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                                                                 Date : 20020104

                                                   Dossier : IMM-5458-00

                                          Référence neutre : 2002 CFPI 8

Ottawa (Ontario), le 4 janvier 2002

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE BLANCHARD

ENTRE :

                        MOHAMED IBRAHIM SHERIFF

                                                                demandeur

                                  - et -

            MINISTRE DE LA CITOYENNETÉET DE L'IMMIGRATION

                                                                défendeur

                    MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]              Le demandeur, M. Mohamed Ibrahim Sheriff, est un citoyen de la Sierra Leone âgé de 38 ans qui vit actuellement à Bo, avec sa femme et ses trois filles. Il compte 16 années d'études proprement dites et vient d'obtenir un diplôme de maîtrise en génie de l'Université McGill, à Montréal.

[2]                 Le demandeur sollicite le contrôle judiciaire d'une décision défavorable de la Section du statut de réfugié de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la SSR), datée du 20 septembre 2000. Il fonde sa revendication du statut de réfugié sur sa crainte des rebelles en Sierra Leone et sur l'incapacité du gouvernement de mettre un terme à la guerre civile qui fait rage dans le pays.


[3]                 Dans son témoignage, le demandeur affirme que sa famille et lui ont été forcés à déménager en raison des menaces que faisaient peser sur eux les attaques et les combats opposant les rebelles et les forces gouvernementales. La violence a fait des victimes parmi les parents du revendicateur. Son domicile et son bureau ont été détruits. Son épouse a été obligée de quitter son domicile à Bo en raison des combats. Sa maison a par la suite été pillée. Le demandeur a vu des soldats tuer des civils à la suite d'altercations à des postes de contrôle.

[4]                 La preuve documentaire expose la situation tragique au Sierra Leone : des civils sont torturés et mutilés par des rebelles et d'autres militants, dont certains viennent de l'extérieur du pays. Il s'agit, décrit-on, d'une guerre de terreur contre des civils qui dure depuis plus de 8 ans.

[5]                 En janvier 1997, le demandeur a quitté la Sierra Leone pour venir au Canada après avoir obtenu une bourse du Commonwealth pour suivre des études à l'Université McGill. Il a revendiqué le statut de réfugié, à partir du Canada, plus de deux ans plus tard, soit en juin 1999. Il craint de rentrer chez lui en raison de la situation incertaine qu'il retrouverait et du risque qu'une nouvelle guerre éclate.

[6]                 Dans ses motifs, la SSR a conclu que le témoignage du revendicateur a été spontané et dénué de contradictions. Elle a également conclu que le demandeur n'a pas réussi à prouver qu'il craignait avec raison d'être persécuté pour des motifs prévus par la Convention.


[7]                 Le principal argument du demandeur est que la SSR a commis une erreur en concluant qu'il y avait une guerre civile en Sierra Leone. Le demandeur soutient que la situation en Sierra Leone devrait être qualifiée non pas de conflit entre citoyens, mais bien de [TRADUCTION] « guerre que se livrent différentes forces de divers pays sur le territoire de la Sierra Leone » . Le demandeur prétend que la SSR a donc commis une erreur en appliquant les directives données par la présidente en application du paragraphe 65(3) de la Loi sur l'immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2, et intitulées Civils non combattants qui craignent d'être persécutés dans des situations de guerre civile.

[8]                 Il y a clairement une situation tragique de guerre ou de conflit armé en Sierra Leone. Il n'est pas important à mon avis de déterminer s'il s'agit d'un conflit interne ou d'un conflit mettant en cause des forces étrangères, d'une guerre civile ou d'une guerre entre nations. J'accepte l'affirmation du défendeur selon laquelle, indépendamment de l'identité des combattants ou des objectifs qu'ils poursuivent, les revendicateurs, pour obtenir le statut de réfugié, doivent établir qu'ils craignent d'être persécuté pour des motifs prévus dans la Convention.

[9]                 En conséquence, la seule question litigieuse dans la présente demande de contrôle judiciaire est de savoir si la SSR a commis une erreur en concluant que le demandeur n'a pas établi qu'il avait été persécuté pour un des cinq motifs prévus dans la Convention et énoncés au paragraphe 2(1) de la Loi sur l'immigration.


[10]            Dans sa jurisprudence, la Cour accepte généralement que la norme de contrôle applicable aux décisions de la SSR est celle de la décision manifestement déraisonnable. [Conkova c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2000] A.C.F. no 300, page 2, au paragraphe 5].

[11]            Le défendeur soutient qu'il y a un conflit armé en Sierra Leone, que le demandeur n'était pas tenu d'établir que sa crainte était celle de tous les citoyens victimes du conflit armé et qu'il devait plutôt montrer que sa crainte pouvait être liée à un motif prévu par la Convention. Le défendeur affirme que le demandeur n'a pas établi devant la Commission un lien avec un motif prévu par la Convention.

[12]            Le demandeur prétend qu'il a établi l'existence d'un lien avec un motif prévu par la Convention parce qu'en tant que citoyen de la Sierra Leone, il a une crainte fondée de persécution du fait de sa nationalité.

