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Date : 20040326

Dossier : IMM-5606-01

Référence : 2004 CF 463

Ottawa (Ontario), le 26 mars 2004

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE JAMES RUSSELL

ENTRE :

                                                                    XI HUI MA

                                                                                                                                          demandeur

                                                                             et

                     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                           défendeur

                                MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]                La Cour est saisie d'une demande de contrôle judiciaire d'une décision (la décision) en date du 30 octobre 2001 par laquelle un agent des visas (l'agent des visas) a rejeté la demande de résidence permanente (la demande) de Xi Hui Ma (le demandeur).

GENÈSE DE L'INSTANCE

Rappel des faits


[2]                Le demandeur a obtenu son diplôme de l'école de technologie de fabrication des moteurs diesel de Jiangyin en 1976. Après avoir obtenu son diplôme de cet établissement, il a été affecté à l'usine métallurgique Jiangyin, à Jiangyin, en China, où il a été promu du poste d'ouvrier métallurgique à celui de directeur d'atelier, puis à celui de directeur adjoint d'usine chargé du développement des ventes et de la commercialisation.

[3]                En 1987, le demandeur a été nommé chef de section à la société agricole, industrielle et commerciale conjointe de la ville de Jiangyin. Il était chargé de la commercialisation et des relations publiques. Sa fonction consistait essentiellement à promouvoir les ventes de la société et à en augmenter la clientèle.

[4]                En 1990, la société a fait l'objet d'une restructuration et a été rebaptisée Jiangyin Huaye Steel Pipe Company (HSPC). Elle a adopté la structure d'une entreprise collective relevant de la municipalité de Jiangyin (la municipalité). HSPC s'occupe principalement du commerce de divers types et devis de tuyaux en acier. Le demandeur travaille à la HSPC comme directeur des ventes. Il est notamment chargé d'élaborer des stratégies et de prendre des décisions au nom de la compagnie.

[5]                Le demandeur a poursuivi ses études en suivant un cours de deux ans au Collège d'industrie légère Wuxi en 1996.


L'accord « cheng bao » du demandeur

[6]                Le demandeur a conclu un contrat de gérance d'entreprise (l'accord cheng bao) avec la municipalité pour la période de 1996 à 1998. La gérance d'entreprise, accord cheng bao, est un mécanisme utilisé par les entreprises d'État chinoises pour confier en totalité ou en partie leurs activités et leur gérance à un entrepreneur pour une période déterminée. Pendant cette période, l'entrepreneur prend à sa charge tous les risques opérationnels et peut, en contrepartie, conserver les bénéfices tirés de l'exploitation de l'entreprise après avoir versé des frais de gestion fixes au propriétaire enregistré de l'entreprise.   

[7]                Sous la gouverne et la direction du demandeur, HSPC a augmenté ses revenus nets ainsi que son avoir net. Le demandeur affirme que le rapport d'évaluation du rendement de l'entreprise de KPMG (le rapport de KPMG) qu'il a joint à sa demande confirme qu'aux termes du contrat, le demandeur possède une participation de 100 pour 100 dans HSPC et que c'est lui qui est l'entrepreneur selon l'accord cheng bao.

[8]                Les évaluateurs de KPMG se sont rendus aux locaux de HSPC, où ils ont interrogé le demandeur et d'autres membres du personnel, ont posé des questions au gérant de la banque de la compagnie, ont examiné et évalué les états financiers de HSPC pour 1996, 1997 et 1998, et ont recueilli et résumé des renseignements. Le demandeur soutient que KPMG est un cabinet d'experts-comptables très réputé qui mène des enquêtes approfondies.


[9]                Le demandeur a également retenu les services d'un autre cabinet d'experts-comptables, Wuxi, pour lui confier l'élaboration d'un rapport à jour portant sur l'évaluation du rendement de l'entreprise (le rapport Wuxi). Le rapport Wuxi confirmait que l'accord cheng bao du demandeur avait été reconduit pour une période supplémentaire de trois ans à des conditions analogues et que l'avoir net de HSPC avait augmenté entre 1999 et 2000. Le rapport Wuxi confirmait également que le demandeur détenait une participation de 100 pour 100 dans HSPC.

[10]            Le demandeur a déclaré que son avoir net se chiffrait à 1 253 963 $CAN, ce qui comprenait une somme de 298 111 $CAN en dépôts à terme bancaires. Le demandeur a produit plusieurs pièces justificatives à l'agent des visas pour étayer sa demande. Tous les états financiers de HSPC ont été soumis aux agents locaux en vue de leur imposition avant d'être remis à l'agent des visas.

Nature de l'accord cheng Bao


[11]            Le demandeur fait valoir qu'aux termes de l'accord cheng bao en question, il était chargé de la gestion de toutes les activités opérationnelles de HSPC. En fait, la possession de HSPC lui a été transférée pendant la période de trois ans comprise entre janvier 1996 et décembre 1998. Suivant le demandeur, cet accord est le plus souvent utilisé en Chine comme une sorte de mécanisme de redressement d'entreprise par lequel des gens d'affaires prennent le contrôle d'une société publique, prennent à leur charge les risques opérationnels tout en conservant les bénéfices tirés de l'exploitation de cette entreprise, et rendent par la suite l'entreprise à l'État une fois que les difficultés financières de l'entreprise ont été résolues.

[12]            Le demandeur explique qu'aux termes de l'entente contractuelle conclue en l'espèce, les bureaux et le matériel lui ont été transférés en contrepartie d'honoraires annuels fixes de 300 000 RMB et de frais des gestion payables à la municipalité et calculés en fonction du produit des ventes. De plus, le demandeur devait payer une surtaxe pour l'éducation et contribuer à un fonds agricole. Après déduction de ces honoraires, taxes et prélèvements, le demandeur avait droit aux bénéfices de HSPC qui restaient.

Droit aux profits

[13]            Le demandeur affirme que le rapport KPMG, le rapport Wuxi et l'accord cheng bao lui-même confirment tous son droit aux bénéfices excédentaires de HSPC. Le demandeur affirme aussi que plusieurs sources confirment qu'il est effectivement le signataire de l'accord cheng bao.


