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Date : 20010601

Dossier : T-1124-99

Référence neutre : 2001 CFPI 575

ENTRE :

                                    ANDRÉS WINES LTD.

                                                                                          demanderesse

                                                    - et -

                              VINA CONCHA Y TORO S.A.

                                                                                           défenderesse

                          MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE DUBÉ

[1]    La demande présentée en l'espèce par Andrés Wines Ltd. (Andrés) vise à obtenir, en vertu de l'article 57 de la Loi sur les marques de commerce[1] (la Loi), une ordonnance portant que l'enregistrement no TMA474,731 de la marque de commerce « TRIO » utilisée par Vina Concha Y Toro S.A. (Vina) en liaison avec des vins est radié du registre des marques de commerce.


[2]                 Andrés est propriétaire de la marque de la marque de commerce « TRIUS » et de l'enregistrement TMA404,905 en date du 13 novembre 1992. Elle affirme qu'elle-même et ses prédécesseurs en titre, Underberg (Canada) Inc. et Hillebrand Estates Winery Limited, ont employé sa marque de commerce au Canada en liaison avec du vin depuis au moins 1991. Vina a déposé sa demande d'enregistrement de la marque de commerce « TRIO » le 17 mai 1995, revendiquant comme date de priorité le 23 mars 1995.

[3]                 D'entrée de jeu, il convient de souligner qu'Andrés ne s'est pas opposée à la demande d'enregistrement de la marque de commerce « TRIO » présentée par Vina et que ses avocats n'ont fourni aucune explication à cette omission.

1. Questions en litige

[4]                 Deux questions essentielles sont en litige dans la présente demande. Il s'agit premièrement de déterminer si Andrés est une « personne intéressée » au sens de l'article 57 de la Loi et deuxièmement, si la marque de commerce « TRIO » crée de la confusion avec la marque de commerce « TRIUS » .

2. Andrés est-elle une personne intéressée?

[5]                 L'article 57 de la Loi prévoit qu'une personne intéressée peut demander la radiation d'un enregistrement et l'article 2, qui contient les définitions de la Loi, définit ce qu'on entend par « personne intéressée » :

« personne intéressée » Sont assimilés à une personne intéressée le procureur général du Canada et quiconque est atteint ou a des motifs valables d'appréhender qu'il sera atteint par une inscription dans le registre, ou par tout acte ou omission, ou tout acte ou omission projeté, sous le régime ou à l'encontre de la présente loi.


[6]                 Les sociétés Andrés et Vina vendent du vin au Canada et, par conséquent, exercent leurs activités dans le même domaine commercial. Andrés prétend qu'elle est atteinte par l'inscription de la marque de commerce « TRIO » dans le registre des marques de commerce parce qu'elle a pour effet d'affaiblir la protection accordée à sa propre marque de commerce « TRIUS » et qu'elle créera de la confusion dans l'esprit des consommateurs de vin au Canada, si ce n'est pas déjà fait.

[7]                 Vina allègue pour sa part qu'Andrés n'a produit aucune preuve qu'il y a confusion dans l'esprit des consommateurs, que la preuve produite ne permet même pas de penser qu'une telle confusion est vraisemblable et qu'Andrés n'a pris aucune mesure pour l'empêcher d'utiliser sa marque de commerce « TRIO » en liaison avec des vins : par conséquent, l'enregistrement de « TRIO » n'a aucune incidence sur les droits d'Andrés en ce qui a trait à l'emploi de l'étiquette « TRIUS » dans le marché. La radiation de l'enregistrement de la marque de commerce « TRIO » de Vina repose donc uniquement sur la question de savoir si cette marque de commerce crée de la confusion avec la marque « TRIUS » employée par Andrés.

[8]                 Il est bien connu en droit que l'enregistrement d'une marque de commerce confère certains droits et avantages à son propriétaire, et notamment qu'il constitue la preuve prima facie des droits afférents à la marque de commerce et de la propriété de celle­-ci. C'est pourquoi lorsqu'une marque de commerce est enregistrée, elle est présumée valide et il incombe à la partie qui cherche à faire radier l'enregistrement de prouver son invalidité. S'il existe des doutes quant à la validité de l'enregistrement d'une marque de commerce, la présomption de validité n'est pas réfutée et il faut conclure à la validité de l'enregistrement de la marque de commerce[2].

