu'il s'agit de déterminer si la participation de l'intervenant éventuel aidera la Cour à trancher une question de fait et de droit se rapportant à l'instance. Ainsi, la Cour peut entre autres choses tenir compte de la nature de la preuve qui serait présentée et de la capacité des parties existantes de soumettre tous les éléments de preuve pertinents ou de faire valoir d'une façon adéquate la position de l'intervenant éventuel et elle doit se demander si elle peut instruire l'affaire au fond sans l'aide de l'intervenant.

[19]          Apotex n'a pas fourni de précisions sur le type de preuve ou la nature des arguments juridiques qu'elle présenterait si sa requête en intervention était accueillie. À mon avis, Apotex n'a pas satisfait aux exigences du paragraphe 109(1) des Règles.

[20]          Compte tenu de ces facteurs, je refuse d'autoriser Apotex à intervenir dans l'instance et la requête d'Apotex est rejetée avec dépens.




ELIZABETH HENEGHAN

J.C.F.C.


Traduction certifiée conforme

_____________________________

Richard Jacques, LL. L.

COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE


AVOCATS ET AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


NDU DOSSIER :              T-994-00
INTITULÉ DE LA CAUSE :          WARNER-LAMBERT CANADA INC.

                     et WARNER-LAMBERT COMPANY

                     c. LE MINISTRE DE LA SANTÉ

LIEU DE L'AUDIENCE :          Toronto (Ontario)
DATE DE L'AUDIENCE :          le 28 août 2000

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE DE MADAME LE JUGE HENEGHAN

EN DATE DU :              8 septembre 2000

ONT COMPARU :

John L. Finlay

Conor D.M. McCourt                  pour la demanderesse
aucune comparution                  pour le défendeur
Andrew R. Brodkin                  pour le défendeur proposé

AVOCATS AU DOSSIER :

Arvay Finlay

Victoria (Colombie-Britannique)

Donahue, Ernst & Young

Toronto (Ontario)                  pour la demanderesse

Morris Rosenberg

Sous-procureur général du Canada         
Ottawa (Ontario)                  pour le défendeur

Goodman, Phillips & Vineberg

Toronto (Ontario)                  pour le défendeur proposé
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