[14]            Le demandeur est d'accord pour dire que, dans ni l'un ni l'autre des accords cheng bao que l'on trouve dans le dossier authentique du Tribunal, il n'est nommément désigné comme étant l'entrepreneur. Le demandeur fait cependant valoir que le rapport KPMG et le rapport Wuxi expliquent tous les deux la coutume entourant la conclusion d'accords cheng bao en Chine et que le signataire est en fait l'entrepreneur. Qui plus est, le demandeur affirme qu'aucun des deux cabinets d'experts-comptables ne prendrait le risque de désigner le demandeur comme étant l'entrepreneur s'il n'était effectivement l'entrepreneur visé par l'accord cheng bao.

DÉCISION À L'EXAMEN

[15]            Le demandeur a présenté sa demande de résidence permanente au Canada dans la catégorie des investisseurs en mars 1999. Il a investi 250 000 $CAN dans le Fonds de développement économique II du gouvernement du Nouveau-Brunswick Inc.

[16]            À sa demande, le demandeur devait annexer des documents qui pouvaient être remplacés par une Évaluation du rendement de l'entreprise. La trousse de demande (la trousse) qui est remise aux candidats qui font partie de la catégorie des entrepreneurs les oblige à soumettre un certain nombre de documents à l'appui de leur demande. Voici un extrait de la page C-5 de la trousse :

Au lieu des documents mentionnés aux articles 18 à 21 ou 23 à 28 inclusivement, vous pouvez obtenir une évaluation du rendement de votre entreprise en vous adressant à un cabinet d'experts-comptables international [...] Les cabinets d'experts-comptables suivants peuvent effectuer une évaluation du rendement de votre entreprise [...] KPMG Peat Marwick [...]

[17]            La trousse de demande des candidats entrant dans la catégorie des entrepreneurs provenant de Hong Kong indique que les personnes suivantes peuvent soumettre une évaluation du rendement de l'entreprise :

Pour les gestionnaires d'entreprise (candidats qui ne possèdent pas une entreprise)

18.            Déclaration notariée de l'historique de l'acquisition de vos fonds et documents à l'appui relatant l'origine ou la manière dont ont été accumulés votre capital de départ et/ou vos actifs actuels (revenus d'emploi, salaires, primes, revenus d'entreprise, dividendes, profits, gains de capital, ententes contractuelles, etc.).

Pour les propriétaires uniques ou partenaires d'une entreprise non constituée en société commerciale :

19.            Document certifiant l'enregistrement de l'entreprise par un bureau local, demande d'enregistrement d'entreprise et rapport de vérification du capital (dans le cas de la Chine).

20.            Copies de l'accord contractuel relatif à l'exploitation de l'entreprise, le cas échéant.

21.            États financiers (incluant l'état des résultats) préparés par une firme de comptables agréés pour les trois dernières années d'opération, ainsi que pour les entreprises précédentes.

23.            Déclaration notariée de l'historique de l'acquisition de vos fonds et documents à l'appui relatant l'origine ou la manière dont ont été accumulés votre capital de départ et/ou vos actifs actuels (revenus d'emploi, salaires, primes, revenus d'entreprise, dividendes, profits, gains de capital, ententes contractuelles, etc.).

Pour les actionnaires et les directeurs d'une société anonyme :

24.            Document certifiant l'enregistrement de l'entreprise par un bureau local et demande d'enregistrement d'entreprise.

25.            Liste des actionnaires et/ou rapport de vérification du capital (dans le cas de la Chine).

26.            Statuts constitutifs.

27.            Copies de l'accord contractuel relatif à l'exploitation de l'entreprise, le cas échéant.


28.            États financiers (incluant l'état des résultats) préparés par une firme de comptables agréés pour les trois dernières années d'opération, ainsi que pour les entreprises précédentes.

[18]            Le demandeur a produit l'Évaluation du rendement de l'entreprise effectuée par KPMG le 29 septembre 1999. Il a complété cette preuve en soumettant l'Évaluation du rendement de l'entreprise réalisée par Wuxi avant son entrevue.

[19]            L'agent des visas a refusé la demande du demandeur par lettre datée du 30 octobre 2001. Dans sa lettre de refus, elle a déclaré que le demandeur ne répondait pas à la définition d' « investisseur » parce qu'elle n'était pas convaincue des faits suivants :

[TRADUCTION] Les documents que vous m'avez soumis n'indiquent pas que vous êtes le signataire de l'accord cheng bao, mais plutôt que vous êtes seulement le représentant légal de la société signataire du cheng bao. Vous m'avez déclaré que vous ne possédez pas d'actions de cette société. Vous n'avez donc pas établi que les bénéfices réalisés par la société vous appartiennent. Qui plus est, vous ne m'avez soumis aucun élément de preuve ou document pour justifier le montant déclaré de bénéfices non distribués. Comme vous avez expliqué qu'une bonne partie de votre avoir net personnel vient de la compagnie en question, vous ne m'avez pas convaincue que vous avez accumulé les capitaux requis. De plus, vous n'avez pas été en mesure de me décrire avec précision les modalités du contrat cheng bao. Ces préoccupations vous ont été communiquées au cours de l'entrevue et vous avez eu amplement l'occasion d'y répondre.

[20]            Le demandeur a expliqué à l'agent des visas qu'il est courant d'utiliser le nom de HSPC dans les accords cheng bao, mais que c'est la personne qui signe le contrat qui est titulaire des droits cheng bao. Suivant le demandeur, l'agent des visas ne comprenait pas la nature juridique de l'accord cheng bao à cet égard.

[21]            Dans les pièces qu'il a produites, le demandeur affirme que la lettre de convocation à l'entrevue ne précisait pas qu'il devait bien connaître les détails des contrats et les renseignements financiers. Le demandeur en conclut qu'il était légitimement en droit de s'attendre à ne pas avoir à se préoccuper de ces questions. Lors de l'instruction de la présente affaire à Toronto, le 27 novembre 2003, le demandeur a laissé tomber cet argument.