3. Risque raisonnable de confusion


[9]                 Le paragraphe 6(2) de la Loi définit ce que l'on entend par une marque de commerce créant de la confusion. Il prévoit que l'emploi d'une marque de commerce crée de la confusion avec une autre marque de commerce lorsque l'emploi des deux marques de commerce dans la même région serait susceptible de faire conclure que les marchandises liées à ces marques de commerce sont fabriquées, vendues, données à bail ou louées par la même personne. Le critère applicable est celui de la première impression dans l'esprit d'un consommateur ordinaire[3]. Le paragraphe 6(5) de la Loi précise qu'il faut tenir compte de « toutes les circonstances de l'espèce » pour décider si des marques de commerce créent de la confusion. Ce paragraphe est ainsi libellé :

Éléments d'appréciation                                    

6. (5) En décidant si des marques de commerce ou des noms commerciaux créent de la confusion, le tribunal ou le registraire, selon le cas, tient compte de toutes les circonstances de l'espèce, y compris :                                                                                                                                                                                                                                       a)     le caractère distinctif inhérent des marques de commerce ou noms commerciaux, et la mesure dans laquelle ils sont devenus connus;

                  b)      la période pendant laquelle les marques de commerce ou noms commerciaux ont été en usage;

c)      le genre de marchandises, services ou entreprises;

                        d)       la nature du commerce;

e)      le degré de ressemblance entre les marques de commerce ou les noms commerciaux dans la présentation ou le son, ou dans les idées qu'ils suggèrent.

[10]                         Il faut donc tenir compte de toutes les circonstances de l'espèce à la lumière de ces cinq éléments.

a) Le caractère distinctif inhérent des marques de commerce et la mesure dans laquelle elles sont devenues connues


[11]                         La marque de commerce « TRIUS » est un mot inventé sans signification précise, et est donc une marque forte, tandis que la marque de commerce « TRIO » a divers sens, notamment en musique où ce mot s'entend d'un ensemble musical formé de trois instruments ou de trois voix; il a également d'autres sens dérivés, liés au chiffre trois. Cet élément joue en faveur de « TRIUS » .

b. La période pendant laquelle la marque a été en usage

[12]                         La marque « TRIUS » est employée au Canada depuis 1991 tandis que la marque « TRIO » est plus récente, datant de 1996. Cet élément joue encore une fois en faveur de « TRIUS » .

c) Le genre de marchandises et d) la nature du commerce

[13]                         Les marchandises visées dans les deux cas sont des vins. « TRIUS » est un vin canadien et « TRIO » un vin chilien. Les vins « TRIUS » ne sont vendus qu'en Ontario. Les vins « TRIO » sont vendus partout au Canada. En Ontario, le vin « TRIO » est vendu exclusivement dans les magasins de vins VINTAGES ou dans les sections des vins VINTAGES de la Régie des alcools de l'Ontario (RAO). Par ailleurs, le vin « TRIUS » est vendu dans les propres magasins d'Andrés (où les vins « TRIO » ne sont pas offerts) ou se retrouve dans les sections des magasins de la RAO ne comprenant que des vins ontariens.


[14]                         La preuve établit clairement que la nature du commerce des vins au Canada est telle que l'origine géographique du vin joue un rôle important dans la manière dont il est vendu et celle dont il est choisi par les consommateurs. Outre le prix de la bouteille, le premier facteur dont un consommateur tient compte est le pays ou la région d'où provient le vin. Le vin « TRIUS » provient de la péninsule du Niagara en Ontario et les consommateurs canadiens trouvent les vins « TRIO » dans la section Chili des vins importés. Tant le genre de marchandises que la nature du commerce jouent fortement en faveur de la marque de commerce « TRIO » .

e) Le degré de ressemblance

[15]                         Il est évident que la première partie, la première syllabe, d'une marque de commerce est l'élément dominant[4]. Il y a clairement une certaine ressemblance entre « TRIO » et « TRIUS » , les trois premières lettres étant identiques. « TRIO » est un mot connu en anglais, ayant un sens précis et une prononciation spécifique, savoir « TREE-O » . Par contre, « TRIUS » est un mot inventé et n'a aucun sens connu ni aucune prononciation clairement établie. En effet, « TRIUS » pourrait vraisemblablement se prononcer « TRY-US » , comme on l'a suggéré dans un article sur les vins publié dans un journal produit en preuve, ou « TREE-US » comme l'a proposé Andrés.

[16]                         Pour ce qui est de sa présentation, le mot « TRIUS » figure en lettres cursives sur l'étiquette principale, le « T » étant stylisé et accompagné du dessin stylisé d'une fleur ou du visage d'une femme. L'étiquette indique en outre clairement que le vin est fabriqué par Hillebrand Estates et provient de la péninsule du Niagara, en Ontario.

[17]                         De plus, la preuve relative à la marque de commerce « TRIO » établit qu'il s'agit d'une allusion aux trois types de vins vendus en liaison avec la marque de commerce, aux trois vallées dont provient le vin et aux trois principaux éléments du vin, savoir le climat, le sol et le fabricant de vin. Une image des trois vallées (Maipo, Rapel et Casablanca) figure sur les étiquettes de « TRIO » .