[13]            Dans l'arrêt Rizhallah c. M.E.I. (1992), 156 N.R. 1, le juge MacGuigan de la Cour d'appel fédérale a déclaré que tous les revendicateurs du statut de réfugié doivent établir l'existence d'une crainte fondée de persécution pour un motif prévu par la Convention. Il a écrit : « [...] Dans les motifs de la décision qu'elle a rendue en l'espèce, la Section du statut de réfugié n'a traité qu'un seul aspect de la question, à savoir la persécution personnelle. Toutefois, la preuve qui nous a été présentée ne permet pas d'établir que les Chrétiens du village libanais des demandeurs étaient collectivement persécutés d'une manière qui pourrait les distinguer de l'ensemble des victimes de la terrible guerre civile que se livrent les nombreuses parties » .


[14]            Dans l'arrêt Salibian c. M.E.I., [1990] 3 C.F. 250 (C.A.F.), le juge Décary a examiné les décisions antérieures de la Cour et en a tiré un certain nombre de principes applicables aux revendications du statut de réfugié. Il a établi un de ces principes à la page 258 de ses motifs :

[u]ne situation de guerre civile dans un pays donné ne fait pas obstacle à la revendication pourvu que la crainte entretenue soit non pas celle entretenue indistinctement par tous les citoyens en raison de la guerre civile, mais celle entretenue par le requérant lui-même, par un groupe auquel il est associé ou, à la rigueur, par tous les citoyens en raison d'un risque de persécution fondé sur l'un des motifs énoncés dans la définition [...] [Non souligné dans l'original.]

[15]            À mon avis, la preuve n'établit tout simplement pas que le demandeur était visé différemment de l'ensemble des victimes ou de l'ensemble de la population de la Sierra Leone. Il n'y a pas non plus d'éléments de preuve selon lesquels l'ensemble des Sierra-Léonais sont persécutés en raison de leur « nationalité » . Il se peut qu'il y ait plus qu'une simple possibilité que l'ensemble des Sierra-Léonais soient en danger et fassent l'objet de persécution, mais rien n'appuie l'affirmation selon laquelle ils sont persécutés en raison de leur « nationalité » .

[16]            À mon avis, la SSR avait raison de conclure que la crainte de persécution du demandeur n'était pas fondée sur sa citoyenneté sierra-léonaise. La SSR a donc à bon droit conclu que la crainte de persécution du demandeur ne s'appuyait pas sur un motif prévu par la Convention, savoir la « nationalité » .

[17]            Pour les motifs qui précèdent, je ne vois aucune raison de modifier les conclusions de la SSR et je rejetterai donc la présente demande de contrôle judiciaire.


[18]            La SSR a conclu dans ses motifs que, bien qu'il soit possible que le demandeur ne risque pas d'être persécuté pour un motif prévu par la Convention, il y a plus qu'une simple possibilité que le demandeur soit en danger en Sierra Leone dans la conjoncture actuelle. J'unis ma voix à celle de la SSR pour presser les autorités intéressées à envisager la possibilité que le demandeur obtienne le droit d'établissement pour des raisons d'ordre humanitaire.

[19]            Le demandeur propose la certification de la question suivante :

[TRADUCTION] À la lumière de l'arrêt Salibian (Salibian c. MEI), [1990] 3 C.F. 250 (C.A.F.), rendu par les juges Hugessen, MacGuigan et Décary, du critère à quatre volets établis par ceux-ci à la page 258 de cette décision et, en particulier, du 3e volet de ce critère qui indique « ou, à la rigueur, par tous les citoyens en raison d'un risque de persécution fondé sur l'un des motifs énoncés dans la définition » , quelle est la portée véritable de cette partie du 3e volet? Peut-on l'interpréter de façon à ce quelle inclut tous les citoyens d'un pays donné lorsque la revendication est fondée sur des situations où l'oppression est généralisée et que les manoeuvres d'intimidation ou les mauvais traitements généralisés sont suffisamment graves pour étayer une revendication du statut de réfugié?

  

[20]            Ayant examiné les observations des parties, je conclus que la question proposée ne soulève aucune nouvelle question de portée générale qui n'a pas déjà été traitée dans la jurisprudence. J'accepte l'observation du défendeur selon laquelle le demandeur n'a pas subi de persécution du fait de sa citoyenneté sierra-léonaise ou de l'appartenance à un groupe ethnique ou linguistique particulier. Il a subi le même sort que de nombreux citoyens innocents se trouvant mêlés aux difficultés résultant du conflit civil en Sierra Leone.

[21]            Pour ces motifs, je ne certifierai aucune question.


                                                                     ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE :

1.          Le contrôle judiciaire est rejeté.

« Edmond P. Blanchard »

Juge

Traduction certifiée conforme

Julie Boulanger, LL.M.


COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

  

NO DU GREFFE :                   IMM-5458-00

INTITULÉ :                             MOHAMED IBRAHIM SHERIFF

c.

MCI

LIEU DE L'AUDIENCE :      MONTRÉAL (QUÉBEC)

DATE DE L'AUDIENCE :    LE 10 SEPTEMBRE 2001

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE DE MONSIEUR LE JUGE BLANCHARD

DATE DES MOTIFS :           LE 4 JANVIER 2002

   

COMPARUTIONS :

M. MICHAEL DOREY                                                   POUR LE DEMANDEUR

M. DANIEL LATULIPPE                                               POUR LE DÉFENDEUR

  

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

M. MICHAEL DOREY                                                   POUR LE DEMANDEUR

M. DANIEL LATULIPPE                                               POUR LE DÉFENDEUR

M. Morris Rosenberg

Sous-procureur général du Canada

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