[22]            L'agent des visas déclare, dans son affidavit, que les documents que le demandeur a produits ne démontrent pas qu'il avait effectivement droit aux profits de HSPC. Elle fonde sa conclusion sur sa conviction [TRADUCTION] « qu'aucun des documents fournis par le demandeur n'indiquait qu'il était partie à l'accord cheng bao » . Le demandeur n'a pas été contre-interrogé au sujet de son affidavit.

[23]            Le demandeur fait valoir qu'il a fait part de ses préoccupations à ce sujet à l'agent des visas lors de l'entrevue. Il lui a expliqué que le gouvernement était effectivement propriétaire de HSPC mais qu'en tant que signataire de l'accord cheng bao, il était considéré comme étant un sous-entrepreneur et qu'à ce titre, il avait droit aux bénéfices pour la durée du contrat.


[24]            Suivant le demandeur, le rapport KPMG fournit des éclaircissements sur la façon dont la propriété de HSPC est divisée pendant la période contractuelle. Il signale également que le rapport Wuxi confirme le fait que le demandeur était propriétaire de HSPC aux termes du contrat et qu'il avait droit aux bénéfices au cours de la seconde période contractuelle. Le demandeur fait remarquer que les deux rapports comptables confirment que sa participation était de 100 pour 100.

DISPOSITIONS LÉGISLATIVES APPLICABLES

[25]            Voici la définition que le paragraphe 2(1) du Règlement sur l'immigration de 1978 donne de l'investisseur :


« investisseur » Immigrant qui répond aux critères suivants :

a)              il a exploité, contrôlé ou dirigé avec succès une entreprise;

"investor" means an immigrant who

(a)            has successfully operated, controlled or directed a business,

b)              il a indiqué par écrit au ministre qu'il a fait ou a l'intention de faire un placement;

(b)            indicates to the Minister, in writing, that they intend to make an investment or have made an investment, and

c)              il possède un avoir net d'au moins 800 000 $, accumulé par ses propres efforts.

(c)             has a net worth, accumulated by their own endeavours, of at least $800,000;


[26]            Le paragraphe 8(1) de la Loi sur l'immigration, L.R.C. 1985, ch. I-2 précise ce qui suit :


8. (1) Il incombe à quiconque cherche à entrer au Canada de prouver qu'il en a le droit ou que le fait d'y être admis ne contreviendrait pas à la présente loi ni à ses règlements.

8. (1) Where a person seeks to come into Canada, the burden of proving that that person has a right to come into Canada or that his admission would not be contrary to this Act or the regulations rests on that person.


[27]            Le paragraphe 9(3) de la Loi sur l'immigration dispose :



(3) Toute personne doit répondre franchement aux questions de l'agent des visas et produire toutes les pièces qu'exige celui-ci pour établir que son admission ne contreviendrait pas à la présente loi ni à ses règlements.

(3) Every person shall answer truthfully all questions put to that person by a visa officer and shall produce such documentation as may be required by the visa officer for the purpose of establishing that his admission would not be contrary to this Act or the regulations.


QUESTIONS EN LITIGE

[28]            Les questions soulevées par le demandeur sont les suivantes :

L'agent des visas devait-elle tenir compte du contenu des rapports d'évaluation du rendement de l'entreprise et résoudre ou relever les contradictions relevées entre sa propre appréciation et les rapports?

L'agent des visas a-t-elle commis une erreur en concluant que le demandeur devait « exploiter, contrôler et diriger » l'entreprise plutôt que d' « exploiter, contrôler ou diriger » l'entreprise en question?

PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES                 

Le demandeur

Quelles est la norme de contrôle applicable dans le cas de la décision de l'agent des visas?

[29]            Le demandeur affirme que l'agent des visas possédait une expérience et des connaissances limitées en matière de demandes présentées par des entrepreneurs et qu'elle n'était pas assez compétente pour bien évaluer la demande, comme le démontre à l'évidence le fait qu'elle a ignoré totalement les rapports d'évaluation du rendement de l'entreprise soumis par le demandeur conformément aux exigences de la trousse.


[30]            Le demandeur soutient qu'il est raisonnable de s'attendre à ce qu'un agent des visas connaisse et comprenne suffisamment bien la réglementation applicable. Or, la preuve ne permet pas de penser que l'agent des visas possédait ces connaissances et cette compréhension en l'espèce. Le demandeur ajoute que l'agent des visas ne possédait elle-même aucune formation ou expérience dans les affaires. La norme de contrôle de la décision de l'agent des visas en l'espèce devrait donc être celle de la décision correcte.       

L'agent des visas devait-elle tenir compte du contenu des rapports d'évaluation du rendement de l'entreprise et résoudre ou relever les contradictions relevées entre sa propre appréciation et les rapports?

[31]            Le demandeur affirme que le rapport KPMG et le rapport Wuxi confirment tous les deux les détails relatifs à la participation de 100 pour 100 qu'il détenait dans la société HSPC pour la durée du contrat. Le demandeur ajoute que les deux rapports renfermaient beaucoup trop de détails confirmant la participation du demandeur à la gestion de la société en tant qu'administrateur et entrepreneur pour que l'agent des visas puisse les ignorer.


[32]            Le demandeur soutient que, dans un cas comme celui-ci, où les renseignements financiers que l'agent des visas exigerait normalement peuvent être remplacés par un rapport d'évaluation du rendement de l'entreprise et où l'évaluation peut être effectuée par un grand cabinet d'experts-comptables réputé, la preuve devrait être considérée comme ayant du poids. Suivant le demandeur, l'agent des visas n'était pas tenue d'accepter ces renseignements, mais elle était censée les examiner.