[18]                         Ainsi, au mieux, le degré de ressemblance est minime.

f) Autres circonstances de l'espèce

[19]                         La preuve établit que le vin « TRIUS » est vendu uniquement en Ontario tandis que le vin « TRIO » est vendu partout au Canada. En pratique, tous les articles produits en preuve portent une mention indiquant que « TRIUS » provient de l'Ontario et/ou du Canada, et que le vin « TRIO » provient du Chili. L'industrie des vins domestiques canadiens et l'industrie des vins d'importation fonctionnent selon deux régimes distincts, et ont peu d'interaction. En particulier, les festivals et les présentations de vin au cours desquels on fait la promotion du vin « TRIO » se limitent habituellement aux vins importés. On n'y fait pas la promotion du vin « TRIUS » . De plus, les vins montrés lors des festivals et présentations qui comportent à la fois des vins domestiques et des vins importés sont séparés par pays ou par région.

[20]                         Par conséquent, il est peu probable qu'un vin chilien ou un vin canadien soit offert aux consommateurs dans la même partie d'un magasin, d'un même festival ou d'une même présentation de vins et encore moins, qu'ils se retrouvent côte à côte sur les mêmes tablettes.

[21]                         La preuve indique en outre que les vins « TRIUS » et « TRIO » sont des vins coûteux et habituellement, le consommateur canadien portera une attention plus particulière dans ses choix, ce qui réduit tout risque de confusion.


[22]                         Outre les marques de commerce « TRIUS » et « TRIO » , il existe sept autres marques de commerce déposées pour des vins qui commencent par la syllabe « TRI » et aucune preuve de confusion n'a été soumise à la Cour. Certes, il n'y avait aucune obligation de produire une telle preuve, mais la confusion réelle est certainement plus déterminante que la simple possibilité de confusion.

4. Dispositif

[23]                         Par conséquent, étant donné qu'il n'y a aucun risque raisonnable de confusion, la demande de radiation doit être rejetée. À l'audience, l'avocat de Vina a en outre fait valoir qu'Andrés n'a pas invoqué l'enregistrement de sa propre marque de commerce mais uniquement son emploi pour demander la radiation de la marque de commerce de Vina. Toutefois, étant donné que j'ai conclu qu'il n'y a aucun risque raisonnable de confusion entre les deux marques, il n'est pas nécessaire de trancher cette question.

[24]                         La demande est rejetée avec dépens.

OTTAWA (Ontario)

1er juin 2001

                                                                                                             Juge                          

Traduction certifiée conforme

Suzanne Bolduc, LL.B.


                          COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                     SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

                       AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                 T-1124-99

INTITULÉ DE LA CAUSE :                          Andrés Wines Ltd. c. Vina Concha Y Toro S.A.

LIEU DE L'AUDIENCE :                                Ottawa (Ontario)

DATE DE L'AUDIENCE :                              28 mai 2001

MOTIFS DE L'ORDONNANCE de Monsieur le juge Dubé

DATE DES MOTIFS :                                     1er juin 2001

ONT COMPARU :

Mitchell B. Charness et                                        POUR LA DEMANDERESSE

Theresa Roy

Steven B. Garland et    POUR LA DÉFENDERESSE

Kevin K. Graham                                                

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Ridout & Maybee        POUR LA DEMANDERESSE

Ottawa (Ontario)                                                 

Smart & Biggar            POUR LA DÉFENDERESSE

Ottawa (Ontario)        


Date : 20010601

Dossier : T-1124-99

OTTAWA (ONTARIO), LE 1er JUIN 2001

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE J.E. DUBÉ

ENTRE :

ANDRÉS WINES LTD.

                                                                                          demanderesse

                                                    - et -

                              VINA CONCHA Y TORO S.A.

                                                                                           défenderesse

                                           ORDONNANCE

La demande est rejetée avec dépens.

                                                                                                                                                                   

                                                                                                             Juge                

Traduction certifiée conforme

Suzanne Bolduc, LL.B.



[1]            L.R.C. (1985), ch. T-13.

[2]            Mr. P's Mastertune Ignition Services Ltd. c. Tune Masters (1984), 82 C.P.R. (2d) 128, à la p. 134 (C.F. 1re inst.)

[3]            Miss Universe, Inc. c. Bohna, [1995] 1 C.F. 614, aux p. 621 et 622 (C.A.F.).

[4]            Conde Nast Publications Inc. c. Union des Éditions Modernes (1979), 46 C.P.R. (2d) 183 (C.F. 1re inst.).

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