[33]            Le demandeur relève que, dans le jugement Poste c. Canada (ministre de la Citoyenneté et de l' Immigration), [1997] A.C.F. no 1805 (C.F. 1re inst.), le juge Cullen a formulé les observations suivantes sur cette question, au paragraphe 61 :

Lorsqu'un organisme gouvernemental tel qu'Immigration Canada demande des renseignements à une personne, il est tenu de les examiner lorsqu'il les reçoit. Cela est particulièrement vrai dans le cas où les renseignements demandés consistent en une opinion d'expert, qui demande beaucoup de temps et qui coûte cher. Si une décision contraire aux renseignements demandés est rendue, son auteur doit au moins mentionner les renseignements contraires et motiver son rejet. Plus précisément, si Immigration Canada demande certains rapports médicaux, reçoit deux rapports médicaux favorables et un rapport défavorable et qu'une évaluation médicale est apparemment faite uniquement sur la foi du rapport médical négatif, il faut expliquer pourquoi les rapports favorables ne sont pas mentionnés dans l'analyse. Même si les décideurs avaient examiné les renseignements demandés et les avaient situés dans le contexte des circonstances de l'espèce, au vu du dossier communiqué au requérant, rien n'indique qu'un examen sérieux des documents favorables a été fait. Il n'y a pas apparence de justice. En l'espèce, pour ce qui est du requérant, les décideurs ont manqué à leurs devoirs élémentaires d'équité procédurale et de justice naturelle.

[34]       Le demandeur affirme que, lorsque rien ne justifie de refuser de tenir compte des documents soumis, il y a déni de justice naturelle. Il ajoute que, si les rapports font état d'un avis contraire à la décision de l'agent des visas, ce dernier doit examiner l'avis contraire et motiver son rejet, ce que l'agent des visas n'a pas fait en l'espèce.

L'agent des visas a-t-elle commis une erreur en concluant que le demandeur devait « exploiter, contrôler et diriger » l'entreprise plutôt que d' « exploiter, contrôler ou diriger » l'entreprise en question?


[35]       Le demandeur estime qu'il ressort à l'évidence du contre-interrogatoire de l'agent des visas que celle-ci n'a pas appliqué le bon critère en ce qui concerne l'exploitation, le contrôle ou la direction de l'entreprise. L'agent des visas a affirmé que le demandeur devait impérativement satisfaire aux trois volets du critère et ce, malgré le fait que l'agent des visas avait admis, en contre-interrogatoire, qu'elle savait que le critère est disjonctif.

[36]       Le demandeur signale que le juge Muldoon a confirmé les propos du juge Rothstein sur cette question dans le jugement Koo c. Canada (ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1998] A.C.F. no 732 (C.F. 1re inst.), au paragraphe 9 :

Le demandeur se fonde sur la décision Chen c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration (1993), 65 F.T.R. 73, 20 Imm. L.R. (2d) 290, dans laquelle le juge Rothstein conclut que les mots « exploité, contrôlé ou dirigé » du paragraphe 2(1) duRèglement doivent être lus de façon disjonctive, c'est-à-dire que l'agent des visas doit apprécier séparément chaque élément de la définition pour déterminer si le demandeur satisfait au moins à l'une des exigences.

[37]       Le demandeur invite la Cour à accorder peu de valeur à la décision de l'agent des visas étant donné que celle-ci a appliqué de façon incorrecte le critère de l'exploitation, du contrôle ou de la direction et que son jugement était mal fondé et douteux.


[38]       Le demandeur soutient en outre que l'agent des visas lui a dit qu'elle croyait qu'il avait signé l'accord cheng bao en tant que représentant légal de HSPC. Le demandeur affirme qu'il s'agit d'une conclusion de fait abusive puisqu'il n'est pas avocat. En conséquence, le fait qu'il a signé l'accord cheng bao permet seulement de conclure que c'est lui qui est chargé de l'exploitation de HSPC. À titre subsidiaire, le demandeur fait valoir qu'il aurait pu signer l'accord pour son propre compte. Il affirme que, dans un cas comme dans l'autre, la seule conclusion raisonnable qu'on peut déduire du fait qu'il a signé l'accord et des renseignements contenus dans les deux rapports comptables est que c'est le demandeur qui exploite HSPC.

Compte tenu du fait que le demandeur était le directeur principal des ventes de la compagnie, était-il juste ou légitime de l'interroger sans lui donner un avis en bonne et due forme au sujet des questions de comptabilité, compte tenu du fait que ces questions étaient abordées dans l'Évaluation du rendement de l'entreprise?

[39]       Le demandeur affirme qu'il était légitimement en droit de s'attendre à ce que les questions de fait entourant toutes les questions de comptabilité soient considérées comme ayant été traitées dans le rapport KPMG et le rapport Wuxi. Le demandeur affirme qu'il n'était pas obligé de se préoccuper de ces questions lors de l'entrevue et il ajoute que la lettre de convocation ne l'avisait pas de ce qu'il devait examiner et aborder.


[40]       Le demandeur ajoute que, même s'il n'était pas au courant des questions financières (compte tenu du fait qu'il était le directeur des ventes), le poste qu'il occupait suffisait pour lui permettre de répondre au critère de l'exploitation, du contrôle ou de la direction de l'entreprise. Le demandeur explique que, si l'agent des visas avait examiné les rapports, elle se serait aperçue que les renseignements que l'on y trouvait contenaient toutes les réponses à ses questions. Le demandeur explique par ailleurs que son apparent manque de connaissances ne s'explique pas par le fait qu'il n'était pas un des administrateurs de HSPC mais par le fait qu'il n'était pas obligé d'être bien au courant des questions financières.

Le défendeur

Quelle est la norme de contrôle qui s'applique à la décision de l'agent des visas?

[41]       Le défendeur relève que, dans l'arrêt To c. Canada (ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1996] A.C.F. no 696 , la Cour d'appel fédérale a statué que la norme de contrôle appropriée dans le cas des décisions discrétionnaires des agents des visas en matière de demandes d'immigration est la norme qui a été énoncée dans l'arrêt Maple Lodge Farms Ltd. c. Gouvernement du Canada et autres, [1982] 2 R.C.S. 2.

[42]       De plus, dans le jugement Lim c. Canada (ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1989), 8 Imm. L.R. (2d) 261 (C.F. 1re inst.), le juge en chef adjoint Jerome a formulé les observations suivantes au sujet du contrôle judiciaire des décisions des agents des visas :

Pour avoir de gain de cause, il ne suffit pas que le requérant me persuade que j'aurais pu parvenir à une conclusion différente de l'appréciation. Il doit me convaincre que, par suite d'une erreur commise dans l'interprétation de la loi, l'agent des visas n'a pas fait l'appréciation qui lui incombait, ou que, subsidiairement, en procédant à une telle appréciation, il n'a pas agi équitablement envers le requérant.

L'agent des visas devait-elle tenir compte du contenu des rapports d'évaluation du rendement de l'entreprise et résoudre ou relever les contradictions relevées entre sa propre appréciation et les rapports?


[43]       Le défendeur affirme que la décision de l'agent des visas reposait sur sa conclusion que le demandeur n'avait pas établi qu'il avait un avoir net accumulé par ses propres efforts qui satisferait au troisième volet de la définition de l'investisseur.

[44]       Le défendeur affirme que le rapport KPMG était fondé sur des renseignements recueillis lors d'une inspection effectuée sur les lieux et au cours de l'entrevue réalisée avec le demandeur et les membres de son personnel, de même qu'à la suite de la vérification de la cote de crédit de HSPC et de l'examen des états financiers de HSPC. Les renseignements contenus dans le rapport Wuxi ont été obtenus du demandeur à la suite de l'examen des états financiers de HSPC établis par le demandeur pour pouvoir immigrer au Canada.

[45]       Aux dires du défendeur, l'agent des visas n'a pas ignoré les rapports. Au contraire, elle en a directement tenu compte, ainsi que le démontrent clairement ses notes STIDI et son affidavit. Ce n'est pas parce qu'elle n'était pas d'accord avec les évaluations contenues dans les rapports que l'agent des visas n'en a pas tenu compte. Elle a expliqué très clairement les raisons pour lesquelles elle n'avait pas retenu les évaluations de KPMG et de Wuxi. Voici ce qu'elle dit à ce sujet dans son affidavit :

[TRADUCTION] En réponse au paragraphe 23 de l'affidavit du demandeur, j'ai dûment tenu compte des rapports comptables qui ont été produits. J'estime toutefois qu'ils n'établissent pas la relation entre le demandeur et la société mère et qu'ils n'indiquent pas que des recherches indépendantes ont été effectuées au sujet de la validité ou du sens réel de l'accord cheng bao.

Affidavit souscrit par Nicole Gareau le 21 mars 2002, paragraphe 13


[46]       Le défendeur rappelle par ailleurs que, dans ses notes STIDI, l'agent des visas a conclu :

[TRADUCTION] Il ressort du contrat produit par le demandeur que les parties à ce contrat sont le gouvernement et Huaye Co. Bien que l'intéressé ait apposé sa signature en tant que représentant légal, le contrat n'est pas à son nom. L'intéressé a affirmé que tous les éléments d'actif appartiennent au gouvernement mais qu'il a accès [sic] aux profits. Il ne m'a soumis aucun document juridique qui appuierait ses affirmations. Comme l'intéressé n'a pas établi que les bénéfices réalisés par la société lui appartiennent et qu'une bonne partie de son avoir net personnel est constitué de sa participation dans la société, je ne suis pas convaincue que son avoir net personnel répond à la définition réglementaire. En outre, exception faite de l'état financier qu'il a soumis, l'intéressé n'a fourni aucune pièce (relevés bancaires, etc.) qui démontre combien d'argent est détenu dans la société.

Notes STIDI, Dossier authentique du Tribunal, page 5.

[47]       Suivant le défendeur, il y a lieu d'établir une distinction entre l'affaire Poste, précitée, que le demandeur souhaite invoquer, et la présente espèce. Dans l'affaire Poste, les demandeurs avaient été officiellement sommés de produire trois rapports d'experts médicaux pour répondre à la question de l'éventuelle non-admissibilité, pour des raisons d'ordre médical, de leur fils atteint d'une déficience intellectuelle légère. En fin de compte, la décision relative à l'éventuelle non-admissibilité pour des raisons d'ordre médical n'a été prise que sur la foi d'un seul des trois rapports. Le rapport mentionné dans la décision était défavorable, alors que les deux rapports dont il n'avait pas été tenu compte, étaient plus favorables. Le juge Cullen a estimé qu'en ne tenant pas compte de tous les rapports exigés, les décideurs avaient manqué à leurs devoirs en matière d'équité procédurale et de justice naturelle.

[48]       Le défendeur affirme que la présente espèce se distingue manifestement sur le plan des faits. Tout d'abord, c'est de son plein gré que le demandeur a demandé des rapports financiers à KPMG et à Wuxi. Il ne s'agissait pas de documents qu'il « devait » réclamer.


[49]       Le défendeur ajoute que la production des rapports d'évaluation du rendement de l'entreprise, qu'elle ait été volontaire ou qu'elle ait fait suite à une demande, ne limite en rien la portée du pouvoir discrétionnaire de l'agent des visas. Ainsi, dans l'affaire Hao c. Canada (ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2000] A.C.F. no 2013 (C.F. 1re inst.), un agent des visas avait informé le candidat investisseur lors de l'entrevue que sa demande serait refusée en raison de l'insuffisance d'éléments de preuve se rapportant notamment à son avoir net personnel. L'agent des visas avait informé le candidat que, pour répondre à ces préoccupations, il pouvait soumettre une évaluation du rendement de l'entreprise. Le candidat a produit une telle évaluation, mais l'agent des visas a conclu, dans cette affaire, qu'elle ne répondait pas à la question de la provenance des fonds. Voici les propos qu'a tenus le juge Pinard au sujet de l'appréciation de la preuve :

9.              Ainsi que je l'ai dit dans la décision Chou c. Le ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration (16 novembre 1999), IMM-5982-98 :

. . . Qui plus est, en vertu du paragraphe 8(1) de la Loi sur l'immigration, c'est au demandeur qu'il incombe de démontrer qu'il devrait avoir le droit de venir au Canada. C'est la demanderesse qui a la responsabilité de produire tous les renseignements pertinents qui peuvent favoriser sa demande.

10.            À mon avis, la prétention de l'agent des visas était correcte et il a refusé le visa pour des motifs appropriés, à savoir que, en l'absence de la documentation qu'il avait demandée, il ne pouvait pas vérifier l'admissibilité du demandeur conformément à l'article 19 de la Loi.

[50]       Le défendeur affirme qu'en l'espèce, les rapports produits par le demandeur ne répondaient pas aux principales questions qui préoccupaient l'agent des visas, en l'occurrence son droit aux bénéfices de HSPC.


[51]       Le défendeur rappelle que, dans le jugement Hao, précité, le juge Pinard a discuté de la question de l'équité procédurale dans ce contexte :

12.            Subsidiairement, le demandeur soulève la question de l'équité en matière de procédure. Cependant, ainsi que l'a mentionné le juge Muldoon dans la décision Asghar c. Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration (21 août 1997), IMM-2114-96, l'obligation d'équité en matière de procédure :

. . ne prend pas simplement naissance du fait qu'après avoir soupesé la preuve l'agent des visas n'est toujours pas convaincu du bien-fondé de la demande. La tâche de l'agent des visas consiste précisément à soupeser les éléments de preuve présentés par le requérant.

13.            Après avoir examiné le dossier du tribunal en me concentrant sur les notes du Système de traitement informatisé des dossiers d'immigration prises par l'agent des visas et l'évaluation du rendement de l'entreprise du demandeur, je suis convaincu que l'agent des visas qui a mené l'entrevue a évalué le dossier de manière raisonnable. Il est clair en l'espèce que l'agent des visas a exercé son pouvoir discrétionnaire de bonne foi, en se fondant sur les éléments de preuve ou l'absence d'éléments de preuve portés à sa connaissance. Rien ne prouve qu'il y ait atteinte aux principes de justice naturelle ni qu'il ait été tenu compte de considérations non pertinentes ou étrangères au but visé par la Loi.

[52]       Le défendeur soutient en outre que, dans l'affaire Zhen c. Canada (ministre de la Citoyenneté et de l' Immigration), [1996] A.C.F. no 1537 (C.F. 1re inst.), le requérant, qui avait présenté sa demande dans la catégorie des entrepreneurs, avait dit à l'agent des visas que l'entreprise dont il était le propriétaire en Chine était enregistrée au nom d'un ami japonais. L'agent a conclu qu'il n'y avait pas de sources de documentation dignes de foi pour établir l'avoir net du requérant ou déterminer s'il a les ressources suffisantes pour établir une entreprise et s'installer au Canada. Le juge adjoint Heald a déclaré ce qui suit :

[...] Il me semble clair que l'agent des visas n'a pas accepté la documentation du requérant comme preuve des arrangements commerciaux conclus par celui-ci. Le dossier établit, à mon avis, que l'agent des visas a soigneusement examiné les documents à l'appui fournis par le requérant. Après en avoir pris connaissance, il a conclu qu'ils n'étaient pas convaincants. Je suis d'accord avec lui. Les certificats d'investissement renseignent uniquement sur la structure du capital-actions des sociétés. Le bref contrat ne constitue pas une preuve convaincante d'une relation fiduciaire.


[53]       Le défendeur affirme que, pareillement, dans la présente affaire, les pièces produites par le demandeur font état de l'accord intervenu entre les deux compagnies mais ne précisent pas que les profits de HSPC (qui, de l'aveu même du demandeur, est une société publique) appartiennent au demandeur.

[54]       Le défendeur affirme qu'au vu de la preuve dont elle disposait, il était raisonnablement loisible à l'agent des visas de conclure que le demandeur n'avait pas établi qu'il satisfaisait au troisième élément de la définition d'investisseur.

L'agent des visas a-t-elle commis une erreur en concluant que le demandeur devait « exploiter, contrôler et diriger » l'entreprise plutôt que d' « exploiter, contrôler ou diriger » l'entreprise en question?

[55]       Le défendeur soutient que la définition de l'investisseur doit être interprétée de façon conjonctive. Pour répondre à la définition d'investisseur, le requérant doit convaincre l'agent des visas qu'il satisfait à chacun des trois éléments de la définition (Kwok c. Canada (ministre de la Citoyenneté et de l' Immigration), [1997] A.C.F. no 1597 (C.F. 1re inst.), paragraphe 9).


[56]       Le défendeur affirme que, bien que, lors de son contre-interrogatoire, l'agent des visas ait déclaré qu'elle ne croyait pas que le demandeur avait démontré qu'il satisfaisait au premier élément de la définition d' « investisseur » , elle a également précisé qu'elle avait tenu compte du troisième élément pour prendre sa décision, ainsi qu'il ressort de la lettre de décision elle-même.

[57]       À titre subsidiaire, le défendeur soutient que le demandeur a mal qualifié la décision de l'agent des visas en ce qui concerne la question du « contrôle » , de l' « exploitation » et de la « direction » , car l'agent des visas a déclaré de façon non équivoque lors de son contre-interrogatoire que le critère applicable était disjonctif. Elle n'a jamais dit que le demandeur devait satisfaire à chacun des trois éléments du « contrôle » , de l' « exploitation » et de la « direction » pour obtenir gain de cause.

Compte tenu du fait que le demandeur était le directeur principal des ventes de la compagnie, était-il juste ou légitime de l'interroger sans lui donner un avis en bonne et due forme au sujet des questions de comptabilité, compte tenu du fait que ces questions étaient abordées dans l'Évaluation du rendement de l'entreprise?

[58]       Le défendeur affirme que c'est au demandeur qu'il incombe de se décharger du fardeau de preuve énoncé à l'article 8 de la Loi sur l'immigration. Le défendeur affirme que l'incapacité du demandeur à répondre aux questions se rapportant à la situation financière de HSPC, dont les profits lui appartiendraient, est une raison valable de mettre en doute son droit de toucher les bénéfices en questions (Zhang c. Canada (ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2001] A.C.F. no 663 (C.F. 1re inst.)).


[59]       Le défendeur affirme que l'agent des visas n'est pas tenu de lui faire part à l'avance au demandeur les questions qui lui seront posées lors de l'entrevue. Communiquer les questions irait à l'encontre de l'objet de l'entrevue.

[60]       Le défendeur soutient finalement que l'agent des visas ne s'attendait pas à ce que le demandeur soit en mesure de débiter une succession de données financières précises se rapportant à son entreprise. L'agent des visas a bien précisé qu'elle était à la recherche de renseignements tendant à démontrer que le demandeur avait droit aux bénéfices de HSPC.

ANALYSE

Quelle est la norme de contrôle qui s'applique à la décision de l'agent des visas?

[61]       Dans l'arrêt To c. Canada (ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1996] A.C.F. no 696, la Cour d'appel fédérale a statué que la norme de contrôle qu'il convient d'appliquer aux décisions discrétionnaires prises par les agents des visas en ce qui concerne les demandes d'immigration est celle qui a été énoncée dans l'arrêt Maple Lodge Farms Ltd. c. Gouvernement du Canada et autres, [1982] 2 R.C.S. 2, aux pages 7 et 8, où le juge McIntyre déclare ce qui suit :

C'est aussi une règle bien établie que les cours ne doivent pas s'ingérer dans l'exercice qu'un organisme désigné par la loi fait d'un pouvoir discrétionnaire simplement parce que la cour aurait exercé ce pouvoir différemment si la responsabilité lui en avait incombé. Lorsque le pouvoir discrétionnaire accordé par la loi a été exercé de bonne foi et, si nécessaire, conformément aux principes de justice naturelle, si on ne s'est pas fondé sur des considérations inappropriées ou étrangères à l'objet de la loi, les cours ne devraient pas modifier la décision.


[62]       Dans le jugement Lim c. Canada (ministre de l'Emploi et de l'Immigration), (1989), 8 Imm. L.R. (2d) 261 (C.F. 1re inst.), le juge en chef adjoint Jerome a formulé les observations suivantes au sujet du contrôle judiciaire des décisions des agents des visas :

Pour avoir de gain de cause, il ne suffit pas que le requérant me persuade que j'aurais pu parvenir à une conclusion différente de l'appréciation. Il doit me convaincre que, par suite d'une erreur commise dans l'interprétation de la loi, l'agent des visas n'a pas fait l'appréciation qui lui incombait, ou que, subsidiairement, en procédant à une telle appréciation, il n'a pas agi équitablement envers le requérant.

[63]       J'estime que les arrêts To et Lim, précités, s'appliquent au cas qui nous occupe.

L'agent des visas devait-elle tenir compte du contenu des rapports d'évaluation du rendement de l'entreprise et résoudre ou relever les contradictions relevées entre sa propre appréciation et les rapports?

[64]       Je suis d'accord avec le défendeur pour dire que la question fondamentale sur laquelle s'est penchée l'agent des visas était celle de l'avoir net accumulé du demandeur et celle de son droit aux bénéfices excédentaires de HSPC. Le rapport KPMG traite expressément de la question de la répartition des bénéfices à la page 4 du rapport :

[TRADUCTION] Suivant l'entente de gestion en sous-traitance conclue entre M. Ma et le gouvernement, les bureaux et le matériel ont été transférés par le gouvernement à M. Ma en contrepartie d'honoraires annuels fixes de 300 000 RMB et de frais des gestions calculés d'après le produit des ventes du gouvernement. De plus, M. Ma devait payer une surtaxe au titre de l'éducation et contribuer à un fonds agricole. Ces prélèvements ont cependant été payés à l'administration fiscale, comme M. Ma l'a expliqué. Après déduction des divers prélèvements et des profits fixes prévus au contrat, M. Ma avait droit aux bénéfices de HSPC qui restaient. Veuillez vous reporter à l'annexe 5 pour une copie du contrat de gérance d'entreprise en sous-traitance.


[65]       Sur l'importante question du droit aux profits, l'agent des visas remet en question les renseignements contenus dans les rapports parce que, pour l'essentiel, c'est le demandeur qui les avait fournis aux évaluateurs. Le rapport KPMG précise la démarche et la méthode suivies pour compiler les renseignements :

[TRADUCTION]

III. Procédure suivie

Pour atteindre les objectifs précités, nous avons suivi la procédure suivante :

1.              nous nous sommes rendus aux locaux de la société;

2.              nous avons interrogé M. Ma et son personnel;

3.              nous avons interrogé le gérant de la banque pour vérifier la cote de solvabilité de la société auprès de la banque;

4.              nous avons pris connaissance des états financiers de la banque pour les années 1998, 1997 et 1996, avons résumé les renseignements financiers dans notre rapport et avons obtenu des explications pour expliquer toute fluctuation marquée;

5.              nous avons fait état des rectifications à apporter aux états financiers conformément aux normes comptables internationales.

Les données financières qui se trouvent dans notre rapport proviennent des renseignements que nous ont fournis M. Ma et son personnel. On trouvera à l'annexe 1 une copie de notre lettre de déclaration en ce qui concerne la société.

[66]       Selon le demandeur, un rapport préparé par KPMG a une autorité et un poids considérables et, s'il le rejette, l'agent des visas doit fournir des raisons convaincantes pour justifier sa décision. Le demandeur ajoute que KPMG a effectivement réclamé une certaine vérification indépendante par la municipalité et la banque.


[67]       Voici les motifs qu'a exposés l'agent des visas pour rejeter les conclusions de KPMG. Ces motifs sont extraits des notes STIDI de l'agent des visas et dans son affidavit :

[TRADUCTION]

Conclusions :

Il ressort du contrat produit par le demandeur que les parties à ce contrat sont, d'une part, le gouvernement et, d'autre part, Huaye Co. Bien que l'intéressé ait apposé sa signature en tant que représentant légal, le contrat n'est pas à son nom. L'intéressé a affirmé que tous les éléments d'actif appartiennent au gouvernement mais qu'il a accès [sic] aux profits. Il ne m'a soumis aucun document juridique qui appuierait ses affirmations. Comme l'intéressé n'a pas établi que les bénéfices réalisés par la société lui appartiennent et qu'une bonne partie de son avoir net personnel est constitué de sa participation dans la société, je ne suis pas convaincue que son avoir net personnel répond à la définition réglementaire. En outre, exception faite de l'état financier qu'il a soumis, l'intéressé n'a fourni aucune pièce (relevés bancaires, etc.) qui démontre combien d'argent est détenu dans la société. De plus, lorsqu'on lui a demandé d'expliquer les modalités de l'accord cheng bao, le demandeur a donné une version qui contredit carrément ce qui est écrit dans l'accord. Je ne suis donc pas convaincue qu'accepter la demande de l'intéressé n'irait pas à l'encontre de la Loi sur l'immigration.

[...]

7.              Je ne suis pas convaincue que le demandeur répond à la définition d'investisseur. Je lui ai expliqué que les renseignements qu'il avait fournis au sujet de sa situation financière ne permettaient pas de penser qu'il est le signataire de l'accord cheng bao. Bien qu'il ait signé le document en tant que représentant légal de Huaye, l'accord était conclu entre Huaye et le gouvernement. J'ai également expliqué au demandeur qu'en conséquence, je n'étais pas convaincue que l'argent qui se trouvait dans la société lui appartenait ou qu'il demeurerait dans la société. Le demandeur a rétorqué que l'accord cheng bao stipulait qu'il pouvait conserver les bénéfices. J'ai souligné au demandeur que l'accord stipulait que les bénéfices appartenaient à Huaye, sur quoi, il a répété qu'il pouvait prendre lui-même l'argent.

8.              J'ai demandé au demandeur d'expliquer les modalités de l'accord cheng bao. Il n'en connaissait pas très bien les modalités.

9.              J'ai exprimé mes préoccupations au demandeur et je lui ai donné l'occasion d'y répondre.

10.            Sur la foi des pièces produites par le demandeur, je ne puis conclure que celui-ci a démontré que les bénéfices détenus par Huaye lui appartiennent. Comme les bénéfices réalisés par cette société constitueraient une grande partie de l'avoir net du demandeur, je ne suis pas convaincue que le demandeur a accumulé la somme d'argent exigée pour pouvoir faire partie de la catégorie des investisseurs.


[...]

12.            En réponse au paragraphe 22 de l'affidavit du demandeur, force est de constater que le demandeur n'est désigné comme partie à l'accord cheng bao dans aucune des pièces qu'il a produites.

13.            En réponse au paragraphe 23 de l'affidavit du demandeur, j'ai dûment tenu compte des rapports comptables qui ont été produits. J'estime toutefois qu'ils n'établissent pas la relation entre le demandeur et la société mère et qu'ils n'indiquent pas que des recherches indépendantes ont été effectuées au sujet de la validité ou du sens réel de l'accord cheng bao.

14.            En réponse au paragraphe 27 de l'affidavit du demandeur, je n'ai pas accordé trop d'importance aux quelques contradictions relevées. Le demandeur ne connaissait pas très bien les modalités de l'accord cheng bao ou la teneur des états financiers. Ce facteur, ajouté au fait qu'il n'est pas nommément désigné comme un des signataires dans l'accord cheng bao m'ont amené à conclure que la preuve est insuffisante pour me permettre de conclure que le demandeur était effectivement l'entrepreneur visé par l'accord cheng bao et qu'en conséquence, les bénéfices lui appartenaient.

15.            J'ai fait part de mes préoccupations au demandeur et je lui ai donné l'occasion d'y répondre.

[...]

[68]       Ainsi, la seule question à laquelle je dois répondre est celle de savoir si l'agent des visas a commis une erreur manifestement déraisonnable en estimant que les renseignements contenus dans les rapports ne l'avaient pas convaincue. Il n'y a aucun doute que l'agent des visas a bel et bien examiné et apprécié les éléments de preuve contenus dans les rapports sur cette question.


[69]       Compte tenu de ces renseignements et de l'autorité que possède inévitablement un rapport élaboré par le cabinet KPMG, on pourrait dire qu'en l'espèce, l'agent des visas s'est montrée exceptionnellement tatillonne. Elle a cependant examiné les renseignements en question de bonne foi et elle a expliqué les raisons pour lesquelles ils ne les avaient pas convaincue en ce qui concerne les questions critiques qui la préoccupaient. Sa décision n'était pas abusive, arbitraire ou manifestement déraisonnable et elle ne reposait pas sur des considérations non pertinentes. J'aurais pu en arriver à une conclusion différente de la sienne, mais je ne puis affirmer qu'elle a commis une erreur justifiant l'intervention de la Cour à cet égard.

L'agent des visas a-t-elle commis une erreur en concluant que le demandeur devait « exploiter, contrôler et diriger » l'entreprise plutôt que d' « exploiter, contrôler ou diriger » l'entreprise en question?

[70]       Après examen des pièces versées au dossier, je ne crois pas que cette question ait joué un rôle dans la décision de l'agent des visas de rejeter la demande du demandeur. En conséquence, elle n'a commis aucune erreur qui justifierait l'intervention de la Cour à cet égard.

                                        ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE :

1.          La présente demande de contrôle judiciaire est rejetée.

2.          Il n'y a pas de question à certifier.

                                                                                 _ James Russell _             

                                                                                                     Juge                        

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, trad. a., LL.L.


                                 COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                                Avocats inscrits au dossier

DOSSIER :                                                     IMM-5606-01

INTITULÉ :                                                    XI HUI MA

demandeur

- et -

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

LIEU DE L'AUDIENCE :                              TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :                            LE JEUDI 23 NOVEMBRE 2003

MOTIFS DE L'ORDONNANCE :               LE JUGE RUSSELL

DATE DES MOTIFS :                                   LE 26 MARS 2004

COMPARUTIONS:

Cecil Rotenberg                                                 POUR LE DEMANDEUR

Rhonda Marquis                                                POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER:

Cecil Rotenberg                                                 POUR LE DEMANDEUR

Avocat

255, chemin Duncan Mill, bureau 803

Toronto (Ontario)     H3B 3H9

Morris Rosenberg                                              POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada


COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                                 Date : 20040326

                     Dossier : IMM-5606-01

ENTRE :

XI HUI MA

                                          demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                           défendeur

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE


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